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Travailleurs âgés et croissance économique: il faut changer les mentalités d’urgence

On s’est employé, ces dernières années, à favoriser les départs anticipés à la retraite, en justifiant cette politique par la constante augmentation des exigences de la vie professionnelle d’une part, et par la référence aux emplois ainsi libérés pour les jeunes travailleurs d’autre part. Cette politique était considérée comme particulièrement judicieuse lorsque des restructurations s’accompagnaient de licenciements. Il devient urgent aujourd’hui de repenser cette façon de voir chez les employeurs comme parmi les travailleurs. Du fait de la diminution de la population active et de son vieillissement, nous avons plus que jamais besoin des connaissances et des compétences des travailleurs expérimentés. Ce n’est qu’en faisant appel à eux que le pays restera compétitif et pourra continuer à innover.

Ces prochaines années, les travailleurs issus des années à fort taux de natalité atteindront l’âge de la retraite et les classes d’âge qui les remplaceront sont beaucoup moins nombreuses. Toute la pyramide des âges va ainsi se modifier, avec deux conséquences essentielles pour la politique économique: aux environs de 2015, nous serons confrontés à une pénurie de main-d’oeuvre et nous ne pourrons pas échapper à un relèvement de l’âge de la retraite AVS. Il est actuellement flexible à partir de 62 ans, mais il faudra dès 2013 le faire passer officiellement à 66 ans et, environ 5 ans plus tard, l’augmenter d’une année supplémentaire pour les hommes comme pour les femmes. Notre espérance de vie ne cesse de croître, si bien que même en relevant l’âge de la retraite, celle-ci durera de plus en plus longtemps, en raison notamment d’un niveau de santé général en amélioration constante. Par ailleurs, selon l’OCDE, les systèmes de rentes ne pourront être à l’avenir garantis que si l’on fait en sorte que davantage de personnes travaillent sur une plus longue période. L’OCDE recommande ainsi de redimensionner les mécanismes qui incitent à partir à la retraite anticipée et de lever les obstacles qui empêchent les personnes âgées de continuer à exercer une activité professionnelle. Il faut donc impérativement que des emplois soient disponibles pour les travailleurs âgés de plus de 50 ans, voire de plus de 65 ans.

On aura bientôt besoin des travailleurs âgés


Avec, d’une part, un taux de chômage relativement élevé pour la Suisse et, d’autre part, des travailleurs âgés de 50 et plus qui ont souvent des difficultés à trouver un nouvel emploi, il est très délicat de débattre objectivement de l’âge de la retraite. Avant longtemps, toutefois, l’évolution démographique prévisible devrait rendre le problème du chômage moins aigu, y compris pour les travailleurs âgés, dont nous allons avoir bientôt un besoin urgent. Pour l’instant en tout cas, on constate que malgré toutes les statistiques qui existent sur le sujet et qui mettent en évidence la gravité du problème, la prise de conscience et les actes nécessaires n’ont pas suivi. Le thème de l’intégration au marché du travail des seniors continue de n’intéresser que les spécialistes. Quiconque recherche des exemples de bonnes pratiques peut constater qu’un certain nombre d’entreprises ont développé des modèles novateurs d’intégration des seniors – répondant aux besoins – dans les processus de travail. Il est devenu impératif, pour toutes les entreprises comme pour l’ensemble des travailleurs, de réfléchir à l’évolution démographique et d’en tirer les conséquences qui s’imposent.

Renforcer l’intégration des travailleurs âgés de façon ciblée


L’expérience acquise, le réseau de relations, la loyauté, un équilibre émotionnel souvent meilleur et une plus grande flexibilité en termes de lieux et de temps de travail compensent les éventuelles pertes d’aptitudes physiques et le ralentissement des réflexes. Les entreprises ont raison de s’interroger régulièrement sur la répartition des tâches. Est-il judicieux que les collaborateurs plus âgés continuent à effectuer les travaux les plus éprouvants au plan physique, alors que les plus jeunes, arrivés après eux, sont de plus en plus souvent chargés du contrôle de la qualité? Toutefois, pour que des changements soient possibles sur toute l’étendue de la vie active, il faut aussi que les travailleurs acquièrent en permanence de nouvelles qualifications. Ceux qui sont restés de longues années à la même place ont de la difficulté à relever de nouveaux défis. Dans les années à venir, la politique du personnel devra tenir compte des travailleurs âgés pour mettre en valeur et exploiter leurs atouts de façon ciblée. Un autre aspect du problème tient au fait que les salaires et certaines cotisations sociales des personnes âgées de plus de 50 ans sont aujourd’hui près de trois fois supérieurs à ceux de leurs cadets âgés de 20 à 30 ans. Le surcroît d’expérience des seniors ne se traduit pas partout automatiquement par une hausse de la productivité analogue. Il faut élaborer de nouveaux modèles salariaux. Les assurances sociales doivent également réexaminer la question et cesser de penser que le dernier salaire perçu dans une carrière est impérativement le plus élevé.

Proposition de citation: Ruth Derrer Balladore (2006). Travailleurs âgés et croissance économique: il faut changer les mentalités d’urgence. La Vie économique, 01 avril.