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Analyse d’impact de la réglementation: la révision du droit des denrées alimentaires

Pour assurer les exportations suisses de lait et de produits laitiers dans l’Union Européenne (EU), le droit suisse des denrées alimentaires doit s’adapter le 1er janvier 2006 à la nouvelle législation communautaire sur l’hygiène. La reconnaissance, par l’EU, de l’équivalence des normes suisses sera également bientôt étendue à tous les produits d’origine animale, en plus du secteur laitier. La réforme simultanée complète de la réglementation sur les denrées alimentaires facilitera à l’avenir des adaptations du même ordre.

Législation alimentaire et adaptation autonome

La sécurité des produits alimentaires «de la ferme à la table» est un principe de la nouvelle législation alimentaire de la Communauté Européenne (CE), censé s’appliquer désormais aussi aux produits suisses. Il ne s’agit pas seulement de reprendre le système complet de sécurité des produits alimentaires en vigueur dans toute l’Europe, mais surtout de s’assurer que les exportations actuelles d’aliments d’origine animale pourront être maintenues et élargies. Dans l’accord avec la CE sur l’agriculture (accords bilatéraux I), la reconnaissance mutuelle des équivalences en matière de prescriptions d’hygiène sur les produits laitiers a permis de réduire les entraves techniques au commerce. L’accord réserve en outre la possibilité d’étendre par la suite cette équivalence aux autres produits alimentaires d’origine animale (produits à base de viande, oeufs, miel). La crise de la vache folle a obligé la CE a mettre en place, ces dernières années, un système européen de sécurité des produits alimentaires, avec de nouvelles dispositions sur l’hygiène et les contrôles.1 Pour que l’équivalence puisse être maintenue, de même que le commerce des produits laitiers, les ordonnances suisses sur l’hygiène des produits alimentaires doivent être adaptées à la nouvelle législation communautaire. En outre, la déclara-tion d’intention du Conseil fédéral Message du 23 juin 1999 relatif à l’approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, 1999, p. 5440 s, ch. 245.121 ss. d’élargir l’équivalence à toutes les denrées alimentaires animales doit désormais être mise en oeuvre. La restructuration complète et l’assouplissement de toutes les ordonnances concernant ce domaine permettra de transposer rapidement, efficacement et à un niveau approprié les futures modifications de la législation alimentaire européenne. L’élaboration des nouvelles ordonnances dans le domaine alimentaire a été effectuée conjointement par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), l’Office vétérinaire fédéral (OVF) et l’Office fédéral de l’agriculture (Ofag).

L’analyse d’impact de la réglementation

La collaboration des services fédéraux s’est aussi étendue à l’analyse d’impact de la réglementation (AIR), laquelle a résulté pour la première fois d’une étude commune des offices fédéraux impliqués ainsi que du Secrétariat d’État à l’économie (seco). Une AIR évalue préventivement les conséquences économiques éventuelles des normes juridiques officielles. De plus en plus utilisé dans de nombreux pays de l’OCDE à la recherche d’une réglementation plus «sensée», on observera, toutefois, que l’idée ainsi que la forme de l’AIR se sont plus vite étendus au plan géographique que dans son contenu spécifique. Le Pr Claudio Radaelli,3 un expert de premier plan en ce domaine en Europe avait usé d’une métaphore: «Les vins sont différents, mais les outres semblables.» Il voulait dire par là que l’AIR dépend fortement de la politique nationale. Ce qui précède est également valable pour la Suisse où cet instrument existe depuis l’an 2000. Les directives du Conseil fédéral sur les conséquences économiques des projets d’actes législatifs, promulguées le 15 septembre 1999, ont défini le contenu ainsi que le domaine d’application des AIR. Celles-ci s’imposent à toute loi, ordonnance ainsi qu’aux actes à usage légal dont l’importance économique est manifeste (nouvelles lignes ferroviaires par exemple).

But et méthode de l’enquête sur le droit des denrées alimentaires

Une analyse plus approfondie de l’impact de la nouvelle législation alimentaire semblait particulièrement indiquée, ses effets étant complexes et potentiellement très variés. Les domaines touchés ne sont en effet pas uniquement d’ordre politique (santé, commerce extérieur, médecine vétérinaire, agriculture), mais relèvent aussi des entreprises des trois secteurs économiques. Le seco avait déjà procédé auparavant à un test de compatibilité PME.4 Dans le cadre de la présente AIR, l’OVF a entrepris une étude approfondie du secteur de la viande en interrogeant les milieux concernés (voir encadré 1). Les connaissances des offices chargés des domaines politiques concernés et l’expertise du seco en matière d’économie et d’AIR ont permis à ce travail en commun de bénéficier de synergies. Il répond, par ailleurs, aux recommandations tant de la commission de gestion du Conseil national (rapport du 20 mai 2005) que de l’OCDE. L’analyse d’impact de la nouvelle législation alimentaire portait sur trois volets: – les mesures juridiques; – les effets économiques; – les milieux et acteurs concernés.  Elle exigeait donc une combinaison de connaissances du droit, des interdépendances économiques fondamentales, et des données empiriques des milieux concernés. Le graphique 1 illustre la méthode utilisée et les rapports entre les mesures examinées, leurs effets et les milieux concernés. La révision comprend deux aspects importants: – la révision partielle de la législation sur l’hygiène; – la réforme de la législation alimentaire dans son ensemble. Tandis que la révision du droit des denrées alimentaires vise à simplifier toute future adaptation, celle qui concerne la législation sur l’hygiène cherche d’abord à démanteler les barrières techniques au commerce et ensuite seulement à améliorer le système. Son application peut certes entraîner des charges supplémentaires, mais en supprimera aussi d’autres. Le principal effet recherché – le démantèlement des barrières techniques au commerce – s’adresse d’abord aux entreprises. Les charges administratives en plus et en moins toucheront à la fois les entreprises et le secteur public. Les consommateurs peuvent s’attendre à ce que le prix des denrées alimentaires baisse quelque peu avec la réduction des barrières techniques au commerce. Ils seront également les principaux bénéficiaires d’une sécurité renforcée en ce domaine. La simplification des procédures d’adaptation du droit concerne en premier lieu le secteur public qui y gagnera en efficacité.

Qui est touché par la révisionet comment?

Les principaux résultats de l’AIR sont ci-après présentés sous forme de courtes notices. Les milieux et acteurs les plus touchés par la révision de la législation alimentaire sont les entreprises du secteur alimentaire, les consommateurs, la Confédération et les cantons. Le champ d’application des nouvelles ordonnances couvre les entreprises et sociétés des trois secteurs de l’économie, de la production agricole au commerce de détail des denrées alimentaires en passant par leur transformation (voir tableau 1). La plupart des entreprises du domaine alimentaire sont tenues de déclarer leur activité. D’une façon générale, cependant, la révision ne leur imposera guère de charges supplémentaires.

Les denrées alimentaires animales

La plupart des effets concrets sont attendus dans le domaine des denrées alimentaires animales. Il y aura davantage de charges dans le secteur de la viande, surtout pour les abattoirs. Des dérogations sont prévues dans certains domaines importants pour décharger les petites entreprises, conformément à la législation communautaire. Il leur sera par exemple possible d’appliquer des directives de branche en matière de bonnes pratiques plutôt que de devoir élaborer leur propre système d’hygiène.

Les entreprises exportatrices

Pour les entreprises exportatrices de denrées animales, la reconnaissance de l’équivalence signifie la disparition des doublons dans les contrôles et les exigences imposés aux entreprises. La réduction des entraves au commerce offre en outre la possibilité de conquérir de nouveaux marchés (de niche), notamment avec des produits à haute valeur ajoutée.

Le secteur laitier

Dans le secteur laitier, les entreprises présentes à toutes les étapes de la production profitent du maintien des exportations actuelles de produits laitiers suisses (principalement de fromage) vers l’UE, ce qui représentent quelque 450 millions de francs (2004), soit près des trois quarts des exportations mondiales de produits laitiers suisses, et, tout compte fait, 0,5% de toutes les exportations suisses de marchandises vers l’UE.

Le secteur de la viande

Dans le secteur de la viande, l’équivalence devrait être atteinte pour le 1er janvier 2007. Par rapport au fromage, où l’accord sur l’agriculture prévoit une libéralisation progressive, les tarifs douaniers et les contingents persisteraient pour la viande et les produits à base de viande. On peut donc supposer que l’équivalence entraînera une augmentation des exportations de viande plus modérée que dans le secteur laitier, et que la concurrence étrangère n’augmentera pas fortement les premiers temps. En cas d’abaissement, voire de suppression future des barrières douanières et des contingentements – dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ou de nouvelles négociations bilatérales avec l’UE – la concurrence pourrait, toutefois, augmen-ter, mais aussi les chances d’exporter.

La consommation

La révision de la législation alimentaire améliore ponctuellement la sécurité des produits – grâce par exemple à une meilleure traçabilité des denrées ou à la nouvelle obligation de rappeler les produits défectueux – pour les 7,4 millions de consommateurs suisses. La libéralisation s’intensifiant (par exemple dans le domaine des tarifs), la réduction des entraves techniques au commerce avec l’UE peut renforcer la concurrence à long terme et ainsi contribuer à faire baisser les prix.

Confédération et cantons

Dans le secteur public, la révision a des effets aussi bien au niveau fédéral que cantonal (exécution). Au niveau fédéral, l’équivalence permet de supprimer les contrôles indigènes aux exportations et, dans une seconde étape, les examens vétérinaires à la frontière. Les économies réalisées sont compensées par la perte des émoluments correspondants. En revanche, le renforcement de la coordination pour assurer une exécution uniforme (plans de contrôle et d’urgence) entraînera des coûts supplémentaires. Pour l’exécution cantonale, la mise en oeuvre du nouveau système de contrôle, d’enregistrement et d’autorisation obligatoires des entreprises occasionnera provisoirement un surcroît de travail. En outre, l’intensification des contrôles dans les abattoirs devra en partie être assumés par les pouvoirs publics. La rédaction d’un plan national de contrôle par les offices fédéraux, après audition des instances cantonales d’exécution, constitue une nouveauté qui institutionnalise la coordination entre niveau fédéral et cantonal.

Y a-t-il d’autres réglementations concevables?

L’adaptation autonome de la législation communautaire laisse peu de place à des alternatives. Pour obtenir de la CE qu’elle reconnaisse l’équivalence des prescriptions, il faut en effet respecter les formes du droit communautaire. La seule alternative de fond à la révision prévue serait donc de renoncer à l’équivalence des prescriptions! Une solution intermédiaire consisterait tout au plus à essayer de préserver l’équivalence dans le secteur laitier. Mais même dans ce cas ou en obtenant le statut de «pays tiers», il faudrait reprendre dans le droit suisse les éléments fondamentaux de la législation communautaire pour que la CE reconnaisse la Suisse comme partenaire commercial. L’équivalence a, quant à elle, l’avantage de réduire à l’intérieur comme à la frontière les formalités de contrôle des exportations; les conditions s’améliorent également pour les exportations de viande, alors que le surcroît de travail imposé aux entreprises reste relativement limité.

Une application convenable

Deux facteurs prévalent pour que la nouvelle législation alimentaire atteigne ses buts: – bien coordonner les différents contrôles définis par le plan national; – exploiter à fond les dérogations destinées à décharger les petites entreprises.  La mise en oeuvre des nouvelles prescriptions commencera certes par augmenter les charges, en exigeant par exemple une formation plus stricte des contrôleurs des viandes, mais leur travail y gagnera en qualité et en efficacité. Après l’audition des instances cantonales d’exécution et le test de compatibilité PME, des allégements supplémentaires en faveur des petites et moyennes entreprises ont été inscrits dans les projets d’ordonnances, tout comme la possibilité d’appliquer des directives de branche en matière d’hygiène plutôt que de les obliger à élaborer leur propre système.

Conclusion

L’analyse d’impact de la réglementation débouche dans l’ensemble sur une évaluation positive de la nouvelle législation alimentaire. À court et moyen terme, on peut en attendre des gains concrets puisqu’elle maintient les possibilités actuelles d’exportation de produits laitiers et améliore les conditions d’exportation d’autres denrées animales. La sécurité des produits alimentaires y gagnera sans doute aussi. À plus long terme, les consommateurs peuvent en outre espérer des baisses de prix pour certaines denrées alimentaires, pour autant que l’élimination des entraves techniques au commerce s’accompagne de nouvelles libéralisations. Les avantages économiques devraient donc dépasser nettement les surcharges faibles à modérées que pourraient subir quelques entreprises ainsi que des institutions publiques.

Graphique 1 «Grille d’analyse»

Encadré 1: Un secteur de la viande gagnant malgré l’accroissement des charges pour les abattoirs Les allégements consentis aux entreprises exportatrices du secteur de la viande sont au coeur de l’élargissement des équivalences. Même si les prescriptions suisses actuelles sur la sécurité des produits alimentaires sont largement conformes à la législation communautaire, des adaptations sont nécessaires dans quelques domaines. Ainsi, toutes les entreprises productrices de denrées animales doivent être autorisées et les abattoirs sont soumis à des exigences spécifiques en matière de contrôle (extension à toutes les espèces du contrôle des animaux avant l’abattage, dépistage obligatoire de la trichinose du porc et du cheval, critères de formation des vétérinaires officiels). Pour les petits abattoirs, ces exigences entraînent des surcharges organisationnelles et financières. Pour éviter de fausser la concurrence, les dérogations prévues par la législation communautaire pour les entreprises de faible capacité seront exploitées dans toute la mesure du possible. Il faut pourtant admettre que même une surcharge modérée peut déjà constituer une menace pour des abattoirs dont la marge bénéficiaire est très faible.En matière d’autocontrôle, des allégements ont été trouvés pour les entreprises puisque les systèmes actuels, ressentis comme compliqués et coûteux, peuvent désormais être remplacés par des «directives de branche en matière de bonnes pratiques».L’augmentation des contrôles se traduira par une surcharge non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les autorités. Il faut par exemple organiser et financer la présence permanente d’un vétérinaire officiel lors de l’abattage. Si c’est déjà le cas pour les grands abattoirs, ce ne l’est pas dans les plus petits. Ici aussi, la surcharge pour les petites entreprises dépend des dérogations accordées dans le cadre de l’équivalence. Le secteur de la viande connaît de nouvelles possibilités d’exportation pour les produits carnés transformés: c’est à la fois une chance et un défi! Après que l’équivalence soit entrée dans les faits, les producteurs de produits de niche novateurs pourront les exporter dans l’UE sans contrôle supplémentaire. Le secteur voit donc s’ouvrir devant lui un marché potentiel de 455 millions de consommateurs.

Encadré 2: Bibliographie – Agence canadienne d’inspection des aliments, Étude d’impact de la réglementation: modification du règlement sur l’inspection des viandes, 2004.- Département fédéral de l’économie, Manuel d’analyse d’impact de la réglementation, Berne, 8 mars 2000.- Commission Européenne, Impact Assessment Guidelines, SEC (2005) 791, Bruxelles, 15 juin 2005.- Commission de gestion du Conseil national, Les tests PME de la Confédération et leur influence sur les lois et ordonnances, rapport du 20 mai 2005.- Laboratoire du canton de Berne, Jahres-bericht 2004, Berne, janvier 2005. – Kölliker Alkuin et Marti Fabienne, Regulierungsfolgenabschätzung zur Revision des Lebensmittelsrechts, rapport commun du seco/OVF/OFSP/Ofag, Berne, octobre 2005. – Services du Parlement, Sécurité des denrées alimentaires: évaluation de la mise en oeuvre en Suisse, rapport à l’attention de la commission de gestion du Conseil national, Berne, 26 juin 2003. – Radaelli Claudio, «Diffusion without Convergence: How Political Context Shapes the Adoption of Regulatory Impact Assessment», Journal of European Public Policy, 12/5, octobre 2005, p. 924-943.- Secrétariat d’État à l’économie, Test de compatibilité PME du nouveau droit des denrées alimentaires, Berne, juillet 2005.- Organisation Mondiale de la Santé, Surveillance Programme for Control of Foodborne Infections and Intoxications in Europe, 8th Report 1999-2000, Country Reports: Switzerland, version en ligne, décembre 2003.

Zitiervorschlag: Alkuin Kölliker, Fabienne Marti, (2006). Analyse d’impact de la réglementation: la révision du droit des denrées alimentaires. Die Volkswirtschaft, 01. Januar.