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Le test de compatibilité PME du projet de loi relative à la recherche sur l’être humain

Les jeunes pousses («start-up») et les PME du secteur biotechnologique se sentent menacées par le projet de loi relative à la recherche sur l’être humain. Un test de compatibilité réalisé auprès d’une quinzaine d’entreprises a démontré que les dispositions prévues sont susceptibles de leur causer une charge administrative considérable. Le projet réglemente non seulement la recherche pratiquée sur l’individu, mais également celle menée en laboratoire avec du matériel réutilisé (sang, tissus, etc.). Si le premier ensemble de règles est bien accueilli, le deuxième est fortement critiqué.

Le Conseil fédéral a ouvert le 1er février 2006 la procédure de consultation concernant la disposition constitutionnelle et la loi fédérale relatives à la recherche sur l’être humain. L’avant-projet de loi a fait l’objet d’un test de compatibilité PME réalisé auprès d’une quinzaine de jeunes pousses et de petites et moyennes entreprises (PME) du secteur biotechnologique: ses dispositions ont été analysées en détail et confrontées aux réalités concrètes des entreprises de la branche. La nouvelle loi prévoit de réglementer deux types différents de recherche: les études effectuées «in vivo» (dans l’organisme) et celles réalisées «in vitro» (en laboratoire). La recherche «in vitro» sur des embryons n’entre, toutefois, pas dans le champ d’application du projet législatif, car elle est déjà régie par la loi sur les cellules souches. Une partie des dispositions de l’actuelle loi sur les produits thérapeutiques sera en revanche transférée dans la nouvelle loi relative à la recherche sur l’être humain.

Protéger la dignité et la personnalité de l’être humain


Le projet mis en consultation a pour but premier de protéger la dignité et la personnalité de l’être humain. Il prévoit ainsi qu’une personne ne peut être associée à un projet de recherche qu’avec son consentement écrit, obtenu au bout d’un délai de réflexion raisonnable et après qu’elle ait reçu une information suffisante. La personne doit, entre autres, être informée par oral et par écrit et sous une forme compréhensible du déroulement du projet, des risques prévisibles et des mesures destinées à assurer la protection de ses données personnelles.

Des règles «in vivo» plébiscitées


Les entrepreneurs et chercheurs avec lesquels nous nous sommes entretenus, approuvent unanimement ces règles lorsqu’elles concernent la recherche «in vivo». Il est en effet indispensable que, lors d’essais de produits thérapeutiques, les sujets d’expériences soient parfaitement informés et protégés. Si ces règles provoquent une charge administrative importante, elles sont considérées comme évidentes et essentielles. Elles n’ont, pour cette raison, fait l’objet d’aucune discussion lors des entretiens.

Des règles «in vitro» fortement critiquées


Les dispositions relatives à la recherche «in vitro» ont par contre été fortement critiquées. Les exigences en matière d’information et de consentement décrites ci-dessus sont par exemple jugées exagérées en ce qui concerne la recherche effectuée en laboratoire sur du matériel biologique réutilisé. Ce matériel (sang, tissus, urine, etc.) est généralement prélevé par un médecin dans un but diagnostique ou thérapeutique. Après utilisation, il est transmis à des chercheurs et réutilisé pour une multitude de projets au lieu d’être jeté. Les nouvelles dispositions prévoient qu’il ne sera plus possible de réutiliser ce matériel, à moins que les personnes concernées y aient expressément et préalablement consenti. Ce consentement devra exister sous une forme écrite pour le matériel codé Il s’agit de matériel biologique et de données personnelles qui ont été codés au moyen d’une clé avant d’être utilisés à des fins de recherche. La clé n’est pas conservée par le chercheur, mais par une institution. Cette dernière est seule en mesure de rétablir le lien entre le matériel et la personne concernée., alors qu’il suffira que la personne ne se soit pas opposée à la réutilisation de ses échantillons si le matériel est anonymisé Il s’agit de matériel biologique et de données personnelles dont les caractéristiques d’identification sont supprimées de telle manière que la personne à laquelle ils se rapportent ne puisse être identifiée qu’au prix d’un investissement démesuré en temps, en argent et en travail. Le chercheur n’a donc pas la capacité d’identifier la personne concernée.. Les entreprises estiment que le système envisagé entraînera une charge administrative importante, non seulement pour les chercheurs, mais également pour les médecins qui prélèvent les échantillons. Les PME du secteur biotechnologique craignent d’ailleurs que les médecins cessent, pour cette raison, de leur remettre le matériel dont elles ont besoin pour leurs recherches. Il sera d’autant plus difficile de se procurer des échantillons qu’il est prévu d’appliquerles règles sur le consentement de manière rétroactive. Le matériel entreposé aujourd’hui dans les hôpitaux, les universités et les entreprises ne pourra plus être réutilisé à des fins de recherche, à moins qu’un consentement ne soit obtenu subséquemment. Si cela n’est pas possible (par exemple en cas de décès ou de disparition des personnes concernées), un consentement par substitution devra être obtenu d’une commission d’éthique. Cette dernière ne pourra, toutefois, le délivrer que dans le cadre d’un projet de recherche concret qui devra, d’après la loi, poursuivre un «objectif essentiel». Le consentement par substitution sera, selon le rapport explicatif, également requis pour le matériel biologique anonymisé. Comme il est prévu que la loi ait un effet extraterritorial, les échantillons ne pourront plus non plus être importés de l’étranger, à moins qu’ils ne répondent aux mêmes exigences de consentement et d’information que celles prévues en Suisse. Le matériel biologique d’origine humaine ne pourra pas non plus être exporté, à moins que les conditions de réutilisation dans les pays de destination soient équivalentes à celles prévalant en Suisse. La charge administrative provoquée par les règles de consentement et le risque que des millions d’échantillons ne puissent plus être réutilisés inquiètent très sérieusement les entreprises interrogées. Des problèmes pratiques pourraient en outre se poser au sujet des moyens de preuve: – comment assurer la protection des données si les documents signés contenant les noms des personnes ayant consenti doivent accompagner les échantillons? – sinon, chez qui devront-ils être entreposés? – quels seront les moyens de preuve requis pour le matériel anonymisé? – comment prouver, autrement qu’avec des documents écrits, que les personnes ne s’opposent pas à la réutilisation de leur matériel biologique? – à qui incombera la charge de la preuve?  Ces questions très importantes ne trouvent pour l’instant de réponses ni dans le projet de loi ni dans le rapport explicatif.

Un nouveau système d’autorisations


La nouvelle loi prévoit d’instaurer un système d’autorisations obligatoires pour tousles projets de recherche. Si les entrepreneurs interrogés plébiscitent ce système pour les projets «in vivo», ils le considèrent commeune charge administrative disproportionnée en matière de recherche «in vitro»; il serait à l’avenir, par exemple, nécessaire de requérir une autorisation pour une simple étude effectuée en laboratoire. L’avant-projet prévoit, toutefois, qu’une ordonnance d’application pourra mettre en place une procédure d’autorisation simplifiée. Les dispositions du projet énoncent, cependant, des conditions précises auxquelles cette ordonnance ne pourra légitimement pas déroger. Les possibilités de décharger les entreprises seront donc limitées.La charge importante de travail à laquelle les commissions d’éthique (de milice) seront confrontées laisse en outre les entrepreneurs dubitatifs en ce qui concerne les délais de traitement des dossiers. Un autre problème concerne la qualification d’activités comme les contrôles de qualité, le calibrage, le test des machines et la formation effectués à l’aide de matériel biologique d’origine humaine. Si celles-ci devaient être assimilées à de la recherche, elles devraient alors faire l’objet d’autorisations, ce qui selon les responsables des PME interrogés serait exagéré. Dans le cas contraire, comme la loi prévoit que les échantillons utilisés pour de la recherche ne peuvent être remis à d’autres fins qu’après consentement, un premier accord serait dès lors nécessaire pour utiliser le matériel à des fins de recherche et un deuxième pour le calibrage. De l’avis des entrepreneurs interrogés, la charge administrative serait, dans un cas comme dans l’autre, excessive.

Les autres nouveautés


Les nouvelles règles concernant les projets multicentriques permettront en revanche de réduire sensiblement la charge administrative des entreprises. Les projets de recherche «in vivo» réalisés aujourd’hui sur plusieurs sites en Suisse sont soumis à l’examen des commissions d’éthique de tous les cantons concernés; le même projet fait parfois l’objet d’évaluations divergentes. Les nouvelles dispositions prévoient que de tels projets seront à l’avenir soumis à l’examen d’une seule et unique commission. Ce nouveau système est accueilli très favorablement par les chercheurs interrogés. La création d’un registre des projets de recherche provoque, par contre, des réactions plus mitigées. Les entrepreneurs craignent que les informations figurant dans ce registre (qui devrait être accessible au public) facilitent l’usurpation de droits de la propriété intellectuelle. Ils redoutent également les réactions des investisseurs lorsque des recherches ne déboucheront pas sur les résultats escomptés ou encore lorsque des études seront interrompues ou modifiées.  La formulation des dispositions concernant le droit de révocation du consentement crée enfin, selon les chercheurs interrogés, une certaine insécurité juridique.

L’impact général du projet de loi sur les PME


Les entrepreneurs interrogés estiment que la charge administrative globale créée par les nouvelles règles pourrait être très importante et que, si elles étaient adoptées, elles désavantageraient les chercheurs du secteur biotechnologique. La Suisse perdrait de son attrait vis-à-vis d’autres pays et nos entreprises seraient vraisemblablement écartées de certains projets organisés en réseau au niveau international. La plupart des entreprises contactées, quelle que soit leur taille, envisagent par conséquent de quitter la Suisse ou de déplacer leurs activités de recherche à l’étranger si le projet de loi est adopté en l’état. Même si le texte des dispositions prévues laisse place à différentes interprétations, les PME interrogées restent résolues à partir en cas où il serait adopté. Confrontées à d’importantes contraintes de temps, de financement et à une concurrence internationale féroce, elles expliquent qu’elles ne peuvent raisonnablement prendre de risques en s’engageant dans des projets qui se déroulent sur des années et nécessitent des investissements importants. Les dispositions contenues dans le projet sont, par ailleurs, suffisamment claires et strictes pour que ni les commissions d’éthique ni les ordonnances d’application ne puissent légitimement y déroger. De l’avis des entrepreneurs interrogés, les grandes entreprises seront également touchées. C’est donc l’ensemble du secteur qui sera affecté par la nouvelle loi.

La position du Forum PME


Le Forum PME est favorable à toute nouvelle réglementation visant à protéger la dignité de l’être humain et à aménager des conditions-cadres propices à la recherche en Suisse. Il soutient donc sans retenue l’adoption des règles du projet relatives à la recherche «in vivo» et se félicite de voir qu’à plusieurs égards la charge administrative pourra être réduite. En ce qui concerne la recherche «in vitro», le Forum partage les craintes des entrepreneurs et suggère de revoir intégralement les dispositions y relatives, en tenant compte notamment des éléments suivants: – les entreprises doivent pouvoir continuer à travailler en laboratoire avec du matériel réutilisé sans autorisation ni aucune contrainte administrative; – les échantillons anonymisés et codés doivent pouvoir être réutilisés pour de la recherche lorsque les patients ne s’y sont pas opposés; – les entreprises doivent pouvoir présumer que les organisations qui leur fournissent du matériel biologique d’origine humaine respectent la volonté des patients. Elles ne doivent en aucun cas être tenues d’en faire elles-mêmes la preuve; – les échantillons entreposés dans des collections (biobanques) doivent pouvoir être réutilisés pour des projets de recherche sans aucune formalité; – le matériel doit pouvoir être indifféremment réutilisé pour la recherche et les activités courantes des entreprises (contrôles de qualité, tests, calibrage, par exemple); – l’importation et l’exportation de matériel biologique d’origine humaine doivent enfin rester libres.

Encadré 1: Le test de compatibilité PME
Il importe, pour le Conseil fédéral, de prendre les mesures possibles pour que les PME ne soient pas surchargées par des tâches administratives, leur épargner des investissements supplémentaires, éviter que leur gestion ne soit entravée et réduire le moins possible leur liberté de manoeuvre. C’est dans ce but que le test de compatibilité a été créé en octobre 1999. Pour connaître les effets d’un projet législatif sur les PME, le Seco procède à la visite d’une douzaine d’entre elles représentatives à certains égards. Les résultats obtenus n’ont pas de caractère statistique représentatif; les tests sont conçus comme des études de cas servant à mettre en évidence les problèmes qui peuvent se présenter dans l’exécution. Cette méthode qualitative est efficace et est également appliquée par nos partenaires de l’OCDE.

Encadré 2: Le Forum PME
Commission d’experts extraparlementaire, le Forum PME a pour mission, depuis sa création en décembre 1998, d’attirer l’attention de l’administration fédérale sur l’importance particulière que revêtent les petites et moyennes entreprises, lesquelles représentent plus de 99,7% des entreprises marchandes de notre pays. Lors de procédures de consultation, le Forum examine les projets de lois ou d’ordonnances ayant un impact sur l’économie et formule une prise de position reflétant l’optique des PME. Le Forum se penche en outre sur des domaines spécifiques de la réglementation existante et propose, si nécessaire, des simplifications ou des améliorations.

Encadré 3: La position de l’OFSP
Le rapport du test de compatibilité ainsi que les propositions du Forum PME ont été positivement accueillis par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Les responsables du projet législatif ont d’ores et déjà l’intention de préciser certains articles du projet de loi ainsi que le texte du rapport explicatif. L’éventualité d’exclure complètement du champ d’application de la loi la recherche «in vitro» effectuée à l’aide de matériel anonymisé est envisagée. La plupart des problèmes identifiés à l’occasion du test PME seraient ainsi résolus.

Proposition de citation: Pascal Muller ; Patrick Läderach ; (2006). Le test de compatibilité PME du projet de loi relative à la recherche sur l’être humain. La Vie économique, 01 juillet.