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L’approvisionnement du monde en pétrole et en huiles minérales: perspectives sur l’avenir

L'approvisionnement du monde en pétrole et en huiles minérales: perspectives sur l'avenir

Le pétrole constitue de loin notre agent énergétique primaire le plus important. Il fait rouler nos véhicules, chauffe nos habitations et sert de base à de nombreux produits de notre vie quotidienne. Le pétrole possède des propriétés qui le rendent compétitif vis-à-vis de toutes les autres sources d’énergie. Or, depuis quelques temps, il se raréfie et son prix augmente. Pour quelles raisons? Comment les marchés internationaux du pétrole et des huiles minérales vont-ils évoluer? À long terme quelle sera la place du pétrole parmi les sources d’énergie utilisées?

Nous vivons depuis le milieu des années quatre-vingt la hausse la plus longue et la plus forte du prix du pétrole. Le Brent valait en moyenne plus de 54 USD/baril en 2005, ce qui représente un sommet historique. Pourtant, les anticipations à long terme des experts pétroliers internationaux restent encore nettement en dessous de ce prix.  Alors qu’à la fin des années nonante, on semblait encore disposer de pétrole brut bon marché et en abondance, la sécurité de l’approvisionnement est devenue une préoccupation de première importance de nos jours. Doit-on y voir une transformation structurelle profonde de nos approvisionnements énergétiques? Ou assistons-nous seulement, comme dans les années septante et quatre-vingt, à une hausse passagère des prix?

Les prévisions dans le domaine des prix du pétrole sont empreintes d’une grande incertitude


En fait, jusqu’ici pratiquement personne n’était en mesure de prévoir à peu près correctement le prix du pétrole pour l’année suivante. Cela tient essentiellement à deux raisons: – le décalage temporel (ou problématique lag) au niveau des informations. Il faut trop de temps avant de pouvoir disposer d’informations suffisantes et fiables de la situation en termes d’approvisionnement; – les conditions qui régissent l’offre et la demande sur le marché, et qui provoquent de fortes fluctuations de prix, encore accentuées par la spéculation.   La valeur que l’on veut donner au prix actuel pour exprimer la disponibilité à long terme du pétrole est ainsi limitée dès le départ. Il est, cependant, possible de réfléchir aux facteurs fondamentaux à plus long terme du marché pétrolier, lesquels influencent à leur tour l’évolution à long terme des marchés pétroliers et énergétiques. Citons, parmi ceux-là, les quantités et la disponibilité des gisements pétroliers, le développement de la production de pétrole brut, la demande en produits à base d’huile minérale ainsi que leur production. Les facteurs fondamentaux les plus importants des marchés pétroliers mondiaux ainsi que les perspectives à long terme du pétrole dans la répartition des sources d’énergie utilisées seront développés brièvement ci-après.

Une large base de ressources


D’après la dernière estimation réalisée par le principal magazine professionnel de la branche Oil&Gas Journal, les réserves mondiales de pétrole brut représentent à l’heure actuelle environ 175 milliards de tonnes. Elles ont ainsi augmenté encore une fois légèrement par rapport à l’année précédente. Si la portée statique des réserves – à savoir le rapport entre la consommation actuelle de pétrole brut et les réserves actuelles – se situait au début des années septante à seulement 30 ans, elle dépasse nettement les 40 ans aujourd’hui. Cette évolution d’un agent énergétique non renouvelable, épuisable, paraît à première vue paradoxale; elle résulte, en fait, d’abord de la définition des réserves pétrolières. On qualifie ainsi les quantités de pétrole brut dont la présence est prouvée dans un gisement et qui peuvent être extraites de manière rentable avec les moyens technologies existantes. Ainsi, les réserves actuelles représentent seulement la partie des gisements la mieux explorée et dont on est sûr de pouvoir extraire le pétrole avec les moyens actuels. En réalité, les réserves de pétrole brut annoncées sont fonction de la technologie d’exploration et d’extraction ainsi que de l’évolution du prix du pétrole. Si le prix du pétrole augmente, d’autres gisements, considérés jusqu’ici comme non rentables en raison de leur coût d’extraction, pourraient alors être inclus dans les réserves. La technique moderne de son côté permet de mieux exploiter les gisements existants et de viabiliser de nouveaux gisements, jusqu’ici inaccessibles. Rien que l’augmentation du taux d’extraction de gisements pétroliers – il se situe actuellement à seulement 30% environ – entraînerait une nouvelle hausse nette des réserves et de leur portée. Ce n’est, toutefois, pas tout. En effet, les chiffres clés habituelles pour les réserves concernent essentiellement les pétroles bruts conventionnels. Or, il existe toujours de grandes quantités de pétroles bruts non conventionnels, mais que les méthodes traditionnelles ne permettent pas d’extraire. Les huiles lourdes, pétroles en eaux profondes et sables bitumineux en font partie. Les statistiques internationales présentent aujourd’hui le Canada comme une des plus grandes réserves mondiales, derrière l’Arabie Saoudite, grâce à ses gisements de sables bitumineux. Les plus grands détenteurs de réserves – de pétrole conventionnel notamment – sont, cependant, les membres de l’Opep et leurs compagnies nationales (voir graphique 1). Selon une estimation de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la totalité des gisements de pétrole exploitables suffiraient encore pour les 70 ans à venir. Nous n’avons jamais été aussi bien pourvus qu’aujourd’hui en ce qui concerne le pétrole brut à disposition.

Offre de pétrole brut et équilibre du marché


Afin de pouvoir couvrir la hausse des besoins énergétiques mondiaux, il faut investir quelque 17000 milliards d’USD dans l’économie énergétique mondiale jusqu’en 2030. Sur ce montant, 3000 milliards d’USD environ iraient à l’approvisionnement pétrolier et les trois quarts seraient destinés aux activités en amont (entre autres exploration de gisements pétroliers, installations d’extraction et infrastructure des transports).  Par principe, la volonté d’investir dépend de la demande anticipée ainsi que de l’historique des prix. Or, l’offre de pétrole brut ne peut réagir qu’avec un temps de retard aux changements du prix du pétrole brut et de la de-mande. Étant donné que la production pétrolière constitue un processus complexe et intensif en capital, il existe un net décalage dans le temps entre l’exploration d’un gisement jusqu’à l’offre réelle sur le marché. Si la demande globale en pétrole dépasse les possibilités d’offre à court terme, le prix du brut augmente fortement en raison de la relative inélasticité de l’offre. D’un autre côté, une baisse des prix n’entraîne pas des restrictions immédiates de production. En effet, de nombreux fournisseurs suivant le calcul de rentabilité effectué, tenteront de se constituer une couverture aussi élevés que possible en profitant de l’importance des niveaux de production. La baisse du prix du pétrole brut s’en trouvera donc retardée. C’est là-dessus que se base le théorème de la toile d’araignée («cobweb») qui prévoit une situation de marché par principe instable, avec des fortes réactions en termes de prix et de quantités. Rien que pour cette raison, il ne faut pas interpréter les variations de prix comme des indications sur les disponibilités à long terme. Elles sont plutôt la preuve de l’instabilité fondamentale des marchés du pétrole brut.7 L’Opep, détentrice d’un monopole partiel, tente de stabiliser ses recettes à l’exportation, en contrôlant l’offre marginale par des quotas et en adaptant les quantités extraites. Or, la question du décalage temporel déjà mentionnée représente un défi supplémentaire pour l’Opep: des estimations erronées, des dosages ou des échéanciers mal calculés contribuent à leur tour à augmenter la volatilité du prix du brut.  Dans ce contexte, on peut seulement affirmer ce qui suit. D’un côté, la hausse persistante des prix à nettement accru l’intérêt économique de l’exploration et de l’extraction pétrolière; les investissements en amont et les activités mondiales de forage ont considérablement augmenté depuis la fin des années nonante. Il faut, par conséquent, s’attendre à moyen terme à une augmentation de la production du brut, entraînant à son tour un approvisionnement plus abondant en pétrole. D’un autre côté, l’industrie en amont connaît, en raison de la forte demande en biens d’investissements et de la qualification de main-d’oeuvre, des coûts croissants en termes d’intrants, qu’il faut financer. La question de l’évolution du prix du pétrole brut n’est, toutefois, pas réglée pour autant, car c’est tout de même l’offre et la demande qui en déterminent le prix.

Consommation d’huile minérale et croissance économique


La demande globale de pétrole est fortement influencée par l’évolution de la conjoncture dans les pays industrialisés. Dans le cycle conjoncturel mondiale actuel, ce ne sont pas seulement les pays industrialisés traditionnels qui notent une augmentation de la demande énergétique. Plusieurs grands pays émergents – tels que la Chine, l’Inde et le Brésil – ont effectué leur décollage économique et enregistrent une forte augmentation de consommation énergétique. À long terme, la demande en pétrole d’un pays dépend de son niveau de développement économique. L’industrialisation, l’urbanisation, la motorisation et la mobilisation de masse augmentent la consommation d’énergie de façon disproportionnée. La hausse des revenus et la tertiarisation réduisent en retour l’élasticité des gains engendrés par la demande en huile minérale. La consommation énergétique se décroche progressivement de la croissance économique. Dans les sociétés de service et d’informations, la consommation d’huile minérale se concentre de plus en plus sur la branche des transports.  Or, l’essor simultané d’importantes régions consommatrices a pour conséquence que nous connaissons un nouveau couplage de la consommation d’énergie et de la croissance économique au niveau mondial depuis l’an 2000. La croissance de la demande globale énergétique – pétrole inclus – s’en est ressenti et a crû de manière particulièrement forte. La voie choisie par les Bric et autres pays émergents en matière d’énergie et de technologie sera d’une importance capitale pour la future évolution des marchés pétroliers. Or, la productivité énergétique et pétrolière est souvent encore très faible dans les pays émergents. Ainsi l’efficacité énergétique de la Chine n’est que de moitié environ de celle des autres pays de l’OCDE. Le pronostic actuel de l’AIE se base sur une augmentation moyenne de 1,6% par an de la consommation pétrolière dans le monde au cours des 25 ans à venir. Ce taux correspond à une consommation pétrolière d’environ 6 milliards de tonnes en 2030; il reste, toutefois, encore nettement inférieur aux taux de croissance actuels de 2 à 3%. À plus long terme, la demande pétrolière réagira au niveau élevé des prix et les investissements porteront sur les économies et les substituts au pétrole. Cependant, même si la demande globale en pétrole augmentait de seulement 1% par an, soit à un rythme nettement inférieur à celui prévu par la courbe de croissance à long terme, la consommation pétrolière globale progresserait encore d’un tiers environ jusqu’en 2030. Cela signifie que les seules unités d’extraction et de production devraient augmenter leurs capacités de plus d’un milliard de tonnes. Il s’agit là d’investissements immenses qui obligent les producteurs et des consommateurs à unir leurs efforts.

Traitement du pétrole brut et raffineries


Rien que les 3% et plus d’augmentation de la demande mondiale en 2003 correspondent à la capacité d’une douzaine de grandes raffineries. Il faut par conséquent adapter les capacités de traitement du pétrole brut en fonction de la hausse croissante de la demande en huile minérale. Or, l’activité des raffineries, avec ses longues durées préparatoires, est quasiment aussi cyclique que le secteur en amont. Ainsi, au bout de deux décennies de surcapacité, de sous-utilisation des capacités et de faibles résultats en aval, l’incitation économique à développer les capacités des raffineries était faible. L’accroissement des exigences se rapportant à l’exploitation des installations et envers les produits ont également contribué à réduire l’attrait économique de la branche. Actuellement on compte 661 raffineries dans le monde, avec une capacité de traitement d’environ 85 millions de barils par jour du calendrier. Contrairement aux réserves pétrolières, les capacités de traitement se concentrent – pour des raisons historiques, mais également logistiques et de distribution – dans les grands centres de consommation. En dépit de la demande très forte de ces derniers temps, le nombre de raffineries continue toujours de baisser (voir graphique 2). Tandis que les petites installations ferment, l’augmentation modérée des capacités actuelles résulte principalement de l’optimisation et de l’extension des installations existantes.  L’augmentation timide des capacités a nettement fait fondre les capacités globales de traitement libres. Le taux d’utilisation des capacités de traitement mondiales n’a encore jamais été aussi élevé – en 2004, il était de 85%, valeur qui a, toutefois, encore été dépassée en Amérique du Nord et en Europe. En raison des durées d’immobilisation, il ne reste plus guère de marge de manoeuvre. D’un autre côté, ce fort taux d’utilisation restreint la flexibilité de la production et de l’approvisionnement. La saison des ouragans aux États-Unis en 2005 a déjà montré les conséquences possibles d’un tel phénomène sur les marchés de production. L’AIE estime ainsi qu’il faut investir au cours des prochaines 25 années environ 500 milliards d’USD dans des raffineries. Il faut, cependant, noter que leurs capacités se sont accrues au cours de l’année dernière comme ce n’avait plus été le cas depuis longtemps. Une nouvelle augmentation pour 2006 se dessine déjà: d’après le Construction Survey du Petroleum Economist, des capacités de traitement de 3,3 millions de barils par jour sont actuellement en construction, ce qui ne représente pas moins de 170 millions de tonnes de pétrole par an.  Il ne s’agit pas seulement d’augmenter les quantités produites. Il faut en plus s’adapter aux modifications de la demande qui réclame plus de produits légers tels que l’essence ou le diesel, des produits exigeants fabriqués à partir de pétroles bruts lourds. Ceci entraîne de gros investissements en installations de conversion, capables de traiter le pétrole brut mieux et plus profondément pour en faire des produits de meilleure qualité. Enfin, des déséquilibres régionaux entre producteurs et consommateurs continueront à exister et le commerce mondial de produits continuera à s’étendre. Les États-Unis et la Chine resteront probablement des importateurs de produits nets. L’Europe – en raison d’une forte augmentation des véhicules diesel dans sa flotte – exportera de l’essence et des composants d’essence en Amérique du Nord et manquera à moyen terme de carburant diesel.

La place du pétrole parmi les sources d’énergie utilisées en 2050


La consommation énergétique globale doublera, voire triplera, au moins jusqu’en 2050. Il sera sans doute plus difficile et plus cher d’obtenir du pétrole. Les progrès techniques permettront, toutefois, de compenser – en partie tout au moins – le problème. Pour terminer il ne faut pas non plus oublier que les deux marchés – du pétrole brut et des huiles minérales – sont particulièrement cycliques et qu’ils se trouvent actuellement dans une phase haute. Même vers le milieu du siècle, le pétrole jouera encore un rôle fondamental parmi les sources d’énergie. Les produits à base de pétrole servent d’abord dans le secteur de la mobilité, où les carburants à base d’huile minérale garderont encore longtemps la vedette. Les technologies d’entraînement et de combustion conventionnelles verront leur efficacité progresser de façon considérable, tandis que d’autres améliorations et innovations apparaîtront au niveau des produits offerts. Les carburants – comme le Gas-to-liquids, la Biomass-to-liquids ou l’EcoEthanol – à base de gaz naturel ou de biomasse gagneront également en compétitivité dans le secteur des transports. Ils peuvent compléter ceux qui se trouvent actuellement sur le marché sans problème, en utilisant l’important réseau des carburants liquides de manière économiquement judicieuse; il contribuent en plus à stabiliser les émissions mondiales de dioxyde de carbone.

Graphique 1 «Répartition des réserves mondiales de pétrole, 2005»

Graphique 2 «La transformation du pétrole brut dans le monde, 1993-2005»

Encadré 1: Bibliographie – Adolf Jörg, «Lenkungsmöglichkeiten und Marktmacht des OPEC-Kartells», Wirtschaftsdienst, 82e année, février 2002, p. 102-106- Adolf Jörg, «Perspektiven der globalen Erdölversorgung und nationale Energiepolitik», Wirtschaftsdienst, 85e année, janvier 2005, p. 33-38.- Agence Internationale de l’Énergie (AIE), World Energy Outlook 2004, Paris, 2004.- Agence Internationale de l’Énergie (AIE), World Energy Outlook 2005. Middle East and North Africa Insights, Paris, 2005.- Brinded Malcolm, Investing in Uncertainty – the Challenge of Meeting Expanding Energy Demand, Oxford Energy Seminar, 8 septembre 2005. Disponible à l’adresse Internet suivante: www.shell.com speeches.- Deutsche Bank Research (DBR), «Energieperspektiven nach dem Ölzeitalter», Aktuelle Themen, n° 309, 2 décembre 2004, Francfort-sur-le-Main.- Energy Information Administration (EIA), Annual Energy Outlook with Projections to 2025. Disponible à l’adresse Internet suivante: www.eia.doe.gov/oiaf/aeo/forecast.html#wop.- Nakamura David, «Refiners Add 2.7 Million b/d of Crude Refining Capacity in 2005», Oil&Gas Journal, 19 décembre 2005, p. 60-64.- Quinlan Martin, «Big Profits, Big Deci-sions», Petroleum Economist, septembre 2005, p. 12-16.- Radler Marilyn, «Global Reserves, Oil Production Show Small Increases for 2005», Oil&Gas Journal, 19 décembre 2005, p. 20-25.- Shell, Long-term Energy Scenarios to 2050, Londres, 2001.- Shell, Global Scenarios to 2025, Londres, 2005.- Society of Petroleum Engineers (SPE), Petroleum Reserves and Resource Defini-tions. Disponible à l’adresse Internet suivante: www.spe.org .- Tippee Bob, «Sulfur Cuts, European Demand Growth Reshaping Diesel Markt», Oil&Gas Journal, 12 décembre 2005, p. 18-24.- Van Tassel Brad, Steen Oliver, «Devising a Winning Strategy», Petroleum Economist, septembre 2005, p. 17s.

Proposition de citation: Joerg Adolf (2006). L’approvisionnement du monde en pétrole et en huiles minérales: perspectives sur l’avenir. La Vie économique, 01 mars.