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Propositions pour une nouvelle politique familiale favorable à l’activité professionnelle féminine

Beaucoup de pays industrialisés sont confrontés à la baisse de la natalité et au vieillissement de la population. Un recul absolu de la population active est attendu dès la prochaine décennie. Ce processus menace de freiner la croissance économique et de surcharger le filet de la sécurité sociale. Une meilleure intégration des femmes dans la vie active, s’accompagnant d’une stabilisation du taux de natalité, est donc indispensable, ne serait-ce que pour maintenir la prospérité. Toute politique familiale moderne se doit dès lors d’aider davantage les femmes à concilier travail et famille.

Une nouvelle politique familiale est nécessaire


La politique familiale actuelle a pour vocation première d’aider financièrement les familles en leur assurant le minimum vital. Le volume élevé des transferts n’aboutit, pourtant, pas à grand-chose. Si les familles à revenu modeste sont soutenues par des mesures fiscales et par les instruments de politique sociale des institutions les plus diverses, ces aides n’en manquent pas moins de méthode et de rigueur. Ainsi, les effets indésirables ne sont pas rares, telle la baisse des prestations ou l’augmentation de la charge fiscale lors d’un changement de domicile. Ces contre-incitations ainsi que d’autres dissuadent certaines personnes d’intégrer le monde du travail ou d’augmenter leur taux d’activité. Le système actuel ne va pas encore assez loin pour concilier le travail et la famille. Certes, c’est dans cet esprit que l’assurance-maternité a été créée récemment et que des financements en faveur des structures d’accueil ont été dégagés. Dans la pratique, toutefois, ces mesures ne simplifient pas assez la tâche des femmes désireuses de travailler. Les problèmes d’organisation et les frais élevés en matière de garde et d’accueil des enfants demeurent, surtout pour les femmes, des obstacles sérieux à l’accès au marché du travail. Le bilan de la politique familiale actuelle est bien maigre au regard des données économiques et de la transformation de la société: nous avons besoin de réformes qui permettent un changement d’orientation en la matière.

Un modèle d’avenir pour la politique familiale suisse


Pour mieux concilier vie familiale et professionnelle, et combattre de façon ciblée la pauvreté croissante des familles, le service Economic Research du Credit Suisse propose un modèle de réforme en trois volets: – premièrement, l’imposition individuelle pour supprimer la discrimination dont sont victimes les couples mariés à deux revenus en raison de leur état civil. La suppression d’une telle discrimination tient notamment compte des nouvelles formes de vie commune. Son principal avantage réside, toutefois, dans le fait qu’une imposition individuelle inciterait la seconde personne du couple à travailler pour percevoir un revenu secondaire; – deuxièmement, l’accueil extra-familial des enfants demande moins une augmentation des moyens qu’un financement adapté à la demande; – troisièmement, un nouveau système d’aide sociale destiné à soutenir de manière plus ciblée les ménages à revenu modeste et les aider à prendre l’initiative en les récompensant pour avoir cherché et trouvé un emploi.

Instauration de l’imposition individuelle


Contrairement à l’actuel système d’imposition des couples, la méthode d’imposition individuelle prévoit la taxation séparée des revenus de chaque contribuable; il n’y a donc plus de taxation commune des revenus familiaux. Par conséquent, le deuxième salaire, souvent plus modeste, est soumis à un taux moins élevé, ce qui rend l’imposition plus juste dans l’ensemble. Cela met fin à la discrimination fiscale dont sont victimes aujourd’hui les couples mariés par rapport aux concubins et renforce les incitations à travailler pour le conjoint – en général la femme, qui touche ainsi un deuxième salaire. Une simplification des différents systèmes cantonaux est également souhaitable, car le maquis des déductions, des doubles barèmes et des systèmes de fractionnement du revenu («splitting») manque totalement de transparence pour les familles qui changent de domicile. Formulée notamment par les cantons, la principale objection à l’instauration de l’imposition individuelle porte sur le travail administratif supplémentaire que provoquera le traitement des déclarations fiscales. Selon ses détracteurs, les ménages eux-mêmes en pâtiraient puisqu’ils auraient à remplir deux déclarations. Enfin, la perte de recettes fiscales qu’engendrerait l’imposition séparée des conjoints à deux revenus ferait augmenter la pression fiscale sur les autres contribuables. Cette façon de voir est, toutefois, quelque peu réductrice car, à long terme, les incitations à l’emploi élargissent l’assiette fiscale. Des pays comme l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Suède et la Finlande imposent déjà séparément leurs citoyens.

Promotion de l’accueil extra-familial des enfants


La Suisse ne dépense que 0,2% du produit intérieur brut (PIB) pour les structures d’accueil des enfants, ce qui est peu par rapport à d’autres pays. Elle est également à la traîne pour le nombre d’enfants en âge préscolaire au bénéfice d’une offre d’accueil. La mise sur pied d’infrastructures adéquates est, toutefois, essentielle pour concilier les obligations professionnelles et familiales. Les mesures suivantes déploient le meilleur effet de levier: – une offre d’accueil suffisante pour les enfants en âge préscolaire; – des blocs horaires à l’école primaire; – un accueil parascolaire suffisant au niveau des écoles enfantine et primaire.

L’accueil préscolaire est important


Outre les blocs horaires et l’accueil parascolaire, l’accueil des enfants en âge préscolaire est lui aussi très important, car c’est dans cette phase de la vie que les femmes sont les plus susceptibles d’interrompre leur carrière professionnelle et de la faire passer au second plan. Assurer l’accueil de leurs enfants en âge préscolaire est un véritable parcours du combattant, notamment en Suisse alémanique: il s’agit tout d’abord de trouver une place dans une crèche qui convienne, ce qui relève de la gageure. L’autre obstacle est de nature financière: dès le premier enfant, le coût élevé de l’accueil rend souvent la reprise d’une activité lucrative peu intéressante économiquement.

Soulager financièrement les familles en introduisant des bonifications pour la garde des enfants


Une bonne façon de résorber le déséquilibre entre l’offre et la demande de places d’accueil et de soulager financièrement les familles dépendant de structures d’accueil externes consisterait à introduire des bonifications pour la garde des enfants. L’idée est d’apporter un soutien financier direct aux familles en les indemnisant de leurs frais de garde. Leur liberté de décision s’en trouverait élargie puisqu’elles pourraient choisir le type d’accueil auquel elles souhaiteraient consacrer l’argent reçu. De leur côté, les gestionnaires de structures d’accueil seraient davantage exposés à la concurrence et contraints de mieux adapter leurs services aux besoins réels des parents. À cela s’ajouterait l’effet «contrôle de qualité». Si celui-ci était davantage exercé par les parents, l’État se trouverait déchargé des rôles multiples qu’il assume actuellement en tant qu’organisme financier, gestionnaire et autorité de contrôle des structures d’accueil. Autre avantage de ces bonifications: il est facile de les rattacher à une activité lucrative. En effet, seuls en bénéficieront les parents affichant un taux d’emploi total supérieur à 100% et ayant donc besoin, de facto, d’un accueil externe. Par exemple, si l’époux et l’épouse travaillaient respectivement à 100% et 60%, la famille aurait droit à trois jours de bonifications par semaine. Il va sans dire que le montant de ces bons de garde et leurs conditions d’obtention (notamment pour les indépendants) devraient encore être précisés. Comment ces bonifications pourraient-elles être financées sans nouveaux transferts? On peut imaginer une nouvelle affectation des allocations familiales à un usage précis. Un exemple de calcul simple pour une famille avec un enfant montre que les ménages familiaux pourraient être ainsi largement soulagés des frais liés à l’accueil des enfants en âge préscolaire (voir encadré 1 Une famille qui toucherait par mois et par enfant pendant 18 ans environ 200 francs d’allocations pour enfant et pendant 7 ans 250 francs d’allocations de formation, comme le prévoit le projet débattu actuellement au Parlement, bénéficierait durant ces 25 ans d’un transfert par enfant de:allocations pour enfant: 200 fr./mois x 12 mois x 18 ans + allocations de formation: 250 fr./mois x 12 mois x 7 ans = 64200 francs.À titre de comparaison, ce montant permettrait de financer l’accueil d’un enfant en âge préscolaire pour 95 francs par joura à raison de 2,5 jours par semaine pendant cinq ans. En effet:95 fr. (par jour et par enfant) x 2,5 (journées d’accueil par semaine) x 52 (semaines) x 5 (ans) = 61750 francs.). Le principal avantage des bonifications proposées ici réside dans l’affectation à un but précis de l’argent investi, car les allocations familiales, qui représentent le plus grand transfert aux familles avec quelque 4,5 milliards de francs par an, ne sont justement affectées à aucun but précis. Elles n’incitent donc pas les femmes à travailler davantage, comme il le faudrait de toute urgence, ni ne soulagent en particulier les familles nécessiteuses. Par contre, les bonifications permettent de mieux concilier vies professionnelle et familiale, tout en faisant progresser le taux d’activité des femmes. Enfin, des structures d’accueil abordables sont aussi importantes pour les ménages mieux lotis. Car il ne faut pas oublier que les femmes au bénéfice d’une bonne formation peuvent largement contribuer au revenu national. Or, si des raisons financières (discrimination fiscale, frais de garde des enfants) ou d’organisation (les emplois à temps partiel sont par exemple difficiles à trouver pour les universitaires) font qu’il ne vaut pas (ou plus) la peine de travailler pour ces femmes, ce sont autant d’impôts qui échappent au fisc.

Réforme de l’aide sociale


En Suisse, les familles nombreuses et les personnes élevant seules leurs enfants comptent parmi les catégories de population aux revenus les plus modestes et sont menacées plus que d’autres par la pauvreté. D’après le rapport 2004 sur les familles du Département fédéral de l’intérieur (DFI), ce risque est de 12% dès le deuxième enfant, contre 9,3% en moyenne nationale. La pauvreté menace encore davantage les couples avec trois enfants ou plus (20,6%) et les familles monoparentales (23,6%). Les transferts sociaux à ces catégories de ménages n’en sont que d’autant plus élevés. Les coûts de l’aide sociale ont fortement augmenté depuis les années nonante, révélant du même coup les faiblesses du système actuel. Parmi celles-ci, il convient de citer les contre-incitations au travail ou à l’augmentation du taux d’activité liées au versement de prestations qui remplacent le salaire plutôt qu’elles ne le complètent. La plupart des bénéficiaires de l’aide sociale sont soumis à un taux d’impôt marginal proche de 100%. En d’autres termes, il ne leur reste presque rien de chaque franc gagné en plus puisqu’ils doivent supporter une réduction de même ampleur de l’aide en question. Il va sans dire qu’ils n’ont dès lors guère intérêt à s’intégrer au monde du travail.

Le travail doit être récompensé


Le débat fait rage aujourd’hui sur la manière la plus efficace de pallier cette situation. Il semble que le concept le plus prometteur soit celui qui, d’une part, lie le droit aux aides financières à une contre-prestation et qui, d’autre part, améliore la coordination des flux de financement entre eux et avec le système fiscal. Dans ce domaine, les pionniers sont les États-Unis, où la règle veut que ceux qui travaillent soient récompensés. Les salariés ne gagnant pas assez pour subvenir à leurs besoins reçoivent de l’État un crédit d’impôt («earned income tax credit», EITC) qui augmente leur revenu net. Ceux qui ne travaillent pas doivent par contre se contenter de prestations sociales très faibles, en partie clairement limitées dans le temps. Ces réformes ont permis d’enregistrer des progrès aux États-Unis: en 2001, la part des ménages monoparentaux percevant des prestations de l’aide sociale avait chuté de plus de 50% par rapport au milieu des années nonante. Simultanément, leur taux d’insertion professionnelle avait progressé de 10 points à 75%. Des résultats tout à fait impressionnants, même si la bonne santé économique des États-Unis durant cette période y est aussi pour quelque chose.

Essais pratiques


Le couplage de l’aide sociale à une contre-prestation est aussi à l’essai en Suisse. Le 1er avril 2005, la Conférence suisse des institutions d’action sociale (Csias) a adopté de nouvelles normes en vertu desquelles les cantons doivent accorder une franchise de revenu de 400 à 700 francs par mois aux bénéficiaires de l’aide sociale acceptant une activité rémunérée. Avec ce système, l’aide sociale n’est plus réduite de la valeur du revenu propre. Une activité rémunérée même modeste devient ainsi intéressante. De nouveaux modèles d’aide sociale sont actuellement à l’essai. À Bâle par exemple, pour en calculer le niveau, on ne tient compte que des deux tiers du produit du travail rémunéré pendant six mois, le reste étant acquis au bénéficiaire. À Zurich, un projet pilote va dans le même sens: quiconque accepte un emploi bénéficie d’une franchise qui diminue au fur et à mesure que le revenu augmente.

Procéder en deux étapes


Ces projets pilotes inspirés du modèle américain montrent surtout qu’il est tout à fait possible de réformer le système d’aide sociale suisse. Ceci peut se faire en deux étapes: – il s’agit d’abord de réduire au minimum vital matériel (couverture des besoins de base pour l’entretien, frais médicaux et coût plafonné du logement) les prétentions des personnes aptes au travail qui n’exercent pas d’activité sur le marché du travail ou qui ne participent pas à des programmes d’intégration. Le minimum doit être fixé à un niveau suffisamment bas pour rendre cette situation très inconfortable à long terme; – la deuxième mesure consiste à garantir un revenu de base, appelé minimum vital social, aux personnes qui peuvent prouver qu’elles recherchent un emploi rémunéré ou qu’elles participent à un programme d’intégration. Les actifs se situant dans la catégorie des bas salaires («travailleurs pauvres») doivent être aidés de manière ciblée au moyen d’une bonification appelée «supplément de salaire».  Cette dernière prestation diminue à mesure que le revenu du travail augmente et disparaît à partir d’un certain seuil (voir graphique 2). Ce qui compte ici, c’est qu’un revenu propre, même modeste, en vaille la peine dans la mesure où les allocations versées en cas de nécessité peuvent être transformées sans problème en prestations destinées à compléter le salaire. Ces dernières ne seraient, toutefois, accordées qu’à partir d’un certain taux d’activité, faute de quoi certains pourraient être tentés de les utiliser pour compenser une réduction du temps de travail. Des taux d’activité plus faibles pourraient être admis pendant une période transitoire pour les personnes se trouvant en phase de réinsertion professionnelle.

Conclusion


Une politique familiale s’inscrivant dans la durée ne peut pas se résumer à un simple transfert de moyens, sans stratégie incitative et redistributive claire. À une époque de faible croissance, elle doit prendre en compte aussi bien les besoins de la société, en particulier l’activité professionnelle de femmes toujours plus nombreuses, que le nouvel environnement économique. Avec la diminution de la population active, la politique familiale devient un élément essentiel de la croissance future. En période de vaches maigres, ces réforme ne devraient, toutefois, pas grever davantage le budget de l’État. Le modèle proposé répond aux différents défis posés à la politique familiale en offrant un ensemble de mesures cohérent. Il dessine les contours d’une politique familiale qui facilite la tâche des femmes lorsqu’elles doivent prendre la décision d’avoir des enfants. Ce choix cornélien entre progéniture et carrière, décidé par l’environnement extérieur, ne devrait plus avoir de raison d’être. Le modèle vise aussi une réduction ciblée du risque de pauvreté pour les familles.

Graphique 1 «Effets attendus du modèle de réforme en trois volets»

Graphique 2 «Modèle d’allocation: exemple d’un ménage familial avec un enfant»

Encadre 1: Les transferts des allocations familiales et de formation Une famille qui toucherait par mois et par enfant pendant 18 ans environ 200 francs d’allocations pour enfant et pendant 7 ans 250 francs d’allocations de formation, comme le prévoit le projet débattu actuellement au Parlement, bénéficierait durant ces 25 ans d’un transfert par enfant de:allocations pour enfant: 200 fr./mois x 12 mois x 18 ans + allocations de formation: 250 fr./mois x 12 mois x 7 ans = 64200 francs.À titre de comparaison, ce montant permettrait de financer l’accueil d’un enfant en âge préscolaire pour 95 francs par joura à raison de 2,5 jours par semaine pendant cinq ans. En effet:95 fr. (par jour et par enfant) x 2,5 (journées d’accueil par semaine) x 52 (semaines) x 5 (ans) = 61750 francs.

Proposition de citation: Brigitte Dostert ; Monika Engler ; (2006). Propositions pour une nouvelle politique familiale favorable à l’activité professionnelle féminine. La Vie économique, 01 mai.