Rechercher

Le baromètre des chances de réinsertion aide à détecter à l’avance le risque de chômage prolongé

L'évaluation précoce de la durée du chômage à prévoir représente la base sur laquelle s'appuient les stratégies déployées en matière de conseil et améliore les perspectives de réinsertion des demandeurs d'emploi. Le canton de Fribourg a mis un tel instrument à l'essai dans un projet pilote.
Le baromètre des chances de réinsertion améliore la possibilité de retrouver un emploi, sutout pour les hommes d'âge moyen.

Une consultation aussi ciblée que possible et l’utilisation de tous les outils à disposition augmentent les chances de succès des demandeurs d’emploi et de ce fait l’efficacité des ORP. Pour que ces derniers se positionnent de façon aussi précise, les cantons et le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) misent davantage sur des stratégies de conseil segmentées depuis quelques années. Cela signifie que différents types de demandeurs d’emploi sont pris en charge en faisant appel à des interventions et à des mesures adaptées à leur situation. Une telle démarche exige de les classer au plus vite dans des segments appropriés, afin que le client et le conseiller en placement puissent agir de manière rapide et ciblée. Une évaluation précoce du profil des demandeurs d’emploi et de leur risque de rester longtemps au chômage représente un défi majeur. C’est là qu’intervient le projet pilote « baromètre des chances de réinsertion ». Un essai sur le terrain a tenté de déterminer si ce nouvel instrument apporte une aide significative aux conseillers pour classer les clients, ce qui permettrait de cibler davantage les consultations.

Une procédure expérimentale utilisée en médecine


Le projet pilote a été réalisé entre 2012 et 2014 par le canton de Fribourg, en collaboration avec le Seco et des chercheurs. La version pilote du baromètre mise à l’essai offrait aux conseillers une deuxième estimation de la durée de chômage à prévoir pour chaque demandeur d’emploi et du risque qu’il courait d’y rester longtemps. Afin d’évaluer les avantages de cet outil, son application a été testée dans un cadre expérimental. Cela signifie que le baromètre a été mis à disposition de 50 % des conseillers choisis au hasard pour prédire la durée du chômage selon ce modèle. Les 50 % restants n’ont, quant à eux, pas utilisé l’instrument et ont servi de groupe témoin. Ce type de recherche permet d’atteindre un haut degré de comparabilité entre le groupe expérimental et le groupe témoin. Elle fournit ainsi des résultats d’évaluation transparents qui se prêtent à une interprétation causale. Ce dispositif expérimental est souvent utilisé en médecine, en psychologie et, de manière croissante, dans la recherche portant sur l’éducation et le marché du travail.
Afin d’apporter un réel soutien dans la catégorisation des demandeurs d’emploi, le baromètre des chances de réinsertion puise dans la « mémoire statistique » des ORP. Il combine son contenu avec des informations supplémentaires ciblées, rassemblées et évaluées par les conseillers. La mémoire statistique des ORP contient tous les anciens cas, archivés dans la base de données Plasta / Sipac, de chômeurs dont la durée de recherche d’emploi a été recensée jusqu’à leur désinscription de l’ORP. Grâce à des modèles économétriques, cette mine d’informations peut être utilisée pour générer des prédictions sur la durée du chômage à prévoir dans les cas futurs. D’une certaine manière, ces pronostics sont donc élaborés à partir d’une comparaison avec des cas existants. Les conseillers en placement jouent ici un rôle capital, car il ne faut pas négliger certains aspects importants pour les perspectives des demandeurs d’emploi, qui ne sont pas compris dans la base de données citée. Ces informations supplémentaires ont été recueillies de manière ciblée par les conseillers et saisies dans l’application du baromètre (voir encadré).
Pour créer cette base d’informations, les conseillers ont tout d’abord rassemblé des données supplémentaires sur les demandeurs d’emploi lors d’une « phase de calibrage ». Celles-ci ont ensuite été combinées avec les informations comprises dans Plasta / Sipac. À partir de cette base commune, des modèles de prédiction pour différents types de demandeurs d’emploi ont été calibrés. La phase suivante de l’expérience a englobé l’exécution du projet pilote à proprement parler, ainsi que l’introduction du baromètre dans tous les ORP fribourgeois. C’est pendant et après le premier entretien détaillé que cet outil entrait en jeu. Les conseillers recueillaient alors les informations supplémentaires et recevaient ensuite les prévisions correspondantes du baromètre. Dans le projet pilote, cela s’est produit dans 50 % des cas. Au total, le test de la phase principale du projet pilote a porté sur au moins 5500 cas de chômage, qui ont ainsi pu être utilisés pour étudier les effets du nouvel instrument.

L’équilibre entre les coûts et les avantages reste à atteindre


L’évaluation du projet pilote est très complète et se concentre sur de nombreux aspects différents. En plus de l’incidence directe du baromètre sur l’aboutissement de la recherche d’emploi, on a ainsi étudié son utilisation par les conseillers et les réactions des participants. L’exactitude des prédictions a elle aussi été analysée. Enfin, on a réalisé quelques études exploratoires sur la manière dont certaines composantes du projet pourraient être développées, afin d’intégrer plus directement le baromètre dans la pratique existante et d’améliorer la capacité de prédiction.
Le bilan de ces études est mitigé. Sous sa forme pilote, le rapport existant entre les efforts et les avantages directs que suppose l’instrument n’est pas encore satisfaisant. De même, sa performance au niveau des prévisions reste encore à améliorer. Néanmoins, l’analyse d’impact a clairement indiqué que, malgré ces conditions non optimales, les prévisions du baromètre avaient eu un impact mesurable sur certains groupes spécifiques de demandeurs d’emploi : ceux-ci se sont réintégrés dans la vie professionnelle plus rapidement.
Les analyses ont révélé des différences significatives entre l’évaluation du risque de chômage prolongé produite par le conseiller en placement et celle du baromètre. Plus le degré de précision d’une telle évaluation est élevé, plus le processus de conseil des ORP et la prescription de mesures relatives au marché du travail (MMT) peuvent être orientés de manière ciblée dès le début sur le profil de risque spécifique de la personne.
La comparaison entre l’estimation effectuée par le baromètre et celle des conseillers concernant la durée de chômage réalisée a mis en lumière un aspect intéressant : en moyenne, les conseillers sous-estiment la durée de chômage à prévoir. On a également observé qu’ils ne parviennent pas à différencier suffisamment les situations à risque liées au chômage. En d’autres termes, ils attendent trop de périodes de chômage moyennes comprises entre 150 et 200 jours, mais pas assez de périodes de chômage courtes et, ce qui est plus grave, pas assez de chômage de longue durée (plus de douze mois).
Il existe donc bel et bien un potentiel pour un instrument qui faciliterait la classification. Dans sa version pilote, le baromètre affiche à cet égard un bilan mitigé. Il tend à rencontrer les mêmes difficultés d’évaluation que les conseillers en placement, mais dans une moindre mesure. Le degré d’exactitude de ses prévisions est un peu plus élevé. Dans le projet pilote, il a indiqué un signal correct dans près de 60 % des cas : alors que le conseiller avait sous-estimé la durée du chômage, le baromètre prédisait une période plus longue, et vice versa.

Accroître la facilité d’utilisation


Malgré ces découvertes encourageantes, le degré de précision de l’instrument demeure insatisfaisant dans sa version pilote. Sa tendance à afficher un excès de signaux erronés et inutilisables réduit sa fiabilité. Des améliorations sont encore nécessaires. Si certaines sources d’inexactitude peuvent être corrigées relativement facilement, d’autres en revanche subsistent. Ainsi, des prédictions basées sur des statistiques ne seront jamais en mesure de refléter la diversité des cas individuels. On ne saurait toutefois en attendre autant d’un instrument auxiliaire.
Une meilleure intégration du baromètre dans la pratique quotidienne des conseillers en placement représente un autre défi. Cela ne pourrait que contribuer à une meilleure acceptation de cet outil. Les évaluations détaillées des réactions ont en effet montré que les conseillers émettent dans l’ensemble un jugement négatif à l’égard du baromètre dans sa version pilote. Ils ont d’abord critiqué la proportion élevée de prévisions peu crédibles. Il semble, par ailleurs, que trois aspects fondamentaux de son utilisation pratique gagneraient à être améliorés. Tout d’abord, l’effort que suppose « l’alimentation » de cet outil est relativement élevé. Cela s’explique en partie par le fait que le baromètre du projet pilote n’est pas encore intégré de manière cohérente dans les processus existants. Par exemple, si l’appareil venait à être utilisé à grande échelle, il faudrait supprimer les doublons actuels, notamment au niveau de la saisie des données ou des procédures d’enregistrement.
Deuxièmement, l’avantage direct que présente cet instrument pour le travail des conseillers ORP semble encore peu évident. Encore une fois, avant d’étendre son utilisation, il faudrait d’abord clarifier dans quelle mesure les classifications proposées sont liées aux stratégies de segmentation potentielles. Ceci exige un processus de développement stratégique permanent, ainsi que des instructions plus contraignantes, notamment sur les segments de la clientèle qui requièrent une prise en charge soutenue.
Troisièmement, les utilisateurs sont d’avis qu’il faudrait faire preuve de davantage de souplesse quant au moment où l’on fait intervenir l’instrument. Dans le projet pilote, les instructions indiquaient précisément que le baromètre devait être utilisé pendant et après l’entretien initial. Cela a certes du sens si l’on considère que l’objectif fondamental est la segmentation précoce. D’un autre côté, les conseillers en placement ont besoin de temps pour évaluer un demandeur d’emploi de manière plus complète, ce qui à terme se traduit par une meilleure qualité des informations recueillies. Il reste donc un certain compromis à atteindre entre la vitesse et la précision. Dans la pratique, on peut aussi envisager de compléter progressivement ces informations et de mettre ainsi les prévisions à jour au fil du temps. Si l’on parvient à trouver une solution satisfaisante pour ces trois aspects particuliers, les résultats de l’enquête et les utilisations individuelles suggèrent qu’un outil optimisé et mieux intégré pourrait rencontrer un accueil favorable parmi les conseillers.

Les prévisions ont un impact positif sur les chances de succès


Quels effets les prédictions ont-elles exercé sur le comportement des conseillers et sur l’aboutissement de la recherche d’emploi ? Cette question revêt un intérêt central. Pour les chômeurs qui se sont inscrits dans un ORP fribourgeois à partir d’octobre 2013, l’influence des prévisions du baromètre sur l’aboutissement de leur recherche est avérée : la probabilité d’accepter un emploi dans les trois à neuf mois a constitué une réaction positive à une prévision indiquée par le baromètre. Cet effet se manifeste principalement chez les demandeurs d’emploi de sexe masculin et d’âge moyen. La probabilité de trouver un emploi dans les trois mois s’adressait essentiellement aux chômeurs pour lesquels le baromètre affichait une prédiction optimiste de moins de nonante jours.
D’autres études ont révélé que les conseillers ont pris en compte le pronostic du baromètre dans la durée estimée du chômage. L’annonce d’une prévision optimiste a surtout eu un impact positif sur le degré de soutien démontré au cours des entretiens. En revanche, les effets directs des signaux déclenchés par les prévisions ne se sont reflétés ni dans les taux de sanction ni sur l’attribution de MMT. Dans l’ensemble, on constate ainsi que des prévisions comme celles provenant du projet pilote peuvent avoir un impact significatif sur l’aboutissement rapide des recherches d’emploi, et ce malgré leur manque de précision relativement fréquent. Ces prédictions sont susceptibles d’affecter la façon dont le conseiller évalue le risque que présente un chômeur. Cet impact semble se refléter dans certains ajustements au niveau de la pratique de conseil, par exemple la fréquence des entretiens. Il varie cependant en fonction des caractéristiques de la personne à la recherche d’un emploi.
Globalement, les résultats démontrent qu’un tel instrument déploie bel et bien des effets positifs dès le départ – en dépit de la complexité d’une telle entreprise et de son intégration à peine développée dans la pratique. Dans des analyses exploratoires, l’étude indique également une série d’approches potentielles pour résoudre le problème des prédictions trop inexactes. D’une part, il serait possible de simplifier le modèle, de sorte que les prévisions se limiteraient à indiquer dans quel groupe de risque se classent les demandeurs d’emploi, au lieu d’émettre des pronostics sur la durée spécifique de la période de chômage. Ainsi, les prédictions seraient moins sujettes à de grands écarts perceptibles dans la mauvaise direction et seraient plus simples d’un point de vue technique. Une deuxième analyse exploratoire a produit quelque chose d’intéressant concernant le développement des prévisions : de nouvelles méthodes élaborées dans le contexte des mégadonnées semblent améliorer leur qualité. Des tests réalisés avec des méthodes d’apprentissage dites automatiques (« machine learning ») ont montré qu’il est possible d’améliorer de manière significative l’exactitude des prévisions sur le plan statistique, même avec des quantités relativement faibles de données. Des recherches supplémentaires dans cette direction pourraient se révéler intéressantes.
Si le baromètre des chances de réinsertion venait à se développer davantage, il faudrait tout d’abord examiner les objectifs précis d’un tel instrument au niveau politique et dans la pratique. Sur quoi les fonctions de segmentation et de prévision des modèles de baromètres doivent-elles s’aligner ? Quels sont les groupes cibles au centre des priorités ? Quelles mesures et conséquences pratiques peut-on extraire des classements par groupes de risques ? Une fois ces questions élucidées, il devient possible, d’une part, d’ajuster plus précisément les modèles de prévision et leur contenu et, d’autre part, de réduire l’effort et les doublons à l’aide d’autres instruments.

L’impact du baromètre des chances de reinsertion estévalué en comparant avec un groupe de contrôle qui n’en a pas fait usage.

Proposition de citation: Patrick Arni ; Amelie Schiprowski ; (2015). Le baromètre des chances de réinsertion aide à détecter à l’avance le risque de chômage prolongé. La Vie économique, 24 novembre.

Quels facteurs déterminent la durée d'une période de chômage ?

Dans le cadre de ce projet, des analyses statistiques ont été effectuées afin d’établir quels sont les facteurs les plus importants pour prédire la durée du chômage. Cela permet de déduire quels aspects s’avèrent déterminants et doivent, par conséquent, être pris en compte dans le modèle d’estimation. L’analyse ne peut évidemment porter que sur les informations enregistrées par les conseillers dans le système de bases de données de l’ORP (Plasta / Sipac) ou dans le baromètre des chances de réinsertion.
Le tableau ci-dessous montre les six facteurs exerçant statistiquement la plus grande influence sur l’estimation de la durée du chômage. Parmi les renseignements classiques figurent en tête de liste la durée et le montant des indemnités journalières, l’âge et d’éventuelles périodes de chômage dans le passé. Les informations comprises dans le baromètre placent encore d’autres facteurs importants au premier plan : par exemple, le nombre d’entretiens d’embauche auxquels une personne s’est rendue au début de sa recherche d’emploi constitue un indicateur majeur de la durée potentielle de sa période de chômage.
Le fait de connaître les attentes et les revendications d’un demandeur d’emploi par rapport à son futur salaire est tout aussi important pour évaluer le risque de chômage prolongé. Le salaire de réserve représente quant à lui les exigences minimales du demandeur d’emploi en ce qui concerne le montant du salaire. Enfin, d’autres aspects tels que la motivation dans la recherche ou le recours à des agences de placement et au réseau personnel sont des signaux importants qui permettent d’estimer combien de temps une personne va rester au chômage.

 Sur le baromètre









Nombre d’entretiens d’embauche effectués
Évaluation des chances de réinsertion (par le conseiller)
Salaire de réserve
Attentes salariales
Motivation
Recours actif à des agences de placement privées et au réseau personnel dans la recherche d’emploi


 

Sur Plasta / Sipac









Droit aux indemnités journalières
Âge
Salaire assuré (et taux de remplacement : 70 à 80 %)
Type de profession
Nationalité
Périodes de chômage précédentes