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Importance du développement durable dans le domaine de la finance et rôle de l’État

Le développement durable conquiert progressivement le secteur financier. Cette réalité occupe de nombreuses structures et organisations, tant au niveau national qu’international. La place financière suisse peut en retirer des avantages, mais aussi être confrontée à de nouveaux risques. Ces derniers doivent d’abord être évalués pour leur apporter, le cas échéant, la réponse appropriée. L’État doit avant tout endosser un rôle de médiateur et de facilitateur.
L'État, en tant que médiateur et facilitateur, peut consolider la réputation d'ouverture et d'intégrité de la place financière suisse. Hommes d'affaires à Genève.

La question du développement durable[1] prend une importance grandissante. L’Agenda 2030 de l’ONU et la Conférence sur le climat, qui s’est tenue ce mois-ci à Paris, en sont quelques-unes des manifestations les plus marquantes. Le développement durable et son encouragement par la Confédération suisse constituent un mandat constitutionnel. Depuis 1997, le Conseil fédéral élabore tous les quatre ans une stratégie afin de garantir la cohérence de sa politique dans ce domaine. Celle-ci devra être renouvelée pour la législature 2016-2020. Les travaux sont en cours. En parallèle, différents projets, tels que le « Plan d’action : économie verte » ou le « Rapport de base sur les matières premières », sont poursuivis au sein de l’administration fédérale.

Des chances, mais aussi des risques


Le développement durable intéresse aussi la politique menée à l’égard des marchés financiers. Ceci se manifeste notamment dans les travaux du Conseil de stabilité financière (CSF), du Fonds monétaire international (FMI) et du G20 consacrés à l’impact que le changement climatique peut avoir sur la stabilité financière. Le thème est pertinent à double titre : d’une part, en tant que risque potentiel pour la stabilité du système financier suisse et d’autre part, en tant que chance pour notre pays.

De nombreux travaux internationaux suggèrent que les défis écologiques et sociaux, et les réponses qui y sont données, pourraient avoir un impact non négligeable sur les investissements, les marchés financiers, les allocations sectorielles en capital ainsi que, à terme, sur la stabilité financière et la croissance. À ce propos, la Banque d’Angleterre a publié en septembre dernier un rapport qui reconnaît l’existence d’un risque carbone lié au changement climatique[2]. Les risques écologiques, sociaux et de gouvernance (ESG) potentiels pour la stabilité du système financier devront donc être analysés avec attention dans les années à venir.

La durabilité pourrait, cependant, renforcer l’attrait et la compétitivité de la place financière suisse. En plus de conditions-cadres favorables, notre pays possède l’expérience requise en matière de finance durable. Cela lui garantit un avantage concurrentiel à long terme, qui permet d’attirer les professionnels, les idées et les institutions innovantes sur son territoire.

Toutefois, de nombreux défis persistent. Ainsi, le caractère abstrait du développement durable fait que chacun l’appréhende à sa façon. L’une des principales difficultés demeure l’absence de consensus au niveau international sur la définition et la mesure des concepts et des risques ESG.

Les risques sont définis, mais les outils de mesures font défaut


Les risques climatiques qui préoccupent plus particulièrement le CSF se répartissent en trois grandes catégories :

  • les risques physiques liés aux événements climatiques et météorologiques (« physical risks ») ;
  • les risques résultant d’une responsabilité pour les dommages en lien avec le changement climatique (« liability risks ») ;
  • les risques associés au passage à une économie plus faible en carbone (« transition risks »).


Concernant ces derniers, le changement de valorisation des actifs intensifs en carbone pourraient les muer en « actifs échoués » (« stranded assets »). Le fait que le marché ne soit pas convaincu de la volonté des États de limiter le réchauffement climatique global à 2 degrés d’ici la fin du siècle résulte en une allocation excessive du capital dans des secteurs intensifs en carbone.

Toutefois, tant que l’on ne disposera pas d’outils de mesure et d’évaluation des risques, il sera difficile pour les établissements financiers et les États de les estimer correctement. Différentes méthodes pourraient être envisagées, à l’instar des « stress tests » qui considèrent différents scénarios et horizons temporels.

Promouvoir la transparence


Il est nécessaire d’accroître la transparence relative aux conséquences écologiques et sociales des activités commerciales. Celle-ci est essentielle pour les consommateurs et les acteurs du marché ; il en va de même de la fiabilité de l’information. L’une et l’autre permettent, en effet, d’internaliser les coûts sociaux et environnementaux externes à chacune des étapes de la chaîne de valeur ajoutée. Cela contribue à rapprocher les prix de leurs coûts réels et mène à une croissance économique durable.

À ce propos, le CSF a décidé de créer un groupe de travail appelé « Disclosure task force on climate-related risks ». Son but est de développer des standards cohérents de divulgation et de présentation des risques liés aux changements climatiques, qui permettraient aux investisseurs et aux autres parties intéressées d’en comprendre les enjeux.

L’État, un facilitateur et un médiateur


Le rôle de l’État est d’assurer que des conditions-cadres stables et attrayantes pour le secteur financier soient maintenues et renforcées. Il doit également faire en sorte que l’on prenne en compte et maîtrise, le cas échéant, les risques pouvant menacer la stabilité du système financier et mettre en péril la stabilité ainsi que la durabilité de l’économie toute entière.

Dans un futur proche, il est important que l’État engage un dialogue avec les représentants de la branche. Il s’agit de progresser dans la recherche de concepts utiles, d’accroître la transparence et de sensibiliser le secteur financier aux enjeux liés à la durabilité. Ce dialogue doit également déterminer de quelle manière les organes étatiques peuvent soutenir au mieux l’intégration des critères ESG au sein de la place financière suisse et les efforts de la branche pour les mettre en œuvre.

Cela  nécessite une régulation des marchés financiers qui soit cohérente à long terme, qui soutienne le développement économique et qui se structure autour des bases de la politique suisse des marchés financiers, soit la liberté d’entreprise et le principe de subsidiarité de l’action étatique. Les projets de durabilité et les risques ESG ne dérogent pas à ces règles. Par ailleurs, l’État ne mène pas de politique « de niche ». Enfin, si la place financière veut se positionner comme un centre pour les investissements durables, c’est à elle d’en prendre l’initiative. Un tel projet s’inscrit dans une orientation à long terme qui conforterait sa réputation d’ouverture et d’intégrité, ainsi que l’excellence de ses services, L’État peut soutenir ces efforts en endossant un rôle de médiateur et de facilitateur.

Au niveau international, il est dans l’intérêt de la Suisse de contribuer activement au développement et à la mise en œuvre de solutions et de normes multilatérales. Elle doit toutefois veiller à ce que les réglementations soient coordonnées, afin de ne pas pénaliser nos entreprises par rapport à la concurrence. Alors que la Chine souhaite faire de la « finance verte » l’une des priorités de sa présidence du G20 en 2016, il est fondamental que la Suisse puisse présenter, au niveau international, une position claire, commune et cohérente à ce sujet.

  1. La Suisse se réfère à la définition du développement durable telle qu’elle a été formulée en 1987 par la Commission Brundtland dans son rapport « Notre avenir à tous » : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins ». []
  2. Banque d’Angleterre, Autorité de regulation prudentielle, The impact of Climate Change on the UK Insurance Sector, septembre 2015. []

Le passage à une économie durable peut fortement dévaloriser les actifs des entreprises intensives en CO2(« délaissement d'actifs »). Exploitation minière de lignite en Allemagne orientale.

Proposition de citation: Stephanie Lorenz ; Laurence Roth ; (2015). Importance du développement durable dans le domaine de la finance et rôle de l’État. La Vie économique, 21 décembre.