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La 6e révision de l’AI, une entreprise difficile, mais indispensable

La 6e révision de l’AI, une entreprise difficile, mais indispensable

L’assurance-invalidité (AI) doit être assainie. Sa situation financière s’est sans cesse dégradée depuis le milieu des années nonante. Le présent article énumère les moyens auxquels l’AI recourra pour mettre en œuvre les mesures d’économie nécessaires. Les décideurs ont pleinement conscience du fait que beaucoup de ces mesures concerneront des personnes dans des situations souvent difficiles, et qu’elles doivent être traitées avec l’attention, les précautions et la sensibilité qui s’imposent.

Fin 2010, les comptes de l’AI sont déficitaires d’un milliard de francs et sa dette envers l’AVS se monte à 15 milliards (voir graphique 1). Le Conseil fédéral et le Parlement ont lancé un plan d’assainissement en trois phases (voir graphique 2). La première, qui comprend la 4e et la 5e révisions de l’AI, entrées respectivement en vigueur en 2004 et en 2008, a permis d’arrêter la spirale de la dette et de stabiliser le déficit annuel à environ un milliard de francs. La deuxième phase, qui correspond à l’augmentation de la TVA acceptée par le peuple et les cantons lors de la votation du 27 septembre 2009 et qui s’appliquera entre 2011 et 2017, permettra d’éliminer provisoirement le déficit. Enfin, pour que celui-ci ne réapparaisse pas après 2017, l’AI devra économiser un milliard de francs par an. C’est là l’objectif de la troisième phase, à savoir la 6e révision de l’AI, que le Conseil fédéral a divisée en deux volets, 6a et 6b.

Premier volet: la révision 6a


«La réadaptation prime la rente», tel était déjà le principe des 4e et 5e révisions de l’AI: elles devaient éviter que des personnes atteintes dans leur santé ne soient contraintes de quitter leur place de travail. La révision 6a se concentre sur les handicapés déjà bénéficiaires de rente et qui souhaitent retourner, dans la mesure du possible, sur le marché du travail. Elle prévoit différentes mesures à cet effet, qui sont présentées ci-après.

Une révision des rentes axée sur la réadaptation


La priorité accordée à la réadaptation représente un véritable changement de paradigme: l’adage «rente un jour, rente toujours» est remplacé par le principe «la rente, une passerelle vers la réinsertion». La révision vise à améliorer les capacités de travail et de gain des bénéficiaires de rente présentant un potentiel, afin de rendre possible leur réadaptation et de réduire, voire de supprimer leur rente. À cette fin, les mesures de réadaptation existantes sont étendues, complétées et personnalisées afin de mieux tenir compte de la situation du bénéficiaire.Cette nouvelle approche s’appuie sur un filet de sécurité, élément central pour les cas où la réadaptation échoue: si la capacité de travail baisse de nouveau pour des raisons de santé dans les trois ans qui suivent la révision de rente, l’AI octroiera rapidement et sans tracasseries administratives une prestation transitoire et réévaluera le taux d’invalidité. En ce qui concerne le IIe pilier, le projet de révision prévoit que la personne concernée reste, pendant ces trois ans, assuré auprès de son institution de prévoyance, qu’elle subisse une nouvelle réduction de sa capacité de travail pour raison de santé ou non; elle conserve tous les droits liés à la qualité d’assuré invalide (notamment en matière de prestations d’invalidité et de survivants, et de maintien du compte de vieillesse). Cette solution joue un rôle crucial, tant pour l’assuré que pour les employeurs potentiels: 1. Comme l’AI versera rapidement une prestation transitoire en cas de nouvelle incapacité de travail pour raison de santé, l’employeur ne sera pas tenu de déclarer le cas à son assurance d’indemnités journalières, ce qui lui évitera de voir ses primes augmenter et le protègera d’une éventuelle résiliation de contrat. 2. La réadaptation ne risquera pas de dégrader la situation de l’assuré, étant donné que sa rente pourra en tout temps être restaurée pendant ces trois années si sa capacité de travail baisse pour raison de santé. 3. Les employeurs qui permettront à un assuré de se réinsérer n’auront pas à craindre qu’un échec de la réadaptation pèse sur leur propre institution de prévoyance, étant donné que, pendant la «période de protection» de trois ans, l’institution de prévoyance de l’assuré restera compétente. Cette dernière ne sera pas lésée et bénéficiera même d’une amélioration si la réadaptation réussit. Les employeurs seront ainsi encouragés à s’impliquer davantage dans la réadaptation. Ils bénéficieront, en outre, de l’optimisation et de la simplification administrative de l’allocation d’initiation au travail, de la réglementation du placement à l’essai ainsi que d’un droit à des conseils et d’un suivi pendant le processus de réadaptation, ceci jusqu’à trois ans après la réadaptation. Ce dispositif devrait permettre de réduire, entre 2012 et 2017 inclus, le nombre de rentes pondérées de 12 500. De 2018 à 2027, l’économie annuelle moyenne sera de 230 millions de francs.

Un nouveau mécanisme de financement: le budget de l’AI pratiquera la vérité des coûts


Avec le nouveau mécanisme de financement, la contribution de la Confédération à l’AI ne dépendra plus de l’évolution des dépenses de l’assurance, mais du renchéris-sement et de l’évolution conjoncturelle. Conséquence: l’AI profitera pleinement des économies réalisées. Aujourd’hui, elle est financée par les cotisations des assurés et des employeurs, ainsi que par une contribution de la Confédération se montant à 38% environ des dépenses annuelles de l’assu-rance. Cela signifie que pour chaque franc dépensé par l’AI, la Confédération verse automatiquement 38 centimes. D’un autre côté, lorsque l’AI économise un franc, ses comptes ne sont allégés que de 62 centimes, la caisse fédérale bénéficiant des 38 centimes restants. L’économie annuelle moyenne sera de 195 millions de francs entre 2018 et 2027.

Les coûts baissent grâce à une concurrence accrue dans le domaine des moyens auxiliaires


L’inscription dans la loi du principe de l’acquisition de moyens auxiliaires à travers des appels d’offres publics augmentera l’efficacité des instruments actuels de contrôle des coûts que sont les conventions tarifaires, les plafonds de remboursement fixés par l’autorité et les forfaits. Elle permettra de créer une véritable concurrence entre fournisseurs, ce qui fera baisser le prix de certains moyens auxiliaires (comme les appareils auditifs) sans nuire à la qualité. Cette mesure permettra à l’AI d’économiser annuellement 46 millions de francs entre 2018 et 2027.

Introduction d’une contribution d’assistance


La contribution d’assistance constitue une nouvelle prestation pour les adultes handicapés, en complément de l’allocation pour impotent (API) et de l’aide prodiguée par les proches; elle est une alternative à l’entrée en institution. D’un montant de 30 francs l’heure, elle permettra aux handicapés d’engager eux-mêmes des personnes leur fournissant l’aide dont ils ont besoin, et par là même d’habiter de nouveau chez eux, ou de ne pas avoir à déménager dans un foyer. La contribution d’assistance est neutre en termes de coûts, car elle permet d’économiser sur l’allocation pour impotent. Il est prévu d’étendre par la suite le droit à cette prestation aux mineurs et aux personnes dont la capacité d’exercice des droits civils est restreinte.Les différentes mesures de la révision 6a allégeront les comptes de l’AI de quelque 500 millions de francs par an entre 2018 et 2027.

Approuvée par les Chambres fédérales


Cette révision a déjà été traitée par le Parlement: la commission du Conseil des États l’a adoptée sans grandes modifications et le Conseil national en a fait autant lors de sa session d’hiver 2010. L’examen du droit à la rente en cas de coup du lapin ou de troubles douloureux a particulièrement été discuté: alors que le Conseil fédéral et le Conseil des États voulaient le limiter aux «troubles douloureux ne s’expliquant pas par des causes organiques», le Conseil national a modifié la formule en «syndromes sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique», s’appuyant sur un arrêt du Tribunal fédéral d’août 2010 qui dispose que le coup du lapin ne donne droit à une rente AI que si, en raison des douleurs qui s’ensuivent, l’exercice d’une activité lucrative ne peut objectivement pas être exigé. Cet élément sera examiné à l’aide de plusieurs critères. Quant à imposer aux entreprises des quotas d’assurés atteints dans leur santé, les chances d’adoption se sont avérées nulles dans les deux chambres.

Second volet: la révision 6b


La révision 6b se concentre sur quatre mesures d’assainissement qui devront être prises dans le cadre de la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI). Elle donne à l’économie et aux employeurs un rôle essentiel.

Un système de rentes linéaire


Le système actuel n’incite pas suffisamment les personnes handicapées à reprendre une activité lucrative ou à augmenter leur taux d’occupation. Un bénéficiaire de rente qui reprend une activité ou augmente son taux d’occupation est souvent pénalisé, si la réadaptation réussit, par une réduction de rente plus importante que le revenu d’acti-vité supplémentaire réalisé. Il voit donc son revenu global diminuer, ce qui n’est pas acceptable: il faut que la reprise d’une acti-vité soit financièrement avantageuse pour l’assuré.C’est pourquoi la révision prévoit de remplacer le système de rentes actuel à quatre échelons (quart de rente, demi-rente, trois quarts de rente, rente entière) par un système linéaire analogue à celui en vigueur dans l’assurance-accidents. Cette mesure supprimera les effets de seuil et donnera aux assurés la motivation de reprendre une activité et d’augmenter leurs gains. À chaque taux d’invalidité correspondra une quotité de rente sur une échelle linéaire. En outre, étant donné qu’à partir d’un certain taux d’invalidité, la capacité de gain résiduelle ne peut que difficilement être exploitée, une rente entière sera octroyée à partir d’un taux d’invalidité de 80% (ce seuil est actuellement de 70%). Enfin, les assurés de 55 ans révolus bénéficieront d’une garantie des droits acquis.

Renforcement de la réadaptation


La révision 6b poursuit le chemin vers l’application pleine et entière du principe «la réadaptation prime la rente», d’abord en développant et en optimisant les instruments mis en place par la 5e révision, puis en en créant d’autres visant également à prévenir l’invalidité. Concrètement, ces changements concernent surtout les personnes souffrant d’un handicap psychique, qui représentent la catégorie la plus nombreuse (40%) parmi les bénéficiaires de rente.La modification de loi prévoit d’abord une extension de la détection précoce afin d’établir le plus rapidement possible un contact avec l’assuré. Ensuite, les mesures de réinsertion ne seront plus limitées dans le temps, car la réadaptation de personnes souffrant d’un handicap psychique peut prendre du temps. Il est aussi prévu d’étendre les catégories de personnes ayant droit à une contribution pendant l’exécution des mesures de réinsertion. Cette disposition est destinée aux personnes souffrant d’un handicap psychique et visera non seulement l’employeur actuel, mais également tout ceux disposés à engager un assuré.De même que pour les mesures de réadaptation de la révision 6a, les offices AI pourront proposer aux assurés et aux employeurs des conseils et un suivi, cela indépendamment d’une éventuelle autre prestation de l’AI, et sans qu’il soit nécessaire de s’annoncer auprès de l’institution. Acteur principal de la réadaptation, l’employeur sera invité à ne pas licencier le collaborateur concerné durant la période de réadaptation sans consultation préalable de l’AI. En outre, les médecins traitants seront activement impliqués, dans le cadre d’évaluations interprofessionnelles, dans la planification du travail des spécialistes de la réadaptation des offices AI.

Nouvelle réglementation pour les bénéficiaires de rente avec enfant


Les bénéficiaires de rente ayant à leur charge un enfant de moins de 18 ans (ou de 25 ans si ce dernier est en formation) perçoivent une rente pour enfant en plus de leur rente d’invalidité, afin de compenser les frais occasionnés. Or, de nouvelles prestations se sont ajoutées pour les bénéficiaires de la rente pour enfant, depuis son introduction dans le IIe pilier et dans les prestations complémentaires, sans changement dans les bases de calcul de l’AI; il existe, en outre, depuis 2009 un droit national uniforme aux allocations familiales. C’est pourquoi il est prévu de ramener la quotité de la rente pour enfant de 40 à 30% de la rente principale (rente de l’AI ou de l’AVS). Cette disposition ne concernera pas les rentes d’orphelin.

Nouvelle réglementation des frais de voyage


Le remboursement des frais de voyage est actuellement réglé de manière très générale pour toutes les mesures de réadaptation, ce qui explique pour une bonne part l’interprétation de plus en plus généreuse qui en est faite. La reformulation ciblée, précisée et adaptée à chaque mesure de réadaptation permettra de limiter la prise en charge aux frais de voyage nécessaires et à ceux effectivement dus à l’invalidité, comme le souhaitait initialement le législateur. En outre, pour les mesures médicales, une harmonisation est prévue avec l’assurance-maladie.

Le mécanisme de désendettement de l’assurance


Un assainissement durable de l’AI passe par le remboursement de ses dettes vis-à-vis de l’AVS. Celles-ci se montent actuellement à 15 milliards de francs. Les deux volets de la 6e révision posent les bases d’un retour durable à l’équilibre, qui persiste au-delà de la période de financement additionnel, ainsi que d’un remboursement de la dette, qui semblent réalistes pour 2030. Toutefois, à cet horizon, il reste les inconnues que sont l’évolution des dépenses de l’AI, la situation économique et l’évolution démographique.

Graphique 1: «Évolution du financement de l’AI, 1960–2011»

Graphique 2: «Plan d’assainissement de l’AI»

Encadré 1: Objections des organisations de défense des personnes handicapées

Objections des organisations de défense des personnes handicapées


Les organisations de défense des personnes handicapées acceptent majoritairement la révision 6a et sont conscientes du fait que le peuple et les cantons ont donné à l’AI le mandat de faire de nouvelles économies. Elles sont, en revanche, critiques vis-à-vis du deuxième volet de la révision. Différentes associations ont menacé de lancer un référendum si le Parlement devait adopter les mesures prévues.L’Entraide Suisse Handicap Agile estime que le Conseil fédéral présente à nouveau un projet visant exclusivement à réaliser des économies, et que cela constitue une attaque considérable contre le niveau de vie de milliers de bénéficiaires de rente.La Conférence des organisations faîtières de l’aide privée aux handicapés (DOK) indique envisager d’ores et déjà le référendum. Elle estime que la révision 6b fera subir aux bénéficiaires, en fonction de leur taux d’invalidité, des réductions de rente considérables, ce qui est inacceptable pour les organisations de défense des personnes handicapées.Pro Infirmis refuse également toute réduction de rente AI. Si le Parlement adopte le projet, l’association a indiqué qu’elle envisagerait de lancer un référendum avec d’autres organisations.L’Union syndicale suisse (USS) condamne également ce qu’elle considère comme une «attaque massive contre les rentes». Elle estime que le Conseil fédéral propose des mesures d’économie drastiques sur le dos des personnes aux revenus les plus bas.

Proposition de citation: Stefan Ritler (2011). La 6e révision de l’AI, une entreprise difficile, mais indispensable. La Vie économique, 01 janvier.