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Les indicateurs conjoncturels suisses: introduction

Que ce soit dans le monde politique, dans la recherche ou au sein des entreprises, un nombre incalculable de chiffres sont utilisés quotidiennement pour étayer les différentes argumentations. L'interprétation des données pose souvent problème. L'analyse conjoncturelle, en particulier, repose sur un grand nombre d'indicateurs, ce qui n'empêche pas les experts de diverger quant à leur lecture. En règle générale, l'interprétation des statistiques est beaucoup plus aisée si l'on sait comment elles ont été établies. C'est dans cette intention que La Vie économique a choisi de présenter les principaux indicateurs conjoncturels suisses dans une nouvelle série.

Les indicateurs conjoncturels suisses: introduction

 

La perfidie des statistiques!


Dans la vie de tous les jours, les statistiques n’ont pas très bonne réputation, ce qui, à première vue, n’est pas tout à fait injustifié. Elles peuvent, en effet, donner lieu à une multitude d’interprétations divergentes. Les lecteurs attentifs auront certainement déjà constaté que différents journaux peuvent tirer des conclusions diamétralement opposées d’une même statistique. Même dans le domaine de la recherche, il arrive que les chiffres fassent l’objet d’interprétations très divergentes. Celles des statistiques divergent au gré des intérêts de chacun. On s’attend même communément à ce que les auteurs interprètent les données fournies de façon à satisfaire leur donneur d’ordre et embellissent les résultats. Le mandant d’une étude cherche souvent non seulement à projeter une bonne image de lui-même, mais encore à asseoir ses arguments sur des faits empiriques. Plusieurs méthodes «légales» permettent d’atteindre ce double objectif. Il est dès lors parfaitement justifié d’accueillir les statistiques présentées avec un certain scepticisme.

Des actions astucieuses


L’une des méthodes légales utilisées pour embellir un résultat consiste à partir d’un indice pour en extraire un échantillon avec soin. Parfois utilisée par les banques d’affaires pour donner une image positive de l’évolution des cours des actions ou des fonds d’investissement, cette méthode est expliquée ci-après à l’aide d’un exemple fictif qui se veut le plus simple possible. Le graphique 1 représente l’évolution, depuis janvier 1980, du cours des actions de deux banques fictives, la Banque de l’Ours et la Banque du Taureau. Au début de la période considérée, les deux actions coûtent 100 francs; à la fin, le titre de la Banque de l’Ours vaut 102,7 francs et celui de la Banque du Taureau se vend 100,8 francs. Bien que les cours et les volatilités à la fin de la période ne diffèrent pas beaucoup, un investissement dans l’action de la Banque de l’Ours aurait rapporté davantage d’argent, pour autant que le titre ait été acheté en janvier 1980 et vendu en novembre 2008. Sur la base de ces informations, un investisseur préférerait placer son argent dans les actions de la Banque de l’Ours. Or les stratèges de la Banque du Taureau ne s’avouent pas vaincus aussi facilement. Partant du principe qu’une bonne performance est un solide argument de vente, ils ont recours à deux ruses statistiques. En premier lieu, ils réduisent l’échantillon représenté. Afin de définir l’échantillon optimal, ils calculent pour quel mois l’écart entre l’action de la Banque de l’Ours et celle de la Banque du Taureau était le plus grand. En l’occurrence, il s’agit du mois d’octobre 1992. Cette date marque donc le début du nouvel échantillon. En second lieu, ils ont recours à l’indexation, méthode souvent utilisée dans l’analyse macroéconomique pour comparer l’évolution de séries chronologiques de niveaux très différents. Le principe est le suivant: on fixe un jour de référence, pour lequel on attribue la valeur 100 aux deux séries, puis on calcule l’évolution des données empiriques par rapport à cette base. Dans l’exemple des deux banques, le jour de référence coïncide avec le début du nouvel échantillon. Cette «nouvelle» évolution des cours des deux banques est illustrée par le graphique 2, qui donne des informations très différentes du premier. C’est ainsi que l’action de la Banque de l’Ours perd de sa valeur, alors que celle de la Banque du Taureau enregistre une hausse d’environ 20%. Sur quelle action miseriez-vous alors? Comme c’est souvent le cas en sciences économiques, il est difficile de déterminer la représentation graphique la plus appropriée. Étant donné que les deux graphiques sont corrects quant à la base, le choix dépend de la problématique abordée et de l’objectif visé (c’est-à-dire de ce qu’on veut vendre ou affirmer). L’exemple des deux banques montre que les mêmes données peuvent donner lieu à des représentations graphiques très différentes.

Attention aux effets saisonniers…


Si telle interprétation des données statistiques paraît suspecte ou tendancieuse, il ne faut pas automatiquement y voir une intention cachée de l’auteur. De par leur nature même, certains types de données statistiques comportent des pièges. Bon nombre de séries chronologiques, par exemple, présentent des effets saisonniers. Autrement dit, certaines grandeurs varient au gré des saisons. C’est le cas de la température mensuelle moyenne et aussi de plusieurs statistiques macroéconomiques, comme l’activité du secteur de la construction ou la production agricole. Dans notre pays, les chantiers sont en effet moins nombreux en hiver, ce qui s’explique par des conditions météorologiques défavorables; le même type de raisonnement s’applique aux récoltes de fruits et légumes. Le nombre des nuitées hôtelières en Suisse offre un bel exemple de fluctuations saisonnières (voir graphique 3). Les vacances d’hiver et d’été semblent leur être favorables: le nombre des nuitées hôtelières en Suisse est en effet plus élevé au 1er trimestre (vacances d’hiver) et au 3e trimestre (vacances d’été) qu’aux 2e et 4e trimestres. On pourrait affirmer, sans déformer les faits, qu’au 4e trimestre 2007, les nuitées hôtelières ont chuté de près de 40% par rapport au trimestre précédent (ce qui, incidemment, susciterait un vent de panique). Or, ce recul n’a rien d’exceptionnel pour les observateurs avertis et il ne doit en aucun cas devenir un élément de préoccupation démesuré pour le secteur touristique suisse. Il ressort que l’interprétation des variations trimestrielles est un exercice périlleux. Aussi les économistes ont-ils recours à des méthodes mathématiques pour annuler les effets liés aux variations saisonnières. Dans l’absolu, cette désaisonnalisation devrait éliminer toutes les fluctuations saisonnières qui caractérisent les données et révéler l’évolution à court terme de la statistique. Il existe malheureusement un grand nombre de méthodes de calcul possibles, qui donnent des résultats parfois très différents.

…et aux taux


Comme les variations saisonnières, les taux peuvent poser problème en statistique. Le fait de lier deux variables permet de mettre en évidence l’importance relative d’une grandeur. On entend souvent par exemple que le pourcentage d’étrangers en Suisse a augmenté, que la retransmission télévisée des Jeux olympiques a enregistré un faible taux d’écoute ou que la part des coûts de la santé dans le PIB est en hausse. Dans l’interprétation des données, il convient d’abord de garder à l’esprit que certains taux (comme la proportion d’étrangers) ne peuvent être supérieurs à 100% et que, dès lors, un chiffre plus élevé n’aurait pas de sens. Par ailleurs, un taux dépend toujours de deux variables. Il est donc possible que la part des coûts de la santé dans le PIB baisse en dépit de leur augmentation. Cela signifie tout simplement que le PIB a connu une croissance plus forte que les coûts de la santé. Ainsi, pour ne pas biaiser l’interprétation, il faut tenir compte de ces deux informations.

Les statistiques sont néanmoins très utiles!


Malgré toutes ces difficultés et ces réserves, bon nombre de statistiques sont d’une grande utilité. Prenez, par exemple, celles sur la population résidante ou le PIB, dont les prévisions jouent notamment un rôle important dans la planification du budget des pouvoirs publics (recettes fiscales, dépenses sociales futures). À une autre échelle, les «statistiques» individuelles, telles que le budget du ménage, la consommation mensuelle d’électricité ou le ticket de caisse des achats hebdomadaires, peuvent aider à prendre certaines décisions et à faciliter ainsi le quotidien. D’une certaine manière, elles sont plus faciles à lire. Comme on a souvent participé à leur saisie (à la caisse du magasin, p. ex.), elles sont beaucoup plus compréhensibles et, de ce fait, moins sujettes à une interprétation subjective. Il est généralement possible d’affirmer que le simple fait de mieux comprendre une statistique facilite l’interprétation personnelle et limite les possibilités d’une représentation tendancieuse par des tiers.

La nouvelle série «Indicateurs conjoncturels»


L’observation de la conjoncture a recours à un grand nombre de statistiques pour donner une image globale de la situation économique actuelle et de son évolution. Il n’y a pas que dans le contexte de la crise financière actuelle qu’il est important notamment de déterminer, avec précision et le plus rapidement possible, les points de retournement de la courbe conjoncturelle. Même les experts ont souvent des difficultés à tirer les bonnes conclusions des données qu’ils ont à leur disposition: comment interpréter, par exemple, une dégradation du climat de consommation lorsque le chiffre d’affaires du commerce de détail est en hausse? Une chute de l’indice des directeurs d’achat en dessous de 50 ou 40 points indique-t-elle que nous entrons en récession? L’indicateur examiné se fonde-t-il sur un sondage, qui peut refléter des opinions subjectives, ou sur des données commerciales «brutes»? Est-il établi à l’aide de méthodes mathématiques (comme le PIB trimestriel) ou les données ont-elles été collectées à la source? Pour parvenir à l’interprétation la plus objective possible des statistiques, il est impératif de savoir comment les données ont été collectées. C’est là le point de départ de la nouvelle série de La Vie économique, qui vise à répondre à quelques-unes des questions mentionnées ci-dessus. Dans les prochains numéros, une série de producteurs de statistiques de la Suisse présenteront le fruit de leur travail. Ils montreront en particulier ce que l’indicateur décrit précisément, comment il est obtenu et comment les données ont été traitées. Par ailleurs, la mise en parallèle de l’indicateur avec des indicateurs étrangers similaires fournira de précieuses informations sur les comparaisons internationales de l’évolution conjoncturelle et, plus encore, sur les interprétations qu’on peut en tirer. Comme le montreront les divers articles de la série «Indicateurs conjoncturels», les statistiques ne peuvent pas toujours être comparées telles quelles, quand bien même elles porteraient le même nom.

Graphique 1 «Cours des actions de la Banque de l’Ours et de la Banque du Taureau, 1980-2008»

Graphique 2 «Cours indexés et nouvel échantillon, 1992-2008»

Graphique 3 «Nuitées hôtelières en Suisse, 2000-2008»

Proposition de citation: Simon Jäggi (2008). Les indicateurs conjoncturels suisses: introduction. La Vie économique, 01 décembre.