L’innovation est au centre des préoccupations de la politique économique, car elle permet d’accroître le potentiel de croissance à long terme. Dans une série d’études, les auteurs ont identifié les principaux déterminants de l’innovation en se basant sur l’expérience d’une vingtaine de pays de l’OCDE au cours de la période 1982-2001. Il en est ressorti que les conditions-cadres sont aussi importantes que les politiques spécifiques d’innovation.La première notion recouvre, entre autres, la concurrence, l’ouverture internationale et les financements disponibles. Les politiques d’innovation les plus à même de favoriser le développement de la recherche privée passent par le financement de la recherche fondamentale, la promotion de liens étroits entre le monde académique et les entreprises ainsi qu’une formation universitaire de qualité.
Afin de stimuler la croissance européenne, la stratégie de Lisbonne impose aux membres de l’Union Européenne (UE) d’augmenter leurs dépenses de recherche et développement (R&D), celles-ci devant atteindre 3% de leur PIB d’ici 2010. D’autre pays ont également adopté des objectifs similaires. Cependant, l’innovation est un concept très large, qui va bien au-delà des dépenses de R&D. Techniquement parlant, elle représente l’introduction d’un produit ou d’un procédé nouveau ou du moins sensiblement amélioré. Les activités de R&D, le dépôt de brevets ou autres mécanismes de protection d’une invention sont donc des étapes intermédiaires et n’aboutissent pas toujours à une nouveauté. L’adoption d’innovations réalisées à l’étranger peut faire partie du processus, mais n’est pas comptabilisée dans la R&D et n’augmente pas le nombre de brevets. Les récentes enquêtes menées auprès des entreprises ont permis de créer de nouveaux indicateurs, plus complets et plus proches du produit final de l’innovation. Elles élargissent la notion d’intrants (et de protection des inventions) dans le processus d’innovation et incluent, outre la R&D, l’acquisition de machines spécialisées, de formation et de savoir extérieur nécessaire à l’innovation. Elles renseignent en outre sur la proportion d’entreprises ayant introduit un nouveau produit ou procédé et sur la part de ces nouveaux produits dans leur chiffre d’affaires. Ces chiffres peuvent, toutefois, être sujets à caution, car le caractère novateur d’un produit ou d’un procédé est laissé à l’appréciation de l’entrepreneur et peut donc dépendre de différences culturelles. Il ressort néanmoins de l’étude de l’OCDE qu’il existe une relation étroite entre R&D, dépôts de brevets et innovation. Parmi les pays les plus innovateurs, on compte la Suède, la Finlande, le Japon, les États-Unis et la Suisse (voir graphiques 1 et 2).
Aux sources de l’innovation
L’innovation va de pair avec une croissance vigoureuse, une inflation faible, un taux de change réel synonyme de bonne compétitivité et des taux d’intérêt réels bas, ces derniers affectant directement le coût (d’opportunité) des dépenses de R&D. Cependant, si on compare les performances en termes d’innovation des pays de l’OCDE ainsi que leurs politiques, d’autres facteurs semblent également jouer un rôle crucial, tels que la concurrence, l’ouverture internationale et les financements disponibles.
Concurrence et innovation
En théorie, la relation entre concurrence et innovation est ambiguë. Une entreprise innove pour devancer ou se différencier de la concurrence. Toutefois, si celle-ci dépasse un certain seuil, les gains à espérer d’une innovation peuvent se révéler trop faibles pour justifier des investissements en R&D; sans compter le fait que cette même concurrence réduit les profits et donc les fonds propres nécessaires au financement de l’innovation. En pratique, l’effet de la concurrence sur l’innovation reste clairement positif, que la référence soit la R&D, le dépôt de brevets ou la proportion d’entreprises innovantes. L’effet négatif de la concurrence sur la part des nouveaux produits dans le chiffre d’affaires constitue une exception. Il semble provenir de l’augmentation du pouvoir de marché des entreprises sans pour autant signifier une plus grande capacité d’innovation.
2 Les valeurs exprimés – ici 10% – sont mesurées sur une échelle où 100% représentent les dépenses moyennes de l’OCDE pour la R&D.
3 Le stock de savoir étranger représente la moyenne des stocks de R&D de chaque pays, pondérée par les importations provenant de l’ensemble de l’échantillon. Ainsi, en Australie, aux États-Unis et au Royaume-Uni, le faible degré de réglementation des marchés de produits contribue à accroître la valeur de la R&D de 10%. Les valeurs exprimés – ici 10% – sont mesurées sur une échelle où 100% représentent les dépenses moyennes de l’OCDE pour la R&D. En Suisse, par contre, un pays où la réglementation est très dense, la valeur de la R&D est diminuée de 5%. La réglementation du marché du travail, elle, semble plutôt affecter le type que la quantité d’innovation. Lorsque la réallocation du facteur travail manque de flexibilité, les entreprises tendent davantage à innover dans le domaine des procédés que des produits, en mettant à profit les compétences spécifiques acquises par leurs employés. Bien que cela ne modifie pas les dépenses de R&D et la proportion de firmes innovantes, le dépôt de brevets diminue, les innovations de procédés bénéficiant d’autres méthodes de protection.
L’ouverture internationale
L’ouverture internationale favorise également l’innovation, non seulement parce qu’elle accroît la concurrence sur les mar-chés intérieurs exposés, mais aussi – et peut-être surtout – parce qu’elle donne accès aux inventions réalisées à l’étranger, soit par simple transmission d’informations, l’échange de biens et services, les investissements directs étrangers ou la mobilité des chercheurs. Il ressort de l’étude de l’OCDE qu’un accroissement du stock de savoir étranger stimule les dépenses de R&D et les dépôts de brevets domestiques; ceci est d’autant plus vrai que la capacité d’absorp-tion – mesurée au nombre de chercheurs travaillant dans la R&D domestique – d’un tel savoir est élevée. Le stock de savoir étranger représente la moyenne des stocks de R&D de chaque pays, pondérée par les importations provenant de l’ensemble de l’échantillon. Les pays qui bénéficient le plus de l’ouverture internationale sont la Belgique, l’Irlande, les Pays-Bas et la Suisse.
Le financement, un problème crucial
L’innovation fait principalement appel à l’autofinancement, car le risque qu’elle représente et l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs renchérissent l’accès aux fonds externes. En cas où ceux-ci s’avéreraient nécessaires, le financement par actions – et surtout le capital-risque – semble la voie la mieux indiquée. En effet, les investisseurs en capital-risque ont en général une longue pratique qui réduit l’asymétrie d’information et leur permet de donner des conseils à l’entrepreneur. L’expérience des pays de l’OCDE montre que la performance dans l’innovation croît avec la profitabilité des entreprises et la capitalisation du marché boursier. Un lien a également pu être établi entre le développement du capital-risque et la diminution des contraintes dans le financement de l’innovation. En se basant sur ces indicateurs (sauf en ce qui concerne le capital-risque), les pays qui présentent les conditions financières les plus favorables à l’innovation sont la Norvège, le Royaume-Uni et la Suisse, où la valeur de la R&D présente une différence de plus de 10%. L’Autriche et le Danemark disposent, par contre, des conditions les moins favorables. Notons que, en Suisse, le capital-risque res-te modeste par rapport aux États-Unis, au Royaume-Uni ou d’autres pays européens.
Créer un cadre favorable à l’innovation
Certaines politiques spécifiques d’innovation jouent également un rôle important. Il ressort ainsi de l’examen des pays de l’OCDE que la recherche publique est particulièrement stimulante pour l’innovation. En effet, la recherche fondamentale est une source importante d’avancées scientifiques et technologiques qui ouvrent de nouvelles possibilités de recherche appliquée aux entreprises. Un soutien public est souvent nécessaire pour ce type de recherche car ses débouchés commerciaux sont souvent incertains et peuvent ne survenir qu’à très long terme. Bien qu’il existe une certaine concurrence entre recherche publique et privée au niveau des chercheurs – le fait que ceux-ci se trouvent en nombre limité peut mener à des hausses de salaires -, l’effet net de la recherche publique sur la R&D des entreprises est clairement positif. En Suède et en Finlande, l’importance de la recherche publique se répercute sur la R&D des entreprises et contribue à accroître son intensité d’à peu près 25%; en Suisse, elle est à peu près dans la moyenne.
Améliorer l’impact de la recherche publique
Pour améliorer l’impact de la recherche publique, il est essentiel de stimuler les liens entre le monde académique et les entreprises. De plus en plus d’initiatives ont été prises dans ce domaine par différents pays. Ainsi, les universités sont invitées à faire davantage usage de leurs droits de propriété intellectuelle, et beaucoup d’entre elles mettent sur pied des offices de transfert technologique afin de promouvoir l’utilisation commerciale de leurs découvertes. De nombreux pays tentent également de stimuler la coopération entre universités et entreprises pour développer de nouveaux produits ou procédés, en la subventionnant même financièrement à l’instar de l’Agence pour la promotion de l’innovation CTI en Suisse. Les liens entre universités et entrepri-ses sont difficiles à mesurer mais en utilisant un indicateur partiel – la part de la R&D publique financée par le secteur des entreprises -, l’étude de l’OCDE confirme que leur simple existence tend à stimuler la recherche dans les entreprises.
Une aide financière directe à l’impact modéré
La plupart des pays octroient une aide financière directe aux activités de recherche privée, sous forme d’incitations fiscales ou de subsides directs. D’un point de vue théorique, cela peut se justifier dans certains cas;4 pratiquement, leur efficacité est difficile à évaluer. Une relation positive entre subsides directs et R&D des entreprises pourrait, par exemple, signifier que les autorités sont plus enclines à octroyer des subsides directs aux entreprises qui ont déjà fait leurs preuves en recherche, et pas que ceux-ci ont eu un effet stimulant sur la recherche privée. Dans le cas des incitations fiscales ouvertes à tout innovateur, au moins une partie de leur corrélation positive avec la recherche privée pourrait résulter d’une reclassification des dépenses affectées par les entreprises à la recherche, afin de bénéficier des déductions fiscales ou crédits d’impôts. L’étude de l’OCDE suggère que l’aide directe a en général un impact positif sur la R&D des entreprises, mais celui-ci reste souvent modeste. Par ailleurs, l’effet des incitations fiscales est plus important que celui des subsides directs, bien que l’efficacité de ces derniers s’accroisse lorsque la profitabilité de l’entreprise est faible. Il faut également garder à l’esprit que l’octroi d’incitations fiscales et de subsides directs a un coût qui doit être financé soit par une augmentation des taxes ou la réduction d’autres dépenses publiques. Plusieurs pays, dont la Suisse, ont atteint un niveau de R&D qui figure parmi les plus élevés avec de faibles niveaux d’aide directe.
Les droits de la propriété intellectuelle
Les droits de propriété intellectuelle (DPI) sont considérés comme un important stimulant de l’innovation, car ils permettent à celui qui en a la paternité d’en conserver, dans une certaine mesure, le monopole. Ils favorisent également la diffusion d’information sur les inventions et contribuent ainsi à réduire le nombre de recherches en double, car en l’absence de protection formelle, les inventeurs décideraient sans doute de ne rien révéler de leur invention. La protection des DPI a eu tendance à se renforcer et on observe une certaine convergence entre les pays de l’OCDE. Cependant, la relation entre DPI et innova-tion est complexe. Un excès de DPI peut freiner la poursuite de l’innovation, par exemple si elle bloque l’accès aux connaissances et instruments de recherche nécessaires dans des domaines où les processus sont cumulatifs, comme en biotechnologie et dans les technologies de l’information et de la communication (TIC). Bien que l’étude de l’OCDE ne remette pas en question le bien-fondé des DPI, elle souligne, cependant, leurs limites et suggèrent de ne pas les renforcer indéfiniment. Il ressort en effet de cette étude qu’un surcroît de protection augmente sensiblement le nombre de brevets déposés, mais ne stimule guère la recherche en entreprise. Par ailleurs, un renforcement des DPI semble affecter l’efficacité des chercheurs, peut-être pour les raisons mentionnées ci-dessus.
Des chercheurs en nombre suffisant
La disponibilité des chercheurs est bien entendu cruciale. Les frais de personnel de R&D constituent en moyenne 50% des dépenses de R&D. Il ressort de l’étude de l’OCDE que l’offre en chercheurs dépend du niveau d’éducation moyen de la population – plus le nombre d‘ étudiants sera important et plus il y‘ aura de diplomés en sciences et ingénierie -, mais aussi des salaires offerts comparés à ceux que les diplômés des autres filières peuvent espérer. Les pays où les conditions salariales sont les meilleures semblent davantage attirer les chercheurs étrangers et retenir leurs nationaux. Il n’y a pas à priori de raison d’interférer avec les mécanismes de marché pour accroître la disponibilité en chercheurs. Néanmoins, il est du ressort de l’État d’assurer une offre suffisante, efficace et de qualité universitaire, qu’elle soit assurée par le secteur public ou privé. Il faut également noter que la réponse des chercheurs aux signaux du marché que représentent les salaires peut prendre quelques années, car la formation d’un scientifique ou d’un ingénieur nécessite de 4 à 5 ans. Ceci pose des limites aux mesures destinées à faire progresser rapidement la R&D dans un pays puisque les ressources supplémentaires affectées à la recherche risquent, dans un premier temps, d’aboutir à des augmentations de salaires pour les chercheurs plutôt qu’à un accroissement de l’offre.
Graphique 1 «R&D du secteur des entreprises, 2003a (en % du PIB)»
Graphique 2 «Patentes triadiques, 2001a (nombre de demandes par million d’habitants)»
Encadré 1: Références – Jaumotte, F. et Pain N., Innovation Policies: Innovation in the Business Sector, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître).- Jaumotte, F. et Pain N., An Overview of Public Policies to Support Innovation, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître).- Jaumotte, F. et Pain N., From Ideas to Development: The Determinants of R&D and Patenting, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître). – Jaumotte, F. et Pain N., From Innovation Development to Implementation: Evidence from the Community Innovation Survey, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître). – OCDE, Les sources de la croissance économique dans les pays de l’OCDE, Paris, 2003.
Encadré 2: Références – Jaumotte, F. et Pain N., Innovation Policies: Innovation in the Business Sector, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître).- Jaumotte, F. et Pain N., An Overview of Public Policies to Support Innovation, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître).- Jaumotte, F. et Pain N., From Ideas to Development: The Determinants of R&D and Patenting, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître). – Jaumotte, F. et Pain N., From Innovation Development to Implementation: Evidence from the Community Innovation Survey, OECD Economics Department Working Paper, Paris, 2005 (à paraître). – OCDE, Les sources de la croissance économique dans les pays de l’OCDE, Paris, 2003.