Rechercher

Suppression du taux plancher : l’industrie est touchée

L’appréciation du franc suite à la suppression du taux de change plancher face à l’euro en janvier 2015 a entraîné, au moins temporairement, des suppressions d’emplois dans l’industrie suisse. Une étude du KOF le montre.
Une décision lourde de conséquences. Thomas Jordan, président de la BNS, annonce, le 15 janvier 2015, la levée du taux plancher.

L’appréciation subite du franc en janvier 2015 a placé l’industrie suisse dans une situation difficile. Suite à la suppression du taux plancher par la Banque nationale suisse (BNS), de nombreux produits indigènes ont renchéri de 10 % quasiment du jour au lendemain.

Une analyse du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EPFZ, menée sur mandat du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), montre que l’industrie a réduit en moyenne de 4,6 % le nombre de ses emplois durant les deux années suivantes[1]. Ce phénomène peut avoir plusieurs causes : les entreprises ont pu tenter de réduire leurs coûts salariaux en Suisse, après l’appréciation du franc, pour améliorer leurs marges bénéficiaires ou pour adapter la production à la diminution de la demande. La baisse de l’emploi pourrait aussi s’expliquer par des tendances à long terme sans rapport avec l’appréciation du franc. On observe en effet, dans nombre d’économies développées, que la part de l’industrie dans le total des emplois régresse continuellement depuis plus de vingt ans. Ainsi, ce ne serait pas tant l’appréciation du franc qui serait en cause que la mondialisation, l’accession de la Chine au rang de nation industrielle ou encore le progrès technique et l’automatisation des processus de production.

L’appréciation de 2015 a fait reculer l’emploi


Afin d’estimer l’impact de l’appréciation du franc, les sociétés suisses ont été comparées à un groupe de contrôle en Autriche. Les entreprises comprises dans ce groupe étaient soumises aux mêmes évolutions sectorielles et internationales, mais elles n’étaient pas concernées par une éventuelle appréciation monétaire[2]. Il apparaît que l’emploi moyen en Autriche – abstraction faite des fortes fluctuations saisonnières – évoluait parallèlement à celui observé en Suisse avant la suppression du taux plancher (voir illustration). Sitôt ce taux supprimé, on observe une nette différence qui peut être interprétée comme un effet causal de l’appréciation du franc suisse.

Évolution moyenne de l’emploi dans des entreprises manufacturières, en Suisse et en Autriche (2013-2016)




Remarque : les données sont logarithmées et normalisées à zéro avant la suppression du taux plancher, soit au quatrième trimestre 2014.

Source : Statem, ASSD ; calculs des auteurs (2017) / La Vie économique

Les divergences commencent après un trimestre. En deux ans, l’appréciation du franc fait reculer l’emploi manufacturier de près de 4 % par rapport au groupe de contrôle. Ainsi, la majeure partie de la baisse de l’emploi mentionnée au début, de 4,6 %, est bien due aux effets à court terme de l’appréciation subite du franc et non pas à des tendances à long terme[3].

Bien que le recul lui-même soit survenu assez lentement, les entreprises suisses ont pris des mesures d’urgence dès l’appréciation du franc. L’analyse montre, en outre, que le nombre de places vacantes au premier trimestre 2015 a baissé en moyenne de 15 % et qu’il ne s’est de nouveau normalisé qu’après un an.

Les secteurs liés au marché intérieur réduisent leurs effectifs


L’appréciation du franc n’a pas seulement frappé les industries exportatrices. Dans les secteurs qui génèrent relativement peu de chiffre d’affaires à l’extérieur (selon une enquête du KOF sur l’innovation), l’emploi a baissé à peu près autant que dans les autres. En ce qui concerne le niveau microéconomique, l’emploi a globalement diminué aussi fortement dans les entreprises orientées vers le marché intérieur que dans celles qui sont tournées pour une part vers l’exportation. Une explication possible de ce résultat est que les prix à l’importation ont beaucoup plus baissé que ceux des entreprises indigènes, de sorte que celles-ci ont davantage souffert de la concurrence des importations.

En revanche, les effets sur les divers secteurs exportateurs sont disparates : ils ont sévèrement touché par exemple les producteurs d’appareils de traitement des données, de produits optiques et électroniques (horlogerie comprise), de même que l’industrie chimique ; de son côté, l’industrie pharmaceutique (un secteur fortement exportateur, mais dont les marges sont élevées) n’a pas réduit ses effectifs par rapport au groupe de contrôle.

L’exception de l’industrie pharmaceutique


L’exemple de l’industrie pharmaceutique porte à penser que les entreprises productives et fructueuses ont été capables de surmonter l’appréciation du franc face à l’euro sans licenciements notables. L’analyse révèle toutefois que la branche pharmaceutique constitue plutôt une exception : les entreprises de taille assez importante et qui connaissent le succès, ont fortement réduit leurs effectifs. Ainsi, le recul moyen de l’emploi est de 7 % dans les grandes entreprises et de 4 % dans les sociétés moyennes, alors que l’on n’observe aucune baisse significative dans les petites. Cette situation pourrait, cependant, tenir au fait que ces dernières ont totalement cessé leur production. Cet aspect n’est pas couvert par l’étude.

Les entreprises d’assez grande dimension qui avaient connu une forte expansion durant l’année précédant l’appréciation du franc ont été particulièrement touchées. Le recul de l’emploi dans ce segment est de 11 % par rapport au groupe de contrôle. Enfin, dans les secteurs connus pour leurs produits novateurs « high-tech », on note que les effectifs ont baissé d’un bon 5 %, un taux qui est même légèrement supérieur à celui des autres secteurs.

Les perspectives de l’industrie restent sombres. Alors que le nombre d’entreprises faisant état d’une augmentation de leurs effectifs au trimestre suivant a baissé en 2015, il n’a toujours pas augmenté fin 2016. Or, les pertes d’emploi estimées vers la fin 2016 se sont stabilisées et le nombre de postes vacants a de nouveau atteint son niveau initial. Il reste à voir si la dépréciation récente du franc face à l’euro suffira pour que l’industrie retrouve le sourire.

  1. Kaufmann et Renkin (2017). Les chiffres se rapportent à une entreprise moyenne de l’industrie manufacturière. En raison de la méthode d’estimation utilisée, l’analyse ne concerne que les sociétés qui emploient au moins dix personnes et qui ont été systématiquement interrogées entre 2014 et 2016. L’échantillonnage n’est certes pas représentatif de l’ensemble des entreprises manufacturières. Il réunit, toutefois, 46 % des emplois du secteur. L’analyse ne couvre pas plus le secteur des services ni les secteurs de l’énergie, du bâtiment et de l’agriculture. []
  2. Les estimations reposent sur les données d’entreprises de Statem/ASSD. Voir Kaufmann et Renkin (2017) et Zweimüller et al. (2009). []
  3. En ce qui concerne les effets à long terme d’une variation du taux de change sur l’emploi dans tous les secteurs, voir l’article de P. H. Egger, J. Schwarzer et A. Shingal dans ce numéro. []

Bibliographie

  • Kaufmann Daniel et Renkin Tobias, Manufacturing prices and employment after the Swiss franc shock, Étude sur mandat du Seco, 2017.
  • Zweimüller Josef, Winter-Ebmer Rudolf, Lalive Rafael, Kuhn Andreas, Wuellrich Jean-Philippe, Ruf Oliver et Büchi Simon, Austrian Social Security Database, NRN : The Austrian Center for Labor Economics and the Analysis of the Welfare State, Working Paper 0903, 2009.

Bibliographie

  • Kaufmann Daniel et Renkin Tobias, Manufacturing prices and employment after the Swiss franc shock, Étude sur mandat du Seco, 2017.
  • Zweimüller Josef, Winter-Ebmer Rudolf, Lalive Rafael, Kuhn Andreas, Wuellrich Jean-Philippe, Ruf Oliver et Büchi Simon, Austrian Social Security Database, NRN : The Austrian Center for Labor Economics and the Analysis of the Welfare State, Working Paper 0903, 2009.

Proposition de citation: Daniel Kaufmann ; Tobias Renkin ; (2017). Suppression du taux plancher : l’industrie est touchée. La Vie économique, 24 octobre.