Neutraliser les incitations dans le domaine des assurances sociales
Si rien n’est entrepris, l’effectif des actifs commencera à baisser dès 2017 lorsque la génération du «baby-boom» arrivera à l’âge de la retraite. De plus, si la tendance aux préretraites se maintient, ces deux facteurs peuvent à moyen terme freiner la croissance de l’économie suisse et accroître les difficultés financières des assurances sociales. Voilà pourquoi il faut encourager les travailleurs âgés à rester sur le marché du travail, si possible jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite, voire au-delà. Le 9 décembre 2005, le Conseil fédéral a adopté un train de mesures allant en ce sens et qui prévoit notamment des incitations financières pour les trois piliers de la prévoyance-vieillesse.
Dans le cadre des travaux relatifs au train de mesures pour la politique de croissance, Il s’agit d’un train de 17 mesures adopté en février 2004 par le Conseil fédéral dans le but de promouvoir à long terme la croissance de l’économie suisse. La douzième mesure porte sur l’encouragement des travailleurs âgés à participer au marché du travail. les effets de la législation sociale en vigueur sur la participation des travailleurs âgés au marché du travail avaient notamment fait l’objet d’un examen. Des propositions ont été faites lorsque des réglementations portaient préjudice aux travailleurs âgés ou les incitaient à sortir prématurément du marché du travail pour prendre une retraite anticipée. Elles visent à les encourager à conserver une activité lucrative jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite. Étant donné l’augmentation régulière de l’espérance de vie, des incitations en matière de politique sociale destinées à promouvoir l’activité professionnelle des personnes de plus de 65 ans ont été étudiées. Il y avait cependant des contraintes à respecter: ne pas restreindre les possibilités existantes de retraite anticipée dans l’AVS ni empêcher les personnes les moins favorisées de bénéficier de la prestation de préretraite prévue par la 11e révision de l’AVS. Les règles ci-dessous ont un impact négatif sur la participation des seniors au marché du travail étant donné qu’elles accordent des avantages directs ou indirects aux personnes qui prennent leur retraite anticipée.
Les problèmes posés par l’AVS
Les non-actifs en retraite anticipée paient moins de cotisations AVS
Une personne qui prend une retraite anticipée reste assujettie à l’AVS, donc elle cotise jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite, mais le montant de ses cotisations se calcule à partir de sa fortune et, le cas échéant, du revenu sous forme de rente ne provenant pas de l’AVS (par exemple une rente-pont On appelle rente-pont une prestation librement consentie par l’institution de prévoyance ou par l’employeur, qui permet à la personne en préretraite de traverser la période menant jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite tout en gardant son droit à une rente AVS non réduite. Le financement des rentes-ponts est assuré soit par l’institution de prévoyance ou l’employeur, soit par une réduction actuarielle de ladite rente, donc avec la contribution du salarié. versée par l’institution de prévoyance professionnelle ou par l’employeur). Par conséquent, la cotisation est en principe inférieure à ce qu’elle était lorsque le calcul se faisait à partir du revenu de l’activité lucrative (art. 28 RAVS).
Les prestations à caractère de prévoyance librement consenties par les employeurs bénéficient de privilèges multiples
Si l’employeur accorde des prestations dans le cadre d’un plan de retraite anticipée, ces dernières ne sont pas soumises à cotisation AVS jusqu’à concurrence de huit mois de salaire (art. 8ter RAVS); si le salarié a plus de 55 ans, l’impôt fédéral direct taxe ces prestations à un taux préférentiel particulier (art. 38 LIFD) Le traitement fiscal de cette indemnité de départ à un taux préférentiel, aux plans cantonal et communal, relève de la souveraineté cantonale (la LHID ne comprend aucune disposition à ce sujet). Mais au plan fédéral, le taux d’imposition applicable aux prestations de l’employeur qui représentent un revenu de remplacement ou qui indemnisent le non-exercice d’une activité est le taux ordinaire sur le revenu.. Dans la mesure où ces prestations sont inférieures au montant de 106800 francs, l’intéressé peut faire valoir un droit à des indemnités journalières de l’assurance-chômage. En contrepartie, l’employeur peut entièrement défalquer les prestations librement consenties au titre de frais justifiés par l’usage commercial. Ces règles permettent aux employeurs comme aux employés qui résilient prématurément un contrat de travail de profiter d’avantages fiscaux et en matière d’assurance-chômage immédiats ainsi que d’une libération partielle de l’assujettissement à l’AVS. Si elles encouragent d’un côté les plans sociaux, atténuant pour les travailleurs âgés les conséquences inhérentes à la perte de leur emploi, elles contribuent aussi à réduire à long terme l’effectif des forces de travail disponibles sur le marché du travail (retraite anticipée, chômage).
La franchise AVS sur l’activité salariée desseniors
Les personnes à la retraite qui exercent une activité lucrative (à plein temps ou à temps partiel) restent assujetties à l’AVS (Ier pilier) dans la mesure où elles réalisent un salaire brut supérieur à la franchise légale de 1400 francs par mois ou de 16800 francs par an et par employeur (art. 6quater RAVS). La part du revenu qui excède cette franchise est soumise à cotisations AVS. Selon le droit en vigueur, ces cotisations ne sont plus formatrices de rentes, mais elles ont valeur de contribution à fonds perdu au financement de l’AVS. Dans de tels cas, le fait qu’une part du revenu de l’activité, la franchise, n’est pas soumise à cotisations pourrait inciter à rester actif.
Les problèmes posés par la prévoyance professionnelle
Dans l’hypothèse d’une carrière professionnelle traditionnelle (salaire croissant avec l’âge On constate que la courbe des salaires tend à s’aplatir à partir de 55 ans. En d’autres termes,ceux des seniors augmentent dans une moindre proportion que ceux des autres collaborateurs. ), le IIe pilier n’incite en principe guère à prendre une retraite anticipée. Durant les dix dernières années avant l’âge ordinaire de la retraite, les bonifications de vieillesse sont élevées, l’avoir accumulé s’accroît donc largement, ce qui a des répercussions sur le montant des rentes de vieillesse auquel la personne peut s’attendre: ces circonstances constituent plutôt des incitations à rester aussi longtemps que possible sur le marché du travail.
Une réduction du taux d’activité ou un changement de fonction entraîne une baisse de la rente de vieillesse
En règle générale, l’adaptation de la fonction ou/et du taux d’activité à l’évolution des performances se traduit par une baisse de salaire. Il en résulte, dans le régime de la primauté des cotisations, des bonifications de vieillesse diminuées, ce qui se répercute sur la rente. Comme il n’est pas possible, selon le droit en vigueur, de continuer à assurer le salaire tel qu’il était avant la réduction, les bonifications de vieillesse sont donc calculées à partir du salaire réduit dès le changement de statut. Tout changement de salaire en fin de carrière a des effets infiniment plus sérieux sur le montant de la rente de vieillesse qu’au début de la vie active.
Dans le IIe pilier, les charges salariales accessoires augmentent en fonction de l’âge
Les charges salariales accessoires croissent avec l’âge, ce qui porte préjudice aux travailleurs âgés. Tandis que dans le Ier pilier, le taux de cotisation applicable aux salariés pour assurer les risques de la vieillesse, du décès et de l’invalidité est fixé dans la loi et est indépendant de l’âge (art. 5 LAVS, art. 3 LAI), les institutions de prévoyance professionnelle peuvent déterminer ces taux elles-mêmes. On peut partir de l’idée que pour les risques invalidité et décès Étant donné la faiblesse des données statistiques se rapportant au IIe pilier – laquelle est due à l’extrême hétérogénéité du système -, on en est réduit à des suppositions., les institutions de prévoyance augmentent les primes pour les entreprises dont la structure d’âge est plutôt défavorable. Lorsqu’un dispositif de financement des prestations-vieillesse prévoit un échelonnement des cotisations en fonction de l’âge Les 2/3 environ des institutions de prévoyance ayant opté pour la primauté des cotisations (3200 institutions de prévoyance et 3,3 millions d’assurés en 2002) ont un système de cotisations échelonnées selon l’âge., l’employeur qui engage des seniors doit assumer d’importantes charges salariales accessoires. On peut donc avancer que, en ce qui concerne la poursuite de leur activité ou de l’engagement, la situation des jeunes salariés tend à être plus enviable que celle des travailleurs âgés.
Peu de possibilités de différer le passage à la retraite
Très peu d’institutions de prévoyance offrent aux seniors désireux de poursuivre l’exercice d’une activité lucrative une fois atteint l’âge ordinaire de la retraite, la possibilité de repousser ce cap. Certes, ces derniers profitent d’un taux de conversion plus élevé (art. 13, al. 2 LPP), mais il est exclu d’alimenter leur avoir de vieillesse et de les faire bénéficier d’un intérêt dans le domaine obligatoire. Ainsi, la personne qui, continuant de travailler à 65 ans passés, touche un salaire atteignant le seuil du IIe pilier ne peut profiter ni d’un avoir de vieillesse plus important, ni des intérêts sur cet avoir, ni des avantages fiscaux liés au processus d’épargne que représente ce IIe pilier.
Pas de liberté de choix entre la prestation de libre passage et la rente de vieillesse
Il reste encore des règlements d’institutions de prévoyance professionnelle qui, lorsque les rapports de service se terminent pour raison d’âge, ne donnent à leurs assurés qu’un seul droit, celui de toucher une rente de vieillesse, la prestation de libre passage n’existant même pas en option. C’est ainsi que les travailleurs âgés sont contraints de prendre une retraite prématurée à leurs yeux puisqu’ils auraient souhaité continuer à travailler.
Les mesures proposées par le Conseil fédéral
En se fondant sur ces réflexions, le Conseil fédéral a défini des mesures qu’il estime propres à stabiliser à long terme la participation des travailleurs âgés au marché du travail. Les principales d’entre elles visent à assouplir l’aménagement du temps de travail et à promouvoir l’exercice d’une activité lucrative durant la retraite.
Assouplir l’aménagement du temps de travail
Lorsque le vieillissement se traduit par une baisse des performances physiques, l’organisation actuelle du travail ne correspond souvent plus aux possibilités des travailleurs concernés. Il convient, pour mieux tenir compte des possibilités des travailleurs âgés: – d’introduire, dans le domaine obligatoire du IIe pilier, la même flexibilité, en ce qui concerne l’anticipation et le report de la rente de vieillesse, que dans le Ier pilier (nouvelle version de la 11e révision de l’AVS L’anticipation de la rente de vieillesse entière est possible dès 62 ans, l’anticipation d’une demi-rente (anticipation partielle) dès 60 ans. Les deux types d’anticipation peuvent être combinés.) de sorte que la marge de manoeuvre existante puisse réellement être utilisée; – de veiller à ce que les institutions de prévoyance puissent permettre aux assurés âgés qui réduisent leur taux d’activité ou changent de fonction de continuer à assurer le salaire antérieur dans le IIe pilier. Aux institutions de prévoyance de choisir si elles veulent prévoir à cet effet un financement paritaire (employeur/employé) ou un financement assumé uniquement par l’employé.
Liberté de choix entre la prestation de vieillesse et le libre passage
Les restrictions contenues dans les règlements sont humiliantes pour les personnes désireuses de continuer à valoriser leur force de travail et aptes à le faire. Elles vont d’ailleurs à l’encontre du but affiché qui est de maintenir sur le marché de l’emploi un nombre aussi élevé que possible de travailleurs âgés. C’est pourquoi il doit désormais être interdit de prévoir des dispositions réglementaires, qui ne permettent pas aux assurés de choisir entre prestation de vieillesse et libre passage.
Promotion de l’activité lucrative durant la retraite
Les institutions ne promeuvent pas actuellement la poursuite d’une activité lucrative au-delà de 65 ans. Dans les services publics, la majorité des cantons et la Confédération prévoient la dissolution du rapport de travail sans résiliation lorsque l’intéressé atteint un âge donné. Quant aux cotisations au Ier pilier, ce sont de pures contributions de solidarité des personnes de plus de 65 ans, dans la mesure où le montant du revenu acquis n’est pas exonéré de cotisation à l’AVS parce que tombant sous le coup de la franchise. Dans le domaine obligatoire des IIe et IIIe piliers, il est exclu de continuer à se constituer un capital-vieillesse. Or, l’exercice d’une activité lucrative a des incidences positives tant sur les assurances sociales (par exemple: financement de l’AVS) que sur l’économie (hausse de la valeur ajoutée) et les assurés (rentes plus élevées, estime de soi, entre autres). Il faut donc promouvoir le maintien de l’activité par les mesures énumérées ci-après.
Soumission des rentiers actifs à l’obligation ordinaire de cotiser et droit à une rente AVS à part pour ces cotisations
La suppression de la franchise de cotisations dont bénéficiaient les rentiers actifs est une des propositions de la nouvelle mouture de la 11e révision de l’AVS. Ce texte prévoit que désormais, les recettes supplémentaires résultant de ces versements déboucheront sur des améliorations de rente réservées aux assurés qui présentent précisément des lacunes au plan des cotisations ou ne touchent pas de rente AVS complète. Le train de mesures en faveur des travailleurs âgés va encore plus loin que cela: tous les rentiers qui exercent une activité lucrative doivent bénéficier d’une rente à part fondée sur les cotisations versées après 65 ans. Ses modalités doivent être définies durant les mois à venir. Il s’agit en particulier de trouver un équilibre entre les recettes supplémentaires induites par l’obligation de cotiser à part entière et la plus-value que cela peut représenter pour chaque bénéficiaire de rente.
Avoirs de vieillesse des IIe (domaine obligatoire) et IIIe piliers: capitalisation et retraits après 65 ans
Dans le domaine obligatoire de la prévoyance professionnelle, il n’est pas possible d’alimenter son avoir en versant des bonifications de vieillesse après 65 ans. Elles ne peuvent, en effet, être prises en compte au-delà de l’âge ordinaire de la retraite (art. 15, al. 1, LPP). Il en va de même pour les versements aux fondations du pilier IIIa. Le capital qui y est constitué ou les prestations en découlant sont échues au plus tard lorsque l’assuré atteint l’âge ordinaire de la retraite (art. 3, al. 1, OPP 3). Pour les personnes qui souhaitent poursuivre l’exercice d’une activité salariée, il peut être intéressant de continuer à alimenter ses avoirs de vieillesse des IIe et IIIe piliers, autant pour toucher une rente plus importante qu’au plan fiscal. De plus, l’exercice d’une activité lucrative doit aussi être encouragé par l’octroi d’un traitement fiscal préférentiel aux avoirs du pilier IIIa qui ne sont retirés qu’après l’âge légal de la retraite parce que le titulaire du compte a continué à travailler.
Mesures abandonnées
Les mesures suivantes n’ont pas été retenues: – prise en compte de la rente AVS dans le revenu déterminant pour le calcul des cotisations AVS des préretraités: cette mesure équivalait de facto à une réduction supplémentaire de la rente AVS anticipée, donc déjà réduite selon les principes actuariels. Cette manière de procéder aurait été plus transparente pour les assurés, mais elle combinait de manière illicite perception de cotisations et versement de prestations; – nouvel échelonnement des bonifications de vieillesse: toutes les variantes étudiées dans le cadre de cette proposition occasionnaient d’importants coûts supplémentaires pendant une période transitoire de dix à vingt ans si l’objectif actuel du IIe pilier était maintenu, à savoir que chaque assuré se constitue un avoir de vieillesse équivalent à 500% du dernier salaire assuré; – suppression de l’obligation de cotiser à l’AVS ou relèvement de la franchise pour les actifs ayant passé l’âge de la retraite: ces deux mesures faussent la concurrence. En effet, les charges salariales accessoires étant moins lourdes pour un travailleur âgé que pour un jeune, les premiers bénéficieraient d’un avantage illégitime sur le marché du travail.
Suite des travaux et calendrier
Le Département fédéral de l’intérieur (DFI) donnera corps durant les mois à venir au train de mesures annoncé. Celui-ci sera ensuite soumis au Conseil fédéral d’ici la mi-2006 sous la forme d’un projet de loi assorti d’un rapport explicatif en vue de l’ouverture d’une procédure de consultation.
Proposition de citation: Kottmann, Helena (2006). Neutraliser les incitations dans le domaine des assurances sociales. La Vie économique, 01. avril.