Rechercher

La prévoyance par capitalisation dans un univers de taux d’intérêt bas

Dans la situation actuelle de taux bas généralisés, le système de prévoyance par capitalisation du deuxième pilier ne peut offrir aucune certitude en matière de rentes. Dès lors, des prestations minimales de politique sociale n'ont plus leur raison d'être dans la prévoyance professionnelle.
Pour que les caisses de pension puissent tenir leurs promesses, elles doivent prendre davantage de risques sur le marché des capitaux.

Absorbés par la Prévoyance vieillesse 2020, le public et le monde politique ne semblent actuellement pas faire grand cas des problèmes que posent au système suisse de prévoyance des taux d’intérêt historiquement bas. Pourtant, les difficultés qui s’annoncent sont tout sauf négligeables. Dans sa conception actuelle, le système de prévoyance professionnelle ne reflète pas la situation des marchés de capitaux ni les risques afférents. En l’état, ce sont les générations à venir qui en paieront le prix.

Les taux bas compromettent la sécurité des rentes de vieillesse


Pour garantir les rentes projetées, un système basé sur la capitalisation doit bénéficier de rendements suffisamment élevés. La prévoyance professionnelle se donne pour objectif d’assurer des rentes en fonction du salaire, généralement celui perçu avant l’âge de la retraite. Pour cette raison, le rapport entre le rendement du capital et la progression du salaire revêt une importance décisive.

À ce rapport s’attache une « règle d’or » : si le rendement du capital est au moins aussi élevé que la progression du salaire et si le taux de conversion des rentes (TC) est fixé à 7,2 % indépendamment du rendement du capital, on peut s’attendre, sur la base de bonifications de vieillesse totalisant 500 % (somme de tous les prélèvements en pourcentage du salaire), à une rente correspondant à 36 % au moins du dernier salaire. En y ajoutant l’AVS, on obtient un taux de remplacement du salaire de 60 % au minimum[1].

Si toutefois le rendement du capital reste inférieur à la croissance du salaire et si, au surplus, le taux de conversion des rentes est adapté au rendement effectif du capital, cette promesse ne peut plus être tenue (voir tableau 1). Or, c’est exactement le cas lorsqu’on effectue les calculs sur la base de l’actuelle rémunération sans risque. Une telle situation remet-elle en cause l’efficacité du financement par capitalisation ?

Tableau 1. Croissance du salaire, rendement du capital et taux de remplacement du salaire avec un taux de conversion des rentes (TC) conforme au marché des capitaux











  Croissance du salaire 0% 1% 2% 3% 4% Taux de rempacement
Rendement du capital
0% 25,0% 21,5% 18,7% 16,5% 14,7% 5,0%
1% 32,6% 27,7% 23,9% 20,8% 18,4% 5,5%
2% 42,7% 35,9% 30,6% 26,4% 23,0% 6,1%
3% 56,4% 46,8% 39,4% 33,6% 29,0% 6,7%
4% 74,9% 61,4% 51,1% 43,1% 36,8% 7,4%


Remarque : les chiffres se rapportent à une durée de cotisation de quarante ans et à une période de perception des rentes de vingt ans. Les cotisations sont calculées sur la base des pourcentages de salaire effectifs, liés à l’âge. Les bonifications de vieillesse totalisent 500 %. Le taux d’intérêt utilisé pour calculer le taux de remplacement du salaire correspond au rendement du capital pendant la durée de cotisation.

Source : calculs des auteurs / La Vie économique

Hypothèses de rémunération étrangères aux réalités du marché


On peut, dès lors, se demander si un taux d’intérêt sans risque est réellement une référence pertinente pour l’interprétation de la règle d’or. Selon la conception courante des bases légales contenues dans la LPP[2], le versement des prestations de vieillesse doit être garanti. De plus, le montant des rentes ne peut être raccourci ultérieurement. Cela signifie qu’au moment de la fixation d’un paiement qui devra être honoré par la suite, le taux sans risque est effectivement déterminant. La structure actuelle des échéances des taux sans risque montre, par exemple, que pour un franc versé dans vingt ans, il faudrait investir aujourd’hui 0,957 franc dans des obligations de la Confédération (voir tableau 2) – autant dire que le montant des cotisations serait exorbitant.

Tableau 2. Structure des échéances des taux d’intérêt sans risque






Durée des obligations de la Confédération 1 an 2 ans 3 ans 4 ans 5 ans 6 ans 7 ans 8 ans 9 ans 10 ans 20 ans 30 ans
Taux au comptant des obligations de la Confédération –0,63 % –0,77 % –0,80 % –0,72 % –0,59 % –0,47 % –0,35 % –0,25 % –0,17 % –0,10 % 0,22 % 0,33 %
Apport à effectuer aujourd’hui pour avoir un franc dans x années 1.006 1.016 1.024 1.029 1.030 1.028 1.025 1.020 1.015 1.010 0.957 0.907


 Anmerkung

Remarque : valeurs de fin de mois, mars 2017.

Source : BNS, calculs des auteurs / La Vie économique

Les conséquences de cette situation n’apparaissent pourtant pas dans les feuilles de route des caisses de pension, de sorte que le problème reste largement méconnu. Les taux d’intérêt techniques qui sont appliqués pour actualiser les futures prestations[3] dépassent toujours largement les taux d’intérêt sans risque effectivement déterminants. Ceux-ci sont proches de zéro, alors que la médiane du taux appliqué est de 2,5 % dans les caisses de droit privé et de 3,25 % dans les caisses à primauté des prestations[4]. Le degré de couverture mis en évidence sur cette base donne donc une image bien trop optimiste de la capacité des caisses à financer effectivement plus tard – sans risque – les prestations promises.

Il est vrai que les taux techniques sont revus à la baisse depuis des années, mais manifestement bien trop peu encore. Les taux appliqués ne donneraient une image correcte que si les caisses pouvaient réellement investir leur fortune de manière à obtenir le taux technique, grâce à des actions, à des placements immobiliers ou à des obligations d’entreprises. Cela revient toutefois à s’écarter de l’objectif de rentes sûres, même avec un horizon long de cotisations et de placements.

Il en va de même pour les caisses à primauté des cotisations : elles sont obligées de servir le taux d’intérêt minimal LPP fixé chaque année par le Conseil fédéral, qui dépasse depuis plus de vingt ans le taux sans risque (voir illustration 1). Si l’on ne veut pas risquer de voir baisser le taux de couverture, cet objectif ne pourra être tenu qu’avec des placements plus rémunérateurs. Inversement, on ne pourra pas garantir les rentes ainsi financées.

Ill. 1. Taux d’intérêt minimal LPP et taux d’intérêt sans risque à un an




Source : BNS, Ofas, OFS, calculs des auteurs / La Vie économique

Un recours aux placements à risque est inévitable


Bref, la conclusion est aussi simple que limpide : dans cet univers de taux bas, voire nuls, obtenir des rendements positifs n’est possible qu’à l’aide de primes de risque, autrement dit d’investissements à risque. D’aucuns prétendent que des actions ou des placements immobiliers ne présentent pas vraiment de risques élevés sur le long terme. Ils ne tiennent pas compte du fait (indépendamment de la fragilité d’une telle affirmation) que les placements de ce type n’assurent ipso facto aucune prime de risque sur la durée.

Si cependant les risques sont inévitables, un système de prévoyance par capitalisation est en contradiction avec l’exigence actuelle de rentes sûres dépendant du niveau des salaires. Pour l’heure, cette situation est occultée : chaque franc versé – ou seulement bonifié – à titre de rente sans coefficient de risque constitue donc une charge pour les générations à venir. Cet effet de redistribution pénalisant les jeunes au profit des personnes âgées se chiffre en milliards par année, comme l’indiquent diverses estimations[5]. Il est toutefois invisible et insensible, puisque jusqu’ici les rentes ont toujours été versées sans restriction et que les mesures d’assainissement ont toujours été prises sur le dos de la population active.

De même, du point de vue de la science économique, il y a peu de sens à assimiler la rémunération du capital selon la règle d’or à la rémunération sans risque de la dette publique. En macroéconomie, un système de prévoyance par capitalisation doit se financer par le produit du capital réel de l’économie nationale, dans lequel les dettes de l’État n’entrent en principe que pour une faible part. Or, le produit des actions, des biens immobiliers ou des investissements d’entreprises à long terme est par nature lié à des risques, au surplus insuffisamment diversifiés et compensés de ce fait par une prime de risque sur le marché des capitaux.

Pour la comparaison de la croissance en valeur nominale du salaire selon le tableau 1, on peut prendre par exemple le rendement du capital moyen d’un portefeuille LPP type[6], plutôt que la rémunération sans risque. La règle d’or est alors respectée (voir illustration 2).

Ill. 2. Croissance des salaires et des rendements du capital : portefeuille sans risque et portefeuille LPP type




Source : OFS/BNS, Pictet, calculs des auteurs/ La Vie économique

Les bases légales autorisent-elles les placements à risque ? La réponse est affirmative pour la partie surobligatoire, bien que cette souplesse en matière de placements puisse être encore mieux exploitée. En ce qui concerne le régime obligatoire, l’exigence de sécurité est souvent surinterprétée. Le législateur parle de « maintenir de manière appropriée » le niveau de vie antérieur et d’assurer la « sécurité de la réalisation des buts de prévoyance » ; il n’évoque pas la sécurité des rentes. Enfin, le calcul du taux d’intérêt minimal LPP intègre, d’après la loi, des éléments déterminants comme le rendement « des actions, des obligations et de l’immobilier », ainsi que celui des obligations de la Confédération[7]. La logique voudrait donc qu’on associe au calcul des rentes la valeur future de ces éléments, plutôt que de tendre à un intérêt rémunérateur minimal sans risque.

On peut se demander comment les risques nécessairement associés à un système de financement par capitalisation peuvent être assumés par les moyens dont dispose la politique sociale. La conception que l’on a de notre système de prévoyance exige un minimum de sécurité pour les rentes. Celui-ci doit, toutefois, se limiter à un minimum existentiel qui reste à définir. Savoir si l’AVS actuelle, avec ou sans prestations complémentaires, remplit cette exigence est discutable. Il s’agit toutefois ici d’une question relevant de la politique sociale, qui doit recevoir une réponse indépendamment de l’épargne de prévoyance liée à la formation individuelle de capital. En conclusion, il paraît indiqué de dissocier les prestations minimales définies par la politique sociale et la constitution d’épargne de prévoyance par capitalisation.

  1. La somme des bonifications de vieillesse (500 %), multipliée par un TC de 7,2 %, donne (approximativement) une rente de 36 % du dernier salaire perçu, quand le salaire progresse parallèlement au rendement du capital. Ce taux de remplacement du salaire est indépendant du niveau de la progression salariale et du rendement du capital. []
  2. Art. 1 LPP ; art. 15, al. 2, LPP ; art. 50, al. 2, OPP 2. []
  3. Dans les caisses à primauté des prestations, les taux d’intérêt techniques servent à calculer le capital de prévoyance (CP) des assurés actifs. Dans tous les types de caisses, ils permettent de calculer les CP des bénéficiaires de rentes. Le taux de référence de la Chambre suisse des experts en caisses de pensions (CSEP), actuellement de 2,25 %, ne sert que de limite supérieure au CP des rentiers. Le taux à appliquer est fixé par l’organe compétent de la caisse de pension. []
  4. PPCmetrics (2016), p. 5. []
  5. Selon Credit Suisse (2017), p. 15-16, et calculs des auteurs. []
  6. Rendements de l’indice LPP2000 de Pictet & Cie avec une part d’actions de 40 %. []
  7. Voir les sources juridiques sous la note 2. []

Bibliographie

  • Credit Suisse, Sondage caisses de pension suisses – Taux bas et démographie, les défis majeurs, 2017.
  • PPCmetrics, 2. Säule 2016. Analyse der Geschäftsberichte von Pensionskassen, 2016.

Bibliographie

  • Credit Suisse, Sondage caisses de pension suisses – Taux bas et démographie, les défis majeurs, 2017.
  • PPCmetrics, 2. Säule 2016. Analyse der Geschäftsberichte von Pensionskassen, 2016.

Proposition de citation: Yvonne Seiler Zimmermann ; Heinz Zimmermann ; (2017). La prévoyance par capitalisation dans un univers de taux d’intérêt bas. La Vie économique, 22 juin.