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Une numérisation plus sévère pour les zones rurales que pour les villes

Les mutations structurelles toucheront davantage les campagnes que les villes. C’est ce que révèle une étude en cours de la Haute école de Lucerne sur les effets régionaux de la révolution numérique. Les écarts de richesse entre zones urbaines et rurales risquent de s’accentuer.
Les villes sont davantage préparées à la révolution numérique que les campagnes. Zurich avec sa Prime Tower en arrière-plan.

Le progrès technique accélère les mutations structurelles dans l’économie. La révolution numérique et la robotisation modifient de fond en comble la production tant des biens que des services. De plus en plus d’activités peuvent être automatisées. Que l’on pense par exemple aux camions autopilotés.

L’accélération des mutations risque de faire disparaître de nombreuses activités à relativement brève échéance. Dans une étude très remarquée parue en 2013, Carl Benedikt Frey et Michael Osborne, de l’université d’Oxford, ont cherché à savoir quels emplois étaient menacés par le numérique. Pour cela, ils ont estimé qu’aux États-Unis, quelque 700 professions pourraient être informatisées et donc robotisées ces vingt prochaines années. Selon leurs prévisions, 47 % des emplois du pays seraient menacés.

Comparé à d’autres travaux, ce chiffre est plutôt élevé. Il n’en demeure pas moins que si 20 % ou 50 % seulement des emplois disparaissaient, la réalité serait la même. Les mutations qui s’annoncent obligeront les actifs occupés à évoluer et à s’adapter. La question est d’autant plus préoccupante que nul ne sait encore à quelles professions la révolution numérique donnera le jour, ni combien d’emplois elle créera.

Outre les emplois potentiellement menacés, il faut aussi s’intéresser à leur répartition géographique. Dans une étude en cours, un groupe de chercheurs de la Haute école de Lucerne analysent l’impact des mutations structurelles sur les diverses régions suisses. Pour ce faire, ils utilisent les informations figurant dans l’Enquête suisse sur la population active de 2015, menée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) auprès de plus de 40 000 actifs occupés. En appliquant les taux de probabilité de Frey et Osborne à ces données, on peut évaluer l’intensité des mutations structurelles dans les différentes régions du pays.

Les diplômés universitaires habitent en ville


Les emplois menacés ne se répartissent pas de la même manière entre la ville et la campagne. Les habitants des régions peu urbanisées ont plus de risque de perdre leur emploi (57 %) que ceux qui vivent en ville (46 %). La moyenne nationale s’élève à 51 %.

Cet écart ville-campagne s’explique principalement par les différences de formation (voir illustration 1). Le phénomène est particulièrement marqué pour les diplômes universitaires : en zone urbaine, près de 40 % des actifs occupés en ont un, contre seulement 17 % à la campagne. En revanche, la formation professionnelle est plus fortement représentée en région rurale : elle y est de 20 points plus élevée qu’en ville.

Ill. 1. Niveaux de formation selon le degré d’urbanisation




Source : Espa (OFS), Willimann et Käppeli / La Vie économique

La menace sur l’emploi varie considérablement entre les deux types de diplômes, qui sont aussi les plus répandus : 65 % des emplois occupés par des personnes issues de la formation professionnelle sont menacés, contre 25 % chez les universitaires (voir illustration 2). Les mutations structurelles devraient donc particulièrement malmener les premiers dans les décennies à venir. La formation tout au long de la vie, qui devient de plus en plus un credo général, s’adressera tout spécialement à eux, s’ils veulent continuer à travailler. Cette question concernera tant les actifs occupés que les établissements de formation.

Ill. 2. Répartition et intensité de la menace sur l’emploi selon les niveaux de formation




Source : Espa (OFS), Frey et Osborne (2013), calculs de Willimann et Käppeli / La Vie économique

Des régions périphériques très exposées


L’analyse géographique montre que les menaces pesant sur l’emploi sont en légère augmentation dans la région bernoise, en Suisse centrale et en Suisse orientale : 53 % des postes sont ainsi concernés. Ces trois régions sont un peu moins urbanisées que les autres. À l’inverse, celle de Zurich, fortement urbanisée, compte un moins grand nombre d’emplois menacés (47 %).

Une analyse régionale plus fine étaye ces constatations (voir illustration 3) : la part des emplois menacés est inférieure à 50 % non seulement à Zurich, mais aussi dans les régions très urbanisées de Bâle, Berne, Lugano, Genève et Lausanne. Par contre, dans les zones périphériques à forte vocation rurale, les taux dépassent parfois 60 %. Pour quelques régions peu urbanisées, la fiabilité de ces chiffres est toutefois limitée en raison de la faiblesse de l’échantillon.

Ill. 3. Part des emplois menacés pour la population résidante, par régions


 

Source : Espa (OFS), Frey et Osborne (2013), calculs de Willimann et Käppeli / La Vie économique

Les résultats obtenus jusqu’à présent montrent que les mutations structurelles sur le marché du travail toucheront principalement les plus faibles. Ce qualificatif s’applique ici tant aux régions périphériques structurellement fragiles qu’aux personnes à faible niveau de formation. La question se pose de savoir comment ces actifs occupés s’en tireront et comment les régions touchées feront face aux mutations structurelles. Une question tout aussi décisive sera de savoir à quels emplois ces changements donneront naissance, quelles qualifications ils exigeront et où ils seront créés. Cela dépendra pour une grande part de la capacité d’adaptation des actifs occupés et de la flexibilité des régions. Ces transformations risquent d’accentuer les écarts de richesse non seulement entre les régions, mais aussi au sein de la population.

La révolution numérique menace particulièrement les emplois en campagne. Paysan en Léventine.

Proposition de citation: Ivo Willimann ; Stephan Käppeli ; (2017). Une numérisation plus sévère pour les zones rurales que pour les villes. La Vie économique, 28 avril.