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Il faut saluer l’initiative visant à combattre la pénurie de personnel qualifié, mais sa mise en œuvre sera difficile. Les visées politiques ne sauraient ignorer les réalités économiques.
Valentin Vogt, Président de l’Union ­patronale suisse (UPS), Zurich

Prise de position

Le proche avenir ne laisse aucun doute : en Suisse, l’offre de main-d’œuvre diminuera pour des raisons démographiques et politiques. Inversement, la demande – en particulier de travailleurs très qualifiés et spécialisés – continuera d’augmenter. Si l’on ne parvient pas à combler sur le long terme cette pénurie de personnel, les entreprises ne seront plus en mesure de répondre aux commandes des clients. Les prestations devront donc être réduites ou exécutées à l’étranger. La place économique perdra de son attrait, ce qui freinera l’implantation de sociétés en Suisse. Au final, nous paierons donc le prix de cette pénurie par une perte de croissance et de prospérité. Il convient de faire face à une telle évolution en unissant nos forces.

Il faut bien comprendre qu’un problème structurel tel que la pénurie de personnel qualifié ne peut être simplement résolu par la politique fédérale. Dans une économie de marché, l’influence des pouvoirs publics est forcément limitée (tout comme celle des associations, du reste). La Confédération ne décide pas seule non plus. Elle doit coopérer avec les cantons et les communes, ce qui prend du temps.

Par ailleurs, la pénurie de personnel qualifié ne concerne pas seulement le marché du travail. Elle affecte aussi la politique de formation, celle du travail ainsi que les politiques sociale et migratoire. Ces effets transversaux requièrent des mesures dosées très précisément dans chaque domaine politique. Enfin, le fait que le potentiel indigène soit déjà largement épuisé n’annonce pas de rapides succès.

En pratique, l’utilisation complète de ce potentiel recèle souvent d’importants obstacles. Dans certains des groupes de population visés, on observe que des connaissances linguistiques lacunaires, un manque de motivation au travail ou une fiabilité insuffisante s’opposent à l’embauche. D’autres personnes décident de ne pas augmenter leur taux d’occupation en raison de leur parcours individuel et renoncent aux gains qui en découleraient.

Les entreprises sont au cœur du débat


La classe politique dispose donc de peu de possibilités pour atténuer la pénurie de personnel qualifié. C’est pour cela qu’elle fonde beaucoup d’espoir sur l’initiative contre la pénurie de personnel qualifié. Elle attend également que les entreprises adoptent un comportement politiquement correct en matière de recrutement, lors de la mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration de masse. Rappelons à ce propos que ce sont les entreprises novatrices qui ont besoin de personnel qualifié et qui sont à l’origine du débat.

La principale tâche des pouvoirs publics est donc d’aboutir à des conditions-cadres favorables à l’économie. Il s’agit d’entretenir et de continuer à développer un système de formation axé sur le marché du travail, mais aussi que ce dernier reste libéral, flexible et ouvert. En ce qui concerne les assurances sociales, il faut inciter à l’exercice d’une activité rémunérée. La politique la plus efficace est dès lors celle qui crée les conditions permettant aux acteurs du marché du travail d’éliminer les carences de manière responsable et dans leur propre intérêt. La sagesse d’une telle politique permet de pallier au mieux une pénurie structurelle de main-d’œuvre qualifiée.

La classe politique doit connaître ses limites


Les réflexions précédentes amènent à conclure que la discussion sur la pénurie de personnel qualifié doit davantage se rapporter aux entreprises connaissant des problèmes de recrutement. La classe politique, quant à elle, doit admettre ses propres limites plutôt que de tomber dans le piège de l’activisme. Des succès hâtifs, ponctuels et isolés ne combleront pas la pénurie de personnel qualifié. Il faut, à cette fin, œuvrer de manière durable et mûrement réfléchie dans les principaux domaines politiques concernés : le marché du travail, la formation et le social.

À cet effet, les indicateurs et les rapports de base produits par la Confédération sont utiles tant aux politiciens qu’aux entrepreneurs et aux associations. Ces instruments fournissent des repères indiquant aux entreprises comment mettre en œuvre des stratégies efficaces de gestion du personnel qualifié. Une plateforme d’information numérique récemment mise en ligne, sur laquelle la Confédération, les cantons et les partenaires sociaux conjuguent leurs efforts, est une autre manière pragmatique d’intensifier les échanges d’expériences nourries de la pratique.

Proposition de citation: Valentin Vogt (2016). Prise de position: La pénurie de personnel qualifié doit être discutée dans la perspective des entreprises. La Vie économique, 22 septembre.