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La numérisation est l’un des moteurs fondamentaux de l’actuel développement économique. Elle porte en elle la puissance d’une troisième révolution industrielle. Dans une mutation structurelle aussi dynamique, l’État peut certes émettre de bonnes incitations à court terme, en les dosant correctement. On ne doit toutefois pas lui confier le rôle principal. Le risque d’une défaillance étatique est trop important.
Fredy Greuter, Membre de la direction, Union patronale suisse, Zurich

Prise de position

L’économiste et sociologue américain Jeremy Rifkins est un penseur brillant et l’un des analystes les plus influents du changement culturel. Il est convaincu que le monde se trouve à la veille d’une révolution industrielle. De tels bouleversements, qui ébranlent les fondements de la société et de l’économie, sont à vrai dire extrêmement rares. Quand ils se produisent, ils résultent en général d’une nouvelle technologie. On l’a déjà observé avec l’invention de la machine à vapeur et la mécanisation du travail. Aujourd’hui, c’est à nouveau le cas avec la numérisation de l’information.
Alors que nous sommes à l’aube de l’ère numérique, nous voyons déjà se développer de nouvelles formes de communication. L’exploitation de l’énergie se renouvelle également – que l’on songe à des concepts comme les réseaux intelligents (« smart grids ») ou le « flyable ». Des mécanismes de transport et de logistique jusque-là inconnus font leur apparition. Selon une prévision plausible, cette « troisième révolution industrielle » verra le Web actuel se transformer en un super-Internet des objets : l’Internet de la communication rejoindra celui de l’énergie et le réseau automatisé de la logistique pour former un grand système.
Il est évident que l’économie devra affronter de profonds bouleversements. Quel rôle revient à l’État dans une transformation aussi radicale ? Est-il en mesure d’intervenir non seulement pour accompagner un changement structurel dynamique, mais aussi pour le promouvoir durablement ? La réponse est double.
Quand l’économie se trouve au premier stade de la numérisation, il est possible de stimuler sa croissance par des mesures incitatives et des investissements. Ainsi, le monde politique peut orienter les rares capitaux disponibles vers certaines branches, renforcer la propension au risque, encourager l’acquisition de technologies étrangères ou soutenir la création de nouvelles entreprises. L’économie privée doit, cependant, devenir le véritable moteur du développement au plus tard quand la phase de l’investissement laisse place à celle de l’innovation.
Comme le montrent de nombreuses enquêtes réalisées sur une longue période, même les programmes étatiques de promotion économique les plus réussis ne donnent au mieux que des résultats mitigés dans la pratique. Les efforts de l’État sont inadaptés notamment parce qu’ils agissent tardivement ou que leur impact est trop général. De plus, les programmes d’aide, une fois lancés, sont d’autant plus difficiles à annuler que des groupes d’intérêt influents interviennent dans le système politique.
Voilà donc les politiciens avertis : si une politique d’innovation est imposée par l’État, le risque d’erreurs liées au (non-)savoir de l’autorité est plus grand que les chances d’un pilotage stabilisateur de l’économie – sauf peut-être durant le premier stade du changement structurel.

Adapter le système éducatif


La prospérité de demain est fortement liée à un autre domaine de la politique économique, testé et éprouvé. L’une des tâches les plus importantes et en même temps les plus traditionnelles de l’État reste, en effet, de préparer le terrain pour les entreprises capables de résister à la concurrence internationale.
Dans une économie petite et ouverte comme la Suisse, il est fondamental que l’État s’investisse pour adapter le système de formation et de recherche aux défis technologiques, renforcer la concurrence et éliminer les entraves bureaucratiques. Des finances publiques saines et une faible quote-part de l’État – qui va généralement de pair avec une accélération de la croissance économique – jouent également un rôle déterminant. Dans un cadre clairement délimité, l’État peut tout au plus jouer le rôle de catalyseur – conformément au slogan bien connu : « Autant de marché que possible, autant d’État que nécessaire ».

Proposition de citation: Fredy Greuter (2015). Prise de position: L’État doit se retenir. La Vie économique, 26 octobre.