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L’économie verte, pour concilier croissance et ressources épuisables

Trois craintes circulent actuellement: les dégradations insidieuses subies par l’environnement menacent la production alimentaire, la faim de matières premières au niveau mondial épuise les gisements de minerais et les limites à l’absorption d’émissions par l’environnement causent des dommages irréversibles et diminuent les performances économiques. On part en pratique du fait qu’il faut ménager les ressources vitales, recycler par exemple les métaux et trouver des substituts aux énergies fossiles. Une économie verte dans laquelle des instruments efficaces en matière de coûts corrigent les défail-lances du marché doit permettre une croissance respectueuse de l’environnement qui laisse aussi suffisamment de marge de ma-nœuvre aux générations futures.

L’aspiration de l’humanité à la croissance et à la prospérité s’accompagne d’une inquiétude profonde: la Terre possède une taille limitée dont le genre humain doit s’accommoder. Cela peut se traduire par une réduction de la croissance économique, voire menacer la civilisation en cas de catastrophes déclenchées par le dépassement de seuils critiques.Le pessimisme l’emporte si l’on extrapole l’avenir à partir de la situation actuelle, avec sa croissance démographique et l’industrialisation des pays émergents. Les maîtres mots sont émissions de gaz à effet de serre, perte de la biodiversité et hausse vertigineuse de la consommation de matières premières. Cependant, les prévisions pessimistes sur les limites de la croissance – comme celles de l’économiste anglais Thomas Robert Malthus (1766–1834) ou du Club de Rome (1972) – ne se sont pas réalisées à ce jour. Le progrès technologique a permis un développement continu du potentiel de croissance. Des problèmes environnementaux de pollution de l’air et des eaux ont ainsi pu être circonscrits ces dernières décennies en Suisse. De même, les prix des matières premières naturelles calculés en parité de pouvoir d’achat n’ont guère augmenté sur le long terme. Aussi l’analyse du passé rend-elle plutôt optimiste, tout au moins dans les pays industrialisés avancés.

Les efforts internationaux en faveur d’une croissance verte


Dans ce contexte d’incertitudes et sous l’effet de la hausse des prix des matières premières et de la crise financière et économique qui s’en est suivie, les concepts de croissance verte et d’économie verte ont pris en 2008 une importance primordiale dans différentes organisations internationales qui en ont aussi donné des définitions (voir encadré 1

Qu’est-ce que l’économie verte?


Les notions telles que l’économie verte et la croissance verte sont très en vogue et utilisées par différentes institutions internationales:– dans la Stratégie pour une croissance verte qu’elle a lancée en 2011, l’OCDE écrit qu’une politique qui va dans ce sens favorise la croissance économique et le développement, tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être;– dans son rapport publié en 2011, l’Organisation des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) définit l’économie verte comme une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources.

). Pendant cette crise, on a cherché à ce que les efforts déployés par l’État pour stabiliser à court terme l’économie se fassent autant que possible non pas au détriment de l’environnement mais en sa faveur. Aujourd’hui, le financement des tâches de l’État pour les années et les décennies à venir requiert une croissance durable dans la plupart des pays développés. Une économie verte doit la rendre possible: respectueuse de l’environnement, elle laisserait aux prochaines générations des possibilités d’actions au moins comparables à celles d’aujourd’hui, abstraction faite toutefois des incertitudes de l’avenir.Le Conseil fédéral a chargé en octobre 2010 les départements compétents de proposer des mesures dans le domaine de l’économie verte. Une intervention parlementaire
Postulat 10.3373 Bourgeois Jacques Économie verte. et une initiative lancée par les Verts demandaient de poursuivre la réflexion en ce sens.

Trois lignes directrices


L’inquiétude générée par l’épuisement possible des ressources naturelles et les at-tentes vis-à-vis du progrès technique qui en résultent définissent le contexte dans lequel la politique doit définir le rôle de l’État: dans quelle mesure doit-il intervenir? Quelles solutions faut-il attendre du progrès?Les trois lignes directrices suivantes peuvent servir de guide:− ménager les ressources vitales;− recycler les métaux et les matières premières minérales;− trouver des substituts aux énergies fossiles.

Ménager les ressources vitales


Le progrès technique a permis d’augmenter la productivité à l’hectare dans l’agriculture. Ainsi, il a été possible de produire toujours plus de denrées alimentaires pour toujours plus d’êtres humains à des prix toujours plus bas. Depuis la seconde moitié de la dernière décennie, on constate que les prix sur les marchés agricoles mondiaux sont à la hausse et on présume que la volatilité des prix ira en s’accentuant. En principe, dans les marchés qui fonctionnent, une hausse des prix entraîne une intensification ou une progression de l’utilisation du sol et de la production, et contribue à régler le problème. Par contre, la volatilité des prix dépend fortement du rapport entre l’état des stocks et la consommation, mais également des interventions politiques sur les marchés (par exemple des restrictions à l’exportation). L’OCDE et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) prévoient que les prix resteront très volatils et que le changement climatique pourrait encore aggraver la situation.Outre la propre production et les importations de denrées alimentaires, la détention de stocks fait partie de notre sécurité d’approvisionnement à court terme. Qui plus est, il existe de nombreux substituts aux différents produits agricoles. Par conséquent, la sécurité d’approvisionnement des consommateurs en produits agricoles n’est guère menacée dans un avenir prévisible. Pour les matières premières agricoles, la question de la pénurie se pose tout au plus pour les intrants dans la production indigène tels que les semences ou les engrais, ou pour le secteur de l’industrie alimentaire spécialisé dans la transformation de matières premières agricoles importées de pays hors de l’Europe comme le café, le cacao, certaines huiles ou les épices.À long terme, la production de denrées alimentaires dépend de la préservation des ressources vitales (sol fertile, atmosphère stable, eaux propres, etc.). Si la consommation des ressources naturelles dépasse leur capacité de régénération, cela se répercute sur l’environnement sous forme de perte dans la biodiversité et les biotopes. La fertilité déclinante du sol ou la diminution des ressources halieutiques dues à la surexploitation menacent des écosystèmes entiers et pèsent sur les performances économiques. C’est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire de ménager les ressources vitales. Ce principe est aussi au cœur de la Stratégie pour une croissance verte de l’OCDE. La partie qui concerne l’alimentation
Stratégie pour une croissance verte: agriculture et agroalimentaire. montre comment il est possible d’augmenter la productivité agricole tout en préservant les ressources naturelles. Il apparaît que des droits de propriété clarifiés ont des effets positifs sur la préservation des ressources. Toutefois, la création de droits de propriété est une affaire complexe qui perd de sa dimension nationale pour devenir mondiale.

Recycler les métaux et les matières premières minérales


Les prix des métaux et des matières premières minérales sont également à la hausse après avoir baissé durant plusieurs décen-nies, car les investissements n’ont pas suivi la demande. La tendance des industries minières à réduire, pour des raisons économiques, leurs sondages lorsqu’elles ont des gisements suffisants pour les 20 à 40 prochaines années joue un rôle. Les augmentations récentes de prix ne s’expliquent donc pas directement par un épuisement des ressources. Néanmoins, l’horizon présente des incertitudes.Les zones d’extraction des métaux pour l’industrie tels que le cuivre, le fer ou le zinc se trouvent, certes, aux quatre coins du globe. Les gisements de minerais exploitables et facilement accessibles pourraient, cependant, se tarir et, souvent, leur production est soumise à des influences monopolistiques et politico-militaires. Ainsi, outre l’extraction, l’utilisation des déchets de matières premières (par exemple production d’acier à partir de ferraille) et les substituts revêtent une importance cruciale. C’est également le cas pour la Suisse, qui dépend fortement des importations pour les métaux et les matières premières minérales. La récupération des déchets de matières premières et la création de filières de recyclage peut, en diversifiant l’approvisionnement, largement contribuer à en améliorer la sécurité.La production de certains métaux et minéraux rares (par exemple indium, tantale, terres rares, phosphore) se concentre dans beaucoup de cas sur un nombre restreint de pays qui multiplient les restrictions à l’exportation (entre autres pour des considérations géostratégiques). Or, contrairement au cuivre par exemple, ces matériaux ne sont utilisés souvent qu’en quantités infinitési-males dans la production, ce qui rend le recyclage difficile du point de vue technique et remet aussi en question sa rentabilité. L’exploitation des «mines» urbaines ne devient intéressante que lorsque les éléments se trouvent assez souvent et en concentration suffisante dans des déchets triés de manière appropriée. La politique intégrée des produits (PIP) peut, fondamentalement, améliorer ces conditions.

Des substituts aux énergies fossiles


Des énergies fossiles tels que le pétrole, le gaz ou le charbon sont utilisées pour pro-duire de la chaleur ou de l’électricité, pour exploiter des installations industrielles ou pour transporter des marchandises dans le monde entier. Le pétrole et le gaz naturel sont, en outre, des intrants pour la production d’engrais, de produits chimiques ou de matières plastiques. Aussi l’approvisionnement en énergies fossiles concerne-t-il l’ensemble de l’économie.En Suisse, l’approvisionnement direct et indirect en pétrole est nettement plus diversifié que celui en gaz naturel. Cette situation provient en partie du fait que le gaz naturel, qui est une énergie de réseau, ne peut être transporté et stocké que de manière limitée. Ainsi, pour le gaz naturel, la Suisse dépend particulièrement des gazoducs en exploitation. La situation est différente pour le pétrole: il faut s’attendre à une poursuite de la concentration des gisements bon marché dans la région du Proche-Orient. Cette dépendance est problématique. Voilà pourquoi la Suisse gère des réserves obligatoires pour les carburants et pour le mazout, et collabore avec l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et ses États membres pour l’utilisation des réserves de pétrole dans les situations critiques.Les énergies fossiles ne sont pas renouvelables dans le sens que les gisements ne peuvent pas se reconstituer à l’échelle de temps humaine. Ces gisements ne cessent de diminuer à cause des activités humaines et paraissent de plus en plus limités (thèse du pic du pétrole). Cependant, l’atmosphère sera surchargée en CO2 bien avant l’épuisement des énergies fossiles (notamment pour le charbon, il reste 140 années de production au rythme actuel de consommation!). Ici, la limite de croissance se situe donc moins du côté de l’approvisionnement qu’en bout de chaîne, soit plus du côté de la protection du climat que de la rareté. La capacité d’absorption des émissions par l’environnement représente aussi une ressource naturelle qui, dans le pire des cas, peut être détruite de manière irréversible et doit par conséquent être préservée.À long terme, un approvisionnement énergétique durable misera donc moins sur un élargissement de l’offre en énergies fossiles que sur une amélioration de leur efficacité et sur leur remplacement par des énergies renouvelables. Ces dernières ne font pas qu’améliorer la sécurité d’approvisionnement; la plupart présentent aussi un très bon bilan carbone.

Renforcer les mécanismes du marché pour parvenir à l’objectif


La créativité humaine permet un progrès technologique constant sans lequel la croissance future ne serait pas envisageable en raison des limites que présentent les ressources naturelles. Les innovations dans les proces-sus et les produits sont plus efficaces que des prescriptions de comportement impopulaires pour protéger les ressources vitales, pour instaurer des filières de recyclage et pour imposer des substituts. L’innovation continuera d’être la clé de la croissance économique.Des prix élevés conduisent à une utilisation parcimonieuse et stimulent l’innovation. Dans une situation où une multitude d’acteurs se côtoient, le mécanisme des prix, telle que l’économie de marché le conçoit, est l’instrument de coordination économique et sociale le plus efficace. Lors d’une raréfaction, le marché est souvent à l’origine d’une hausse des prix qui favorise la modération et l’innovation. L’État a cependant des tâches importantes qui vont de la fixation de conditions-cadres générales à des interventions spécifiques présentées ci-après.

Des conditions-cadres favorables en matière de politique économique


Des conditions-cadres favorables en matière de politique économique, qui facilitent la concurrence et abolissent les obstacles à l’accès au marché intérieur, à l’exportation et à l’importation, sont fondamentales pour que l’économie puisse faire preuve d’une productivité élevée. Cette règle s’applique aussi à la protection des ressources vitales et à leur consommation.Cependant, aussi bien l’État que les producteurs et les consommateurs ne peuvent assumer leur responsabilité vis-à-vis de l’utilisation des ressources naturelles que s’ils sont suffisamment informés sur les enjeux. Or, les problèmes et les interactions deviennent de plus en plus complexes et les distances géographique et temporelle entre la cause et l’effet s’accroissent. Il incombe à l’État d’aider à l’assimilation des connaissances nécessaires, notamment sur le PIB (voir encadré 2

Le produit intérieur brut: ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas


Le produit intérieur brut (PIB) est un instrument indispensable pour analyser la conjoncture et une grandeur universellement reconnue servant à mesurer la performance économique d’un pays. Les méthodes de calcul sont clairement définies et normalisées afin de permettre des comparaisons internationales et des agrégations. Son évolution est centrale pour mobiliser tous les instruments de politique conjoncturelle. Le PIB est quasiment irremplaçable à ce niveau. En raison du lien indirect entre croissance économique et éléments-clés de la prospérité (par exemple niveaux d’emploi et de consommation), le PIB est souvent considéré comme un substitut d’indicateur de bien-être. Bien qu’un PIB élevé soit en principe corrélé avec un grand nombre d’indicateurs de bien-être élevéa, il ne suffit pas à lui seul à mesurer la prospérité et doit être complété par d’autres marqueurs. En ce qui concerne la dimension écologique de la prospérité, il doit être corrigé pour les raisons suivantes: primo, les ressources naturelles au sens de ressources vitales ne sont fréquemment pas négociées sur les marchés, ce qui signifie qu’elles n’ont pas de valeur marchande et qu’elles ne sont par prises en compte par le PIB. Cela est vrai par exemple pour la capacité d’absorption du CO2 par l’atmosphère mais pas pour la fertilité du sol. Secundo, le PIB est une valeur brute qui n’intègre pas la dépréciation du capital non financier. Les amortissements ne sont déduits du PIB que dans un second temps, lors du passage au concept de revenu national. Cette correction reste, néanmoins, insuffisante car la production du PIB peut diminuer d’autres stocks de capital (mais aussi, dans certains cas, les revaloriser). En ne prenant pas en considération les modifications de stocks de capital tels que la qualité de l’environnement, le PIB néglige aussi les aspects intergénérationnels.

a OCDE, Alternative Measures of Well-Being, Boarini R., Johansson A. et Mira D’Ercole M., Economics Department Working Papers n° 476, ECO/WKP(2006)4.) et les indicateurs qui le complètent (voir encadré 3

Exemples d’indicateurs complémentaires au PIB

En raison des lacunes du PIB concernant la mesure du bien-être mentionnées dans l’encadré 2, différents indicateurs sont élaborés pour le compléter. «L’empreinte écologique» est un indicateur bien établi au niveau international. Il présente une comptabilité écologique qui compare la demande humaine en ressources naturelles avec la capacité de la Terre. Il mesure la surface de terre et d’eau nécessaire pour renouveler les ressources en utilisant les technologies les plus modernes afin de satisfaire la consommation actuelle d’une population donnée. Il comprend par exemple les surfaces servant à produire la nourriture et les vêtements mais aussi celles servant à gérer les déchets et à fixer le CO2a.L’empreinte écologique cherche à montrer sous une forme simple et compréhensible les interactions complexes entre activités de production et de consommation et la charge des écosystèmes. Elle présente, cependant, des points faibles. À titre d’exemple, elle additionne en un indicateur agrégé différentes activités portant atteinte à l’environnement (par exemple consommation de sol et émissions de CO2) au moyen du facteur de pondération «utilisation de surface» pour une production durable de la matière première en question. Avec l’agrégation, on perd souvent la relation entre les différents impacts sur l’environnement et la meilleure technologie pour les limiterb. Pour que l’agrégation soit la plus correcte possible, les coûts réels des différentes atteintes environnementales devraient être connus, de même que les coûts les plus bas nécessaires à les limiter, ce qui n’est à l’évidence pas le cas. De plus, la validité de l’empreinte écologique pour un développement durable est aussi limitée parce que cet indicateur repose sur un concept contemporain et statique et qu’il ne tient pas compte de la diminution de la consommation des ressources obtenue grâce au progrès technique.Outre l’empreinte écologique, d’autres indicateurs environnementaux agrégés tels que l’indice de durabilité environnementale ont été développés. Toutefois, les résultats des différents indi-cateurs varient fortement, ce qui permet de conclure qu’ils ne permettent pas encore de dresser un bilan fiablec. Force est de constater qu’il n’existe pas encore de mesure complémentaire fiable susceptible de compléter le PIB comme indicateur de bien-être. Néanmoins, le besoin d’indicateurs supplémentaires est connu et des travaux prometteurs sont en cours. Ainsi, l’OCDE s’efforce d’élaborer des indicateurs complémentaires dans le cadre de sa Stratégie pour une croissance verte. En raison de difficultés méthodologiques, elle renonce toutefois à l’approche d’une grandeur agrégée comme le PIB et propose, au contraire, un jeu d’indicateurs individuels qui sont consolidés actuellement.


a http://www.footprintnetwork.org.b Exploiter une surface forestière pour produire de la laine de bois comme matériau isolant utilisable pendant des décennies est par exemple plus efficace que de remplacer des combustibles fossiles par des biocarburants.c Pillarisetti R. et Van den Bergh J.C.J.M., «Sustainable Nations: What Do Aggregate Indexes Tell Us?», Environment, Development and Sustainability, 12(1), 2010, p. 49–62.).

Interventions de l’État en cas de défaillance du marché


Les défaillances du marché font qu’il ne suffit pas de savoir que des ressources sont rares pour garantir leur utilisation efficace ni leur substitution malgré des conditionscadres favorables à l’économie de marché. Bien que rares, les ressources naturelles n’ont souvent pas de valeur marchande. Ainsi, du CO2 peut être rejeté sans frais dans l’atmosphère alors que ces émissions sont susceptibles d’engendrer des coûts élevés à l’avenir.Il est, par conséquent, nécessaire que l’État intervienne pour corriger les défaillances du marché. En premier lieu, il faut donner un prix juste aux ressources. Les systèmes de taxation ou déchange de quotas démission sont les plus efficaces économiquement. Conformément au principe du pollueur-payeur, ils permettent la vérité des coûts, faussent relativement peu les marchés et donc engendrent des coûts macroéconomiques assez faibles. Si ces instruments génèrent des recettes pour l’État, ils peuvent avoir un effet positif supplémentaire sur la prospérité si ce dernier abolit dans les mêmes proportions, par une réforme fiscale écologique, d’autres impôts qui faussent l’économie. Dans la réalité politique, internaliser des coûts dits externes se révèle très complexe. Alors que ces mesures sont souvent béné- fiques à l’ensemble de la société, les coûts se concentrent sur certaines branches écono-miques ou sur certaines catégories de la société.

La promotion par l’État d’innovations en matière d’efficacité des ressources


Face aux difficultés politiques à internaliser des effets externes négatifs et vu l’importance cruciale du progrès technologique, la promotion par l’État d’innovations dans le domaine de l’efficacité énergétique devient un complément important. La recherche fondamentale est généralement une tâche de l’État. En effet, les entreprises privées sont souvent trop peu incitées à y investir: le temps du retour sur investissement est long, et grande est l’incertitude de savoir si l’on pourra récolter seul les fruits des efforts que l’on a déployés en R&D. Avec le caractère de bien public de la connaissance et la dépendance historique envers lévolution technologique, il est difficile au marché seul de produire les stimulants les mieux appropriés
Au sujet de la «tragédie des anticommuns», voir l’article d’A. Schmutzler «Brevets et innovations: réflexions économiques sur un problème complexe d’incitation», La Vie économique, 7/8-2006, p. 23 ss..Voilà pourquoi il est indiqué d’augmenter les activités de recherche de l’État dans le domaine des ressources. Une politique d’innovation en matière de ressources naturelles allant jusqu’à promouvoir des technologies spécifiques dans le développement de nouveaux produits par les entreprises appropriées sort, cependant, des tâches de l’État et ne respecte pas le principe du pollueur-payeur. Plus les activités promues répondent aux attentes du marché, plus il faut être attentif à minimiser les distorsions de concurrence. En outre, l’éventail des solutions techniques ne devrait pas être limité par des prescriptions de l’État. Des groupements d’intérêts exercent volontiers une pression politique en la matière. La non-distorsion de la concurrence à travers des critères de promotion et des normes à respecter est, cependant, un sujet délicat qui recoupe aussi la concurrence sur le plan de l’innovation.

Comment relever les enjeux globaux?


Jusqu’à présent, la politique cherchait surtout des solutions à des problèmes environnementaux locaux tels que la pollution de l’air dans les villes ou la qualité des eaux lacustres. Aujourd’hui, les enjeux dépassent les frontières et deviennent même mondiaux, notamment en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre et le recul de la biodiversité.Face à cela, chaque État est incité économiquement à tirer profit des efforts consentis par les autres pays, tout en renonçant à y participer. C’est pourquoi il faut trouver des règles institutionnelles, par exemple avec des accords internationaux, pour que les pays se regroupent au sein d’une alliance (coordination) afin d’empêcher ce genre de resquille.Là où les enjeux sont mondiaux, la Suisse s’engage activement dans les négociations internationales et signale à temps les engagements qu’elle est prête à prendre. Bien qu’elle ne soit pas la seule à agir ainsi, les deux plus grands processus de négociations consacrées à l’environnement – sur le climat et la biodiversité – n’ont pas encore réussi à mobiliser suffisamment la communauté internationale pour qu’elle prenne les engagements nécessaires. Chaque pays craint que, s’il montre l’exemple, il soit désavantagé au plan économique.

Créer un bien de club?


Pour avancer, il est question de créer un «bien de club» à partir d’un bien collectif mondial: celui qui ne participe pas aux charges n’aurait pas droit à certains avantages que les membres du club s’accordent entre eux. Ces derniers partageraient entre eux des avantages commerciaux et les non-membres seraient soumis à un droit compensateur. Cette approche comporte, cependant, des risques élevés de toucher des dispositions essentielles de traités internationaux en vigueur très importants pour la politique économique (par exemple droit de l’OMC). C’est la raison pour laquelle, du point de vue suisse, ce genre d’argument commercial massue en matière de politique environnementale internationale devrait obtenir le consentement d’un très grand nombre de pays de manière à ce qu’il soit très probable que la seule menace de sanctions fasse effet et que celle-ci ne doive guère se réaliser. En effet, pour des raisons objectives, chaque État ne devra ni ne pourra supporter les mêmes charges. En tout cas, des accords contraignants devront également régler les questions de répartition et prévoir un soutien aux pays à faibles revenus pour les efforts d’évitement.

Pas de limites statiques de la croissance


Pour une croissance future respectueuse de l’environnement au sens d’une économie verte, il sera de plus en plus nécessaire de remplacer les ressources naturelles par un autre capital, avant tout par des connaissances. La tâche première de l’État est de corriger les défaillances du marché afin que les êtres humains utilisent suffisamment et assez tôt leur créativité dans ce domaine.Il existe, par ailleurs, une série de défis politiques complexes à relever au niveau conceptuel. Il s’agirait d’abord de savoir si l’optimisation intertemporelle qui résulte de l’action des forces du marché doit être corrigée par l’État, par exemple en raison de considérations intergénérationnelles. Une autre question concerne la limitation des risques. À l’avenir, des situations qui laissent au monde peu de perspectives de rétablir – par exemple en une génération – la marge de manœuvre que nous connaissons aujourd’hui doivent être évitées autant que possible, même si la probabilité que ce genre de situations surviennent est faible et que leur influence sur les prévisions de croissance économique future est limitée.

Encadré 1: Qu’est-ce que l’économie verte?

Qu’est-ce que l’économie verte?


Les notions telles que l’économie verte et la croissance verte sont très en vogue et utilisées par différentes institutions internationales:– dans la Stratégie pour une croissance verte qu’elle a lancée en 2011, l’OCDE écrit qu’une politique qui va dans ce sens favorise la croissance économique et le développement, tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être;– dans son rapport publié en 2011, l’Organisation des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) définit l’économie verte comme une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources.

Encadré 2: Le produit intérieur brut: ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas

Le produit intérieur brut: ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas


Le produit intérieur brut (PIB) est un instrument indispensable pour analyser la conjoncture et une grandeur universellement reconnue servant à mesurer la performance économique d’un pays. Les méthodes de calcul sont clairement définies et normalisées afin de permettre des comparaisons internationales et des agrégations. Son évolution est centrale pour mobiliser tous les instruments de politique conjoncturelle. Le PIB est quasiment irremplaçable à ce niveau. En raison du lien indirect entre croissance économique et éléments-clés de la prospérité (par exemple niveaux d’emploi et de consommation), le PIB est souvent considéré comme un substitut d’indicateur de bien-être. Bien qu’un PIB élevé soit en principe corrélé avec un grand nombre d’indicateurs de bien-être élevéa, il ne suffit pas à lui seul à mesurer la prospérité et doit être complété par d’autres marqueurs. En ce qui concerne la dimension écologique de la prospérité, il doit être corrigé pour les raisons suivantes: primo, les ressources naturelles au sens de ressources vitales ne sont fréquemment pas négociées sur les marchés, ce qui signifie qu’elles n’ont pas de valeur marchande et qu’elles ne sont par prises en compte par le PIB. Cela est vrai par exemple pour la capacité d’absorption du CO2 par l’atmosphère mais pas pour la fertilité du sol. Secundo, le PIB est une valeur brute qui n’intègre pas la dépréciation du capital non financier. Les amortissements ne sont déduits du PIB que dans un second temps, lors du passage au concept de revenu national. Cette correction reste, néanmoins, insuffisante car la production du PIB peut diminuer d’autres stocks de capital (mais aussi, dans certains cas, les revaloriser). En ne prenant pas en considération les modifications de stocks de capital tels que la qualité de l’environnement, le PIB néglige aussi les aspects intergénérationnels.

a OCDE, Alternative Measures of Well-Being, Boarini R., Johansson A. et Mira D’Ercole M., Economics Department Working Papers n° 476, ECO/WKP(2006)4.
Encadré 3: Exemples d’indicateurs complémentaires au PIB

Exemples d’indicateurs complémentaires au PIB


En raison des lacunes du PIB concernant la mesure du bien-être mentionnées dans l’encadré 2, différents indicateurs sont élaborés pour le compléter. «L’empreinte écologique» est un indicateur bien établi au niveau international. Il présente une comptabilité écologique qui compare la demande humaine en ressources naturelles avec la capacité de la Terre. Il mesure la surface de terre et d’eau nécessaire pour renouveler les ressources en utilisant les technologies les plus modernes afin de satisfaire la consommation actuelle d’une population donnée. Il comprend par exemple les surfaces servant à produire la nourriture et les vêtements mais aussi celles servant à gérer les déchets et à fixer le CO2a.L’empreinte écologique cherche à montrer sous une forme simple et compréhensible les interactions complexes entre activités de production et de consommation et la charge des écosystèmes. Elle présente, cependant, des points faibles. À titre d’exemple, elle additionne en un indicateur agrégé différentes activités portant atteinte à l’environnement (par exemple consommation de sol et émissions de CO2) au moyen du facteur de pondération «utilisation de surface» pour une production durable de la matière première en question. Avec l’agrégation, on perd souvent la relation entre les différents impacts sur l’environnement et la meilleure technologie pour les limiterb. Pour que l’agrégation soit la plus correcte possible, les coûts réels des différentes atteintes environnementales devraient être connus, de même que les coûts les plus bas nécessaires à les limiter, ce qui n’est à l’évidence pas le cas. De plus, la validité de l’empreinte écologique pour un développement durable est aussi limitée parce que cet indicateur repose sur un concept contemporain et statique et qu’il ne tient pas compte de la diminution de la consommation des ressources obtenue grâce au progrès technique.Outre l’empreinte écologique, d’autres indicateurs environnementaux agrégés tels que l’indice de durabilité environnementale ont été développés. Toutefois, les résultats des différents indi-cateurs varient fortement, ce qui permet de conclure qu’ils ne permettent pas encore de dresser un bilan fiablec. Force est de constater qu’il n’existe pas encore de mesure complémentaire fiable susceptible de compléter le PIB comme indicateur de bien-être. Néanmoins, le besoin d’indicateurs supplémentaires est connu et des travaux prometteurs sont en cours. Ainsi, l’OCDE s’efforce d’élaborer des indicateurs complémentaires dans le cadre de sa Stratégie pour une croissance verte. En raison de difficultés méthodologiques, elle renonce toutefois à l’approche d’une grandeur agrégée comme le PIB et propose, au contraire, un jeu d’indicateurs individuels qui sont consolidés actuellement.

a http://www.footprintnetwork.org.b Exploiter une surface forestière pour produire de la laine de bois comme matériau isolant utilisable pendant des décennies est par exemple plus efficace que de remplacer des combustibles fossiles par des biocarburants.c Pillarisetti R. et Van den Bergh J.C.J.M., «Sustainable Nations: What Do Aggregate Indexes Tell Us?», Environment, Development and Sustainability, 12(1), 2010, p. 49–62.

Proposition de citation: Jacqueline Kaiser ; Thomas Roth ; Isabelle Schluep ; (2012). L’économie verte, pour concilier croissance et ressources épuisables. La Vie économique, 01 mai.