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L’internationalisation du secteur des services de l’économie suisse

Dans le présent article
L’article se réfère à une étude effectuée à la demande du Secrétariat d’État à l’économie (Seco). Une enquête a été réalisée à cette occasion auprès des entreprises dans les secteurs de l’industrie, de la construction et des services selon un sondage représentatif., les auteurs abordent les questions suivantes: quels sont les facteurs qui font que les entreprises de services décident d’investir à l’étranger? Quelle forme et quelle ampleur leurs engagements à l’étranger prennent-ils? L’étude a été réalisée selon trois critères: les différents facteurs à l’origine de la présence des entreprises à l’étranger ont d’abord été déterminés. Les interdépendances des services entre la maison mère et ses filiales à l’étranger ont, ensuite, fait l’objet d’un examen. Enfin, on a voulu savoir si les investissements à l’étranger – une forme de délocalisation – affaiblissent, comme on l’imagine souvent, ou au contraire renforcent (en créant des activités complémentaires) la place économique suisse.

La présence des sociétés de services suisses dans l’économie mondiale, que ce soit par leurs exportations ou leurs activités directes à l’étranger
Par activités directes à l’étranger, on entend la présence locale d’entreprises à l’étranger sous la forme de filiales, d’entreprises conjointes ou de contrats de coopération à long terme., n’est pas aussi importante que celle des entreprises industrielles qui, elles, sont fortement mondialisées (voir tableau 1). Les principales raisons de cette différence tiennent à la plus faible négociabilité des services, aux réels obstacles rencontrés par les entreprises qui les fournissent, à leur champ d’action géographique réduit et à leur taille souvent faible. La proportion des entreprises de services exportatrices s’élève tout de même à 30% et 12% sont directement présentes à l’étranger. Ces pourcentages sont deux fois plus élevés dans l’industrie, puisque les activités à l’étranger dépendent fortement de la taille de l’entreprise; cette constatation sapplique encore mieux à la présence directe à l’étranger quaux exportations. On voit aussi que 25% de toutes les entreprises qui ont exercé des activités directes à l’étranger en 2010 ont investi pour la première fois à l’étranger après 1990; ce pourcentage monte même à 50% chez les petites entre-prises et les entreprises de services à fort coefficient de savoir. De nombreux facteurs ont contribué à accélérer l’internationalisation: la baisse des coûts de l’information et des transports, les accords bilatéraux avec l’UE, l’ouverture de l’Europe de l’Est, la libéralisation des marchés des capitaux et des infrastructures et les stratégies de croissance qui sont de plus en plus axées vers l’extérieur dans les pays émergents.

Les déterminants des activités à l’étranger


Le modèle OLI de Dunning (2000), qui regroupe les approches les plus importantes pour expliquer les différents investissements à l’étranger, a servi de cadre de référence théorique à l’analyse des activités des entreprises à l’étranger. Selon celui-ci, trois groupes de facteurs incitent une entreprise à s’implanter à l’étranger:− la combinaison profitable de caractéristiques spécifiques à l’entreprise comme la capacité d’innover, le capital humain, l’expérience à l’étranger («O-Advantages»);− les désavantages de la localisation comme les coûts salariaux élevés, un marché fortement réglementé («L-Disadvantages»);− l’internalisation des relations commerciales, en reprenant, par exemple, un fournisseur pour garantir la qualité des composants-clés («I-Advantages»).Le modèle OLI permet d’expliquer de manière relativement précise les activités des entreprises à l’étranger. Dans les deux secteurs, leurs forces spécifiques sont le moteur de leurs activités à l’étranger (voir tableau 2). Elles correspondent aux avantages comparatifs de la Suisse (capacité d’innover, capital humain, etc.). Les déterminants de la pré-sence directe à l’étranger ne diffèrent pas énormément entre le secteur des services et celui de l’industrie. Les différences portent principalement sur l’autofinancement (significatif seulement dans le secteur des services), la coopération locale (importante seulement dans l’industrie), la concurrence par le prix (importante seulement dans le secteur des services), l’âge de l’entreprise (ne joue un rôle que pour l’industrie) et sa taille.Une comparaison entre les entreprises exportatrices et celles établies à l’étranger montre qu’avec le nombre croissant de fonctions entrepreneuriales délocalisées à l’étranger, les variables du modèle OLI exercent visiblement une plus forte influence dans le deuxième cas que pour les «exportateurs purs» (cette observation est principalement valable pour les entreprises industrielles). Les entreprises de services qui opèrent au niveau international ne se différencient que par rapport à celles qui restent confinées au marché intérieur.

L’interdépendance des services entre la maison mère et les filiales étrangères


Une fois que l’entreprise est présente à l’étranger, quelle est la part des unités étrangères (sauf les coopérations) dans les activités de l’ensemble du groupe? L’estimation repose sur la quote-part moyenne à l’étranger du chiffre d’affaires, de l’emploi, des investissements et des coûts de la recherche et du développement (R&D) en 2008, qui varie entre 38% (chiffre d’affaires) et 28% (R&D). Dans le secteur des services, ces proportions se situent à un niveau plus bas de 3 (R&D) à 8 points (emploi) que dans l’industrie.Il faut, toutefois, noter que ce calcul de la valeur moyenne en pourcent fait abstraction de la taille de l’entreprise. En cas d’extrapolation, les activités à l’étranger des grandes entreprises, pour lesquelles le marché suisse n’est, le plus souvent, pas intéressant, feraient une grande différence. Le fait que la part de la R&D à l’étranger est plus faible que celle de l’emploi indique que les entreprises veulent exercer un contrôle direct sur la production du savoir; ajoutons encore que le personnel disponible pour la R&D est beaucoup plus nombreux en Suisse que sur la plupart des sites à l’étranger.La nature et l’interdépendance des services internes au groupe sont un aspect de l’internationalisation qui n’a encore jamais été étudié en Suisse. Pour l’analyse, on distingue quatre sortes de marchandises (matières premières, composants et produits intermédiaires simples, composants et produits intermédiaires complexes, produits finis) et trois types de services (logiciels et TI, savoir-faire et brevets, licences de vente). Les évaluations montrent (voir graphique 1) que, tant dans le secteur des services que dans l’industrie, la proportion d’entreprises qui fournissent est 80% plus élevée que pour celles qui achètent. Le criblage des profils des fournisseurs et des bénéficiaires montre que, dans les deux secteurs, trois types de services basés sur les connaissances, à savoir logiciels et TI, savoir-faire et brevets, ainsi que licences de vente, enregistrent des «surplus de fournitures» particulièrement élevés. En considérant le volume des livraisons, autrement dit la somme des livraisons et des achats, on voit que, dans l’industrie, les maisons mères sont spécialisées surtout dans la fourniture de savoir-faire et de brevets, de produits finis et de composants et biens intermédiaires complexes, alors qu’on achète à l’étranger des composants et des biens intermédiaires simples en grande quantité. Dans le secteur des services, outre les produits finis, ce sont surtout les logiciels et TI qui jouent un grand rôle dans les livraisons des maisons mères. Le modèle de l’interdépendance des services internes au groupe correspond aux avantages comparatifs de la Suisse. Alors que les activités à fort coefficient de savoir et qui requièrent un capital humain sont principalement établies en Suisse, les unités à l’étranger servent à distribuer les marchandises sur les marchés locaux et à acheter des biens intermédiaires simples. De ce fait, les points et réseaux de vente établis à l’extérieur sont surtout alimentés avec des produits finis et les sites de production avec des composants et des produits intermédiaires complexes.Les données quantitatives confirment que les maisons mères présentent des excédents de livraison. Environ 30% des entreprises de services et plus de 40% des entreprises industrielles livrent plus de 15% de leurs exportations à leurs unités à l’étranger. En revanche, dans les deux secteurs, seulement 20% des maisons mères acquièrent plus de 15% de leurs importations dans leurs unités à l’étranger (voir tableau 3).

Les motifs justifiant les activités à l’étranger


Les explications ci-dessus ont déjà fourni des indications sur les motifs qui incitent les entreprises à s’adonner à des activités à l’étranger. On analysera ci-après séparément les motifs déterminants pour les fonctions de distribution, de fabrication et achat et de R&D.Dans la distribution, c’est la question des débouchés qui domine; par contre, les coûts ou la réglementation sont pratiquement insignifiants. À l’opposé, l’accès limité au marché européen en 1998 était souvent une raison pour être directement présent dans un pays de l’UE. Du côté des motifs en relation avec la vente, les facteurs qui dominent sont «l’ouverture à de nouveaux marchés» et «le maintien et le développement des marchés existants». Les avantages que procurent la présence sur place pour répondre de façon optimale aux souhaits des clients et la connaissance des conditions locales du marché jouent un rôle. Un objectif consiste aussi à s’établir à proximité du principal acquéreur, ce qui peut s’avérer nécessaire pour résister aux concurrents (locaux). La différence entre les motifs de distribution dans l’industrie et ceux du secteur des services est insignifiante.Pour le domaine fabrication et achats, les motifs liés à la vente sont aussi importants que pour la distribution; de même, l’importance relative des motifs individuels est très semblable (voir graphique 2). Les motifs de coûts s’avèrent tout aussi importants: ils concernent d’abord les salaires, suivis de lapprovisionnement de la maison mère depuis l’étranger. Ce dernier point est un autre indice de l’importance de l’optimisation des sites le long de la chaîne de valeur ajoutée. La seule grande différence entre l’industrie et le secteur des services réside dans les coûts salariaux, qui ne prennent de loin pas autant de place dans le second que dans la première. Dans l’ensemble, les motifs de vente l’emportent nettement dans le secteur des services. Dans l’industrie aussi, ce groupe de motifs semble jouer un rôle légèrement plus grand que celui des coûts. Les désavantages constitués par la réglementation de la place économique suisse ne sont pas non plus un motif pour exercer une activité à l’étranger dans le domaine de la fabrication et des achats.Pour la R&D, il faut, en outre, tenir compte des motifs basés sur le savoir. Ceux-ci ont, dans l’industrie, presque la même impor-tance que les coûts et les ventes. Ce dernier motif exprime la volonté et la nécessité d’adapter à l’étranger les produits dévelop-pés le plus souvent en Suisse aux besoins spécifiques du marché local au moyen de la R&D. Grâce à la proximité des hautes écoles à l’étranger ou aux réseaux locaux, les activités extérieures de R&D servent de plus en plus à permettre aux entreprises innovatrices d’accéder à de nouveaux savoirs, ce qui n’est possible que si l’entreprise pratique ellemême la R&D sur place. Le modèle des motifs est moins équilibré dans le secteur des services que dans l’industrie. Dans ce cas, ce sont les motifs de vente qui dominent, bien que les coûts et la connaissance aient aussi une certaine importance. Les inconvénients générés par la réglementation n’entrent pas en ligne de compte dans les deux secteurs.

Linfluence des activités à létranger sur les performances de la maison mère


Pour finir, on a cherché à savoir si les entreprises qui investissent à l’étranger augmentent davantage leur productivité au cours du temps que celles qui ne travaillent que dans le pays d’origine ou ne font qu’exporter. Le résultat est que les effets sur la productivité ne sont positifs que dans certains segments de l’économie.Dans l’industrie, les investissements à l’étranger ont des retombées positives directes sur l’augmentation de la productivité des entreprises qui sont déjà très avancées dans le processus d’internationalisation. Il s’agit des entreprises qui, en plus de la distribution ou de la production à l’étranger, pratiquent la R&D ou celles qui ont, en premier lieu, investi en Amérique du Nord, Asie ou Amérique latine (voir le tableau 4). En outre, lorsque le capital humain y occupe une place impor-tante, la hausse de la productivité est plus élevée que dans le cas des entreprises sans présence à l’étranger. Cependant, cette influence indirecte résulte de l’interaction entre les activités à l’étranger et le capital humain
Les activités à l’étranger augmentent la productivité du personnel qualifié qui travaille dans la maison mère.. Il n’y a pas de transfert de productivité des entreprises actives à l’étranger vers les entreprises n’opérant qu’au niveau interne ou qui ne sont qu’exportatrices.Dans le secteur des services également, la présence à l’étranger est favorable au développement de la productivité des maisons mères, bien que les moteurs soient quelque peu différents dans l’industrie. Les effets étaient positifs pour les entreprises encore peu internationalisées (activités à l’étranger uniquement dans la distribution). Il en va de même lorsque les activités à l’étranger sont réalisées dans le cadre de coentreprises et lors d’investissements dans les régions-cibles d’«autres pays»
Japon, Australie, Afrique.. Contrairement à l’industrie, il semble que les gains en productivité émanant des activités à l’étranger soient plus élevés lorsque le niveau d’internationalisation est relativement faible. Par contre, à linstar de lindustrie, on ne trouve pas dindices de retombées sur la productivité.

Conclusion

Les effets de complémentarité dominent


Il n’y a pas qu’en Suisse que les effets sur l’économie nationale des investissements dans des sites à l’étranger sont évalués différemment. Les défenseurs de l’hypothèse de la substitution estiment que les investissements à l’étranger se font au détriment de l’économie nationale ou, si l’on préfère, que les activités domestiques sont évincées par l’externalisation. Les partisans de l’hypothèse de la complémentarité partent du principe que les activités domestiques profitent d’une présence directe à l’étranger, notamment par l’élargissement du marché aux produits développés en Suisse, la concentration sur les activités à forte valeur ajoutée ou l’élargissement de la base des connaissances des maisons mères. En Suisse, ce sont les effets de la complémentarité qui prédominent et cette conclusion se fonde sur les résultats de diverses analyses partielles:1. L’analyse de l’interdépendance des services au sein du groupe montre que les livraisons des maisons mères à leurs unités à l’étranger dépassent de loin les services dans le sens inverse. Le modèle de l’interdépendance des services internes au groupe correspond aux avantages comparatifs de la Suisse (capital humain, savoir technologique). 2. L’hypothèse de la complémentarité est aussi étayée par les résultats des motifs sur lesquels se basent les activités à l’étranger. Dans le secteur des services, ce sont les motifs qui visent à augmenter les ventes qui dominent dans les trois fonctions de l’entreprise. Dans l’industrie, où les coûts sont pourtant extrêmement importants, les motifs qui renforcent la position de la maison mère sur le marché et face à la concurrence dominent également. 3. L’analyse partielle des déterminants de la présence à l’étranger ne donne pas d’indices confirmant l’effet de substitution. Ce sont avant tout les forces spécifiques à l’entreprise qui en constituent le moteur, et plus précisément celles qui correspondent aux avantages comparatifs de la Suisse (capacité d’innover, capital humain, etc.). 4. L’analyse partielle de l’influence des activités à l’étranger sur le développement de la production et la capacité d’innovation des maisons mères – en tous cas pour une part considérable des entreprises actives à l’étranger – fournit en plus une preuve de l’hypothèse de la complémentarité.

Deux implications politiques importantes


Étant donné la complémentarité des activités à l’étranger et dans le pays d’origine des maisons mères et le degré élevé de l’internationalisation de l’économie suisse – et pas seulement des grandes entreprises – la politique économique n’a en principe pas besoin d’intervenir. Il faut toutefois mentionner dans ce domaine deux points importants: premièrement, la Suisse dispose visiblement de bonnes conditions pour profiter de ce processus d’internationalisation. De ce fait, la politique doit faire en sorte que ce pays continue d’offrir de bonnes conditions aux sites destinés aux sièges de R&D et aux entreprises innovatrices en général, et qu’elle améliore encore son attrait. On pense tout d’abord à la politique en matière de formation et de recherche et à la politique fiscale. Deuxièmement, en ce qui concerne la suppression des barrières, il est important de veiller à ce que l’accès des entreprises étrangères dans les régions-cibles reste le plus libre possible, de protéger suffisamment la propriété intellectuelle et, en général, de supprimer les réglementations restrictives des activités économiques. Les améliorations dans ce sens ne pourront être réalisées que dans le cadre d’accords économiques bilatéraux qui vont au-delà des règles de l’OMC.

Graphique 1: «Pourcentage des maisons mères qui fournissent à leurs unités à l’étranger ou qui s’approvisionnent chez elles»

Graphique 2: «Motifs d’instauration ou d’élargissement d’une présence à l’étranger: fabrication et achats»

Tableau 1: «Pourcentage des entreprises exportatrices ou ayant une présence directe à l’étranger»

Tableau 2: «Activités à l’étranger: oui ou non – Estimation des probits»

Tableau 3: «Importance de l’interdépendance des services entre la maison mère et ses filiales à l’étranger»

Tableau 4: «Croissance de la productivité du travail et des activités à l’étranger (AE); estimation: OLS»

Proposition de citation: Spyros Arvanitis ; Heinz Hollenstein ; Marius Ley ; (2011). L’internationalisation du secteur des services de l’économie suisse. La Vie économique, 01 avril.