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Lutte contre le financement du terrorisme: le point de vue de la surveillance des marchés financiers

Lutte contre le financement du terrorisme: le point de vue de la surveillance des marchés financiers

Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis ont été un choc, non seulement pour la communauté internationale, mais aussi pour le monde financier. En effet, outre les mouvements boursiers que cet événement a entraîné à court terme, les acteurs des marchés financiers ont été confrontés à un nouveau défi de longue haleine: la lutte contre le financement du terrorisme. Il ne fait pas de doute qu`aucune place ne doit être laissée au financement du terrorisme par le biais du système bancaire et de la place financière suisse en particulier. C`est la mission que la Commission fédérale des banques (CFB) s`est donnée.

Les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis ont impliqué les intermédiaires financiers et les autorités de surveillance prudentielle dans la lutte contre le financement du terrorisme. En effet, contrairement aux mesures préventives existant de longue date en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le rôle que pouvait et devait jouer le monde bancaire dans ce combat est apparu sous une lumière nouvelle après cette tragédie. Très rapidement deux questions se sont posées: les terroristes, anticipant les attentats qu`ils allaient commettre, avaient-ils réalisé des opérations financières sur les marchés financiers à titre d`initiés? Le système bancaire avait-il été utilisé pour financer les attentats du 11 septembre 2001 ou d`autres canaux avaient-ils été employés? Le monde bancaire devait impérativement donner une réponse rapide à ces questions. La communauté internationale – sous l`impulsion des États-Unis – s`est rapidement orientée vers une campagne d`«assèchement» des ressources financières du terrorisme international. C`est ainsi que, suite à la déclaration du 24 septembre 2001 du président des États-Unis George W. Bush2, une première liste de personnes et organisations présentant un lien avec le terrorisme a été publiée. Le Conseil de Sécurité de l`Organisation des Nations Unies (ONU) s`est rallié à cette démarche, les États membres étant appelés à agir dans leurs juridictions respectives.

Un défi pour la place financière suisse


En tant que place financière internationale, la Suisse a été appelée à jouer un rôle de premier ordre dans la recherche des auteurs et commanditaires des attentats du 11 septembre 2001 et tout particulièrement dans la lutte contre le financement du terrorisme. Dans les jours qui ont suivi l`effondrement des tours du World Trade Center à New York, la place financière suisse et ses acteurs ont été soumis à une intense pression internationale: ils leur appartenaient de démontrer que le secret bancaire suisse ne protégeait pas les terroristes. La CFB, en sa qualité d`autorité de surveillance bancaire, a été fortement sollicitée. En plus d`assurer l`indispensable coordination entre les autorités tant américaines que suisses et les établissements assujettis à sa surveillance, elle a transmis et continue à transmettre aux banques et aux négociants en valeurs mobilières suisses des listes de noms de personnes ou d`organisations pouvant présenter un lien avec le terrorisme. Elle requiert des banques qui entretiennent des relations d`affaires avec une personne ou une organisation figurant sur l`une de ces listes, de l`annoncer au Bureau de communication en matière de blanchiment d`argent (en anglais «Money Laundering Reporting Office Switzerland», MROS) et de procéder au blocage des avoirs correspondants, en application des dispositions de la loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d`argent dans le secteur financier (LBA).3 Les statistiques publiées par le Bureau de communication en matière de blanchiment d`argent, notamment dans son 7e Rapport annuel de 20044, démontrent l`efficacité des mesures prises en vertu de la législation en matière de lutte contre le blanchiment et appliquées au financement du terrorisme (voir tableau 1). La CFB a également conduit une enquête approfondie auprès des Bourses suisses, SWX Swiss Exchange et Eurex Zurich, qui a permis de déterminer que, dans le cadre des transactions examinées, la place boursière suisse n`avait pas été utilisée par des personnes disposant d`informations préalables sur les attentats du 11 septembre 2001. Répondant à des requêtes d`entraide administrative émanant d`autorités de surveillance prudentielle étrangères au sujet de transactions effectuées par le biais d`établissements suisses sur des marchés étrangers, la CFB a pu s`assurer, à l`issue de ses enquêtes, qu`aucune des opérations visées n`était suspecte. La CFB a ainsi pu confirmer que la place financière suisse dispose de tous les instruments nécessaires pour lutter contre le financement du terrorisme.5

Réactions réglementaires


Sur le plan international, de très nombreuses discussions ont été engagées au sein d`organismes internationaux où la CFB a joué un rôle actif. Les principales réponses réglementaires pouvant être mentionnées sont: – les recommandations spéciales du Groupe d`action financière sur le blanchiment de capitaux (Gafi) du 31 octobre 2001;6 – la prise de position du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire d`avril 2002;7 – la détermination de l`industrie bancaire, notamment des banques du groupe Wolfsberg du 25 janvier 2002.8  En Suisse, une nouvelle impulsion a également été donnée à la ratification de la Convention de l`ONU sur la répression du financement du terrorisme. S`agissant plus spécifiquement de la surveillance des marchés financiers, la CFB a veillé à mettre en oeuvre les recommandations internationales évoquées ci-dessus, en les intégrant dans le dispositif préexistant de la lutte contre le blanchiment de capitaux.

Les exigences prudentielles actuelles


Les règles applicables aux intermédiaires financiers peuvent être qualifiées de préventives puisqu`elles ont pour but d`éviter que des fonds destinés au financement du terrorisme ne trouvent leur chemin jusqu`en Suisse. Il faut les distinguer des règles dites répressives, prévues notamment dans le Code pénal (CP),9 tel que l`art. 260quinquies CP sur le financement du terrorisme entré en vigueur le 1er octobre 2003, dont les autorités de poursuite pénale sont chargées de l`application. Lors de la révision de l`ordonnance en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux (OBA-CFB)10, entrée en vigueur le 1er juillet 2003, la CFB a spécifiquement mis en oeuvre les mesures préventives suivantes: – parallélisme des organisations terroristes avec les organisations criminelles (art. 1 let. c OBA-CFB): en l`absence de définition légale des organisations terroristes, un renvoi aux organisations criminelles au sens de l`art. 260ter CP a été prévu. En effet, selon le message du Conseil fédéral du 30 juin 199311, l`état de fait relatif aux organisations criminelles devait dès l`origine comprendre aussi bien les organisations mafieuses que terroristes; – interdiction de relations d`affaires avec des organisations terroristes (art. 5 OBA-CFB): cette déclaration de principe est fondée sur le fait que l`acceptation de valeurs patrimoniales d`organisations criminelles ou terroristes constitue également un acte de blanchiment d`argent. Ainsi un intermédiaire financier qui y procéderait de manière intentionnelle pourrait se rendre lui-même coupable de soutien à une organisation criminelle; – devoir de communication en cas de lien d`un client avec une organisation terroriste (art. 25 OBA-CFB): il s`agit d`une précision du devoir de communication au cas où un lien avec des activités terroristes surgirait. Le devoir de communication de l`art. 9 LBA reste fondamentalement applicable, mais prend effet en présence de simples éléments permettant d`établir un lien soit direct soit indirect entre une transaction ou une relation d`affaires et une organisation terroriste. Tel est notamment le cas lorsque le nom d`une des personnes impliquées dans une relation d`affaires figure sur les listes de présumés terroristes, publiées par l`ONU ou le Secrétariat d`État à l`économie (seco). Il convient de préciser que ce devoir de communication est indépendant d`un éventuel devoir d`annonce en application de la loi fédérale sur les embargos (LEmb),12 découlant des sanctions économiques et financières appliquées en Suisse. En matière de lutte contre le financement du terrorisme, il s`agit essentiellement des obligations découlant de l`ordonnance du 2 octobre 2000 et instituant des mesures à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au groupe Al-Qaïda ou aux Talibans.13  Avec cette réglementation ponctuelle et proportionnée faisant appel à des mécanismes existants ayant démontrés leur efficacité par le passé, la CFB a délivré un message clair et direct démontrant que la place financière suisse ne présente aucun attrait pour toute activité financière ayant un lien, même ténu, avec le terrorisme.

Pas de solution miracle


Les mesures préventives prudentielles mises en place dans le monde bancaire depuis le 11 septembre 2001 ont porté leurs fruits en matière de lutte contre le financement du terrorisme. Cela vaut tout particulièrement pour la Suisse, qui a démontré que son secret bancaire n’offrait aucune protection aux terroristes et aux fonds provenant de leurs activités. Le recul du nombre d’annonces reçues par le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent doit être interprété comme la démonstration que le secteur bancaire a été «asséché» de ces fonds d’origine douteuse. Malheureusement, de nouveaux actes terroristes continuent à être perpétrés à travers le monde, malgré les mesures prises par les diverses autorités de surveillance prudentielle. Certes dans certains pays, les réglementations ne sont pas aussi strictes qu’en Suisse. Néanmoins, les instances internationales et nationales chargées de la lutte contre le terrorisme doivent procéder à un examen critique des directives prises à ce jour. En matière de lutte contre le financement du terrorisme, les éléments suivants devront être pris en considération, avant que de nouvelles règles ne soient adoptées: – contrairement à la lutte contre le blanchiment d’argent où les intermédiaires financiers cherchent à détecter des fonds de provenance douteuse avant qu’ils ne soient blanchis, la lutte contre le financement du terrorisme vise la mise à jour de fonds d’origine licite, destinés à une utilisation illicite. Cette tâche est extrêmement complexe et les mécanismes de détection à utiliser – excepté les listes précitées de présumés terroristes et organisations terroristes – restent incertains. Sans ces listes, communiquées par les autorités étatiques, il est très difficile pour les banques d’identifier d’éventuelles transactions suspectes pouvant présenter un lien avec le terrorisme; – les faibles montants nécessaires au financement d’actes terroristes représentent également un défi majeur. En effet, selon un rapport d’un groupe d’experts de l’ONU du 31 juillet 200414, seuls les attentats du 11 septembre 2001 ont nécessité des montants de plus de 100000 USD. Les attentats de Madrid de mars 2004 de même que l’attaque sur le USS Cole à Aden, en octobre 2000, auraient coûté de l’ordre de 10000 USD, et les attentats à l’explosif des ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, en août 1998, moins de 50000 USD; – les flux financiers ne s’ordonnancent pas seulement autour de places financières dûment réglementées et surveillées: il existe de nombreux canaux alternatifs très difficilement contrôlables; – enfin, les principes de protection des droits de la personnalité et dans certains cas même la question de la présomption d’innocence sont mis à rude épreuve dans la lutte contre le terrorisme. En effet, des listes officielles de personnes présentant des liens possibles avec le terrorisme circulent dans le monde entier, sans que celles-ci n’aient été reconnues coupables par un tribunal, voire n’aient eu l’opportunité de s’exprimer par rapport aux griefs retenus à leur encontre. Une fois inscrites sur une telle liste, il peut s’avérer très difficile, voire impossible, pour ces personnes d’en être effacées, même si elles estiment y figurer à tort.

Proposition de citation: Marc Siegel (2005). Lutte contre le financement du terrorisme: le point de vue de la surveillance des marchés financiers. La Vie économique, 01 novembre.