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Les temps sont mûrs pour les placements durables

Inclure des produits financiers durables dans une stratégie de croissance ? Un rapport d'experts bien étayé y voit un grand potentiel. Il propose des mesures pour mieux sensibiliser les acteurs du marché financier aux questions environnementales et aux besoins de leurs clients.

Les temps sont mûrs pour les placements durables

Ceux qui veulent investir dans des projets durables sont toujours plus nombreux. Il peut s'agir d'un microcrédit accordé à un cultivateur de thé au Kenya, par exemple.

« Les placements durables suscitent de l’intérêt, il suffit de le mobiliser » : c’est ce qu’affirme Sabine Döbeli, CEO de la plateforme Swiss Sustainable Finance (SSF), qui regroupe plus de nonante acteurs du secteur financier. Étant donné que la Suisse est l’une des principales places financières mondiales, Mme Döbeli est convaincue que la finance durable y  jouera un rôle décisif. Elle est par ailleurs co-auteure du rapport intitulé « Propositions pour une feuille de route vers un système financier durable en Suisse »[1], qui a été publié en juin dernier. Ce texte est le résultat d’un dialogue très large et fructueux. Il a été rédigé par un groupe de plus de trente experts issus de l’économie privée, d’offices fédéraux, d’universités et d’ONG, sous la direction de l’Office fédéral de l’environnement (Ofev)[2].

Le rapport souligne que les placements durables peuvent être un facteur de croissance robuste pour le marché financier suisse. S’ils ne représentent aujourd’hui qu’un petit pourcentage de la totalité des placements, ils constituent un marché en pleine expansion. D’après le rapport intitulé « Le marché de l’investissement durable 2016 », son volume a progressé de 169 % entre 2014 et 2015[3].

Répondre à la demande


Il s’agit maintenant d’intégrer la finance durable dans les activités économiques courantes. À cette fin, le rapport encourage l’application des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), afin que les entrepreneurs et les analystes prennent en compte les questions liées à l’environnement et à la société, ainsi qu’à la gouvernance d’entreprise. Les auteurs présentent vingt mesures concrètes permettant aux acteurs financiers d’intégrer les critères ESG dans leurs processus. Les mesures proposées concernent les domaines financiers où la durabilité pourrait profiter du meilleur effet de levier possible, à savoir la gestion de fortune et d’actifs, les investisseurs institutionnels, les opérations de crédit, le marché des capitaux ainsi que la recherche et la formation.

Les experts sont convaincus que la finance durable apportera une plus-value à la Suisse, notamment dans le domaine de la clientèle privée. Centre mondial de la gestion de fortune, notre pays ne peut que profiter de la finance durable. Le rapport renvoie à des sondages montrant que la clientèle privée veut à la fois gagner de l’argent et générer des impacts bénéfiques. Les conseillers financiers tiennent par conséquent davantage compte des besoins de leur clientèle s’ils proposent des produits durables. Les experts y voient également des avantages pour la gestion d’actifs : si la Suisse veut améliorer sa compétitivité dans ce domaine, elle doit mettre à profit son savoir en matière de placements durables. D’ailleurs, de plus en plus de clients institutionnels, comme les caisses de pension, les assurances et les fondations, intègrent les critères ESG dans leur gestion.

Jouer la carte de la transparence


Les experts s’accordent pour dire que le manque de sensibilisation, d’engagement et de savoir-faire des acteurs financiers et une transparence insuffisante constituent les plus grands obstacles aux placements durables. Les mesures proposées visent donc principalement à augmenter la transparence. Elles encouragent les conseillers à la clientèle à placer le sujet et demandent que la recherche et la formation traitent davantage du thème de la durabilité. Le rapport recommande principalement de mieux former les conseillers en interne et d’inclure le thème des produits durables dans les programmes de formation des universités et des hautes écoles.

Les mesures proposées touchent également les processus inhérents au secteur financier. Elles demandent que la finance durable soit abordée systématiquement dans tout entretien-conseil et que les critères ESG soient intégrés automatiquement dans le processus de sélection des produits financiers par les gestionnaires de portefeuille. Du côté de l’offre, il s’agit de montrer dans quelle mesure les produits financiers intègrent les critères ESG. En ce qui concerne les opérations de crédit, le rapport invite à évaluer systématiquement les critères ESG et à les intégrer dans la gestion des risques des banques, ainsi que dans la notation de crédit des banques et des agences de notation.

Ces réflexions reposent sur un principe évident : plus les critères ESG seront standardisés, plus vite ils deviendront une valeur établie. Pour cela, il faut de solides fondements. Aussi le rapport exige-t-il que de nouveaux instruments soient développés, comme l’intégration de critères de durabilité dans l’évaluation de la performance, notamment dans les « Key Performance Indicators », ou encore l’optimisation des profils de risque et de rendement.

Tirer parti de la dynamique globale


Certains s’étonneront que le thème soit traité de façon aussi concrète ici, alors qu’il a longtemps été discuté principalement dans des réunions d’experts. Une dynamique globale pousse les acteurs à agir aujourd’hui : les Objectifs de développement durable (ODD) ont été adoptés par la communauté internationale en 2015, de même que l’accord de Paris sur le climat, qui est contraignant pour tous les États. Les milliards nécessaires au financement de ces programmes n’ont toutefois pas encore été débloqués. Les ODD exigeront à eux seuls 5 à 7000 milliards d’USD par an pour les quinze prochaines années. Pour réunir ces sommes, il faut développer dès maintenant de nouvelles formes de financement.

Nombre d’instances, à différents niveaux, s’occupent actuellement de questions liées au développement durable en relation avec les marchés financiers. Le G20 par exemple, qui réunit les vingt principaux pays industrialisés et émergents, a créé un groupe d’étude sur la finance verte et a mis ce thème pour la première fois à l’ordre du jour de son sommet en septembre 2016.

La Suisse a un rôle à jouer


Se fondant sur l’enquête du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), consacrée à la conception d’un système financier durable[4], les experts suisses ont accordé une attention particulière à la pratique. Les propositions en appellent à la responsabilité des acteurs du marché. Cette approche, axée sur les solutions propres à l’économie de marché, différencie la Suisse des autres pays. La France ou la Chine, par exemple, ont dernièrement fait avancer le thème par une forte intervention étatique. Pour les auteurs de l’étude, la démarche suivie convient mieux à la Suisse, car celle-ci n’a pas le même style que les pays qui imposent les changements à coup de lois. Le Conseil fédéral a adopté en février des principes de base pour une politique qui soit cohérente aussi bien au niveau national qu’à l’échelle internationale. Point central : l’État joue dans ce contexte avant tout le rôle d’intermédiaire, la priorité étant donnée aux solutions fondées sur l’économie de marché.

Cette stratégie a des chances de réussir en Suisse mieux que partout ailleurs. Dans notre pays, les acteurs de la finance peuvent en effet puiser dans leur expertise et leur expérience en matière de placements durables. C’est en Suisse qu’a été créée en 1999 la première famille d’indices durables, les « Dow Jones Sustainability Indices ». Le premier fonds mondial éco-efficient Oekosar – lancé en 1994 par la banque Sarasin – a amorcé un changement de perspective en optant pour une approche suprasectorielle et non plus thématique. C’est également une entreprise suisse, RepRisk, qui a développé la plateforme « ESG Risk Platform », une référence sur le marché international. RepRisk met à la disposition des acteurs financiers les profils de risques ESG de plus de 65 000 entreprises.

Si les mesures proposées sont mises en œuvre, le thème de la finance durable peut renforcer la réputation suisse, qui se veut garante de la stabilité. La communauté internationale a tout à y gagner. Jean-Daniel Gerber, ancien directeur du Secrétariat d’État à l’économie et actuel président de SSF, le résume ainsi : « En tant que centre mondial de la gestion de fortune, la Suisse peut contribuer à accroître la durabilité des systèmes financiers du monde entier.»

  1. Le rapport complet en anglais et un résumé en français se trouvent à l’adresse bafu.admin.ch[]
  2. UBS, CS, Swiss Re, RobecoSAM, Zurich Insurance Group, Globalance Bank et d’autres représentants pour l’économie privée, le WWF pour les ONG. []
  3. Si l’on fait abstraction des nouvelles catégories introduites récemment, les anciennes catégories comptabilisent à elles seules une croissance de presque 100 %. Voir FNG et Swiss Sustainable Finance, Le marché de l’investissement durable en Suisse, 2016. À télécharger sur la page sustainablefinance.ch []
  4. « UNEP Inquiry into the Design of a Sustainable Financial System ». []

Proposition de citation: Loa Buchli (2016). Les temps sont mûrs pour les placements durables. La Vie économique, 25 juillet.