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Les communes profitent de taux faibles

Les emprunts sont bien plus avantageux pour les communes que pour d’autres créanciers: bonne solvabilité oblige. Une hausse modérée des taux serait tout à fait supportable, conclut une étude de la Haute école de Lucerne.
Les communes misent sur les prêts à taux fixe échelonnés à longue échéance. Une assemblée communale dans le canton des Grisons.

Les communes suisses décident en toute autonomie de leur recours aux capitaux étrangers. Les coûts de financement constituent un poste qu’elles doivent optimiser. Elles cherchent donc à se financer aux meilleures conditions possibles et à limiter les risques inhérents aux fluctuations des taux du marché.
Qui finance les communes suisses? À quelles conditions les crédits sont-ils octroyés? Quelle est la période de validité des intérêts et du capital? Comment les finances communales ont-elles changé ces dernières années? Voici quelques-unes des questions abordées dans le cadre d’une étude menée par l’Institut des services financiers de Zoug (IFZ), qui dépend de la Haute école de Lucerne.
L’enquête sur le financement des communes alémaniques de taille moyenne, publiée fin 2013, est la quatrième sur ce thème. Les précédentes datent de 2003, 2007 et 2010. Elle est représentative et se base sur une banque de données solide de 212 localités, soit 63% des 338 communes alémaniques de 4000 à 30 000 habitants. Avec un total avoisinant 1,8 million d’habitants, cela représente un quart de la population suisse et un tiers de la population suisse alémanique (voir tableau 1)[1].

Tableau 1. Comparatif des chiffres-clés de l’étude IFZ sur le financement des communes de taille moyenne




























Étude 2003 Étude 2007 2007 Étude 2010 2010 Étude 2013 2013
Toutes les communes (98) Toutes les communes (217) 112 communes identiques Toutes les communes (213) 112 communes identiques Toutes les communes (212) 112 communes identiques
Lignes budgétaires 1091 1825 1006 1536 831 1309 741
Population résidante permanente (année précédente) 1’264’692 1’894’863 1’023’977 1’874’528 1’044’735 1’809’009 1’108’013
Engagements par habitant(en francs) 3157 2750 2858 2289 2319 2118 2162
Engagements (en millions de francs) 3993 5211 2927 4290 2423 3831 2395
– Banques 47% 57% 57% 64% 66% 65% 65%
– Suva 6% 7% 8% 7% 7% 10% 8%
– AVS 9% 8% 7% 12% 11% 9% 9%
– Caisses de pension 3% 3% 4% 3% 7% 8%
– Assurances 27% 19% 19% 9% 9% 6% 6%
– Autres 11% 5% 6% 4% 4% 4% 5%
Engagements (en millions de francs) 3993 5211 2927 4290 2423 3831 2395
– Prêts à taux fixe 91% 90% 90% 88% 89% 88% 89%
– Avance à terme fixe 2% 2% 3% 3% 6% 5%
Prêts à taux variable 0% 3% 3% 4% 3% 4% 4%
– Autres 9% 6% 5% 4% 5% 2% 2%
Durée moyennea 7,50 8,16 8,07 8,19 8,10 8,18 8,25
Intérêt moyena 3,5% 3,0% 3,0% 2,6% 2,6% 1,9% 1,9%
Marges d’intérêt moyenne sur prêts à taux fixeab 26 21 22 15 15 19 18
– Banques 33 26  27 18 19 23 21
– Suva 8 14  13 10 9 17 15
– AVS 25 17  15 10 9 9 8
– Caisses de pension 14 20 3 –5 11 10
– Assurances 19 15 17 11 10 10 10


aPondérés selon le volume d’engagement

bEn points de base (100 pb = 1%)


Source: IFZ / La Vie économique

Importance du financement par les banques


Fin 2013, près des deux tiers des engagements des 212 communes étudiées avaient été signés auprès de banques, les autres partenaires financiers étant l’assurance de droit public Suva (10%), le Fonds de compensation de l’AVS (9%) ainsi que diverses caisses de pension (7%) et assurances (6%). Les banques cantonales et Postfinance ont été à l’origine de 23% des financements chacune, les autres banques se partageant les quelques 20% restants.
Si l’on entre dans le détail des cantons, on constate des disparités. La part des emprunts bancaires est, par exemple, sensiblement plus grande dans les communes lucernoises et saint-galloises.

Retrait des assurances


L’examen détaillé des 112 localités représentées dans les trois études de 2007, 2010 et 2013 révèle un profond changement au niveau des partenaires financiers (voir illustration 1). Postfinance a presque doublé sa part de marché (de 12 à 23%) de 2007 à 2013 et celle des banques cantonales a crû de 17 à 24%. À l’inverse, la part de marché d’UBS a diminué de 15 à 5% et celle des assurances de 19 à 5%.

Ill. 1. Pourcentage des engagements communaux par partenaires financiers (2013)




Remarque: N=112 communes; volume de 2,395 milliards de francs pour 741 crédits en 2013.

Source: IFZ / La Vie économique

En six ans, la structure des partenariats a ainsi fortement changé. Plusieurs acteurs autrefois importants, comme la Centrale d’émission des communes suisses (CCS), Swiss Life, UBS ou encore les banques étrangères, se sont pour ainsi dire retirés de d’un marché qui ne permet que de faibles marges.

Endettement et taux moindres


Dans les 112 localités communes aux trois études, le financement par des fonds extérieurs a baissé de 18% entre 2007 et 2013, pour s’établir à 2,4 milliards de francs. Par rapport à la population et compte tenu de la croissance démographique, la baisse des engagements approche même 25%. Les charges communales se sont, par ailleurs, allégées, l’intérêt moyen sur la dette étant passé de 3 à 1,9% dans la même période (voir tableau 1). En six ans, les charges d’intérêts se sont ainsi réduites de 86 à 42 francs par habitant pour ces 112 localités.
Les communes suisses pourront sans doute continuer de profiter de taux faibles. Selon des extrapolations réalisées pour les localités étudiées[2], l’intérêt moyen baissera de 1,9 à 1,4% dans les cinq ans à venir (voir illustration 2) sur la base du niveau de 2013 et même à 0,9% si l’on se réfère au niveau des taux d’intérêt de la fin 2014, qui sont encore inférieurs.

Ill. 2. Trois scénarios pour les coûts de financement des communes      


 



Remarque: valeurs moyennes; N=183 communes; volume de 3,816 milliards de francs pour 1307 crédits en 2013.

Source: IFZ / La Vie économique

Cela signifie un allègement des coûts de financement à hauteur de quelque 18 millions de francs dans le premier cas, voire de 39 millions de francs dans le second, soit respectivement 10 et 22 francs par habitant et par année. Ces moyennes présentent des différences sensibles en fonction des communes et de la structure de leurs taux d’intérêt.

Des risques limités en cas de hausse des taux


La préférence des communes pour les prêts à taux fixe de longue durée permet de prédire que les coûts moyens de financement vont encore baisser. Fin 2013, près de 90% des engagements étaient couverts de la sorte sur une durée moyenne de 8,2 ans. Pour environ la moitié de ce volume, les durées étaient de dix ans ou plus, en partie à cause du bas niveau historique des taux. Par conséquent, les prêts à long terme arrivant à échéance ces prochaines années pourront être refinancés à de meilleurs taux (voir tableau 2).

Tableau 2. Intérêts moyens sur les crédits communaux par année de conclusion et durée


 


























Année de conclusion / durée 1y 2y 3y 4y 5y 6y 7y 8y 9y 10y Moyenne
1994 4,5% 4,5%
1995 5,0% 4,9% 5,0%
1996 4,3% 4,4% 4,5% 4,4%
1997 3,6% 3,9% 3,9% 4,0% 3,9%
1998 3,5% 3,4% 3,6% 3,6% 3,6% 3,5%
1999 3,4% 3,7% 3,5% 3,7% 3,9% 3,8% 3,7%
2000 4,0% 4,2% 4,3% 4,3% 4,3% 4,5% 4,5% 4,3%
2001 3,3% 3,7% 3,7% 3,8% 3,7% 3,8% 4,0% 3,9% 3,8%
2002 2,9% 3,4% 3,3% 3,3% 3,3% 3,3% 3,6% 3,5% 3,7% 3,5%
2003 0,7% 1,2% 1,7% 2,1% 2,2% 2,5% 2,6% 2,7% 2,9% 3,0% 2,5%
2004 2,2% 2,4% 2,6% 2,7% 2,8% 3,0% 3,1% 2,8%
2005 1,7% 2,1% 2,0% 2,2% 2,4% 2,4% 2,5% 2,5% 2,3%
2006 2,5% 2,3% 2,7% 2,7% 2,9% 2,8% 2,8% 2,9% 2,9% 2,8%
2007 2,9% 2,9% 3,0% 3,2% 3,1% 3,1% 3,1% 3,1% 3,2% 3,1% 3,1%
2008 3,0% 2,7% 3,1% 3,0% 3,3% 3,4% 3,0% 3,2% 3,1%
2009 1,0% 1,1% 1,7% 1,9% 2,1% 2,4% 2,6% 2,7% 2,7% 2,2%
2010 0,4% 0,6% 0,9% 1,7% 1,6% 1,8% 1,9% 2,3% 2,1% 2,2% 1,8%
2011 0,8% 1,3% 1,3% 1,8% 1,8% 1,7% 1,6% 2,1% 1,7%
2012 0,4% 0,4% 0,6% 0,8% 0,8% 0,9% 1,1% 1,0% 1,3% 0,9%
2013 0,4% 0,4% 0,6% 0,6% 0,9% 1,0% 1,2% 1,4% 1,4% 1,5% 1,0%
                       
Lignes budgétaires: 1–10 11–20 21–30 >30          


Remarque: N=316 communes; volume de 10, 6 milliards de francs (corrigé des doubles imputations) pour 3334 crédits.

Source: IFZ / La Vie économique

Le fait que les prêts à taux fixe soient assortis de longues durées et les échéances échelonnées a un effet positif même dans un scénario de taux à la hausse. L’impact d’une pareille évolution sur le coût moyen de la dette serait fortement retardé dans le temps. Avec une hausse de 1% par rapport au niveau des taux d’intérêt de fin 2013, l’intérêt moyen sur la dette augmenterait de 1,9 à tout juste 2,2% en cinq ans et à 2,4% au bout de dix ans (voir illustration 2).

Tendance à la hausse des marges d’intérêt


Si les communes bénéficient de crédits avantageux, ce n’est pas seulement à cause du bas niveau des taux d’intérêt, mais aussi parce qu’elles sont depuis longtemps considérées comme des débiteurs sûrs et hautement solvables. Pour les 3,8 milliards de francs d’engagements à fin 2013, la marge calculée en sus des taux du marché[3] correspond ainsi à tout juste 19 points de base (100 pb = 1%) en moyenne, soit sensiblement moins que les 80 à 120 pb probables comme marge sur les prêts hypothécaires aux particuliers.
L’analyse statistique des facteurs ayant une influence sur la marge des crédits communaux a porté sur les 3334 lignes budgétaires recensées pour les 316 localités dans le cadre des quatre études; cela représente un volume d’emprunts de 10,6 milliards de francs. Voici les conclusions de l’analyse de régression:
1. Plus le crédit est grand, plus la marge d’intérêt imputée à la commune est faible. Une tranche supplémentaire d’un million de francs fait baisser la marge de près de 0,5 pb.
2. Les marges d’intérêt varient fortement selon le partenaire financier. Les crédits d’établissements non bancaires (AVS, Suva, caisses de pension, assurances) sont sensiblement plus avantageux que ceux offerts par les banques.
3. Plus la durée d’un crédit est longue, plus la marge d’intérêt est faible. Prolonger la durée de deux ans fait baisser la marge d’intérêt d’environ 2 pb.
4. Le niveau des taux a une influence déterminante sur la marge d’intérêt. Lorsque ceux-ci sont élevés, les marges demandées sont plus grandes que lorsqu’ils sont faibles.
5. Un endettement important par habitant entraîne des marges d’intérêt plus élevées. Pour un endettement s’accroissant de 100 francs par habitant, la marge progresse d’environ 0,5 pb.

Un autre critère essentiel est la date de signature des contrats de crédit. Les marges sur les prêts à taux fixe contractés en 2003 par les communes examinées se situent en moyenne à 27 pb. Elles baissent ensuite jusqu’à 9 pb en 2009 – sans doute sous l’effet de la forte concurrence entre les établissements de crédit –, puis remontent jusqu’à 27 pb après la crise financière, en 2012. En 2013, les marges s’élevaient en moyenne à 24 pb. Leur tendance est donc légèrement haussière, mais à un faible niveau.

Des communes réservées face aux dérivés


Le résultat des études confirme le professionnalisme des communes dans la planification et la mise en place de leur financement. Les municipalités se procurent généralement plusieurs offres et choisissent les solutions les plus avantageuses. Le rôle des courtiers diminue au profit du contact direct avec les partenaires financiers connus. Par ailleurs, les communes se montrent prudentes vis-à-vis des instruments comme les dérivés servant à couvrir les intérêts. Une sur vingt seulement indique faire appel à de tels produits.
Les localités recourent cependant à d’autres moyens pour baisser les charges d’intérêts et bénéficier des taux bas actuels. La part des avances à termes fixes avec des durées jusqu’à douze mois – disponibles actuellement à un taux proche de zéro – est ainsi passée de 2% des engagements en 2007 à 6% en 2013.

Stratégie de financement à long terme


La stratégie actuelle des communes, qui consiste à miser plutôt sur les prêts à taux fixe de longue durée pour se financer, engendre des coûts d’opportunité relativement élevés selon l’inclinaison de la courbe des taux. En effet, la longueur de l’emprunt se paie par des taux d’intérêt supérieurs. Même si une hausse des taux à moyen terme semble probable, cette stratégie conserve tout son sens dans le contexte actuel. Les durées échelonnées des prêts à taux fixe ont, en outre, un effet positif étant donné qu’elles induisent un lissage des coûts moyens de financement et protègent les communes – comme expliqué plus haut – des conséquences en cas de hausse des taux.
Après la décision de la Banque nationale suisse, annoncée le 15 janvier dernier, d’abandonner le taux plancher face à l’euro et d’abaisser les intérêts négatifs à –0,75%, la courbe des taux s’est abaissée une nouvelle fois. Les communes suisses se voient ainsi offrir de nouvelles possibilités de crédits à longue échéance à des conditions très favorables. Cela leur permet de stabiliser durablement leurs charges financières à un bas niveau.

  1. L’étude de fin 2013 offre une bonne comparabilité avec celles de 2007 et 2010. Chacune couvre des localités différentes et seules 112 apparaissent dans les trois études. Comme le montre la comparaison dans le tableau 1, la structure des données analysées pour ce groupe commun ne se distingue guère de celle des autres communes examinées. L’enquête dans son ensemble est ainsi hautement représentative. []
  2. Les extrapolations reposent sur les financements à fin 2013, soit un volume total de 3,8 milliards de francs. []
  3. Swap, libor. []

Proposition de citation: Christoph Lengwiler ; Patrick Köchli ; Philipp Richner ; Gökan Tercan ; (2015). Les communes profitent de taux faibles. La Vie économique, 23 juillet.