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Une critique sévère mais pertinente des régulateurs «indépendants» en Suisse

Une critique sévère mais pertinente des régulateurs «indépendants» en Suisse

Les recommandations sur les «régulateurs indépendants» contenues dans le rapport des experts de l’OCDE sont justes et précises. L’analyse qui les sous-tend est certes sévère, mais pertinente. Elle relève notamment «l’absence d’un cadre cohérent pour les autorités de régulation», ce qui relègue la Suisse à «un stade précoce du développement de régulateurs sectoriels vraiment indépendants». Le rapport précise également que «l’évolution de la régulation des secteurs de réseau a été plus lente en Suisse que dans de nombreux pays d’Europe» où les régulateurs disposent de davantage d’indépendance et de pouvoir que dans notre pays.

Les principaux résultats du rapport


Le diagnostic établi par le rapport de l’OCDE repose sur une analyse systématique et interdisciplinaire de la législation, des institutions et des pratiques en matière de régulation sectorielle (des infrastructures) et transversale (régulation de la concurrence, surveillance des prix). Il aboutit aux principaux résultats suivants: – le cadre juridique, les arrangements institutionnels et les pratiques de la régulation sectorielle en Suisse sont incohérents. En effet, les auteurs du rapport constatent à juste titre un développement ponctuel et peu systématique de la régulation sectorielle, conduisant à des pratiques fort diverses, mais généralement complexes et globalement insatisfaisantes; – ces régulateurs manquent généralement d’indépendance aussi bien envers les institutions politico-administratives traditionnelles qu’envers les opérateurs des secteurs qu’ils sont censés réguler. En effet, les arrangements institutionnels actuels dans le rail, l’aviation et les télécommunications prolongent simplement les institutions traditionnelles – autrement dit les offices fédéraux ou les commissions extraparlementaires – et ne sont pas vraiment à la hauteur des secteurs nouvellement libéralisés; – d’après les experts de l’OCDE, les pratiques actuelles de la régulation sectorielle en Suisse se caractérisent souvent par un manque de professionnalisme, de moyens et d’expertise, et par une confusion des rôles (par exemple entre régulation et conseil politique); – finalement, les experts de l’OCDE dénoncent un déficit de coordination sérieux entre régulation sectorielle et transversale, autrement dit entre les différents «régulateurs» des infrastructures d’une part et la Commission de la concurrence et Monsieur Prix d’autre part. Dans ces conditions, les régulateurs sectoriels ne contribuent pas suffisamment à la promotion de la concurrence et à la protection des consommateurs.  Même si ce diagnostic est connu des experts depuis longtemps, il n’en est pas moins sévère et appelle à un remaniement systématique et de fond de la régulation indépendante en Suisse.

Les faiblesses du rapport


Quoique pertinent et compréhensif, le rapport des experts de l’OCDE comporte, néanmoins, un certain nombre de faiblesses, dont deux notamment résultent d’une approche idéologique de la régulation sectorielle: – à part le secteur de l’électricité, où l’OCDE a procédé à une analyse approfondie, les télécommunications, la poste, le transport aérien et le rail ont été traités de manière superficielle et lacunaire. Ainsi, les spécificités techniques de chaque secteur, qui appellent souvent des régulations bien particulières, ont été peu étudiées. L’OCDE n’a pas non plus remarqué que la régulation spécifique du secteur postal repose sur des bases peu convaincantes; – plus généralement, la régulation indépendante selon l’OCDE est exclusivement au service de la promotion de la concurrence et donc de la compétitivité de la Suisse, ce qui constitue certes sa justification idéologique, mais ne reflète pas la réalité de la régulation sectorielle, même dans une Union européenne (UE) plus avancée en la matière. De la même manière, la dimension politique de la régulation sectorielle est réduite à la protection des consommateurs, et la dimension technique (à part les questions de sécurité dans l’aviation et dans le rail) est pratiquement absente.

Conclusion


Malgré ces critiques, il est possible de souscrire totalement aux recommandations des experts de l’OCDE, qui appellent à une approche structurelle et unifiée de la régulation indépendante en Suisse. Il faudrait pour cela une loi couvrant tous les secteurs et attribuant aux régulateurs à la fois l’indépendance, les ressources, l’expertise et le pouvoir requis pour assurer le bon fonctionnement des infrastructures en voie de libéralisation.

Proposition de citation: Matthias Finger (2006). Une critique sévère mais pertinente des régulateurs «indépendants» en Suisse. La Vie économique, 01 mai.