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Quels impacts la protection de l’indication d’origine «Suisse» a-t-elle sur le plan économique?

Exclusivité, tradition, qualité: pour les consommateurs du monde entier, ce sont là des valeurs typiquement suisses. La législation sur le «Swissness» est un progrès important, qui permettra de préserver durablement la bonne réputation de l’indication de provenance «Suisse» et de mieux protéger les acheteurs contre les tromperies. Les avantages de cette nouvelle réglementation s’accompagnent toutefois de risques pour les entreprises, les consommateurs et l’économie.

Quels impacts la protection de l’indication d’origine «Suisse» a-t-elle sur le plan économique?

Les produits suisses peuvent durablement protéger leur réputation grâce à la législation «Swissness». Cela ne suffit, toutefois, pas pour rester compétitif au niveau international.

Du point de vue économique, il faut d’abord se demander pourquoi la protection de l’indication de provenance «Suisse» devrait être une tâche étatique[1]. L’argument le plus souvent avancé est l’existence d’une information asymétrique et la nécessité de protéger les clients contre les fraudes. Si l’acheteur n’est pas en mesure de s’assurer facilement qu’un produit présente les propriétés souhaitées, il peut être amené à faire des prospections onéreuses ou des achats peu appropriés. Les caractéristiques recherchées par les consommateurs n’apparaissent en effet que plus tard, c’est-à-dire au moment de l’utilisation (par exemple la qualité, le goût), voire pas du tout (par exemple une contribution à la préservation de la tradition ou de la culture). Une désignation apposée sur l’emballage – en l’occurrence une indication de provenance – permet de supprimer ou de réduire cette asymétrie de l’information entre le producteur et le consommateur.

Cependant, l’information asymétrique n’est pas nécessairement une défaillance du marché. Du point de vue économique, elle ne justifie que dans certains cas une intervention de l’État. La réputation de la Suisse ou d’une de ses régions présente les caractéristiques d’un bien public: en l’absence de règles étatiques, les producteurs de tous les pays peuvent commercialiser des «produits suisses». Ainsi, ils profitent injustement des attentes des consommateurs, lesquels sont prêts à débourser plus pour un bien de consommation portant ce label[2]. À titre individuel, une entreprise n’a guère intérêt à intenter une action en justice contre de tels fraudeurs et à supporter les coûts élevés d’une telle procédure. C’est pourquoi l’État a élaboré la réglementation «Swissness» qui définit les conditions régissant l’utilisation de la désignation «Suisse» dans l’indication de provenance, ainsi que le cadre juridique de son respect.

Le point de vue de l’économie sur la législation «Swissness»


Actuellement, on estime que les consommateurs sont prêts à payer jusqu’à 20% de plus pour des produits typiquement suisses, la plus-value variant selon les marchandises et les branches[3]. Le niveau de cette «prime au Swissness» ainsi que sa stabilité dans le temps dépendent d’une multitude de facteurs[4]:

  • la taille des marchés étrangers sur lesquels il sera possible d’atteindre une protection efficace du label «Suisse» grâce à la nouvelle législation;
  • l’intensité de la concurrence avec d’autres produits, existants ou nouveaux;
  • la manière dont les consommateurs évalueront au fil du temps le rapport entre l’origine géographique et les propriétés du produit.
  • l’élasticité-prix de la demande.


D’une manière générale, on peut partir de l’idée que, sans la législation «Swissness», le label «Suisse» perdrait progressivement de sa crédibilité, et donc de sa valeur, en raison des abus dont il fait l’objet. La prévention de telles pertes équivaut à un bénéfice du point de vue économique. L’ampleur de ce gain dépendra du niveau des avantages et des inconvénients, ainsi que de leur répartition entre les acteurs concernés: par exemple entre les producteurs et les consommateurs (tant en Suisse qu’à l’étranger), entre les entreprises de différentes tailles à l’intérieur d’une même branche ou entre les différents secteurs et branches. Les paragraphes suivants examinent ces points plus en détail.

Coûts et avantages pour les entreprises


Le renforcement de la sécurité juridique – liée à à des critères clairs régissant l’usage de l’indication de provenance «Suisse» – constitue un avantage considérable pour les entreprises. Elles doivent pouvoir utiliser cette indication volontairement et sans autorisation de l’État, pour autant que leurs produits remplissent les critères «Swissness».

Comme c’est le cas pour d’autres labels, la question est de savoir quelles dépenses une entreprise devra engager à court et à long termes pour que ses produits répondent aux exigences légales. Il faut aussi tenir compte de la marge de manœuvre réduite dont elle dispose par rapport à la provenance de ses matières premières ou de ses prestations préalables.

Certaines firmes, qui ont utilisé la désignation «Suisse» sous le régime précédent, ne pourront plus le faire, car le prix à payer pour atteindre la quote-part suisse exigée par la loi serait plus élevé que la prime liée à cette appellation d’origine. Ainsi, cette plus-value sera nulle à court terme pour les firmes qui l’ont employé jusque-là avec une part de 50% et qui devraient maintenant passer à 60%. La nouvelle réglementation prévoit toutefois des solutions de rechange, comme la possibilité de recourir aux mentions «designed in Switzerland» ou «Swiss engineering»[5].

Reste à savoir quelle sera la taille des marchés sur lesquels les entreprises pourront toucher durablement une prime grâce à la législation «Swissness». Cela dépendra de la manière dont les nouveaux critères parviendront à s’imposer sur les marchés étrangers. La législation «Swissness» améliore sensiblement les possibilités de faire respecter ce droit dans d’autres pays[6]. Quelques années après son entrée en vigueur on devrait pouvoir déterminer relativement bien où l’application du droit s’est améliorée.

Le label suisse vu par les consommateurs


Les nouveaux critères «Swissness» ont été élaborés sur la base de différentes études qui ont examiné, tant en Suisse qu’à l’étranger, les attentes des consommateurs vis-à-vis des produits portant le label «made in Switzerland». C’est pourquoi l’un des objectifs principaux de la nouvelle réglementation est d’améliorer la protection des consommateurs contre les fraudes. Pour atteindre ce but, il est important que les acheteurs puissent détecter sans peine quelle part d’ingrédients suisses contient effectivement un produit arborant un tel label. Cela sera plus simple si les prescriptions sont les mêmes pour tous les produits, si elles ne changent pas trop souvent et si les exceptions sont claires et faciles à comprendre.

Prenons l’exemple des matières premières. Certaines ne sont pas disponibles en Suisse, d’autres ne le sont pas en quantités suffisantes ou pas toute l’année. D’autres encore ne présentent pas les qualités requises. Dans ces cas, elles ne sont prises en compte que partiellement ou pas du tout dans le calcul de la part suisse d’un produit. Même si la provenance des ingrédients figure dans la description du produit, il n’est pas facile pour les consommateurs de se faire une idée claire, en particulier lorsque la disponibilité des matières premières varie au cours de l’année ou d’une année à l’autre. Néanmoins, les nouvelles prescriptions «Swissness» constituent une base qui permettra d’accroître nettement la transparence.

Il convient aussi de relever que le label «Suisse» ne garantit pas le respect de normes de qualité. Tel n’est pas son objectif. Des biens de toutes sortes peuvent porter l’indication de provenance «Suisse». La nouvelle législation ne régit pas les propriétés intrinsèques d’un produit. Elle vise uniquement à protéger les attentes des consommateurs à l’égard de ce bien. Quant à savoir si l’indication de provenance conservera avec le temps sa plus-value aux yeux des consommateurs, cela dépendra des stratégies et des comportements qu’adopteront les entreprises suisses.

Répercussions possibles sur le commerce et la concurrence


Sous l’angle de la politique commerciale, la question est de savoir si la législation «Swissness» ne va pas conduire les consommateurs à privilégier les produits indigènes. Cela pourrait nuire aux importations et serait considérée comme protectionniste par nos partenaires commerciaux. Rappelons-le: il est essentiel que l’indication de provenance soit utilisée sur une base volontaire. Il existe donc des alternatives aux prescriptions de la réglementation «Swissness» sur les prestations indigènes. En outre, on peut partir de l’idée que l’ampleur prévue de la protection contre les abus et les tromperies justifie d’éventuelles répercussions négatives sur le commerce[7].

Du point de vue macroéconomique, les effets sur la concurrence sont également intéressants. Pour les producteurs, l’aspect positif réside dans la possibilité de mieux combattre les abus commis par des fabricants étrangers ou suisses qui utilisent irrégulièrement l’indication de provenance «Suisse». Les consommateurs, eux, bénéficieront de l’augmentation effective de la transparence sur le marché.

Des doutes pourraient émerger par rapport à la politique de la concurrence, si la nouvelle législation avait systématiquement des effets positifs sur certaines entreprises ou types d’entreprises au sein d’une branche et négatifs sur d’autres. Comme toutes les réglementations, le projet «Swissness» comporte aussi le risque que les règles du jeu aient été conçues, pour des raisons politico-économiques, au bénéfice des acteurs existants sur le marché ou des grandes entreprises. Le cas échéant, il sera difficile pour les firmes plus petites ou spécialisées de les respecter. Plus les exigences seront restrictives, détaillées et spécifiques, que ce soit dans la législation «Swissness» ou dans les ordonnances de branche, plus ce risque s’accentuera. Ce serait le cas, par exemple, si une ordonnance de branche se montrait plus stricte que la loi en définissant précisément les opérations de fabrication qui doivent avoir lieu en Suisse ou les composants qui doivent provenir de Suisse. Ce risque sera évité si l’ordonnance est soutenue par une partie représentative des entreprises de la branche.

L’amélioration du produit, la qualité et l’innovation restent essentielles


En résumé, le principal défi que pose l’application de la législation «Swissness» consiste à prendre en compte aussi bien les besoins des entreprises que ceux des consommateurs. Pour les premières, un degré élevé de souplesse est avantageux. Cela implique par exemple de trouver une solution simple pour déterminer dans quelles circonstances (par exemple disponibilité au cours de l’année) certaines matières premières ou prestations préalables peuvent être acquises à l’étranger et ne sont pas pertinentes pour le calcul de la quote-part suisse. Du point de vue des consommateurs, en revanche, une application plus flexible des règles peut signifier que la proportion d’ingrédients suisses dans un produit sera variable et difficile à cerner.

La protection de l’indication de provenance «Suisse» offre des avantages évidents sur le plan économique. Toutefois, elle implique aussi des dépenses et des risques. Du point de vue de l’économie globale, il sera déterminant de connaître l’équilibre qui s’installera entre les éléments suivants: les avantages de la législation «Swissness», les pertes de flexibilité qui en résulteront et les gains d’efficacité qui échapperont aux entreprises en raison d’une utilisation réduite des filières mondialisées.

Grâce au projet «Swissness», les produits suisses pourront garder durablement leur bonne réputation. Toutefois, cette législation, à elle seule, ne leur suffira certainement pas à affronter la concurrence internationale. L’innovation permanente, l’amélioration des marchandises et des processus ainsi que l’élargissement de la gamme de produits seront nécessaires pour maintenir et développer nos parts de marché.

  1. Pour des raisons de place, cet article se limite aux effets de la législation «Swissness» sur les biens de consommation. Le contenu de la révision législative est présenté dans l’article de Patrick Aebi et Stefan Szabo, en page 8 de ce numéro. []
  2. Il existe, en outre un intérêt public pour les collectivités concernées (ensemble de la Suisse ou cantons/régions) à conserver leur bonne réputation à travers la législation «Swissness». []
  3. Voir Feige et al. (2008), p. 57. []
  4. Voir à ce sujet Bramley et al. (2009). []
  5. Message sur le projet «Swissness», p. 7837. []
  6. La création d’un registre d’appellations d’origine protégée (AOP) / indications géographiques protégées (IGP) pour les produits industriels et de la marque géographique «Suisse» permet de mieux faire valoir les demandes de protection à l’étranger. Les notions d’indication de provenance, de marque et d’indication géographique sont expliquées dans l’encadré 1. []
  7. Message du Conseil fédéral, p. 7843. []

Bibliographie

  • Bramley C., Biénabe E. et Kirsten J., «The Economics of Geographical Indications: Towards a Conceptual Framework for Geographical Indication Research in Developing Countries», dans Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), The Economics of Intellectual Property, Suggestions for Further Research in Developing Countries and Countries with Economies in Transition, janvier 2009, Genève.
  • Conseil fédéral, Message relatif à la modification de la loi sur la protection des marques et à la loi fédérale sur la protection des armoiries de la Suisse et autres signes publics (projet Swissness), 2009.
  • Feige Stephan, Brockdorff Benita, Sausen Karsten, Fischer Peter, Jaermann Urs et Reinecke Sven, Swissness Worldwide – Internationale Studie zur Wahrnehmung der Marke Schweiz, étude de l’université de Saint-Gall et al., 2008.
  • ICTSD-CNUCED, The Socio-Economics of Geographical Indications, A Review of Empirical Evidence from Europe, Issue Paper n° 8, 2004.
  • OCDE, Appellations of Origin and Geographical Indications in OECD Member Countries: Economic and Legal Implications, Groupe de travail des politiques et des marchés agricoles du Comité de l’agriculture, Groupe de travail conjoint du Comité de l’agriculture et du Comité du commerce, COM/AGR/APM/TD/WP (2000)15/FINAL, Paris, 2000.
  • OMPI, Rapport de 2013 sur la propriété intellectuelle dans le monde – Marques: réputation et image sur le marché mondial, série Économie et statistiques de l’OMPI, 2013.

Bibliographie

  • Bramley C., Biénabe E. et Kirsten J., «The Economics of Geographical Indications: Towards a Conceptual Framework for Geographical Indication Research in Developing Countries», dans Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), The Economics of Intellectual Property, Suggestions for Further Research in Developing Countries and Countries with Economies in Transition, janvier 2009, Genève.
  • Conseil fédéral, Message relatif à la modification de la loi sur la protection des marques et à la loi fédérale sur la protection des armoiries de la Suisse et autres signes publics (projet Swissness), 2009.
  • Feige Stephan, Brockdorff Benita, Sausen Karsten, Fischer Peter, Jaermann Urs et Reinecke Sven, Swissness Worldwide – Internationale Studie zur Wahrnehmung der Marke Schweiz, étude de l’université de Saint-Gall et al., 2008.
  • ICTSD-CNUCED, The Socio-Economics of Geographical Indications, A Review of Empirical Evidence from Europe, Issue Paper n° 8, 2004.
  • OCDE, Appellations of Origin and Geographical Indications in OECD Member Countries: Economic and Legal Implications, Groupe de travail des politiques et des marchés agricoles du Comité de l’agriculture, Groupe de travail conjoint du Comité de l’agriculture et du Comité du commerce, COM/AGR/APM/TD/WP (2000)15/FINAL, Paris, 2000.
  • OMPI, Rapport de 2013 sur la propriété intellectuelle dans le monde – Marques: réputation et image sur le marché mondial, série Économie et statistiques de l’OMPI, 2013.

Proposition de citation: Edith Bernhard (2014). Quels impacts la protection de l’indication d’origine «Suisse» a-t-elle sur le plan économique. La Vie économique, 01 octobre.

Marques, indications de provenance et indications géographiques

Une marque aide les consommateurs à se retrouver dans la diversité de l’offre. Elle représente la qualité d’un produit et la réputation de son fabricant. Les consommateurs sont prêts à payer plus pour cela (ce qu’on appelle une prime). Par conséquent, il n’est pas rare que les marques représentent une partie considérable de la fortune d’une entreprise. Cette dernière n’a donc aucun intérêt à laisser des fraudeurs en déprécier la valeur. Si un tiers utilise une marque sans autorisation, le propriétaire est incité à faire en sorte que cet usage illicite prenne fin. Les indications de provenance remplissent une fonction comparable à celle des marques. Elles signalent aux consommateurs l’origine d’un produit, auxquels ils attribuent généralement certaines propriétés spécifiques. L’indication de provenance en soi ne garantit toutefois pas une quelconque caractéristique ou qualité spécifique. Si un produit arbore une croix suisse, il bénéficie d’une «prime» d’environ 20%. Contrairement aux marques, les indications de provenance n’appartiennent pas à un propriétaire privé. Pour une entreprise individuelle, l’incitation à agir contre les fraudeurs est faible, car une multitude de firmes profitent de la prime et de la protection offertes par cette indication. Pour l’ensemble de l’économie, en revanche, une dilution de l’indication de provenance «Suisse» représente une perte considérable. Il importe donc que des règles claires stipulent quand une telle indication peut être utilisée, afin de préserver sa valeur. Les indications géographiques sont des indications de provenance pour des produits traditionnels originaires de régions bien délimitées. En Suisse, on les connaît généralement sous les labels AOP et IGP. En plus de l’origine géographique, elles définissent précisément le processus de fabrication, fixent des critères de qualité pour les ingrédients, etc. Contrairement aux simples indications de provenance, les indications géographiques doivent être inscrites dans un registre. Leurs propriétaires sont le plus souvent des groupements régionaux de producteurs.