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La stratégie suisse en matière de cybersanté: de la théorie à la pratique

Depuis le début de l'année 2008, la Confédération et les cantons se réunissent dans un «organe de coordination cybersanté», dont le rôle est de soutenir la stratégie adoptée en la matière et de la mettre en oeuvre. Un secrétariat appuie les efforts de la Confédération et des cantons. Six projets partiels, impliquant tous les acteurs, visent à instaurer, d'ici 2015, un dossier électronique interinstitutionnel pour le patient. Le début du mois de novembre a vu se dessiner l'architecture de la cybersanté. L'introduction de la carte d'assuré, le 1er janvier 2010, marquera la première étape concrète du projet et constituera, dès lors, un signe tangible pour la population suisse On trouvera d'autres informations sur ce thème à l'adresse www.ehealth.admin.ch ..



Le système de santé suisse est décentralisé et souffre parfois d’une organisation quelque peu artisanale. La spécialisation s’intensifie, de même que la fragmentation du travail médical et les problèmes de communication qui en découlent. Les informations sur les patients sont éparses et ne sont, la plupart du temps, transmises (totalement ou en partie) que lorsque le patient est adressé à un autre prestataire. Pour que les soins fournis soient efficients et d’un haut niveau de qualité, il faut que chaque prestataire concerné ait accès aux principaux épisodes de l’anamnèse du patient – ceci dans son propre intérêt -, aux résultats de ses tests et à d’autres informations. La stratégie adoptée en matière de cybersanté exige que, d’ici à 2015, toute personne domiciliée en Suisse puisse, en tout lieu et à tout moment, rendre ses données personnelles accessibles aux spécialistes de son choix et bénéficier de leurs prestations.

Les défis posés par la mise en oeuvre de la stratégie


La mise en oeuvre de la stratégie «Cybersanté Suisse» pose de multiples défis. Il faut d’abord coordonner de nombreux acteurs qui, tous, poursuivent des objectifs différents. Le manque de consensus international sur les normes techniques et matérielles laisse libre cours à un large éventail de solutions, ce qui rend difficile la discussion. Dans le quotidien de la santé publique, bon nombre de systèmes locaux et internes aux entreprises se sont imposés; leur interconnexion se heurte toutefois à de nombreux écueils techniques et organisationnels. Seule la volonté de coopérer permettra à des processus informatiques approfondis de se mettre en place. Dans le système de santé, cette culture et l’intention d’apprendre ne sont pas très présentes. Beaucoup de leaders d’opinion politiques, d’acteurs de la santé, de médias et un large public n’ont, enfin, que peu conscience de l’importance de la cybersanté. Pour les sceptiques, l’utilité de la cybersanté n’est pas prouvée. Un consensus international se dessine pourtant parmi les personnes qui traitent ce sujet de manière approfondie: la cybersanté peut être d’un apport essentiel à l’augmentation de la qualité des soins et de la sécurité des patients; elle doit aussi contribuer à améliorer l’efficience du système de santé. L’organe de coordination a donc commandé une étude pour début 2009. Celle-ci permettra notamment de définir, d’évaluer et de présenter l’utilité de la cybersanté, tout en exposant les travaux antérieurs et en répertoriant les possibilités qu’elle offre.

Audition sur les recommandations du projet partiel «Normes et architecture»


Malgré ces défis, les projets partiels avancent dans un climat constructif. Le plus important actuellement, «Normes et architecture», a permis d’émettre cinq recommandations au début de novembre 2008; celles-ci ont été soumises à une audition auprès d’un large cercle de personnes intéressées pour qu’elles l’examinent sous l’angle de l’acceptabilité. Le respect de normes techniques fait également partie des propositions. C’est en effet la seule manière d’obtenir, à long terme, l’interopérabilité dans un système de santé très décentralisé, autrement dit la coordination des différents systèmes, techniques et organisations. La stratégie suivie en matière de cybersanté va justement dans ce sens: le renforcement de l’interopérabilité mène à une meilleure disponibilité des renseignements nécessaires au traitement; une communication sans faille des médias diminue la masse d’erreur dans la diffusion de l’information; disponibilité et communication sont synonymes de meilleure qualité du traitement et d’efficience… sans oublier les effets potentiels sur les coûts. Cet objectif présente des avantages pour tous les participants. Pour les patients, le dossier électronique est une chance, car il leur permet de visualiser facilement leurs propres données et d’être davantage responsabilisés. Les médecins, les hôpitaux, les pharmaciens ou le personnel soignant peuvent lire les données importantes au moment opportun. Pour l’économie privée, répétons-le, des normes uniformisées sont intéressantes en termes de coûts, car les développements médicaux peuvent être réutilisés pour de nombreux clients et projets. Les utilisateurs et les vendeurs de systèmes, de leur côté, peuvent atteindre une certaine neutralité grâce aux normes de fabrication. Une interchangeabilité accrue des composants diminue le risque de voir certains fournisseurs en position de monopole. Les investissements sont donc mieux protégés. Le système de santé connaît d’innombrables développements et processus qui peuvent être mieux organisés avec l’informatique. Actuellement, deux processus principaux, extrêmement importants pour la qualité des soins, se détachent: – l’échange d’informations tout au long de la chaîne des soins: orientation des patients et envoi de rapports et de résultats tout au long de la chaîne de traitement (hospitalisation et rapport de sortie, transfert et rapport de transfert, analyses confiées à des laboratoires et résultats, radiographies mandatées à des tiers et résultats, etc.); – la prescription de médicaments: gestion des données de prescriptions antérieures permettant d’examiner la compatibilité et les risques ou d’adapter les doses.  Les propositions d’architecture permettent des structures décentralisées conformes au système suisse. En règle générale, les informations restent chez la personne traitante qui a effectué le relevé des données. Pour que cette mise en réseau de systèmes décentralisés soit possible, la cybersanté s’articulera, entre autres, autour des sept points suivants: 1. Un réseau sûr: il convient de mettre en réseau tous les membres du système et de transmettre les informations de manière sécurisée. 2. L’index des patients: il s’agit d’établir des répertoires décentralisés de patients en vue d’une identification univoque des personnes sous traitement dans le système de santé suisse en fonction des différents niveaux (organisations, local, régional et international) selon les mêmes principes (fonction de référentiel des patients avec différents critères d’identification). 3. L’index des traitants: il doit servir à intégrer des listes décentralisées de professionnels de la santé, afin de les identifier sans équivoque, permettre l’authentification des traitants et indexer les institutions de santé selon les mêmes principes avec des exigences de qualité définies. Ces listes doivent déboucher sur une décentralisation de la gestion, suivant un concept-cadre des autorisations et des rôles défini au niveau national. 4. Le registre des documents: il est organisé de façon décentralisée. On peut y enregistrer des renvois aux données utiles au traitement du patient.  5. L’archivage des documents: il est décentralisé chez ceux qui produisent les documents ou chez les prestataires de service mandatés. 6. Le système d’autorisation: un système général d’autorisation basé sur des rôles sera mis en place pour assurer la sécurité des données. Des thèmes comme l’établissement de procès-verbaux, l’archivage ou l’utilisation judicieuse et contrôlée de copies doivent être réglés. 7. Le portail d’accès: il s’agit d’une possibilité d’accès décentralisée permettant aux patients de prendre connaissance de leurs données ainsi que de la gestion de leur accessibilité.

Perspectives


Si les premiers projets pour la mise en place de la stratégie «Cybersanté Suisse» sont acceptés, le comité de pilotage de l’organe de coordination créé par la Confédération et les cantons pourra, au printemps 2009, donner un signal fort en vue de la mise en réseau. Il est prévu d’adresser une recommandation à tous les acteurs concernés pour garantir le respect des normes techniques lors d’investissements futurs dans le domaine informatique (acquisition de matériel neuf ou de remplacement).

Proposition de citation: Andrea Nagel ; Adrian Schmid ; (2008). La stratégie suisse en matière de cybersanté: de la théorie à la pratique. La Vie économique, 01 décembre.