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La réglementation suisse au plan international

La Suisse a un marché du travail qui fonctionne bien, ce qui facilite l’adaptation de son économie nationale à la mondialisation et maintient le chômage structurel à un faible niveau. Cependant, en raison d’un degré insuffisant de libéralisation des marchés de produits, un potentiel économique important demeure inexploité. C’est ce que confirment dans leur ensemble les indicateurs de l’OCDE sur la réglementation des marchés de produits. Cependant, toutes les branches ne sont pas réglementées avec la même importance. Tandis que le commerce et les professions libérales jouissent en Suisse d’une grande liberté, le domaine des infrastructures accuse un important retard par rapport aux autres pays membres de l’OCDE.

Pourquoi comparer les réglementations?


L’étalonnage («benchmarking») est actuellement un impératif: toute entreprise est ainsi constamment forcée de se comparer à ses concurrentes. Il en est de même pour les États, qui sont aussi en concurrence les uns avec les autres en ce qui concerne les conditions-cadres offertes à l’activité économique. L’étalonnage entre les États est entré dans les moeurs depuis longtemps et a été institutionnalisé sous l’appellation d’évaluation par les pairs. Les forums où a lieu ce genre d’examen sont les organisations internationales, et au premier chef l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Fonds monétaire international (FMI) – avec les consultations fondées sur l’article IV – ainsi que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et son mécanisme d’examen des politiques commerciales (MEPC).

Une banque de données pourles travaux d’analyse


Un État qui soumet sa politique économique à un examen critique par les autres pays membres d’une organisation internationale est en droit d’en attendre une évaluation fondée sur des critères objectifs. Lors de la conférence des ministres de 1997, lorsqu’il a été décidé de procéder, au sein de l’OCDE, à des examens par pays pour évaluer la situation en matière de réformes des structures économiques, il a également été décidé de les fonder sur une banque de données documentant l’état des réformes dans chacun des États membres Pour la description de cette banque de données, voir www.olis.oecd.org/olis/2005doc .nsf/linkto/eco-wkp(2005)6. . Les relevés nécessaires ont été effectués une première fois en 1998 et actualisés en 2003. Cette banque de données, appelée Base de données internationale de l’OCDE sur la réglementation, est d’accès public Voir www.oecd.org , «Par thème», «Réforme réglementaire», «Indicateurs de réglementation des marchés de produits».. C’est une base essentielle pour les travaux d’analyse dans lesquels l’organisation met en relation les réformes entreprises par les pays membres et leurs performances économiques. Nicoletti et Scarpetta (2003) Nicoletti G. et Scarpetta S., «Regulation, Productivity and Growth: OECD Evidence», Economic Policy, n° 36, avril 2003, p. 9 à 72. ont montré qu’un environnement réglementaire favorisant la concurrence a des effets positifs sur la productivité macroéconomique, et qu’il est donc un facteur de croissance.

Les indicateurs concernant la réglementation des marchés de produits


Comme leur nom l’indique, ces données se concentrent sur les marchés de produits L’OCDE gère, au sein de ses nombreuses banques de données, un ensemble d’informations constitué d’indicateurs sur le fonctionnement des marchés du travail, au moyen desquels on peut établir l’indice LPE (législation de protection de l’emploi). Celui-ci est souvent utilisé par l’OCDE, en parallèle à l’indice de réglementation des marchés de produits (RMP) dont il est ici question, pour donner une idée du degré de rigidité des économies nationales. Si les réformes touchant le marché de produits traînent en Suisse quelque peu par rapport aux pays du Vieux Continent, eux-mêmes sont régulièrement critiqués pour le manque de flexibilité de leur marché de l’emploi. Il s’avère que le marché suisse du travail connaît une réglementation aussi libérale que ceux des pays anglo-saxons, où l’État n’exerce qu’une faible influence tant sur le marché de produits que sur celui de l’emploi. . Tenant dûment compte de l’agenda politique actuel, elles s’intéressent tout particulièrement à la libéralisation dans les industries de réseau: de quoi l’État est-il propriétaire? Dans quels domaines restreint-il l’accès de la concurrence, souvent étrangère? La banque de données a également pour ambition de «chiffrer» la rigueur du droit relatif à la concurrence, même s’il s’avère que les possibilités de qualifier et de quantifier les législations et les jurisprudences nationales sont assez limitées. La libéralisation continue du domaine des services a mis en exergue la question suivante lors de la mise à jour de 2003: dans quelle mesure les professions dites libérales – architecte, ingénieur, médecin, juriste et réviseur – peuvent-elles être exercées librement dans chacun des États membres? En fin de compte, la qualité de l’environnement entrepreneurial joue, elle aussi, un rôle déterminant. C’est ainsi que l’OCDE a cherché, d’une part, à connaître l’importance des obstacles administratifs à la création d’entreprises et, d’autre part, à déterminer si les pouvoirs publics s’efforcent de réduire leurs prescriptions et d’alléger leurs procédures administratives. Cette partie de la banque de données est utilement complétée par les efforts que déploie en parallèle le groupe de la Banque mondiale, notamment en fournissant des informations sur la protection accordée aux créanciers par le droit privé et les tribunaux Voir www.doingbusiness.org .. Quant à la compétitivité, il y a lieu de confronter les données de la banque de l’OCDE avec celles du Forum économique mondial (WEF) ou de l’IMD, à Lausanne, qui sont publiées chaque année et dont la presse se fait largement l’écho. Ces enquêtes ont également pour ambition de décrire l’environnement économique; elles recouvrent, toutefois, un plus vaste champ de conditions réglementaires et reposent essentiellement sur les appréciations données par des gestionnaires de grandes entreprises. La banque de données de l’OCDE sur la réglementation des marchés de produits s’appuie, elle, sur une enquête effectuée auprès de services gouvernementaux des pays membres, dont les réponses sont examinées en détail par des spécialistes du secrétariat de l’organisation. Ces réponses sont néanmoins entachées de subjectivité. Des réglementations complexes – par exemple concernant l’ouverture du marché ferroviaire – sont traitées en dix à douze questions auxquelles on ne peut généralement répondre que par oui ou par non et qui sont les mêmes pour les 30 États membres. L’OCDE a cependant vérifié la pertinence des résultats en examinant si un autre choix de réponses et une autre pondération auraient modifié les indices de libéralisation nationaux et bouleversé leur classement. Si la synthèse de la banque de données, qui a pris la forme d’un indicateur de réglementation des marchés de produits (RMP), s’est avérée relativement pertinente suite au changement de pondération des réponses, il n’en reste pas moins que le choix des secteurs économiques pris en considération déteint sur les résultats de l’enquête. En outre, les questions posées reflètent une conception idéale de l’ouverture des marchés, sur laquelle il est bien plus facile de parvenir à un consensus international lorsqu’il s’agit d’en déterminer les contours dans le domaine des infrastructures plutôt que, par exemple, dans celui de la santé, dont la réforme n’est d’ailleurs guère prise en considération pour l’instant dans la banque de données sur les réformes de la réglementation.

Où se situe la Suisse au plan international?


Si l’on se heurte à certaines limites d’ordre méthodologique lors de son interprétation, l’indicateur RMP, au niveau agrégé, fournit, cependant, une image convaincante qui permet de comparer le degré de réglementation en Suisse et dans les autres pays (voir graphique 2). Pour tous les États figurant dans le graphique, l’indicateur RMP a diminué au cours de la période de cinq ans. Il reflète donc les stratégies de dérégulation et de libéralisation que les pays industrialisés ont mises en oeuvre depuis la fin des années nonante. Lors des deux enquêtes, les marchés de produits les plus déréglementés étaient les pays anglo-saxons, adeptes traditionnels du libre marché, mais aussi le Danemark et la Suède. Dans les deux cas, la réglementation suisse a été jugée restrictive, cette appréciation n’étant partagée – voire dépassée – que par les pays méditerranéens et la France, d’après les experts de l’OCDE. En mesurant l’écart qui sépare les indicateurs RMP de 1998 et 2003 pour chaque pays, on obtient une indication sur le rythme des libéralisations. La comparaison montre que la Suisse se situe globalement dans la moyenne de l’OCDE, mais comme elle est relativement en retard par rapport à la plupart des autres pays, sa position ne s’est pas améliorée et elle continue d’être perçue comme un État restrictif. Pourtant, entre 1998 et 2003, certaines réformes ont permis à la Suisse d’améliorer sa position dans l’indicateur RMP. Mentionnons, par exemple, l’élargissement de l’autonomie institutionnelle des ex-régies fédérales, la réforme des chemins de fer – qui a renforcé la concurrence dans ce domaine – et la libéralisation du trafic aérien à partir de 1998. Il est frappant de constater que la plupart des réformes réalisées en Suisse sont liées, directement ou indirectement, à l’accord bilatéral avec l’UE.

Commerce et professions libérales: des branches peu réglementées en Suisse


En complément de l’indicateur RMP, l’OCDE a établi des indices du degré de réglementation dans certaines branches. Les comparer aboutit à relativiser partiellement l’image que l’indicateur RMP donne de la Suisse. Le graphique 3 montre que, comparée aux autres États, elle est plutôt réservée en ce qui concerne la réglementation des professions libérales L’analyse de l’OCDE inclut les réviseurs, les architectes, les ingénieurs et les avocats.. Connaissant le fédéralisme suisse en matière réglementaire, on peut au prime abord s’étonner de ce résultat, pourtant exact si l’on considère les restrictions que de nombreux États imposent actuellement encore à l’exercice de professions comme architecte, ingénieur, fiduciaire ou expert-comptable. Il est particulièrement surprenant de voir que la Suisse s’en tire même bien en ce qui concerne les différentes réglementations des services de distribution. Un coup d’oeil dans la banque de données de l’OCDE permet de constater que cela tient, d’une part, à la modération des prescriptions formelles concernant la création d’entreprises commerciales et de filiales en Suisse et, d’autre part, aux monopoles et aux prix réglementés que connaissent certains États. Dans les services d’infrastructure, par contre, la Suisse et ses réglementations sont considérées relativement peu favorables à la concurrence. Les controverses que suscitent certains projets de réforme – comme la libéralisation du marché de l’électricité ou l’abaissement de la valeur limite du monopole dans les services postaux – contribuent à un tel jugement.

Bilan et perspectives


Si l’on se réfère à l’indicateur RMP de l’OCDE, les effets stimulants de la concurrence sont actuellement trop peu mis à profit dans des secteurs importants de l’économie helvétique, d’où des structures d’entreprise inefficaces, un manque de liberté de choix pour les consommateurs et un rapport prix/prestations défavorable. Une autre expression de la rigidité réglementaire analysée par l’OCDE est le niveau des prix en Suisse, qui – d’après les comparaisons internationales d’Eurostat – est particulièrement élevé dans les branches protégées de la concurrence. Le niveau élevé des prix dans ces branches protégées indique clairement que les problèmes de politique économique identifiés par l’OCDE méritent d’être abordés. Dans son train de mesures en faveur de la croissance, le Conseil fédéral a prévu de prendre plusieurs dispositions pour ouvrir les secteurs où la concurrence est faible et où l’intervention de l’État est importante. Citons à cet égard la réforme de la loi sur le marché intérieur, qui a pour but d’abolir les obstacles intercantonaux à l’exercice des professions libérales, la loi sur l’approvisionnement en électricité, qui doit donner au consommateur la possibilité de choisir librement son fournisseur, et la réforme du système de santé, qui doit notamment instaurer une plus grande liberté contractuelle entre assureurs et prestataires de services. On pourrait mentionner également des mesures qui ne font pas proprement partie du train de mesures évoqué, comme la révision de la loi sur les télécommunications (pour régler la question de la boucle locale) et la réforme des chemins de fer 2, qui s’est malheureusement enlisée au Parlement pour des raisons budgétaires. Le rapport sur la libéralisation des services Voir www.seco.admin.ch/publikationen/00521 . paru en décembre dernier, qui compare la politique de libéralisation en Suisse avec celle pratiquée dans les États les plus libéraux de l’UE, indique dans quel sens orienter les efforts pour renforcer la concurrence dans les branches des services et ouvrir les marchés de produits au plan international. La question des obstacles administratifs à l’entreprise est traitée dans le programme d’action pour l’allègement des tâches administratives des entreprises Voir www.seco.admin.ch/news/00712 . qui fait également partie du train de mesures en faveur de la croissance du Conseil fédéral. D’ici à fin 2006 seront présentées une série de mesures propres à faciliter les relations avec les autorités.

Graphique 1 «Structure de l’indicateur de réglementation des marchés de produits»

Graphique 2 «Indicateurs de l’OCDE sur la réglementation des marchés de produits»

Graphique 3 «Indicateurs RMP spécifiques à certaines branches en comparaison internationale»

Encadré 1: Les raisons de la position de la Suisse: une comparaison avec le Danemark La comparaison de l’OCDE fait une place de choix au Danemark, à côté des pays anglo-saxons. Une comparaison directe entre le Danemark et la Suisse montre que celle-ci est plus restrictive quant à deux éléments de l’indicateur: – l’influence de l’État sur les entreprises est nettement plus forte en Suisse qu’au Danemark. Cela concerne en particulier l’étendue des activités économiques de l’État. Au contraire de la Suisse, l’État danois a maintenant privatisé les entreprises monopolistiques d’État dans les branches des télécommunications, de l’approvisionnement en électricité et du transport de marchandises par rail. Par ailleurs, à la différence du Danemark, l’État, en Suisse, a des participations dans l’industrie des machines (Ruag), dans l’hôtellerie et la restauration et dans les services financiers (banques cantonales et certaines branches des assurances). En outre, dans plusieurs branches, des monopoles rendent difficile, voire impossible, l’accès au marché suisse. La banque de données de l’OCDE montre qu’il est plus limité qu’au Danemark en ce qui concerne l’approvisionnement en électricité et en eau, les télécommunications et certaines assurances. Sous l’angle institutionnel, ce fait résulte pour une bonne part de l’activité économique intense de l’État lui-même;- en plus de cette forte influence de l’État, les obstacles d’ordre administratif à l’activité des entreprises contribuent considérablement à ce que la Suisse soit relativement mal classée dans la comparaison de l’OCDE. En ce qui concerne les frais de création d’une entreprise, le Danemark détient le record de la modicité: tandis qu’en Suisse – toujours selon la banque de données de l’OCDE – la fondation d’une société par actions coûte en moyenne 3682 USD et nécessite 35 jours de travail, la même procédure au Danemark se fait en 18 jours et ne coûte absolument rien au plan administratif. Autre point négatif relevé par l’OCDE: l’absence, en Suisse, de guichet unique permettant aux entreprises de solliciter plus facilement des autorisations et des licences. Le fait qu’il soit difficile de mettre en place un tel service tient pour une part à la structure fédéraliste du pays; les difficultés rencontrées pour créer au niveau fédéral une plate-forme de transaction électronique confirment cette analyse de l’OCDE. Cela dit, la concurrence entre autorités cantonales et communales stimulée par le fédéralisme pourrait aussi avoir des effets positifs en incitant les pouvoirs publics à innover.

Proposition de citation: Peter Balaster ; Sven Michal ; (2006). La réglementation suisse au plan international. La Vie économique, 01 mai.