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Faire profiter les consommateurs de la concurrence

Si le commerce de détail veut conserver les bonnes grâces des consommateurs, il doit faire baisser ses prix exagérés. L’évolution observée récemment à cet égard – réductions, lancement de produits en propre bon marché, groupements d’achat – sont positifs. Le monde politique est aussi interpellé: il doit supprimer les obstacles techniques aux échanges et l’interdiction des importations parallèles. La quasi totalité des mesures de cloisonnement du marché ont été exigées par des entreprises – qui en profitent – et non par des organisations de consommateurs. Voilà pourquoi les parlementaires représentant l’économie votent toujours pour le cloisonnement. Il semble, toutefois, qu’un tournant s’amorce ici aussi.

Depuis quelques mois, on peut acheter en Suisse deux «copies» de la boisson énergétique Red Bull: Coop et Migros ont en effet enrichi leur gamme bon marché d’une boisson au goût plus ou moins semblable à l’original – qu’ils vendent tous deux 1,20 francs: rien d’étonnant à ce qu’elles soient devenues des succès commerciaux. L’original «qui donne des ailes» coûte, lui, 2 francs. On peut, tout de même, se demander pourquoi Coop et Migros ont attendu dix ans, depuis l’arrivée de l’original sur le marché, pour garnir leurs rayons de leurs propres boissons énergisantes?

Un nouveau vent souffle sur le commerce de détail suisse


La réponse est simple: un vent nouveau souffle sur le commerce suisse de détail. La seule annonce de l’arrivée en Suisse des discounters allemands Aldi et Lidl a aiguisé la sensibilité aux prix des deux poids lourds de la distribution helvétique. Cela montre donc que jusqu’ici, la concurrence n’a guère fonctionné dans le commerce de détail et que pendant des dizaines d’années, les consommateurs ont payé leurs produits trop cher. Quelques baisses de prix ici et là ne suffisent, toutefois, pas à faire disparaître l’«îlot de cherté suisse». Les consommateurs de ce pays paient entre 10 et 50% de plus qu’à l’étranger pour des biens de consommation identiques. Cette différence de prix ne peut guère se justifier par le niveau des salaires, l’exiguïté du territoire national, le degré de qualité ou encore les droits de douane. C’est bien plutôt au manque de concurrence qu’il faut l’attribuer.

Les politiques doivent mettre fin au cloisonnement des marchés


Trois mesures politiques essentielles s’imposent pour ranimer la concurrence: – Il faut d’abord appliquer, unilatéralement et immédiatement, le principe du «Cassis de Dijon». De nombreuses prescriptions et réglementations diffèrent chez nous de l’étranger. Les réfrigérateurs suisses, par exemple, sont larges de 55 cm alors que la norme UE est de 60 cm. La crème contenue dans les aliments allemands, appelée «Sahne» doit être rebaptisée en helvète correct «Rahm», pour être admise chez nous. Il est clair que cela renchérit les importations et limite la concurrence. Les produits qui remplissent les exigences de l’UE doivent pouvoir être admis sans problème en Suisse. En effet, sauf rarissimes exceptions, leur niveau de protection est aussi bon qu’ici. Les disparités réglementaires ne servent en somme qu’à favoriser le cloisonnement des marchés; – Il faut ensuite permettre les importations parallèles des biens brevetés. Les deux tiers des produits du commerce de détail sont protégés par des brevets. Selon un arrêt controversé du Tribunal fédéral datant de 1999, le détaillant doit acheter le bien soumis à brevet auprès de l’importateur exclusif, qui dispose ainsi d’un monopole d’importation et peut sans crainte majorer ses tarifs. Le Conseil fédéral voudrait interdire les importations parallèles dans la loi sur les brevets. Il appartient maintenant au Parlement de les autoriser, au moins lorsqu’elles proviennent des pays de l’EEE; – la Commission de la concurrence (Comco) doit montrer ses griffes, afin de mettre en échec notamment les ententes verticales grâce auxquelles les fabricants dictent leur loi aux fournisseurs et aux détaillants.

Plus de combativité de la part des détaillants


Les détaillants doivent également réagir. Que ceux qui continuent de pratiquer des prix surfaits et ne se battent pas pour les réduire ne s’étonnent pas de voir les consommateurs «voter avec leurs pieds» en allant faire leurs courses à l’étranger. Les premiers signes d’un regain de combativité des détaillants sont, cependant, perceptibles. Coop s’est récemment alliée à quatre géants européens de la distribution pour créer Coopernic, un groupement d’achat destiné à consolider sa position face aux producteurs. Devant l’arrogance de Ferrero dans l’affaire des importations parallèles de ses (chères) tranches au lait, Migros les a retirées de ses rayons et lancé ses propres tranches M-Budget. Denner a refusé les hausses de prix demandées par Nestlé pour les nouveaux chocolats Cailler. Enfin, des boissons énergétiques meilleur marché sont en train de conquérir le marché et le commerce de détail ne peut pas faire autrement que de les distribuer.

Proposition de citation: Jacqueline Bachmann (2006). Faire profiter les consommateurs de la concurrence. La Vie économique, 01 juin.