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Le véritable enjeu: transformer l’innovation en cash

La Suisse excelle quand il s’agit de faire preuve d’invention et d’innovation, mais elle tarde trop souvent à transformer les résultats obtenus en réussite économique. Malgré quelques contre-exemples importants, les statistiques officielles confirment clairement ce paradoxe. Dès lors se pose la véritable question: que faire pour transformer l’innovation en cash? Une courte évaluation de la situation nous permettra d’identifier quelques pistes d’actions possibles.

Si la capacité d’inventer est mesurée par rapport au nombre de publications scientifiques, alors la Suisse se retrouve en tête avec la Suède et la Finlande (plus de 127 publications pour 10000 habitants) loin devant des pays comme les États-Unis, la France, l’Allemagne ou le Japon (moins de 85 publications). Le nombre de brevets triadiques par million d’habitants place également la Suisse devant la Suède, le Japon, la Finlande, l’Allemagne et les États-Unis. Si l’on considère par contre le taux de croissance de notre pays depuis 1991, on s’aperçoit qu’il a très nettement décroché par rapport aux États-Unis ou aux 15 pays de l’ancienne Union Européenne. Une des raisons de cette mauvaise performance réside dans l’incapacité de transformer l’innovation en succès commercial comme l’atteste aussi la faiblesse du capital-risque en Suisse: 0,08% d’investissement par rapport au PIB comparé à 0,21% en Suède ou 0,49% aux États-Unis. Quelles que soient les statistiques observées, elles nous ramènent toutes à ce paradoxe helvétique d’une grande nation d’inventeurs et d’innovateurs et d’une petite nation d’entrepreneurs et de commerciaux!

Que faire alors?


On retrouve trois axes déterminants dans la façon dont certaines entreprises suisses (par exemple Logitech, Actelion, Nespresso ou Phonak) ont réussi à commercialiser leurs innovations: la vitesse d’exécution, l’anticipation des besoins du client et le développement commercial. Reprenons ces trois points: – la vitesse. L’innovation est une marchandise qui vieillit très vite par définition. Il faut donc être rapide, sinon le produit n’est plus innovant et se retrouve dans un marché déjà adulte face à une concurrence forte; – le rapport aux clients doit être pensé dès le départ et tout le long du processus d’innovation. Ses aspirations doivent être anticipées et non pas découvertes de manière tardive, ce qui peut conduire à l’échec commercial; – le développement commercial est sans doute la partie la plus importante du processus. Ici, il ne s’agit pas seulement d’un effet marketing ou de communication, mais bien du développement d’un réseau de ventes efficace et proactif. Il n’y a pas de secret, la vente est le moteur de l’innovation, sinon tous les efforts précédents auront été vains. On l’oublie trop souvent, surtout dans les milieux scientifiques et politiques!

Que faut-il dès lors changer en Suisse?


On a favorisé, depuis une dizaine d’années environ, l’approche «pousser» («push») qui consiste à transférer les savoirs et les technologies des EPF, des universités ou des centres de recherche vers le marché à travers toutes sortes d’instruments tels que les offices de transferts technologiques, les «technoparks», les programmes entrepreneuriaux, les concours de «business plan», les «business angels» et le capital-risque. On ferait maintenant mieux de créer une approche de type «tirer» («pull») qui mettrait en avant le marché, les clients et la réussite avant la technologie. Pour ce faire, il est clair que l’on devrait inverser bon nombre de pratiques. En effet, favoriser le cash c’est penser commercial, développement des affaires, productivité, vitesse et marges. Il faudrait remettre la vente à la mode en créant par exemple des chaires de «Business Development» dans nos universités, en renforçant la formation des vendeurs plus que celles du marketing et de la communication, et en améliorant les pôles de pénétrations des marchés étrangers. Ce dernier point nécessite une réforme des «business hub» du seco et de l’Osec Business Network Switzerland pour les rendre plus productifs en terme commercial – et ceci particulièrement dans le domaine de l’innovation – un peu sur le modèle de pays comme l’Irlande, Israël ou encore la Suède. En bref, considérer le client comme l’ultime marque du succès et non plus la prouesse technologique, c’est remettre l’église au milieu du village. C’est donc bien d’une révolution culturelle d’importance qu’il s’agit pour un peuple qui a toujours privilégié le travail bien fait au produit bien vendu!

Proposition de citation: Xavier Laurent Comtesse (2005). Le véritable enjeu: transformer l’innovation en cash. La Vie économique, 01 décembre.