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La nouvelle stratégie suisse en matière d’aide budgétaire

Depuis le milieu des années nonante, la Suisse utilise l’aide budgétaire pour combattre la pauvreté et promouvoir le développement économique. Cet instrument responsabilise les pays en développement et renforce leur capacité de résistance. La nouvelle stratégie adoptée par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) lui permet d’adapter son aide budgétaire à un contexte qui a évolué, en s’inspirant de l’expérience acquise lors d’anciens programmes. Elle se caractérise par des objectifs stratégiques clairs, la poursuite de l’approche suisse, la concentration sur les domaines où le Seco dispose d’un grand savoir-faire et la définition de règles explicites concernant les étapes du projet (introduction, réalisation, fin).

Le principe de base de l’aide budgétaire est simple: s’ils suivent une stratégie de réduction de la pauvreté clairement définie et prévoient des programmes de réformes structurelles, les pays en développement doivent profiter de ressources qui ne sont pas liées à des projets précis. L’aide budgétaire se présente donc comme un investissement dans la politique de développement national et vise à renforcer la responsabilité du pays partenaire.Avec le Danemark, la Norvège et la Suède, la Suisse fait partie des pays qui ont introduit l’aide budgétaire au Mozambique au milieu des années nonante. À l’époque, cette nouvelle approche a remplacé l’aide à la balance des paiements, qui cherchait à promouvoir la stabilité macroéconomique à court terme. Elle doit être remise dans le contexte des programmes de désendettement, des expériences réalisées avec les programmes d’ajustement structurel des années quatre-vingt et de la nouvelle orientation prise par la coopération au développement après la fin de la guerre froide.Dans les années qui ont suivi, l’aide budgétaire générale est devenue un important instrument de la coopération économique au développement du Seco. Certains pays donateurs ont annoncé qu’ils abandonnaient les soutiens liés à des projets au profit de l’aide-programme. L’aide budgétaire suisse a toujours été sélective et ciblé les pays pauvres ayant engagé des programmes de réformes macroéconomiques et structurelles d’envergure. La part de l’appui budgétaire dans l’ensemble de l’aide publique au développement fournie par la Suisse est toujours restée sous la barre des 3%.

S’adapter à l’évolution 
des conditions-cadres


En 2006, le Seco a publié, pour la première fois, une stratégie en matière d’aide budgétaire générale, qui positionnait cet instrument et son utilisation.En 2012, le Parlement suisse a adopté le nouveau message concernant la coopération internationale 2013–2016. Ce dernier renforce le rôle de la coopération économique au développement dans certains pays prioritaires à revenu moyen et prévoit des engagements sélectifs complémentaires dans d’autres pays, plus pauvres, ciblés par la Direction du développement et de la coopération (DDC). Fort de sa longue expérience, le Seco a décidé de revoir sa stratégie en matière d’aide budgétaire par rapport au changement de cadre stratégique. Il entend miser sur les acquis, tout en prenant en considération les modifications de l’environnement, l’évolution internationale de cet instrument et ses propres expériences.Les problèmes de financement sont à l’origine de l’aide budgétaire. Alors qu’ils sont encore très présents dans les pays à faible revenu, ils passent souvent à l’arrière-plan dans les pays à revenu moyen. , puisqu’ils disposent d’une assiette fiscale plus importante et qu’ils ont accès aux marchés financiers internationaux. Ils ont, toutefois, besoin de réformes structurelles, afin de maintenir leur croissance et de réduire durablement la pauvreté; or, celles-ci sont souvent exigeantes sur le plan technique et représentent un défi politique.

Deux objectifs généraux


La nouvelle stratégie tient compte de ces deux aspects en définissant deux objectifs généraux pour l’aide budgétaire:

  • Financer les programmes nationaux de lutte contre la pauvreté, comme l’élargissement des soins de santé publique ou l’accès à l’école primaire publique et gratuite. L’aide budgétaire contribue à coordonner l’action, souvent fragmentée, des donateurs et accroît ainsi l’efficacité de l’aide publique au développement.
  • Soutenir activement des réformes structurelles ambitieuses. Il convient, par exemple, d’encourager les processus de décentralisation qui permettent un équilibre financier entre les régions modestes et plus aisées.


L’aide budgétaire vise à renforcer la capacité de résistance des pays partenaires contre les chocs externes au moyen d’importantes contributions à leur stabilité macroéconomique et à leur compétitivité internationale. Les pays partenaires ont également besoin de se consolider sur le plan interne. L’aide budgétaire renforce l’efficacité et l’efficience de l’administration des finances publiques. Elle contribue ainsi à fournir des services adaptés aux besoins et à réduire les inégalités.L’aide budgétaire est mise en place aussi bien dans les pays à faible revenu que dans ceux à revenu moyen, étant entendu que les situations sont différentes dans chacun d’eux. Son avantage réside dans la possibilité d’adapter les modalités du programme au contexte de chaque pays. Selon l’orientation que le gouvernement partenaire souhaite donner à sa stratégie de réforme, l’aide budgétaire revêt différentes formes: elle peut se focaliser sur un secteur spécifique, ou porter sur des thèmes transversaux à l’échelle infranationale ou nationale.

En complément, l’assistance technique


Le Seco est actif seulement dans les domaines où il peut apporter son expertise technique et créer de la valeur ajoutée. L’approche suisse a la particularité de lier aide budgétaire et soutien technique. Outre le financement, cette approche comprend non seulement le dialogue avec le gouvernement partenaire sur le programme de réformes, mais aussi un transfert de savoir-faire. Avec le temps, le Seco s’est concentré sur trois domaines qu’il juge cruciaux pour le développement des pays partenaires, et il entend maintenir ces priorités:

  • Augmenter les recettes nationales du pays partenaire afin de financer durablement ses finances publiques et de réduire sa dépendance vis-à-vis de la coopération au développement.
  • Réformer les systèmes financiers publics afin d’éliminer les points faibles, par exemple lors de l’élaboration du budget ou de la gestion des finances publiques. Les moyens destinés aux services publics sont donc planifiés à l’avance et les possibilités de corruption sont réduites grâce à des processus plus transparents.
  • Renforcer l’obligation pour le gouvernement de rendre des comptes à la population, afin de promouvoir la séparation des pouvoirs, l’État de droit et les institutions démocratiques. Cela implique un soutien aux institutions étatiques – comme la Cour des comptes ou la surveillance du Parlement – et à des organisations non gouvernementales (ONG).

Développer l’approche suisse


La stratégie de 2006 ait déjà l’approche spécifique de la Suisse en matière d’aide budgétaire. Celle-ci associe dialogue, réformes (assorties de critères de performance) et assistance technique. Ces trois piliers font de l’aide budgétaire suisse un instrument efficace et fiable au service de la coopération économique au développement. Il s’agit de bien utiliser les synergies entre ces trois éléments. À titre d’exemple, les expériences tirées des projets pourront venir enrichir le soutien technique, et l’expertise ainsi acquise sera directement mise au service du dialogue politique. Les réformes qui ont la priorité des gouvernements bénéficiaires influencent le choix des projets d’appui technique. Cela accroît la crédibilité de la Suisse aux yeux du pays partenaire, puisqu’elle est perçue comme un donateur capable de soutenir ses réformes. Ses expériences positives confortent le Seco dans l’application et la poursuite de cette approche reposant sur trois piliers.

Introduction: examiner attentivement les conditions préalables


Le Seco octroie l’aide budgétaire sur la base d’une sélection stricte et avec la prudence nécessaire. Il fixe des critères qui doivent être présents avant l’introduction de l’aide budgétaire et continue de les surveiller pendant la phase de mise en œuvre.Avant d’accorder une aide budgétaire, le Seco étudie minutieusement les avantages et les risques qu’elle présente. Suite à l’expérience acquise dans ce domaine, des éléments supplémentaires sont désormais pris en considération dans l’examen préalable par rapport à l’ancienne stratégie. Cet examen a lieu en trois temps:

  • Définir l’aptitude du pays partenaire. Il convient notamment de déterminer a) si le pays dispose d’une stratégie de réforme crédible et s’il a la volonté de la mettre en œuvre, b) si les risques fiduciaires sont acceptables, c) si la situation politique et économique est favorable et d) si des progrès peuvent être constatés. Les besoins, les points forts et les points faibles du pays partenaires sont étudiés en détail.
  • Déterminer si, du point de vue suisse, l’aide budgétaire envisagée s’intègre au portefeuille d’aides accordées et si le Seco et le bureau de coopération sur place ont les capacités de prendre en charge un nouveau programme. Les besoins du pays doivent pouvoir être satisfaits avec les ressources mises à disposition.
  • La Suisse n’accordant pas d’aide budgétaire de manière isolée, un programme doit déjà exister . La Suisse doit pouvoir se positionner en fonction de la valeur ajoutée apportée.


En outre, seuls les pays prioritaires soit du Seco, soit de la DDC peuvent prétendre à un programme d’aide budgétaire. Ceux de la DDC ne sont, toutefois, pris en considération que sur demande.

Réalisation: dresser un bilan annuel


Tout au long de la mise en œuvre d’un programme, on vérifie si les conditions de départ sont toujours remplies. Normalement, cet examen a lieu lors d’un bilan annuel effectué conjointement par le gouvernement du pays partenaire et les donateurs de l’aide budgétaire.Cette dernière s’appuie sur une convention de prestations qui permet de mesurer la réussite des réformes. La gestion axée sur les résultats vise à concevoir correctement les incitations et à récompenser les progrès en matière de développement. La contribution est versée seulement si le gouvernement met en œuvre avec succès le programme de lutte contre la pauvreté et atteint les objectifs en matière de performance définis annuellement. Des bilans annuels permettent au Seco et au pays partenaire de mesurer ensemble la réalisation des objectifs. En outre, le Seco soutient la tenue d’évaluations indépendantes régulières, qui déterminent l’efficacité de l’aide budgétaire et l’apport du programme aux progrès accomplis.

Fin de l’aide budgétaire: fixer des règles claires


Lorsque les objectifs fixés sont atteints, l’aide budgétaire prend fin. Cela peut être le cas quand le gouvernement partenaire a mis en œuvre avec succès une stratégie de réduction de la pauvreté et de développement, qu’il a généré assez de recettes propres, ou quand une réforme particulière, dont l’introduction était soutenue par l’aide budgétaire, a abouti.Par ailleurs, un programme peut être interrompu si les critères décrits ci-dessus ne sont plus remplis. Il est aussi possible que l’on constate au cours de la réalisation que les objectifs ne peuvent pas être atteints ou qu’un autre instrument leur convient mieux. Dans un tel cas, le Seco suspend ou arrête définitivement l’aide budgétaire, d’entente avec le pays partenaire.

L’aide budgétaire, un instrument important pour la réduction de la pauvreté


L’aide budgétaire n’est pas une recette miracle. Elle est, cependant, adaptée pour soutenir le développement des pays partenaires dans des situations spécifiques, notamment la gouvernance économique. Grâce à l’expérience que le Seco a acquise au fil des ans et en adaptant constamment cet instrument aux changements qui se produisent tant dans les pays partenaires qu’en Suisse, l’aide budgétaire apporte une importante contribution à la réduction de la pauvreté et au développement. La nouvelle stratégie du Seco reflète l’expérience acquise, les nouveaux défis à surmonter et les conditions-cadres qui sont maintenant les siennes. Elle permet à l’aide budgétaire d’être un instrument porteur d’avenir.

Encadré 1: Qu’est-ce que l’aide budgétaire?

Qu’est-ce que l’aide budgétaire?


Le budget national est le principal instrument du pays partenaire pour mettre en œuvre sa politique de développement. L’aide budgétaire permet de le soutenir dans ses efforts en mettant directement des moyens non liés à des projets à la disposition du budget de l’État par le biais des systèmes nationaux de finances publiques.

L’aide budgétaire va, cependant, bien plus loin qu’un simple transfert d’argent. Son versement est lié à une série de réformes convenues entre le pays donateur et le pays bénéficiaire; il est assorti de critères d’évaluation, dont le respect est régulièrement vérifié. L’aide budgétaire repose sur un partenariat et se distingue des programmes d’ajustement structurel des années quatre-vingt en ce sens que les réformes structurelles (la conditionnalité) sont négociées sur la base des objectifs du pays partenaire en matière de développement et de réduction de la pauvreté. Elle fait, en général, partie d’un portefeuille d’aides accordées par la Suisse au titre de la coopération internationale, ce qui permet de développer des synergies. L’aide budgétaire relève certes de la coopération bilatérale, mais elle est systématiquement coordonnée par le Seco dans le cadre de groupes de donateurs comprenant d’autres pays et des organisations multilatérales.

Encadré 2: L’aide budgétaire décentralisée au Ghana

L’aide budgétaire décentralisée au Ghana


Actuellement, le Ghana mène des réformes afin d’approfondir la décentralisation ainsi que la qualité et l’accès aux services public fournis par les unités administratives infranationales. En collaboration avec des donateurs internationaux, le gouvernement ghanéen a mis en place le Fonds de développement des districts («District development facility»), soutenu par le Seco depuis 2013. Ce programme prévoit un mécanisme qui met les districts en concurrence pour obtenir des ressources financières limitées. Ceux qui atteignent les meilleurs résultats se voient allouer plus de moyens. Pour que l’écart avec les districts les plus faibles ne se creuse pas, une composante a été ajoutée au programme. Elle prévoit que toutes les collectivités locales reçoivent, indépendamment de leurs résultats, une assistance technique afin de renforcer leurs capacités administratives.

Depuis l’introduction du programme en 2006, les résultats sont impressionnants. Jusqu’en 2011, la proportion de districts qui remplissaient les cinq conditions permettant d’obtenir une subvention minimale est passée de 36 à 94%, ce qui montre qu’une aide budgétaire appropriée peut apporter une considérable contribution aux réformes structurelles.

Encadré 3: Trois constats importants

Trois constats importants


La révision de la stratégie du Seco en matière d’aide budgétaire s’appuie sur une analyse approfondie des évaluations internes et externes des anciens programmes. Voici les conclusions les plus importantes:

  • L’approche reposant sur trois piliers crée de la valeur ajoutée. L’assistance technique permet à la Suisse d’être considérée comme un donateur répondant aux besoins et d’être estimée pour sa contribution au dialogue politique. On a également constaté que cette approche accroît la confiance envers la Suisse. Au Ghana, au Mozambique et au Burkina Faso, le Seco est un partenaire actif pour les réformes ayant trait à la fiscalité et aux marchés publics. Un partenariat de longue date augmente, en outre, la crédibilité de l’engagement suisse.
  • Le rapport entre les contributions financières et techniques au sein du programme d’aide budgétaire dépend des besoins du pays bénéficiaire. Plus le revenu d’un pays est élevé, plus l’assistance technique fournie devra être spécialisée. Le Seco se concentrant de plus en plus sur les pays à revenu moyen, il doit donc être en mesure d’offrir un soutien technique approprié afin que sa contribution soit intéressante.
  • S’informer régulièrement est primordial pour acquérir et maintenir des connaissances de bases en matière d’aide budgétaire et pour garantir que celle-ci soit bien acceptée. Son engagement dans les pays partenaires – comme la présidence exercée auprès du groupe de pays donateurs en matière d’aide budgétaire et dans des groupes de travail sectoriels – a non seulement accru la visibilité de la Suisse, mais lui a aussi permis de participer activement aux discussions nationales et internationales concernant la conception et le développement de l’aide budgétaire et des programmes qui lui sont associés.


Encadré 4: Mozambique: pas de résultat, pas d’aide budgétaire

Mozambique: pas de résultat, pas d’aide budgétaire


Quand les réformes et les progrès d’un gouvernement se révèlent globalement satisfaisants, les donateurs se déclarent prêts à verser l’aide budgétaire et à soutenir le pays partenaire l’année suivante. Cette décision est prise sur la base d’une estimation générale des progrès accomplis. Par exemple, la bonne gouvernance au Mozambique faisait l’objet de grandes préoccupations, notamment en raison du manque de progrès dans la lutte contre la corruption. Afin d’envoyer un message sans équivoque au gouvernement, la Suisse et la Suède ont annoncé en 2008 qu’elles réduiraient l’aide budgétaire l’année suivante.

La Suisse et d’autres donateurs réservent, par ailleurs, une partie de la contribution générale qui n’est versée que si des réformes ou des progrès spécifiques sont accomplis. Comme les objectifs convenus n’ont pas été atteints, la Suisse a réduit son aide budgétaire au Mozambique, deux ans auparavant (soit en 2006), de 10 à 8,5 millions de francs.

Proposition de citation: Thomas Benninger (2013). La nouvelle stratégie suisse en matière d’aide budgétaire. La Vie économique, 01 juillet.