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La lutte contre les pratiques commerciales déloyales

Des méthodes commerciales loyales et transparentes sont indispensables au bon fonctionnement d’une économie de marché. Les acheteurs à tous les échelons, consommateurs inclus, ne peuvent faire des choix que s’ils disposent d’informations transparentes et non falsifiées sur le marché. Cela leur permet d’avoir une vue d’ensemble objective de l’offre et de décider en fonction de leurs besoins. La lutte contre les pratiques commerciales déloyales revêt dès lors une grande importance pour la concurrence et relève de l’intérêt public.

Dans un article intitulé Vom lauteren zum freien Wettbewerb
Voir Walter R. Schluep, «Vom lauteren zum freien Wettbewerb», dans W. R. Schluep, Zum Wirtschaftsrecht, Berne, 1978, pp. 62ss., Walter R. Schluep démontre que, du point de vue historique, les réglementations contre la concurrence déloyale ont existé bien avant celles qui visent à combattre les restrictions à la concurrence, au sens où l’entend la loi sur les cartels. Pendant longtemps, la conduite déloyale des affaires a été associée à une violation de la morale commerciale. En revanche, la protection de la libre concurrence, telle qu’elle est garantie aujourd’hui par le droit des cartels, n’a été considérée durant de longues années que comme une défense contre l’État. De nos jours, tout le monde s’accorde à reconnaître que le droit sur la concurrence déloyale et celui sur les cartels sont nécessaires au bon fonctionnement de la concurrence. Les lois relatives aux restrictions à la concurrence protègent contre les atteintes portées tant à la liberté des individus quà la concurrence en tant quinstitution. Les lois contre les pratiques déloyales garantissent la loyauté de la concurrence et, de ce fait, sa qualité.

La législation contre la concurrence déloyale


Le droit actuel de la concurrence, tel qu’il est fixé par la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD), couvre trois sphères d’intérêt:– la protection des concurrents;– la protection des acheteurs à tous les échelons et, en fin de compte, des consommateurs; – la protection de la collectivité.Préserver les concurrents et les acheteurs à tous les échelons – y compris les consommateurs – de faux signaux tels que les propos publicitaires fallacieux ou les méthodes trompeuses contribue à assurer le bon fonctionnement de la concurrence. Ces perturbations faussent la concurrence et n’apportent rien sur le plan économique. La lutte contre les tromperies de toute nature améliore le cadre général de la concurrence et l’allocation des ressources. Il est certes difficile de mesurer les dommages économiques causés par les pratiques commerciales déloyales. Toutefois, les affaires portées devant les tribunaux montrent que ces dommages peuvent facilement atteindre des dizaines de millions de francs.La LCD déclare inadmissibles toute une série de pratiques commerciales de nature à fausser la concurrence. En énumérant les comportements répréhensibles, elle entend protéger les agents économiques contre des pratiques déloyales. Toutefois, cette protection est essentiellement théorique. L’application du droit incombe aux acteurs privés du marché – autrement dit aux concurrents, aux clients, à leurs associations professionnelles et économiques ainsi qu’aux organisations de consommateurs. Or, les privés ne se risquent à intenter des actions civiles ou pénales que lorsque des intérêts individuels importants sont en jeu. Pratiquement personne n’est prêt à se battre pour défendre l’intérêt collectif, à savoir le maintien d’une concurrence honnête, et donc protéger l’institution que représente la «concurrence loyale».

Droit de la Confédération d’intenter une action


Certaines entreprises domiciliées en Suisse commettent des arnaques et des tromperies systématiques à l’encontre de personnes résidant à l’étranger. Ces pratiques portent atteinte à la réputation de notre pays et nuisent à sa place économique. Étant donné que les éléments constitutifs de l’escroquerie ne sont généralement pas réunis, ces délits ne sont pas poursuivis d’office. Les autorités pénales ne peuvent donc pas agir d’elles-mêmes: en l’absence de plaintes, le juge n’intervient pas. Par le passé, aucune autorité n’était habilitée à poursuivre contre des pratiques déloyales dont l’origine se situe sur notre territoire. Cette lacune suscitait une incompréhension croissante à l’étranger. Pour éviter que la Suisse ne passe pour un pays qui sert de refuge aux arnaqueurs de tout poil, il a été décidé en 1992 d’accorder à la Confédération le droit d’intenter une action dans le cadre de la LCD. Depuis lors, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) peut porter plainte, au nom de la Confédération, contre des entreprises domiciliées en Suisse, lorsqu’il le juge nécessaire pour protéger la réputation du pays et que les personnes lésées résident à l’étranger.Ce droit de la Confédération d’intenter une action se limite donc aux pratiques commerciales déloyales exercées depuis la Suisse à l’encontre de personnes établies à l’étranger. En revanche, le Seco ne peut rien faire contre ceux qui, depuis l’étranger ou la Suisse, tentent d’arnaquer des entreprises ou des consommateurs domiciliés dans notre pays. Les victimes ne comprennent pas qu’aucune autorité n’intervienne contre ces malfaiteurs qui lèsent impudemment des clients vivant en Suisse. C’est pourquoi le Conseil fédéral propose, dans son message du 2 septembre 2009
Feuille fédérale 2009, p. 5539., d’étendre la qualité pour agir de la Confédération aux affaires qui concerne uniquement la Suisse. Celle-ci doit avoir le droit de se pourvoir en justice pour défendre des victimes domiciliées sur son territoire, lorsque des intérêts collectifs sont affectés. La loi ainsi modifiée devrait empêcher des moutons noirs de fausser la concurrence à l’intérieur du pays. Le Parlement débattra de ce dossier cette année encore.

Analyse des activités du Seco en 2009


Depuis 1992, le nombre de réclamations envoyées de l’étranger contre des pratiques commerciales déloyales conçues en Suisse a augmenté. Les chiffres de ces cinq dernières années illustre bien cette hausse (voir graphique 1).En 2009, le Seco a reçu au total 1517 réclamations pour pratiques commerciales déloyales: 451 provenaient de Suisse et 1066 de l’étranger. Cela représente environ 500 cas de moins qu’en 2008, année où la barre des 2000 avait été franchie. Le recul est dû aux efforts déployés par le Seco, qui a gagné deux procès devant des tribunaux civils contre des auteurs d’arnaques à l’annuaire. Suite à cela, les réclamations formulées par des entreprises ont fortement diminué pour tomber de 940 en 2008 à 640 en 2009. Celles des personnes physiques ont suivi le même mouvement, si l’on considère les chiffres globaux. Les plaintes émanant de consommateurs suisses ont toutefois augmenté, passant de 372 à 451.Comme les années précédentes, les arnaques à l’annuaire occupent la tête du classement des réclamations enregistrées par le Seco en 2009, devant les tromperies sur Internet et les offres ésotériques douteuses (voir graphique 2). Des démarcheurs écrivent à des entrepreneurs et leur envoient un formulaire de contrat, généralement d’une page. Ils leur font croire que l’inscription dans leur registre des sociétés est gratuite et qu’elle constitue une plate-forme idéale pour se faire de nouveaux clients. Or, le fait d’apposer sa signature au bas du formulaire revient à conclure un contrat onéreux. Dans le monde agité des affaires, il arrive aussi que l’on passe facilement sur les clauses contractuelles imprimées en petits caractères.Les tromperies sur Internet prennent les formes les plus diverses. Elles se cachent par exemple derrière des concours ou des tests de quotient intellectuel: les participants sont priés d’indiquer leur numéro de téléphone portable pour qu’on puisse leur communiquer ultérieurement les résultats. Si les internautes se plient à cette injonction, ils concluent involontairement un abonnement pour recevoir des SMS qui leur coûteront entre 1 et 5 francs le message. Les arnaques au paiement préalable sont également en forte hausse: le client passe une commande sur Internet, il paie avec sa carte bancaire, mais il ne reçoit jamais la marchandise. En 2009, ce type d’abus était lié en particulier à la vente de parfums de marque à prix cassés ou d’instruments de musique.Dans le domaine ésotérique, les auteurs de pratiques frauduleuses visent les personnes qui ont un faible pour l’astrologie, la voyance, les prédictions, le tarot, etc., en se basant sur des fichiers qu’ils établissent et utilisent. Les clients, contactés par des lettres nominatives, vont acheter toutes sortes de prestations qui s’avéreront en fin de compte parfaitement inutiles. Nombre de victimes se plaignent de ne pas avoir touché les gains importants qu’on leur avait fait miroiter et d’avoir dépensé pour rien.

Résultats en 2009


Comme indiqué plus haut, le Seco a gagné deux procès civils contre des sociétés contrôlées de l’étranger, mais domiciliées en Suisse, qui pratiquaient l’arnaque à l’annuaire. Une entreprise basée à Lucerne envoyait à des commerçants établis à l’étranger des formulaires trompeurs pour une inscription d’une utilité douteuse dans un registre appelé Tourist Directory. Le Seco avait alors reçu une multitude de réclamations, venues des quatre coins du monde. Confirmant les jugements rendus par les instances précédentes, le Tribunal fédéral a admis dans son arrêt du 1er octobre 2009
ATF, 136 III 23. la plainte civile déposée contre cette société. Il a interdit à la défenderesse de poursuivre ses pratiques commerciales douteuses. Il a également autorisé le Seco à publier le dispositif du jugement, aux frais de la partie adverse, dans la Feuille officielle suisse du commerce et dans des quotidiens du monde entier.C’est également le 1er octobre 2009 que le Tribunal cantonal de Zoug a admis une plainte civile du Seco contre une autre société d’arnaque à l’annuaire, qui avait son siège dans le même canton. Cette firme utilisait des démarcheurs indépendants qui, au moyen d’arguments fallacieux et d’autres tromperies, poussaient les «clients» à conclure contre leur volonté des contrats coûteux pour une inscription inutile dans un répertoire des sociétés. Le Tribunal cantonal de Zoug lui a ordonné de cesser ces pratiques. Il a également autorisé le Seco à publier le jugement dans divers pays aux frais de la partie adverse. Ce jugement est entré en force après l’expiration du délai de recours.Entre-temps, la faillite des deux firmes mentionnées ci-dessus − qui sont dailleurs liées entre elles − a été prononcée. Leurs dirigeants font actuellement l’objet de poursuites pénales. Les succès remportés par le Seco sur le plan civil ont donné un coup d’accélérateur à cette procédure. Le Seco avait déjà déposé une plainte pénale en 2005, mais c’est seulement au printemps dernier que la justice a effectué des perquisitions et saisi des moyens de preuve.Enfin, le Seco a gagné un procès pénal contre une entreprise prétendument spécialisée dans les opérations d’assainissement financier. X SA envoyait des prospectus publicitaires à l’étranger en ciblant des «clients» endettés. Elle se disait en mesure de réaliser rapidement un «assainissement financier suisse». Ces courriers laissaient entendre aux destinataires que X SA fournissait facilement des crédits de redressement à des conditions avantageuses. En réalité, les victimes signaient un «contrat d’assainissement financier» avec une entreprise tierce et devaient payer à X SA des frais de courtage exorbitants. Au lieu de les soulager financièrement, ce contrat ne faisait qu’aggraver leur situation déjà précaire. Le tribunal de district de Saint-Gall a reconnu les dirigeants de l’entreprise coupables de concurrence déloyale. Il les a condamnés à quatorze mois de prison avec sursis et à une amende. Les inculpés ont recouru contre ce jugement.

Collaboration internationale


Afin de pouvoir lutter efficacement contre les pratiques commerciales déloyales transfrontalières, le Seco représente la Suisse au sein du Réseau international de contrôle et de protection des consommateurs (RICPC)
Voir http://www.icpen.org., dont le but est de combattre les pratiques commerciales déloyales transfrontières. C’est par ce biais que le Seco a reçu, en 2009, environ 150 réclamations contre des entreprises suisses. De son côté, il en a transmis 30 aux autorités d’autres pays membres du RICPC.L’an dernier, le Seco a profité de la conférence principale du RICPC pour présenter les succès obtenus devant les tribunaux suisses. Son message était clair: non, la Suisse ne sert pas de refuge aux arnaqueurs de tout poil. Au niveau international, il existe une tendance à considérer la Suisse non seulement comme un paradis fiscal, mais également comme un eldorado pour les escrocs. C’est pourquoi le travail d’information au sein d’organismes comme le RICPC revêt une grande importance. Il permet de briser ces préjugés infondés en faisant état des succès remportés sur le plan judiciaire.

La campagne de sensibilisation Attention aux arnaques sur Internet!


Les campagnes de sensibilisation jouent un rôle clé dans la lutte contre les pratiques commerciales déloyales. Leur but est d’empêcher les entreprises et les consommateurs de tomber dans les griffes des escrocs. Dans notre société de l’information, les tromperies sur Internet représentent un grand problème, comme cela a été dit en introduction. C’est pourquoi le Seco lancera prochainement une brochure intitulée Attention aux arnaques sur Internet. En fait, il s’agit d’actualiser le dépliant, paru en 2007. La nouvelle publication avertira les consommateurs des risques liés aux offres gratuites peu sérieuses qui circulent sur la toile et leur recommandera certaines mesures de précaution. Par exemple, si le client est invité à indiquer son adresse complète ou son numéro de téléphone mobile pour bénéficier des avantages promis, il devrait se méfier et étudier très attentivement l’offre en question. Enfin, les victimes de tromperies trouveront dans la brochure des indications sur la meilleure manière de se défendre.

Graphique 1: «Nombre de réclamations déposées contre des pratiques commerciales déloyales, 2005–2009»

Graphique 2: «Répartition des réclamations par branches, 2005–2009»

Graphique 3: «Répartition des réclamations entre la Suisse et létranger, 2006–2009»

Encadré 1: Articles 1 et 2 de la LCD

Art. 1. La présente loi vise à garantir, dans l’intérêt de toutes les parties concernées, une concurrence loyale et qui ne soit pas faussée.Art. 2. Est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients.

Proposition de citation: Guido Sutter ; Philippe Barman ; (2010). La lutte contre les pratiques commerciales déloyales. La Vie économique, 01 juin.