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Un cadre cohérent de régulation des infrastructures

Un cadre cohérent de régulation des infrastructures

En Suisse, il semble préférable, sur le plan politique, de procéder par étapes si l’on entend développer l’offre de prestations, la sécurité de l’approvisionnement et la compétitivité dans le secteur des infrastructures. La mise en place d’un système de régulation, la garantie du service public, ainsi que la transformation des anciennes régies fédérales en entreprises autonomes s’effectuent parallèlement à l’ouverture des marchés. L’aménagement futur des activités de régulation dans le domaine des infrastructures devra être défini en fonction d’un «cadre de référence cohérent».

Surveiller la concurrence et la sécurité


La notion de régulation est comprise de différentes manières suivant le point de vue et la stratégie politique. Elle recouvre principalement la surveillance de la concurrence et de la sécurité ainsi que la garantie du service public. La surveillance de la concurrence comprend le contrôle des règles établies par le législateur en vue d’assurer l’ouverture et le bon fonctionnement des marchés, ce qui comprend ses conditions d’accès, les règles de la concurrence et leur surveillance ainsi que d’éventuelles sanctions en cas d’infraction. Le but est d’établir et de garantir une concurrence durable dans l’intérêt d’un approvisionnement optimal, les incitations économiques devant être définies de manière à amener d’autres acteurs à se lancer sur le marché et à réaliser les investissements nécessaires. La surveillance de la sécurité vise à garantir le respect des règles indispensables pour assurer l’exploitation d’une infrastructure et l’approvisionnement (par ex. en cas de crise). Lorsqu’on parle de surveillance de la sécurité, il s’agit d’une notion de plus en plus souvent employée au sens large et qui ne se limite donc pas aux aspects techniques, mais comprend aussi la culture d’entreprise ou la politique sociale (par ex. les conditions de travail, la protection des consommateurs). Selon d’autres définitions, la régulation est la somme de toutes les règles étatiques ou paraétatiques, voire toute intervention de l’État ayant des incidences sur l’activité économique. Les projets de réforme qui en découlent sont d’autant plus importants.

Garantir le service public


L’activité régulatrice dans le domaine des infrastructures est avant tout guidée par la volonté de garantir le service public tel qu’il est défini par les autorités politiques et inscrit dans la loi. Elle vise à en surveiller la qualité et le financement, les autorités qui en sont chargées doivent présenter les coûts acquittés aux autorités de régulation de manière claire et transparente (interdiction des subventions croisées). Dans le domaine des télécommunications, il s’agit en outre d’assurer la gestion des ressources (fréquences, ressources d’adressage) ainsi que le respect des règles régissant les communications et la protection des consommateurs.

Indépendance


Il est essentiel que les tâches de régulation soient assumées par un organisme légitimé par l’État et, si possible, indépendant des différents acteurs du marché. Dans le secteur des infrastructures, la surveillance de la sécurité est généralement confiée, au sein de l’administration publique, à des unités distinctes d’un point de vue fonctionnel et structurel et qui concentrent leur attention sur la sécurité. En outre, la surveillance de la concurrence et le contrôle de l’application des règles régissant le service public doivent s’effectuer de manière indépendante dans le cadre des prescriptions légales. Au niveau institutionnel, les solutions varient actuellement en fonction du degré de libéralisation du secteur concerné. La séparation des tâches n’écarte, toutefois, pas le risque de conflits d’intérêts entre le fonctionnement de la concurrence, la mise à disposition d’un service public suffisant et les exigences de la surveillance de la sécurité. Ces conflits doivent être tranchés cas par cas en respectant les dispositions légales.

Le rôle pionnier de la ComCom


Dès les années nonante, les questions liées à la régulation dans le secteur des infrastructures ont pris une importance croissante en Suisse par suite de la libéralisation progressive des transports et des télécommunications. Ces dernières ont, à cet égard, joué un rôle depionnier, la loi sur les télécommunications instituant en 1997 – au moment où la Poste et Swisscom devenaient des entreprises autonomes – un régulateur indépendant, la Commission fédérale de la communication (ComCom). L’Office fédéral de la communication (Ofcom) la seconde dans la préparation et l’application de ses décisions. À la fin des années nonante, la transposition dans le droit suisse des accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE relatifs aux transports terrestres et aériens a impliqué une révision de la législation ferroviaire et aéronautique, et réglé les questions de régulation. C’est ainsi que, depuis 2000, une Commission d’arbitrage dans le domaine des chemins de fer (Cacf) est chargée de surveiller l’accès au réseau sans discrimination. Par ailleurs, la récente réorganisation des offices fédéraux des transports et de l’aviation civile a renforcé le rôle de la régulation. Les tâches qui ont trait à la sécurité sont désormais clairement dissociées de celles liées au domaine de la concurrence. La même distinction est faite au niveau de l’organisation (voir graphique 1). Dans le secteur postal, l’autorité de régulation PostReg observe l’évolution du marché depuis 2004. Dans celui de l’énergie, la nouvelle loi sur l’approvisionnement en électricité, actuellement débattue au Parlement, établira les bases légales nécessaires à l’instauration d’une Commission de l’électricité (Elcom). Le tableau 1 donne un aperçu des régulateurs dans le secteur des infrastructures.

Cadre institutionnel


La ComCom, la Cacf et la future Elcom sont des commissions extraparlementaires dont les membres, proposés exclusivement sur la base de leurs qualifications professionnelles, sont élus par le Conseil fédéral. Comme dans d’autres pays européens, la surveillance de la concurrence dans les domaines ferroviaire et aéronautique est intégrée aux offices fédéraux (OFT, Ofac). PostReg est une autorité de régulation indépendante sur le plan technique qui, au niveau administratif, est encore rattachée au Secrétariat général du Detec. La surveillance générale de la concurrence dépend de la Commission de la concurrence (Comco), la répartition des tâches entre les régulateurs sectoriels et la Comco étant réglée par différents accords plus ou moins explicites.

Louanges et critiques de l’OCDE


Le rapport de l’OCDE sur la réforme de la réglementation Voir les articles de Jörg Alter et Stéphane Jacobzone dans ce numéro., présenté dans le présent numéro, atteste que la régulation suisse est globalement bien adaptée aux différents secteurs et qu’elle possède une offre de service public de qualité. Ceci vaut notamment pour les secteurs des chemins de fer et des télécommunications où la régulation est largement en phase avec l’évolution européenne À l’exception du dégroupage du dernier kilomètre qui n’avait pas encore été décidé au moment de l’étude.. Le rapport constate, inversement, des retards dans les secteurs de la poste et de l’électricité. Il porte en outre un regard généralement critique sur l’attribution des compétences et des ressources aux services de régulation – lesquelles varient selon les secteurs – ainsi que sur leur indépendance institutionnelle. Il estime par ailleurs que les réformes entreprises dans certains secteurs sont trop fragmentaires et trop timides.

Des réformes conformes au système politique suisse


Afin de maintenir la compétitivité de son économie et de ses infrastructures, de garantir les flux internationaux de trafic, de marchandises et de données et d’assurer l’interopérabilité des systèmes techniques, la Suisse a tout intérêt à ce que l’ouverture et la régulation des marchés suive ce qui se passe dans le reste de l’Europe. Toutefois, même si ces réformes sont indispensables, elles supposent le soutien d’une majorité politique. Les débats politiques de ces dernières années montrent qu’il est judicieux de lier de futures ouvertures de marché et l’organisation spécifique de leur régulation à des garanties convaincantes concernant le service public et à une plus grande autonomie de gestion pour des entreprises telles que la Poste, Swisscom et les CFF. L’initiative sur les offices de poste, rejetée de justesse, et la loi sur le marché de l’électricité, également rejetée de peu, ou l’actuelle controverse sur la cession de la majorité des actions détenues dans Swisscom sont exemplaires dans ce sens. Ce parallélisme a fait son chemin dans le monde politique pour devenir le modèle de réforme qui assure jusqu’à maintenant à la Suisse une offre de prestations d’excellente qualité. Ce modèle est l’expression du système politique suisse et se distingue – l’OCDE le reconnaît elle-même – sur plusieurs points essentiels des autres pays européens par: – le système de démocratie directe et un fédéralisme très développé; – le fait que la Suisse ne soit pas membre de l’UE; – l’importance de son service public, notamment dans les régions périphériques.  Ce modèle a toutefois un prix: les réformes et la régulation progressent à des rythmes variables suivant les secteurs et accusent parfois d’importants retards par rapport à l’UE.

Un cadre de référence cohérent


Malgré ces variations, nous disposons de quelques années d’expérience dans la mise en place et l’organisation de la régulation dans le secteur des infrastructures. Il nous faut maintenant un cadre général où seront formulées les exigences fondamentales qui présideront à la mise au point de cette régulation, notamment: – la clarté du mandat, des compétences et des possibilités de sanction dont disposent les autorités de régulation; – l’indépendance des régulateurs par rapport aux autorités politiques; – une réglementation claire des informations à fournir par les régulateurs; – une organisation institutionnelle et juridique de ces régulateurs indépendants selon des critères identiques.  Les régulateurs devront veiller en permanence à ne pas émettre de fausses incitations économiques et à surveiller la concurrence afin qu’elle soit durable. En même temps, les règles établies devront garantir un financement efficace et transparent du service public dans les marchés libéralisés. Au niveau des institutions, il conviendra d’examiner l’intégration à moyen terme de certains régulateurs dans une autorité de régulation plurisectorielle. Il sera également nécessaire d’évaluer périodiquement la nécessité d’une régulation sectorielle afin de déterminer si les instruments des autorités ordinaires chargées de la concurrence seraient éventuellement suffisants.

Étapes ultérieures


Ce cadre de référence sera alors déterminant pour les réformes ultérieures dans le secteur des infrastructures: d’abord lors de la mise en oeuvre de la nouvelle loi sur l’approvisionnement en électricité, de la révision des lois sur la poste et l’organisation de la Poste, puis lors de la deuxième étape de la réforme des chemins de fer. Toutefois, malgré ce cadre de référence, il faudra s’attendre à ce que les réformes en Suisse soient toujours réalisées progressivement, de manière séparée dans chaque secteur et selon un calendrier distinct. L’amélioration du système de régulation ne doit pas entraîner un surcroît de bureaucratie ni engendrer des coûts supplémentaires pour les entreprises. La légèreté des structures administratives jouit d’une longue tradition en Suisse.

Graphique 1 «Structure de l’Office fédéral de l’aviation civile (Ofac)»

Tableau 1 «Vue d’ensemble des régulateurs dans le secteur des infrastructures»

Proposition de citation: Bernhard Meier (2006). Un cadre cohérent de régulation des infrastructures. La Vie économique, 01 mai.