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Travailleurs âgés et croissance économique

Du fait du vieillissement démographique, la population en âge de travailler diminuera en proportion ces 10 à 15 prochaines années dans la Confédération. La pyramide des âges s’en trouvera sensiblement modifiée. Cette évolution ne restera pas sans effet sur la croissance économique et le financement des assurances sociales. C’est pourquoi le Conseil fédéral a chargé l’administration de présenter des propositions visant à améliorer la participation des «seniors» au marché du travail, dans le cadre du train de mesures en faveur de la croissance. Le rapport qui en a résulté a été accepté le 9 décembre 2005 par le Conseil fédéral. L’idée fondamentale consiste à accroître cette participation afin de renforcer la croissance et, ainsi, d’assurer durablement le financement de la sécurité sociale et de la prévoyance-vieillesse.

Le défi démographique


D’après le scénario Tendance établi par l’Office fédéral de la statistique (OFS), la population active n’augmentera plus que faiblement au cours de la prochaine décennie, pour ensuite diminuer légèrement. Si la productivité et la participation au marché du travail (ci-après: participation) restent inchangées, le taux de croissance annuelle du produit intérieur brut (PIB) en termes réels, durant cette période, sera à peine inférieur à 1 point de pourcentage. La proportion de rentiers dans la population active (rapport de dépendance) passera, en outre, de 25% en 2000 à 36% en 2025 et continuera d’augmenter pour atteindre 43% en 2050. Le problème du financement des assurances sociales, notamment du système de santé et de la prévoyance vieillesse, se pose dès lors. La Suisse n’est pas seule à être touchée par le problème du vieillissement démographique, mais celui-ci se pose dans des conditions radicalement différentes de celles des autres pays. À l’étranger, on remarque que: OCDE, Vieillissement et politique de l’emploi. Vivre et travailler plus longtemps, Paris, 2006.  – au Japon, le processus de vieillissement démographique est d’ores et déjà très avancé. Le nombre de personnes actives continuera de diminuer même si la participation augmente; – dans la plupart des pays européens membres de l’OCDE, la participation des travailleurs âgés au marché du travail est très faible. Selon les scénarios de l’OCDE, une hausse effective de cette participation entraînerait une augmentation du nombre des actifs occupés qui perdurerait au-delà de la prochaine décennie; – les États-Unis se trouvent dans une situation confortable étant donné que le nombre de personnes actives continuera d’augmenter au cours des prochaines décennies, quelle que soit l’évolution de la participation.   Le graphique 1 montre que la Suisse, où la participation des travailleurs âgés est déjà forte comparée à d’autres pays, dispose de peu de réserves. Tout au plus la présence féminine va-t-elle légèrement augmenter. Il existe, toutefois, dans notre pays des signes indubitables qui indiquent une tendance à anticiper la retraite. Vuille Alain, «L’Âge légal de la retraite, une limite arbitraire?», Sake-News, n° 15, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, 2000. Comparé aux décennies antérieures, le système de prévoyance-vieillesse a en effet atteint un niveau de développement très élevé, ce qui permet à des cercles toujours plus larges de la population d’envisager un retrait anticipé de la vie active. Pour peu que cette tendance se généralise, cela ne ferait qu’aggraver les problèmes posés par le vieillissement démographique. Si la Suisse entend demeurer une économie très développée et que l’État veut pouvoir financer les tâches essentielles qui lui incombent, une croissance économique convenable est indispensable. On peut y parvenir par une augmentation durable de la production, mais aussi en intensifiant la participation au marché du travail. Les scénarios de l’OCDE mettent en lumière le rôle important que joue cette participation.

Est-il irréaliste de vouloir augmenter la participation?


Une première question fondamentale se pose: le chômage des jeunes étant actuellement un phénomène très répandu en Suisse, les travailleurs âgés ne leur font-ils pas concurrence? Par ailleurs, l’idée que ceux-ci ne sont souvent plus suffisamment en bonne forme pour répondre aux exigences actuelles du monde du travail, est fréquemment invoquée à l’encontre d’une forte participation des aînés. On prétend également que le marché de l’emploi est très dur pour les travailleurs âgés. Cependant, compte tenu de l’évolution probable de la situation socio-économique, on peut rétorquer que: – premièrement, après avoir éliminé de force leurs employés âgés dans les années nonante, nombre d’entreprises ont bien dû admettre à quel point elles s’étaient également débarrassées de leur expérience et de leur savoir. Davantage de participation des travailleurs âgés complète celle des jeunes et n’exerce aucune influence négative sur les perspectives d’emploi de la génération montante; – deuxièmement, à chaque génération, les travailleurs plus âgés disposent en moyenne d’un niveau de formation supérieur. Leur capacité d’adaptation aux techniques et aux situations nouvelles est nettement plus grande qu’il y a quelques années; – troisièmement, une population vieillissante entraîne une raréfaction du nombre de jeunes gens bien qualifiés sur le marché et il devient de plus en plus difficile d’en trouver qui correspondent au profil voulu. Une augmentation de la demande en travailleurs qualifiés devra nécessairement avoir recours à une main-d’oeuvre plus âgée.   Étant donné qu’elles mettent en jeu l’organisation de la carrière et de la vie des individus, les questions relatives à la participation doivent se poser dans une perspective à long terme. Les changements ne se commandent pas et ne peuvent être mis en oeuvre au pas de charge. Il s’agit d’en discuter le plus tôt possible, indépendamment des priorités de l’heure, de prendre les décisions politiques qui s’imposent et, finalement, de les faire passer dans la pratique institutionnelle et administrative. Ainsi, les «droits acquis» sur le plan des assurances sociales ne seront plus, du point de vue financier, des bombes à retardement menaçant les générations futures. Lorsqu’un problème devient aigu, il est déjà trop tard pour réagir de façon adéquate.

Une stratégie globale est indispensable


La gestion du vieillissement démographique requiert une stratégie globale. Les mesures mises en oeuvre par le Conseil fédéral en faveur de la croissance, dont la plupart visent à augmenter la productivité par habitant, sont d’une importance cruciale de ce point de vue. Les partenaires sociaux ont une influence déterminante sur les conditions contractuelles et de travail en général. Il leur appartient par exemple de négocier les salaires ou les modalités de la formation continue. Il suffit à cet égard de mentionner la réforme en cours du système salarial, qui doit donner davantage de place au salaire au mérite. Le système traditionnel des salaires à l’ancienneté doit passer au second plan, car il compromet souvent les possibilités d’embauche des travailleurs âgés. C’est uniquement au sein des entreprises elles-mêmes qu’il est possible de définir une politique du personnel adéquate en ce qui concerne les conditions de travail, la santé en milieu professionnel et les rapports à établir avec les travailleurs âgés et les catégories d’employés vulnérables. L’État peut tout au plus contribuer à faire connaître les bons exemples et à répandre ainsi les bonnes pratiques dans les entreprises. Les collectivités publiques ont pour compétence première d’édicter les lois, de les développer et de les exécuter. Les institutions de prévoyance, l’assurance-chômage (AC) et la loi sur le travail (LTr) jouent chacune leur rôle dans ces domaines; divers articles de ce thème du mois s’intéressent aux modifications proposées à leur sujet. D’une manière générale, il n’est pas nécessaire de réorienter la législation en profondeur. Le système des trois piliers a démontré sa solidité et permettra de gérer efficacement le changement démographique en respectant équitablement les droits de chaque génération. L’assurance-chômage et la loi sur le travail ne doivent pas subir non plus de grands remaniements. Il ne faut, cependant, pas perdre de vue que ces législations ont été élaborées en période de croissance de la population active, il convient donc de les réadapter – tant au niveau des textes eux-mêmes que de leur exécution – au vieillissement démographique.

Un train de mesures pour la participation des travailleurs âgés


Le Conseil fédéral a adopté, le 9 décembre 2005, un train de mesures en faveur de la participation au marché du travail des travailleurs âgés. Proposé par le groupe directeur mixte des Départements fédéraux de l’économie (DFE) et de l’intérieur (DFI), il vise à: – concevoir une législation sociale qui n’incite pas à la retraite anticipée; – aménager les conditions de travail et prendre les mesures nécessaires pour maintenir et favoriser la santé sur le lieu d’activité professionnelle; – améliorer la réintégration des demandeurs d’emploi âgés.

Une législation sociale non incitative


La législation suisse en matière sociale se caractérise par le fait que le législateur s’est refusé à privilégier expressément un retrait anticipé du marché du travail. C’est ce qui explique aussi que la participation des travailleurs âgés soit plus forte dans ce pays que dans d’autres. Elle comporte, néanmoins, encore des incitations à se retirer complètement de la vie active, qu’il importe d’éliminer.

Un assouplissement de la durée du travail pour les plus âgés


Aujourd’hui, la rigidité de certains modèles de travail et de certains régimes de prévoyance-vieillesse amène souvent le travailleur à conserver son emploi à plein temps ou à se cramponner à la position professionnelle bien rémunérée qu’il a acquise. S’il agit différemment, il est exposé à une perte sensible sur le plan matériel, plus précisément au niveau du IIe pilier. C’est pourquoi il est recommandé d’améliorer la flexibilité des rapports de travail, ce qui permettra au travailleur d’exercer une fonction peut-être moins bien rémunérée, mais mieux adaptée à ses capacités, ou encore de diminuer son temps de travail sans devoir se résoudre à ne bénéficier que d’une rente réduite pour le restant de sa vie. Il devient ainsi plus intéressant de rester dans la vie professionnelle (voir encadré 1 La proposition qui consiste à assouplir la réglementation concernant l’âge de la retraite pour accroître la participation des travailleurs âgés peut paraître étonnante au premier abord. Ne serait-il pas plus simple et plus efficace de sanctionner matériellement la sortie anticipée du marché du travail? Et ne profitera-t-on pas de la flexibilité pour quitter la vie professionnelle encore plus tôt? À y regarder de plus près, ces deux objections apparaissent infondées.En ce qui concerne la première d’entre elles, il convient d’observer que la prospérité économique n’augmente que si les agents prennent leurs décisions sur la base d’incitations qui ne sont pas biaisées. Les institutions de prévoyance ne doivent donc ni privilégier ni pénaliser le choix d’une retraite anticipée. Quant à une contrainte à travailler plus longtemps, elle aboutirait tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, à une retraite de fait, que ce soit par l’invalidité ou par une moindre propension générale à offrir ses services.La seconde objection est démentie par le fait que les travailleurs prêts à saisir leur chance de continuer à travailler, en cas d’assouplissement de l’âge de la retraite, seraient plus nombreux que ceux qui sont aujourd’hui forcés de conserver un emploi à plein temps jusqu’à ladite retraite. Ceci s’explique par de futures conditions de travail plus favorables et une meilleure formation qu’actuellement. Les institutions de prévoyance profession-nelle seront en outre de moins en moins enclines à proposer des conditions à la générosité affirmée. ).

Inciter financièrement à poursuivre une activité professionnelle après l’âge de la retraite


À l’avenir, les personnes retraitées seront davantage actives et en meilleure santé. Encadrer la flexibilité des rapports de travail afin qu’elle ne s’exerce pas seulement dans le sens d’une retraite anticipée, mais également d’une poursuite de l’activité professionnelle, présente donc un intérêt certain. Si le travail est d’abord un mal nécessaire, il peut aussi donner un sens à l’existence et accroître la joie de vivre, comme le démontre à l’évidence le bénévolat. Lorsque le travail est rémunéré, cet aspect primordial devrait essentiellement se manifester dans les emplois très qualifiés et variés. Un travail à temps partiel adapté à l’âge de la retraite peut constituer une chance aussi bien pour les travailleurs que pour les employeurs.

Améliorer les conditions de travail et celles qui ont trait à la santé


Des décennies durant, le marché du travail bénéficiait d’une évolution démographique dynamique. Chaque nouvelle volée étant pratiquement plus nombreuse et mieux formée que la précédente, le monde du travail était essentiellement axé sur les jeunes. La situation devant se modifier, il est prévu de lancer une campagne d’information sur plusieurs années, qui s’appuiera sur de bons exemples pratiques. Il convient en outre de préparer des supports didactiques et des offres de formation continue allant dans le sens de conditions de travail orientées sur les prestations et tordant le cou à certains préjugés plus infondés que jamais. Dans une saine optique économique des choses, il s’agit d’améliorer la productivité individuelle des travailleurs tout en prévoyant des solutions plus souples qui leur offrent davantage de possibilités d’organiser leur existence. D’une part, les conditions de travail doivent être aménagées de telle sorte que la productivité diminue le moins possible avec l’âge. D’autre part, les exigences en matière de productivité doivent être conçues de manière que le travailleur puisse y répondre (emplois adaptés à l’âge).

Améliorer la réintégration des demandeurs d’emploi âgés


Les travailleurs âgés sont aujourd’hui bien moins souvent touchés par le chômage, c’est un fait. Mais s’ils y tombent, la recherche d’un emploi leur pose alors d’énormes difficultés. Dans les années à venir, la proportion de travailleurs âgés dans la population active allant en augmentant, l’âge moyen des demandeurs d’emploi s’élèvera également, ce qui confrontera les services de placement à de nouveaux défis.

Graphique 1 «Nombre d’actifs suivant les taux de participation retenus pour la Suisse, les États-Unis, l’UE et le Japon, 1950-2050 (en millions de personnes)»

Graphique 2 «Taux de retraites anticipées chez les hommes de 62 à 64 ans et les femmes de 59 à 61 ans, 1991-2000 (moyennes sur 2 ans, en %)»

Encadré 1: Objections contre une flexibilisation de l’âge de la retraite La proposition qui consiste à assouplir la réglementation concernant l’âge de la retraite pour accroître la participation des travailleurs âgés peut paraître étonnante au premier abord. Ne serait-il pas plus simple et plus efficace de sanctionner matériellement la sortie anticipée du marché du travail? Et ne profitera-t-on pas de la flexibilité pour quitter la vie professionnelle encore plus tôt? À y regarder de plus près, ces deux objections apparaissent infondées.En ce qui concerne la première d’entre elles, il convient d’observer que la prospérité économique n’augmente que si les agents prennent leurs décisions sur la base d’incitations qui ne sont pas biaisées. Les institutions de prévoyance ne doivent donc ni privilégier ni pénaliser le choix d’une retraite anticipée. Quant à une contrainte à travailler plus longtemps, elle aboutirait tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, à une retraite de fait, que ce soit par l’invalidité ou par une moindre propension générale à offrir ses services.La seconde objection est démentie par le fait que les travailleurs prêts à saisir leur chance de continuer à travailler, en cas d’assouplissement de l’âge de la retraite, seraient plus nombreux que ceux qui sont aujourd’hui forcés de conserver un emploi à plein temps jusqu’à ladite retraite. Ceci s’explique par de futures conditions de travail plus favorables et une meilleure formation qu’actuellement. Les institutions de prévoyance profession-nelle seront en outre de moins en moins enclines à proposer des conditions à la générosité affirmée.

Proposition de citation: Werner Aeberhardt ; Martina Schlaepfer ; (2006). Travailleurs âgés et croissance économique. La Vie économique, 01 avril.