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Des stratégies pour ouvrir de nouvelles sources de création de valeur

L’accélération des mutations structurelles érode la base économique des régions de montagne. Une étude du groupe de réflexion Avenir Suisse montre comment renforcer les sources de création de valeur existantes et en générer de nouvelles. Pour ce faire, chaque région doit mettre au point sa stratégie spécifique et définir son profil particulier.
Les fusions de communes améliorent l'efficience des structures. La Landsgemeinde de Glaris a décidé, en 2006, de ramener les 25 communes du canton à 3.

Les classements économiques révèlent les faiblesses structurelles des régions de montagne. Ainsi, les dix derniers rangs de l’Indicateur de compétitivité des cantons, établi par l’UBS, sont exclusivement occupés par des cantons montagnards. L’étude plus détaillée de 108 régions suisses montre également un clivage entre les montagnes et le Plateau. À examiner de plus près les cinquante indicateurs distincts qui sont à la base du classement, il apparaît que seule une partie du mauvais résultat est attribuable à la « fatalité topographique », soit à la difficulté d’accès et à la faible densité de l’habitat (voir illustration 1). Une bonne politique peut améliorer les facteurs d’implantation, tels que les finances publiques et les systèmes régionaux d’innovation, y compris dans les régions de montagne. Comment ? C’est ce que démontre une étude du groupe de réflexion Avenir Suisse[1].

Ill. 1. Forces et faiblesses de plusieurs cantons de montagne




Source : UBS (2016) / La Vie économique

Les régions de montagne, qui couvrent à peu près la moitié du territoire suisse, sont extrêmement diverses. Suivant le contexte régional, les moteurs de croissance potentiels peuvent diverger. Quelques régions profitent de la proximité des centres urbains du Plateau ; dans d’autres, les destinations touristiques sont les premières sources de valeur ajoutée. Ailleurs encore, le potentiel de développement économique est attribuable à la présence de nœuds de transport ou de grandes entreprises et leurs réseaux de fournisseurs. À chaque région de mettre au point sa stratégie de développement économique en se fondant sur ses forces, ses faiblesses, ses chances et ses risques spécifiques.

Les communes de montagne doivent regrouper leurs forces


Pour maîtriser les mutations structurelles, il faut que les régions de montagne regroupent leurs forces et surmontent le morcellement de leurs structures. Elles doivent en particulier améliorer leur collaboration à l’échelle des espaces fonctionnels, comme les agglomérations ou les destinations touristiques, par exemple en mettant au point des programmes d’agglomération ou des stratégies de destination. Dans les régions de montagne, le principal modèle d’espace fonctionnel est toutefois la vallée entière, qui forme une unité économique et sociale. Les diverses sollicitations territoriales des bas de vallée – habitat, trafic, agriculture – entraînent des conflits d’exploitation, d’où la nécessité de coordonner l’aménagement du territoire au-delà des limites communales (problématique dite des bas de vallée).

Entre 2000 et 2015, les régions de montagne ont connu 43 fusions de vallées entières ou de portions de vallée. Ces nouveaux ensembles regroupent en moyenne 5,5 communes. La moitié des fusions ont été le seul fait de deux cantons, les Grisons (15) et le Tessin (8). La plupart résultent d’initiatives locales, mais les cantons peuvent les favoriser en éliminant par exemple les incitations inappropriées que contient la péréquation financière intracantonale. Il existe d’autres possibilités que les fusions de vallées. Ce sont les associations régionales à buts spécifiques et les instruments de coordination en matière d’aménagement du territoire (directives régionales, par exemple).

Repenser le tourisme alpin


Le tourisme est la pierre angulaire de l’économie montagnarde. Dans de nombreuses régions, son importance peut même être considérée comme systémique du fait de son impact sur les autres secteurs. Or, le tourisme alpin classique se trouve actuellement en pleine mutation, Dans de nombreux cas, les structures affaiblies ferment et celles qui réussissent s’étendent. Ainsi, le nombre d’hôtels a eu beau diminuer de 12 % entre 2005 et 2015, le nombre total des lits n’a pas varié.

Il en va de même dans les stations de sports d’hiver. Alors que de petits domaines skiables ferment, de grandes entreprises de remontées mécaniques investissent parfois massivement. Quelques destinations exclusives peuvent affronter la cherté des coûts suisses en misant sur le segment du luxe. D’autres localités touristiques devraient se spécialiser elles aussi et poursuivre des stratégies propres. À titre d’exemple, citons Vals (GR), devenu centre de bien-être, ou Grächen (VS), un lieu de vacances en famille. Une autre direction possible est de fusionner les organisations régionales de marketing, comme celle de la Haute-Engadine ou la société de promotion du Valais, ou encore de créer des marques faîtières comme « Les Grisons ». Il importe aussi d’innover en matière de produits et de regrouper les objets proposés, comme le montre l’exemple de l’Arène blanche à Flims. La Confédération promeut la mutation du tourisme, en particulier par un programme d’impulsion de la Nouvelle politique régionale (NPR) et le programme d’innovation Innotour.

Le secteur des résidences secondaires, une occasion à saisir


Dans de vastes parties des Alpes suisses, la construction de résidences secondaires a longtemps été le principal moteur du bâtiment. Or, elle s’est largement figée suite à l’adoption de l’initiative sur les résidences secondaires. Pour préserver la création de valeur dans le secteur du bâtiment, il faut rediriger les investissements vers un renouvellement du parc immobilier, ce qui nécessite des stratégies adéquates. La réglementation généreuse sur la transformation de résidences principales en résidences secondaires fait certes sens, économiquement parlant, mais elle peut entraîner, dans certaines circonstances, l’exode de la population locale du centre vers la périphérie (effet dit « doughnut »). Cependant, l’immense parc immobilier de 350 à 400 000 résidences secondaires dans les régions de montagne suisses (voir illustration 2) ne pose pas que des problèmes. Il ouvre aussi des perspectives.

De nouveaux modèles d’affaires en parahôtellerie, les plateformes de location en ligne, mais aussi les incitations à louer, liées aux taxes sur les résidences secondaires, pourraient aider à transformer les lits « froids » en lits « chauds », et créer de la valeur ajoutée dans le secteur touristique. On ne devrait, cependant, introduire des taxes sur les résidences secondaires qu’à condition de les intégrer dans une stratégie claire. La seconde grande possibilité consiste à faire des propriétaires de résidences secondaires et de leurs familles – soit environ un million d’individus – des investisseurs, des fournisseurs d’idées et des miliciens. Ces personnes possèdent en effet toutes les capacités requises pour accompagner les mutations structurelles et ont des liens affectifs avec la montagne. Pour les mobiliser et les impliquer dans les processus de décision politiques, on pourrait par exemple créer un « conseil des propriétaires de résidences secondaires » au niveau communal. Un interlocuteur des propriétaires de résidences secondaires, chargé de tâches analogues à celles des délégués aux anciens étudiants universitaires, aurait le même effet.

Ill. 2. Proportion et nombre de résidences secondaires par canton (2015)




Remarque : ces chiffres comprennent aussi les résidences secondaires commercialisées et celles habitées à la semaine. Ils sont donc plus élevés que ceux résultant de la définition étroite de la loi sur les résidences secondaires.

Source : OFS, Müller-Jentsch (2017) / La Vie économique

Promouvoir les pôles sectoriels et les systèmes d’innovation


La concentration géographique des activités économiques renforce la compétitivité d’une région par effet de maillage. De tels pôles se trouvent aussi dans les régions de montagne – pour peu que l’on y regarde de plus près. Les agglomérations urbaines en constituent une première catégorie. Dans le tourisme, certaines grandes destinations ont formé de tels pôles sectoriels régionaux. On trouve des concentrations industrielles dans la partie grisonne de la vallée du Rhin, tandis que l’industrie horlogère jurassienne forme elle-même un puissant pôle technologique exportateur au cœur des montagnes suisses. Le potentiel d’innovation existe donc tout particulièrement dans les régions de montagne, que ce soit dans l’artisanat ou l’agriculture, comme le prouvent l’École internationale du bois de construction dans le Vorarlberg ou celle de la culture de fruits dans le Haut-Adige.

Les établissements de formation tertiaire sont des points d’ancrage importants pour les systèmes d’innovation régionaux. On note dans les régions de montagne quelques initiatives destinées à les renforcer. Ainsi, le Tessin est parvenu à créer sa propre université. Le Valais a trouvé en l’EPFL un partenaire externe fort pour établir à Sion un campus sur lequel sont regroupées des institutions déjà existantes. Comme les établissements de formation tertiaire situés à la montagne manquent souvent de masse critique, il leur faut se spécialiser davantage dans des compétences importantes régionalement, afin d’affuter leur profil en matière de formation.

Chercher de nouvelles solutions


Les régions périphériques et peu habitées sont aussi considérées comme « à faible potentiel ». Elles souffrent souvent du vieillissement démographique, de l’exode des personnes actives et d’une érosion des structures économiques. Le simple subventionnement destiné à freiner ces processus de décroissance coûte cher et est peu efficace. Tabouiser les problèmes complique la recherche de nouvelles solutions. Il faut ainsi des approches pragmatiques en faveur d’un service public bon marché, comme les systèmes de bus sur appel ou les agences postales installées dans les magasins des villages. Il faut encore des stratégies pour développer des secteurs spécifiques, synonymes de valeur ajoutée.

Il existe en effet des services pour lesquels l’éloignement est un avantage compétitif, comme les internats ou les cliniques de rééducation. La numérisation crée elle aussi de nouvelles possibilités, par exemple le travail à distance ou la vente en ligne de produits régionaux. La création récente de plusieurs parcs naturels régionaux est l’occasion de mettre le paysage en valeur et de développer des chaînes de création de valeur dans le tourisme « doux ». Souvent, les régions périphériques ne manquent pas de potentiel, mais d’acteurs susceptibles de le réaliser. C’est pour cette raison qu’elles doivent mobiliser les propriétaires de résidences secondaires, pour en faire des acteurs du changement.

Il existe, cependant, des régions où les processus de décroissance sont si avancés que des stratégies de « retraite ordonnée » s’imposent. Redouter d’envisager de telles solutions paraît exagéré, car les formes d’exploitation extensive ont une longue tradition en montagne, comme le prouvent les mayens ou les vallées « à occupation temporaire », exploitées seulement durant l’été. On trouve en outre des exemples novateurs, comme la transformation de « rustici » tessinois en résidences secondaires, autorisée à condition que le terrain cultivable attenant soit entretenu. En rebrassant les fonds NPR disponibles, l’on pourrait promouvoir avec davantage de précision des solutions novatrices en faveur des régions à faible potentiel.

Une gageure pour tous les acteurs locaux


Maîtriser efficacement les mutations structurelles et économiques en cours dans les régions de montagne relève de différents acteurs. Du côté de la Confédération, il semble impératif d’approfondir la politique consacrée à ces régions, laquelle a été jusqu’ici plutôt vague. Le but est de mieux la cibler sur le plan stratégique et d’améliorer sa pertinence au niveau opérationnel. Les représentants des régions de montagne devraient, toutefois, eux aussi repenser leurs rôles. Ainsi, il serait judicieux que la Conférence gouvernementale des cantons alpins (CGCA) cherche à définir des stratégies aptes à mieux maîtriser les mutations structurelles et à mettre en place un pôle national de compétence en matière de régions alpines – par exemple en créant une « Maison des montagnes » à Berne. Les sujets économiques présentent aussi une lacune : il n’y a pas d’instance économique nationale chargée des régions de montagne, à l’instar du Forum économique des Grisons.

En fin de compte, les régions de montagne opéreront sur place leurs mutations structurelles et là, ce sont les acteurs locaux qui sont sollicités. Les entrepreneurs doivent adapter leurs anciens modèles d’affaires et en développer de nouveaux, par exemple dans le tourisme ou la construction. Les cantons et les communes peuvent créer des structures politiques efficaces à travers des réformes foncières et la collaboration au sein d’espaces fonctionnels. Les habitants des régions de montagne – citoyens, miliciens ou salariés – doivent être prêts à accepter l’évolution de leurs structures traditionnelles. Enfin, les propriétaires de résidences secondaires devraient s’impliquer activement dans le processus. Leurs investissements, leur engagement et leur savoir-faire sont plus déterminants pour l’avenir économique des régions de montagne que les transferts financiers de la Confédération.

  1. Le présent article se fonde sur l’étude Un avenir économique pour les régions de montagne. Voir. Müller-Jentsch (2017). []

Bibliographie

Proposition de citation: Daniel Müller-Jentsch (2017). Des stratégies pour ouvrir de nouvelles sources de création de valeur. La Vie économique, 25 septembre.