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La gestion participative en Suisse et en Europe

La gestion participative en Suisse et en Europe

En Suisse, les salariés ont davantage de latitude pour organiser leur travail que la plupart de leurs voisins européens. Dans les entreprises helvétiques, les qualifications des employés sont, de ce fait, bien mieux valorisées. Il est important que les travailleurs ne disposent pas seulement de bonnes qualifications, mais qu’ils puissent également en faire usage en toute autonomie dans leur travail. C’est seulement de cette façon qu’on permettra à la «principale matière première de la Suisse», la formation, de contribuer pleinement à la compétitivité de son économie.

Les qualifications et les aptitudes des collaborateurs font partie des ressources dont disposent les entreprises des pays industrialisés développés, dont le nôtre, pour affronter la concurrence des pays «à bas salaires» dans une économie mondialisée. Cette réalité est incontestée. Les investissements publics et privés dans la formation de base et continue des employés sont par conséquent jugés importants. En revanche, on ne discute que rarement la question de savoir si les compétences des collaborateurs sont effectivement utilisées au mieux par les entreprises. En effet, à quoi sert une solide formation diplômante de quatre ans si l’employé doit ensuite sacrifier son intelligence, se contenter d’exécuter des tâches de routine et de suivre des instructions, et se voit refuser le droit d’influer sur les processus de travail de manière compétente et innovante? Les nombreuses études menées au cours des années passées ont à chaque fois confirmé que les modèles d’organisation du travail qui mettent en valeur les qualifications des employés offrent des avantages significatifs aux entreprises en termes de productivité, de qualité et de capacité d’innovation. La gestion participative (voir encadré 1 La gestion participative utilise et encourage systématiquement les aptitudes et la motivation des travailleurs pour optimiser la production et le développement de biens et services de façon continue, en permettant aux travailleurs de prendre part aux décisions concernant les structures et les processus de travail et de production.) peut revêtir différentes formes. Elles ont toutes en commun de faire passer la responsabilité individuelle et les compétences des collaborateurs avant les directives et les contrôles hiérarchiques.

Les trois dimensions de la gestion participative


La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail présente l’étendue de la gestion participative en Suisse et en Europe. Elle examine plusieurs aspects de l’organisation du travail. Pour en cerner la notion, nous nous sommes concentrés sur ses trois dimensions centrales, telles qu’elles ont été définies dans de précédentes études Nordhause-Janz & Pekruhl (2000).: – l’autonomie: les employés choisissent la méthode de travail en toute indépendance et sous leur propre responsabilité; – la participation: le savoir-faire et la créativité des employés sont utilisés pour optimiser les processus de travail; – la coopération: le potentiel productif du travail d’équipe auto-organisé est exploité.  Les données recueillies ont été exploitées en se basant sur ces trois dimensions. L’analyse a été complétée par quelques commentaires sur l’étendue et les conséquences du travail de groupe semi-autonome. Dans l’étude ci-après, seules les réponses des personnes ayant un statut d’employé ont été prises en considération, la question de l’autonomie et de la participation des indépendants n’ayant en effet guère de sens. Le nombre total des personnes interrogées se réduit ainsi à 24 000 en Europe, dont 858 en Suisse.

Autonomie


Les réponses à quatre questions fournissent un bon point d’ancrage pour savoir dans quelle mesure les salariés des entreprises suisses peuvent user de leur libre arbitre dans l’organisation de leur travail: – la question «Avez-vous la possibilité de choisir ou de modifier l’ordre de vos tâches?» a été validée positivement par 71% des employés en Suisse; – «Avez-vous la possibilité de choisir ou de modifier vos méthodes de travail?»: le taux de réponses positives à cette question a même atteint 81%; – à la question «Avez-vous la possibilité de choisir ou de modifier votre cadence ou vitesse de travail?», 73% ont répondu par l’affirmative; – enfin, près de la moitié des employés (48%) déclarent pouvoir déterminer entièrement eux-mêmes (14%) leurs horaires de travail ou au moins les adapter dans une certaine limite (33%) Tous les pourcentages ayant été arrondis, de faibles erreurs peuvent apparaître:33,3% + 14,4% = 47,8% ou 48% en arrondi..  Ces chiffres démontrent que les salariés des entreprises suisses ont une très forte capacité d’influence sur l’organisation de leur travail. Le graphique 1 montre que l’autonomie des employés en Suisse est très élevée non seulement en chiffres absolus, mais aussi par rapport à d’autres pays européens. Étant donné qu’une comparaison des quatre variables à l’échelle européenne aurait fini par embrouiller l’analyse, nous les avons rassemblées dans un indice «Autonomie». Celui-ci est égal à 100 quand un employé est autonome dans les quatre domaines, à 0 quand l’employé n’a aucune autonomie, à 25 quand l’employé a répondu par «oui» à une question, etc. En Suisse, les salariés jouissent d’une autonomie très supérieure à la moyenne dans l’organisation de leur travail. Ce pays dépasse aussi bien l’Europe que ses quatre voisins (Allemagne, Autriche, France et Italie). Elle est par ailleurs très proche de l’indice de référence, formé des trois pays qui obtiennent les meilleurs résultats. Il n’y a rien d’étonnant à cela, puisqu’elle occupe, avec la Suède (indice de 74) et le Danemark (73), la troisième place de référenciation.

Participation


Les questions qui renseignent sur les possibilités de participation des employés des entreprises suisses font état, elles aussi, d’un degré élevé en la matière: – à la question de savoir si le travail implique «une évaluation par vous-même de la qualité de votre travail personnel», la réponse est positive dans 84% des cas; – en Suisse, 88% des personnes interrogées déclarent que leur travail implique «de résoudre par elles-mêmes des problèmes imprévus»; – dans les douze derniers mois, 52% d’entre elles «ont été consultées sur les changements survenus dans l’organisation de leur travail ou dans leurs conditions d’exécution»; – pendant la même période, 74% «ont discuté de problèmes liés au travail avec leur chef/patron»; – enfin, 62% affirment pouvoir mettre leurs propres idées en pratique dans leur travail, souvent ou même presque toujours.  L’indice «Participation» est construit à partir de ces cinq variables. La comparaison des moyennes de cet indice (voir graphique 2) s’avère une nouvelle fois très flatteuse pour la Suisse. Même si celle-ci (indice de 72) ne figure pas parmi les trois pays formant l’indice de référenciation (Danemark, Suède et Pays-Bas), elle en est très proche et dans tous les cas plus ou moins loin devant ses pays voisins directs.

Coopération


Dans un contexte de gestion participative, la «coopération» représente un facteur-clé quand elle consiste non pas en une simple collaboration entre employés, mais qu’elle est organisée de manière à ce que les compétences des uns et des autres se complètent et que tous aient la possibilité d’organiser cette collaboration comme ils l’entendent. Une équipe de travail qui fonctionne selon ce modèle est mieux armée pour apporter des réponses à des questions complexes que chaque employé individuellement. Elle offre, en outre, l’avantage d’une plus grande souplesse si les contraintes de temps l’exigent, car les forces peuvent, selon les circonstances, être réparties ou regroupées. C’est ce que l’on appelle le travail d’équipe Il n’est pas possible d’aborder les critères, les formes et les définitions du travail d’équipe; voir à ce sujet, par exemple, Benders et al. (2006).. L’enquête comporte une série de questions qui, une fois réunies, permettent d’appréhender le travail d’équipe: – les employés doivent dire s’ils exécutent une partie de leur travail en équipe; – le travail implique une rotation des tâches avec les collègues; – les personnes concernées décident elles-mêmes de la rotation des tâches; – les tâches dans le groupe requièrent des compétences différentes de chaque membre du groupe; – les membres de l’équipe décident eux-mêmes de la répartition des tâches.  Certes, l’étendue du travail d’équipe en Suisse (20%), selon la définition donnée plus haut, n’égale pas l’indice de référence européen, qui se compose cette fois-ci de trois pays scandinaves (Danemark, Suède et Norvège, voir graphique 3), mais la Suisse se situe de nouveau très au-dessus de la moyenne européenne et devance aussi plus ou moins nettement les pays voisins.

Équipes de travail semi-autonomes


L’équipe de travail semi-autonome représente une forme particulière du travail d’équipe et de la gestion participative. Dans un tel modèle, les équipiers ne sont pas seulement chargés d’organiser la coopération entre eux; ils peuvent avoir aussi une influence sur l’aménagement et l’amélioration des processus de travail. L’équipe de travail semi-autonome constitue ainsi en quelque sorte la synthèse des trois dimensions de la gestion participative examinées jusqu’à présent: un degré élevé d’autonomie Indice d’autonomie égal ou supérieur à 75., une forte participation Indice de participation égal ou supérieur à 80. et un travail d’équipe auto-organisé. Près de la moitié (9%) des salariés helvétiques travaillant en équipe peuvent se ranger dans cette catégorie. Ce taux s’établit à tout juste 5% en Europe. Seuls les quatre pays scandinaves (Danemark 20%, Suède 14%, Norvège et Finlande 13%), les Pays-Bas (13%) et la Belgique (10%) font mieux. Il est intéressant de savoir si l’équipe de travail semi-autonome se rencontre plutôt dans les petites ou dans les grandes entreprises. On pourrait être tenté de croire que dans une petite entreprise, les employés collaborent presque naturellement et qu’ils ont plus de liberté pour organiser leur travail, tandis que dans une grande entreprise, des procédures de travail assez strictes seraient la norme. Il n’en est rien. Entre 7% et 9% des employés des petites et moyennes entreprises (jusqu’à 250 employés) travaillent dans des équipes autonomes. Dans les grandes entreprises (plus de 500 employés), ils sont 16% à le faire. Ce résultant est remarquable dans la mesure où la coopération autonome et participative dans une grande société n’est pas «innée» et qu’elle est donc l’expression d’une volonté dans l’organisation du travail.

Une forme d’organisation répandue dans des secteurs particuliers


En ce qui concerne la répartition des équipes semi-autonomes entre les secteurs économiques, il apparaît (comme d’ailleurs dans presque tous les pays européens) que la gestion participative est plus rare dans l’économie privée que dans les entreprises publiques, les entreprises d’utilité publique et les sociétés d’économie mixte (État et privés). Ainsi, 8% des salariés de l’économie privée travaillent dans des équipes semi-autonomes, contre 11% (au total) dans les autres domaines. Certes, la différence n’est pas énorme, mais elle aide en tout cas à relativiser quelque peu le préjugé selon lequel l’administration publique a toujours un train de retard sur le secteur privé quand il s’agit de moderniser sa gestion. Une analyse plus détaillée par branches n’est malheureusement pas possible en raison du trop petit nombre de cas. De nombreuses études Ulich (2005) pour une vue d’ensemble. attestent que les formes participatives d’organisation du travail sont corrélées positivement avec la santé des employés. Au premier coup d’oeil, les résultats pour la Suisse semblent démentir ce lien de causalité. La part des employés qui déclarent avoir été absents pour cause de maladie au cours des douze derniers mois est aussi importante chez les employés qui travaillent dans des équipes semi-autonomes que chez les autres (21% dans les deux cas). Une analyse approfondie fait, toutefois, apparaître des différences sensibles. Alors que le nombre de jours d’absence pour raisons de santé est de 21 en Suisse en moyenne (par rapport aux seuls employés qui ont été malades), il est de 12,7 seulement pour les travailleurs qui bénéficient d’une organisation du travail en équipe semi-autonome. La différence est encore plus marquée si l’on considère les jours de maladie dus, de l’avis des sondés, à des problèmes de santé liés au travail. Le nombre de jours manqués est de 2,4 en moyenne chez les employés qui travaillent dans des équipes semi-autonomes, et de 7 dans l’ensemble. De nouvelles études révéleront dans quelle mesure d’autres facteurs influent sur ce résultat.

Conclusion


Dans six pays européens – les quatre scandinaves, les Pays-Bas et la Suisse -, les compétences des employés sont mieux valorisées par les entreprises que dans les autres. Quant à savoir pourquoi la Suisse réussit à se hisser dans le peloton de tête et à se démarquer si nettement de ses voisins directs, la réponse est incertaine. Ce résultat s’explique peut-être par la longue tradition de dialogue social que connaissent les entreprises suisses et grâce auquel les employés, leurs opinions et leurs intérêts sont pris au sérieux. Mais peut-être aussi tout simplement nos managers ont-ils mieux appris leurs leçons.

Graphique 1 «Moyenne de l’indice «Autonomie»»

Graphique 2 «Moyenne de l’indice «Participation»»

Graphique 3 «Diffusion du travail d’équipe»

Encadré 1: La gestion participative La gestion participative utilise et encourage systématiquement les aptitudes et la motivation des travailleurs pour optimiser la production et le développement de biens et services de façon continue, en permettant aux travailleurs de prendre part aux décisions concernant les structures et les processus de travail et de production.

Encadré 2: Bibliographie – Benders J., Huijgen F. et Pekruhl U., «Measuring group work; findings and lessons from a european survey», dans D. Bennett (éd.), Operations Management I, vol. 3, Londres, Sage, 2006, pp. 232-247.- Nordhause-Janz J. et Pekruhl U., «Managementmoden oder Zukunftskonzepte? Zur Entwicklung von Arbeitsstrukturen und von Gruppenarbeit in Deutschland» dans Nordhause-Janz J. et Pekruhl U. (éd.), Arbeiten in neuen Strukturen? Partizipation, Kooperation, Autonomie und Gruppenarbeit in Deutschland, München und Mering, Hampp, 2000.- Totterdill P., Dhondt S. et Milsome S., Partners at work? A report to Europe’s policy makers and social partners, Hi-Res project, 2002. www.hi-res.org.uk.- Ulich E., Arbeitspsychologie, Stuttgart, Schäffer-Poeschl, 2005.

Proposition de citation: Ulrich Pekruhl (2007). La gestion participative en Suisse et en Europe. La Vie économique, 01 avril.