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Comment maintenir la capacité de travail des travailleurs âgés? une comparaison internationale

Militer pour que les personnes actives restent insérées plus longtemps dans la vie professionnelle n’a de sens que si les conditions de travail et de santé des intéressés le permettent. Il s’agit là d’un objectif qui ne se réalise pas tout seul, mais nécessite l’action conjointe de tous les acteurs impliqués, État compris. À cet égard, trop peu de choses ont été entreprises jusqu’ici du côté de nos pouvoirs publics, assurément parce que la Suisse compte déjà une proportion élevée de travailleurs vieillissants. Les expériences faites dans ce domaine par d’autres pays, en particulier la Finlande, montrent cependant qu’il est possible non seulement d’éliminer la ségrégation frappant les travailleurs âgés, mais d’obtenir encore des gains d’efficience économique avec des programmes dont les coûts restent modestes.

L’évolution des performances avec l’âge dans un monde du travail en mutation


L’employabilité des travailleurs vieillissants augmente avec leur capacité de travail et leur volonté de performance, deux facteurs qui dépendent beaucoup de leur état de santé. On peut donc favoriser leur maintien dans la vie professionnelle en améliorant les conditions de travail, en adaptant les exigences à leur égard et en renforçant les ressources personnelles. À cet égard, le sens de la responsabilité personnelle joue aussi un rôle important. Les mutations économiques et la technicisation du monde du travail s’accompagnent en permanence de nouvelles exigences professionnelles dans des conditions en constant bouleversement. Il existera, néanmoins, toujours une forte proportion d’activités physiques simples et répétitives pour certains actifs; d’autres, au contraire, devront lutter contre des conditions de travail sédentaires et des contraintes psychiques qui ne feront qu’augmenter. La faible aptitude ou inclination au perfectionnement professionnel représente un facteur de risque supplémentaire, qui concerne plus spécialement les travailleurs ayant perdu leur capacité d’apprentissage. Afin que les nombreux travailleurs de plus de 50 ans que comptera notre pays dans une dizaine d’années puissent conserver d’ici là le haut niveau de capacité requis, il faut qu’un certain nombre de choses bougent dès maintenant. Conserver les aptitudes des travailleurs qui avancent en âge demande une gestion scrupuleuse et à long terme de la santé, de la formation et des compétences, ainsi qu’un aménagement du travail conforme aux performances (voir graphique 1). L’idée fausse selon laquelle les capacités de travail dépendent de l’âge et qu’elles ont donc tendance à diminuer constamment d’une manière générale, est encore largement répandue. Il s’agit là d’un des principaux motifs de discrimination envers les travailleurs âgés. Office fédéral des assurances sociales (2003). L’évolution des performances avec l’âge diffère beaucoup d’un individu à l’autre. Les études montrent en outre que les différences de performances sont dans la plupart des cas plus marquées entre individus d’une même classe d’âge qu’entre personnes de classes d’âge différentes. Bon nombre de compétences dépendent en grande partie des conditions de travail auxquelles un individu a été soumis au cours de sa vie professionnelle. Il est donc possible de les entretenir grâce à des actions ciblées ou de les rétablir en cas de baisse des performances.  En 1980 déjà, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) avait publié sa Recommandation n° 162 sur les travailleurs âgés, qui dégageait les actions prioritaires suivantes: – suppression des discriminations dues à l’âge dans les entreprises; – aménagement du temps de travail (taux d’occupation, forme et flexibilité du temps de travail); – exigences et conditions de travail adaptées aux prestations à tous les stades de la vie active; – protection et promotion de la santé.  Les expériences internationales montrent en particulier qu’une direction de qualité et un aménagement ergonomique du travail contribuent à améliorer les capacités des personnes concernées.

Promouvoir la capacité de travail des actifs vieillissants dans l’Union européenne


La Commission européenne se préoccupe depuis le début des années nonante de la sortie prématurée des travailleurs âgés du marché du travail. À cet égard, la Conférence de Turku (Finlande) avait constitué un tournant important. Celle-ci avait réuni, sous la présidence finlandaise du Conseil européen, environ 140 participants issus des secteurs de la politique, de l’administration, des sciences et de la recherche, des associations patronales et des syndicats des États membres de l’UE ainsi que de ses institutions compétentes. Les discussions avaient porté essentiellement sur le développement, l’expérimentation et l’évaluation de mesures actives et intégrées visant à promouvoir l’emploi des travailleurs âgés ainsi que sur les expériences accumulées à ce chapitre. Sur cette base, des recommandations devaient ensuite être formulées afin de dégager des concepts et des mesures efficaces. L’un des points de départ de cette démarche était la conviction que des mesures devaient plus particulièrement être prises dans les domaines politiques qui s’intéressent à l’amélioration sanitaire, la qualification, la situation du marché du travail ainsi qu’aux conditions qui régissent la retraite anticipée. Il était donc important de savoir comment intégrer les uns aux autres les différents acteurs et plans d’intervention afin d’obtenir un plus grand nombre d’approches intégrées tant au plan politique que dans la pratique des entreprises. La stratégie européenne de l’emploi pour 2003-2010 engage les États membres de l’UE à «promouvoir le vieillissement actif, notamment en encourageant les conditions de travail débouchant sur le maintien au travail, comme l’accès à la formation professionnelle, la reconnaissance de l’importance particulière de la santé et de la sécurité sur le lieu du travail et les formes novatrices et flexibles d’organisation du travail, et en éliminant les incitations à un départ prématuré du marché du travail, notamment en réformant les systèmes de retraite anticipée et en veillant à ce qu’il soit financièrement avantageux de rester actif sur le marché du travail, ainsi qu’en encourageant les employeurs à faire appel à des travailleurs plus âgés». L’objectif de Lisbonne demande que le taux d’emploi des travailleurs âgés soit porté à 50% d’ici à 2010, et le Conseil européen veut relever de 5 ans l’âge effectif moyen des départs à la retraite au niveau communautaire. Pour atteindre ces objectifs, plusieurs pays avaient déjà pris avant cela un certain nombre de mesures, qui diffèrent les unes des autres, en raison notamment des différences qui les caractérisent (voir tableau 1). Le Programme national en faveur des travailleurs âgés (Finpaw), réalisé en Finlande dans les années 1998-2002 sur une large base inter-institutionnelle, est non seulement un succès, mais il est également considéré comme un modèle de bonnes pratiques au plan international. Ce programme, appliqué par le ministère finlandais des Affaires sociales et de la Santé et soutenu par les ministères du Travail et de la Formation continue, se donnait pour objectifs d’éliminer la discrimination indirecte frappant les travailleurs âgés et d’améliorer leurs capacités professionnelles. À ce titre, 40 mesures ont été mises en oeuvre, qui, tout en tenant compte des intérêts économiques des entreprises, visent les quatre secteurs «vie du travail/marché du travail», «entreprises», «places de travail», et «individus». Voici les principales d’entre elles:  – campagne d’information à long terme menée auprès de la population en vue de combattre les préjugés à l’égard des travailleurs âgés; – projets de recherche et de développement visant notamment à collecter des modèles de bonnes pratiques en matière de promotion de la santé dans les entreprises, afin d’en alimenter les campagnes d’information; – programmes de formation continue destinés aux cadres dirigeants et aux responsables du personnel, aux formateurs ainsi qu’aux chargés de la sécurité et de la santé dans les entreprises; – obligation légale faite aux employeurs de tenir compte de l’âge en matière de protection de la santé au travail et d’en assurer la promotion dans l’entreprise en général; – modifications apportées au régime des retraites et aux méthodes de réhabilitation; – institution de systèmes de suivi destinés au «baromètre d’efficacité»; – nouveaux services offerts par les autorités du travail et de la protection des travailleurs pour soutenir les entreprises.  Ce programme, ainsi que la réforme des retraites, ont permis au taux d’emploi des plus de 55 ans de progresser de plus de 14% entre 1998 et 2004 pour atteindre 51% en 2005. Les raisons qui se sont révélées déterminantes dans ce succès ont été les suivantes: – la structure du programme national et ses points forts; – la bonne collaboration entre les trois ministères et le soutien actif des associations patronales et des syndicats; – la solidité des bases scientifiques des activités déployées; – la suppression de la discrimination – surtout indirecte – due à l’âge; – la mise en place d’un réseau d’institutions de formation continue pour la promotion de la gestion d’entreprise concernant les seniors ainsi que les programmes de formation continue de l’État; – le soutien direct des PME; – le suivi permanent de l’impact du programme dans la pratique des entreprises.   Contrairement à ce programme finlandais au succès certain, la plupart des mesures et programmes nationaux observés ailleurs sont actuellement en phase de planification ou de réalisation. Les analyses effectuées sur l’impact des mesures ou trains de mesures adoptées sur l’évolution du taux d’emploi des travailleurs âgés montrent que les effets des facteurs isolés n’ont pas pu être identifiés ni exprimés de manière précise. Cela tient à l’existence de nombreuses influences diverses – redressement économique, particularités nationales (systèmes de sécurité sociale, politique des partenaires sociaux, etc.), évolution démographique, changements dans la politique de l’emploi, et, bien que dans une moindre mesure, réforme des retraites. À cela ajoutons toutes les interactions possibles entre ces facteurs.

Situation et approches en Suisse


Comme dans de nombreux pays d’Europe, la discrimination à l’égard des travailleurs âgés est aussi répandue en Suisse. De plus, lors de l’aménagement des conditions de travail et de la formation continue, on accorde encore trop rarement toute l’attention requise à l’évolution des performances en raison de l’âge. Seule une collaboration entre l’État, les partenaires sociaux, l’économie et les actifs concernés permettra d’améliorer durablement la capacité de travail des personnes actives vieillissantes. C’est aussi le seul moyen d’atteindre ce but de politique sociale qu’est l’élimination de la ségrégation envers les travailleurs âgés. Au demeurant, une telle politique peut se révéler très payante au plan économique. Si l’on considère les charges qu’entraîne une diminution même légère du taux d’emploi des travailleurs âgés pour les assurances sociales (AC, AI), l’État (aide sociale) et les entreprises, les moyens mobilisés pour ce programme en leur faveur constituent un investissement très modeste en comparaison. Les expériences faites en Finlande l’ont amplement prouvé. La modification des comportements qu’exige une politique d’intégration des travailleurs âgés dans le monde des entreprises révèle cependant que les intérêts en présence diffèrent selon les acteurs considérés et qu’ils sont parfois même antinomiques, notamment entre employeurs et travailleurs. Par exemple, une flexibilité et une mobilité accrues constituent une contrainte supplémentaire pour le personnel vieillissant, mais un avantage pour l’entreprise. En revanche, la répartition des inconvénients et avantages respectifs en ce qui concerne les exigences et conditions de travail adaptées aux prestations va plutôt à l’encontre de l’exemple précédent, alors que la question de la flexibilité du temps de travail semble avantageuse aux deux parties. Le potentiel de tensions contenu dans les nouvelles stratégies déployées par les entreprises à l’égard du personnel vieillissant n’est donc pas mince. C’est surtout pour cette raison qu’il convient de lancer, sur les bases juridiques actuelles, un train de mesures d’envergure nationale qui développe suffisamment d’incitations parmi tous les intéressés et évite ainsi les blocages mutuels. La capacité de travail étant tributaire d’éléments très divers, les mesures à prendre ne portent pas sur un petit nombre d’acteurs seulement. Le défi doit être surmonté en faisant appel à une stratégie s’appuyant sur une large base inter-institutionnelle et visant: – à investir à un stade précoce dans la protection de la santé et le maintien de la capacité de travail des actifs de tous les groupes d’âge; – à repérer, exploiter et développer dans les entreprises les atouts spécifiques des employés vieillissants.  Le train de mesures décidé par le Conseil fédéral à la fin de 2005 Communiqué de presse du Secrétariat d’État à l’économie (seco) du 9 décembre 2005: Train de mesures en faveur de la participation des travailleurs âgés au marché du travail. Disponible sur Internet sur www.seco.admin.ch . tient compte de cet impératif en poursuivant les principaux objectifs que voici: – responsabiliser les individus en matière de santé et de capacité de travail à partir d’un certain âge; – lutter contre la discrimination et les préjugés envers la vieillesse dans les entreprises comme dans l’opinion publique; – maintenir la santé et la capacité de travail dans toutes les phases de la vie professionnelle.  Une attention toute particulière est accordée dans ce contexte à l’assouplissement du temps de travail: aménagement individuel des horaires, travail à temps partiel, flexibilité des départs à la retraite.

Un programme national pour la Suisse


La décision du Conseil fédéral s’appuie sur le rapport d’un groupe de travail interdépartemental Rapport du groupe de travail interdépartemental Conditions de travail et santé, Berne, 30 novembre 2005. qui, à partir de l’analyse des tendances et de la situation actuelles en Suisse et sur la base des expériences internationales menées pour maintenir la capacité de travail des actifs vieillissants, a proposé un train de mesures présentant les principales caractéristiques que voici (analogie avec le tableau 1): – groupe cible: toutes les classes d’âge, mais plus spécialement les travailleurs âgés; – niveaux d’action: État, organisations interentreprises, entreprises elles-mêmes, personnes; – activités principales: sensibilisation, soutien, formation continue, recherche; – champs d’action: discrimination due à l’âge, conditions de travail et santé, horaires flexibles, apprentissage tout au long de la vie; – modifications de lois: aucune; – rôle et apport du gouvernement: compétence prioritaire, médiation, appui; – rôle et apport des partenaires sociaux: actif, élevé; – participation d’ONG: importante.  Pour que les mesures reposant essentiellement sur la sensibilisation et le soutien produisent de nombreux effets de synergie et se révèlent efficaces dans la durée, elles doivent être planifiées et réalisées «d’un seul élan» comme un ensemble cohérent (voir graphique 2). Cette approche, doublée d’un suivi, renforcera la politique actuelle en lui donnant plus de transparence et de systématique.

Graphique 1 «La capacité de travail, un rapport entre ressources personnelles et exigences professionnelles»

Graphique 2 «Plan d’action et interconnexions du programme «Encouragement de la capacité de travail»»

Encadré 1: Bibliographie – Bundesministerium für Bildung und Forschung (Allemagne), Ageing and work in Europe – Strategies at company level and public policies in selected European countries, série de brochures sur le thème Demographie und Erwerbsarbeit, Projekt «Öffentlichkeits- und Marketingstrategie demographischer Wandel», 2003, ISBN 3-8167-6321-9 ( www.demotrans.de ).- Commission européenne, Accroître l’emploi et différer la sortie du marché du travail, Bruxelles, COM(2004) 146 final, 3 mars 2004.- Eurofound, Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, Ageing and work in Europe – National social models, a comparative analysis, 2004 ( www.eurofound.eu .int).- Eurofound, Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, Âge et conditions de travail au sein de l’Union européenne, 2003, ISBN 92-897-0208-7 ( www.eurofound.eu .int).- Forschungs- und Beratungsstelle Arbeitswelt, Politik und Massnahmen für die Beschäftigung Älterer – Erfahrungen in ausgewählten EU-Ländern, Forba-Forschungsbericht 9/2003 ( www.forba.at ). – Ilmarinen Juhani E., Ageing workers in the European Union – Status and promotion of work ability, employability and employment, Institut finlandais de la médecine du travail, ministère des Affaires sociales et de la Santé (Finlande), 1999, ISBN 951-802-306-9.- Ministère des Affaires sociales et de la Santé (Finlande), The Many Faces of the National Programme on Ageing Workers – The Concluding Report on the Programme, Publications 2002 (14), ISBN 952-00-1150-1.- Ministère des Affaires sociales et de la Santé (Finlande), The National Programme on Ageing Workers – Evaluation, Report 2002 (5), ISBN 952-00-1151-X.- Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Betriebliche Alterspolitik. Praxis in den Neunzigerjahren und Perspektiven, Bericht im Rahmen des Forschungsprogramms zur längerfristigen Zukunft der Alterssicherung (IDA ForAlt), rapport de recherche n° 4/03, 2003.

Proposition de citation: Joseph A. Weiss ; Juhani E. Ilmarinen ; (2006). Comment maintenir la capacité de travail des travailleurs âgés? une comparaison internationale. La Vie économique, 01 avril.