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Débat sur les mesures de marché du travail et leur impact

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Les deux représentants clés du patronat et des syndicats débattent du système public de placement et lui reconnaissent un bilan positif. Se fondant notamment sur leurs impressions personnelles, ils confirment les études qui montrent une augmentation de son efficacité au cours de ces dernières années. Outre le professionnalisme des conseillers ORP, deux aspects ont joué un rôle déterminant dans cette évolution: le caractère limité des mandats de prestations octroyés aux cantons, qui a fait ses preuves, et le libéralisme qui caractérise le marché du travail. Évoquant les points faibles du système, les deux interlocuteurs notent que les employeurs affichent parfois une certaine méfiance vis-à-vis des ORP, une attitude motivée par la mauvaise qualité des conseils fournis lors de premiers contacts.

La Vie économique: À votre avis, comment fonctionne le système public des offices régionaux de placement (ORP)? Des réformes fondamentales sont-elles nécessaires? Gaillard: Les études confirment notre impression, selon laquelle des progrès notables ont été réalisés depuis les années nonante en matière d’efficacité tandis que les différences entre ORP ont diminué. Il était donc juste que les mandats de prestations ne fixent aux ORP qu’un petit nombre d’objectifs, tout en les définissant clairement. Le devoir principal de ces offices est de réinsérer aussi rapidement que possible les demandeurs d’emploi dans la vie active et d’éviter le chômage de longue durée. Je vois surtout des améliorations possibles dans la collaboration avec les employeurs. Beaucoup d’entreprises ne font pas appel aux ORP parce qu’elles n’y voient aucun avantage ou qu’elles ont fait de mauvaises expériences avec des personnes qui leur étaient proposées et qui ne convenaient pas pour le poste à pourvoir. Il convient de travailler encore la question. Daum: Les employeurs, eux aussi, trouvent que le système public de placement fonctionne bien de nos jours. Bien entendu, des points faibles subsistent. Monsieur Gaillard a relevé à juste titre un point critique, à savoir la méfiance de certains patrons vis-à-vis des ORP. Là encore, je constate une amélioration: plus les premiers contacts sont de qualité, meilleure sera la confiance accordée par la suite. Les employeurs qui ont fait de bonnes expériences sont davantage disposés à admettre une éventuelle déconvenue et à faire preuve de compréhension pour la tâche difficile que constitue le placement de chômeurs. Le sentiment de servir quasiment d’alibi trouve son origine dans des premiers contacts décevants entre employeurs et ORP, où les personnes présentées ne répondaient absolument pas aux qualifications requises. Les employeurs qui ont été mal conseillés au départ ne voudront plus avoir affaire aux ORP.  La Vie économique: La qualité des rapports entre conseillers ORP et employeurs pèse-t-elle davantage dans la réussite d’un placement, ces dernières années? Comment ces rapports pourraient-ils éventuellement s’améliorer? Gaillard: Il me semble que la collaboration entre ORP et entreprises a effectivement pris – et prendra encore – de l’importance, en raison de l’accord avec l’UE sur la libre circulation des personnes. Aujourd’hui, il est très facile pour une entreprise d’engager un employé étranger ou de recourir aux services d’une agence. La coopération ORP/employeurs doit permettre de placer en premier lieu les travailleurs indigènes. Pour cela, il faut le concours des entreprises. Daum: Je ne suis pas sûr que la libre circulation des personnes joue ici un rôle. Je crois que la question est plus générale: ces dernières années, la pression des coûts et des délais s’est accentuée sur les employeurs; ils ne peuvent donc plus se payer le luxe de collaborer avec des ORP qui joueraient à la loterie. Comme le montrent les études, le succès dépend en grande partie de la qualité des ORP. Plus la hiérarchie est plate, meilleure est la motivation. Plus les responsables des ORP sont eux-mêmes proches du marché de l’emploi, meilleurs sont les résultats. Les grandes organisations à hiérarchie ramifiée, où le collaborateur est relativement éloigné de ses clients – dans ce cas, les employeurs -, ne fonctionnent pas bien. Gaillard: C’est justement parce que la sveltesse des organisations est si importante pour leur succès qu’il serait faux d’imposer de nouvelles charges aux ORP. Le but doit rester la réinsertion rapide et durable. Tout au plus pourrait-on améliorer la pondération de certains indicateurs d’objectifs.  La Vie économique: Les mesures de marché du travail (MMT) coûtent quelque 600 millions de francs par an. Cette dépense en vaut-elle la peine? Daum: De nos jours, les demandeurs d’emploi doivent jouer un rôle actif et ne peuvent simplement toucher un chèque en présentant quelques postulations leur servant d’alibi. Ce principe est très important pour que l’ensemble du système fonctionne. Il va de soi qu’il faut réexaminer sans cesse l’efficacité des moyens engagés et les adapter, le cas échéant. Mais je ne vois pas de grandes possibilités d’économie du côté des MMT. Gaillard: Lors de la première vague d’évaluation, les MMT accusaient des résultats qui étaient encore nettement négatifs. En gros, on disait alors que les chômeurs feraient mieux de chercher du travail pendant la durée des MMT. Les nouvelles études sont beaucoup plus nuancées. Je ne crois pas qu’il existe des MMT totalement mauvaises ou bonnes. L’idée est plutôt d’appliquer une mesure de manière ciblée lorsque celle-ci a de fortes chances d’améliorer les possibilités de placement. Sur ce point aussi, je crois que les mécanismes actuels de pilotage sont bons: en fixant une enveloppe budgétaire globale, nous laissons aux cantons un maximum de liberté quant à son utilisation.  Daum: Comme le montrent clairement les études, chaque mesure a un effet différent selon la classe d’âge qui en bénéficie. Celui-ci dépend en outre du lieu où une personne cherche de l’emploi: dans une grande agglomération ou à la campagne, dans une région marquée fortement par le secteur financier ou dans un environnement industriel. C’est pourquoi les employeurs ne voient pas non plus la nécessité de modifier quoi que ce soit à la souplesse des mécanismes de pilotage que nous avons aujourd’hui.  La Vie économique: Que pensez-vous de la recommandation selon laquelle la mise en oeuvre rapide de mesures incitant les demandeurs d’emploi à faire preuve d’initiative serait le meilleur facteur de succès? Cette stimulation peut-elle et doit-elle être encore accélérée? Daum: Ce résultat n’est pas surprenant non plus. Il serait certes intéressant de connaître l’effet de davantage de stimulation dans des situations variables, donc en cas de chômage faible ou élevé. Fondamentalement, la réinsertion doit être engagée le plus rapidement possible et en priorité. Gaillard: Stimuler rapidement l’initiative ne signifie pas qu’une MMT doive être appliquée d’emblée. Cela veut dire qu’un entretien de conseil doit se tenir dans les meilleurs délais et qu’il faut fixer la meilleure stratégie pour parvenir à réintégrer le marché de l’emploi. Des entretiens rapides sont surtout importants pour les jeunes; ces derniers sont en effet relativement désarmés lors de la recherche d’un emploi ou sous-estiment les difficultés d’une telle entreprise et l’énergie qu’il faut y consacrer. Le semestre de motivation est une autre mesure qui a fait ses preuves pour les jeunes en fin de scolarité. Il serait dommage d’en diminuer l’attrait en réduisant les subsides. Le travail doit être récompensé. Daum: Les demandeurs d’emploi ont besoin tout de suite d’une personne qui les conseille, les suive, les surveille, et qui assure la transmission du savoir-faire en matière de marché de l’emploi et de postulation. Ce dernier élément devrait être le point fort des ORP, mais plusieurs d’entre eux connaissent un déficit à cet endroit, qui doit être comblé. Attendre trop longtemps peut avoir des conséquences fort négatives, à plus long terme.  La Vie économique: Les études macroéconomiques ont mis en lumière les effets positifs des programmes d’occupation temporaire. De tels programmes n’ont-ils pas plutôt un effet dissuasif et ne représentent-ils pas une menace? Ou facilitent-ils au contraire l’entrée sur le marché de l’emploi? Daum: Ces deux types d’effets existent, comme le démontre très bien l’une des études. L’un ou l’autre prévaudra, selon la situation. Je parlerais, toutefois, moins de menace que de motivation. Vouloir éviter les désagréments est aussi une forme de motivation. Il faut une certaine pression, c’est humain. Nous connaissons cela dans d’autres contextes; dans un plan social, par exemple, il peut s’avérer contre-productif de prolonger les délais de résiliation. Gaillard: Il est significatif que, lors de la première vague d’évaluation, les programmes d’occupation temporaire ont été les mesures les plus mal notées. Cela s’est nettement amélioré entre-temps. On a manifestement tiré la leçon des erreurs commises. Hier, le chômeur était prisonnier un an entier d’un tel programme; aujourd’hui, on réexamine périodiquement la mesure afin de déterminer si elle est encore judicieuse ou si elle a déjà atteint son but. Celle-ci est, en outre, aménagée afin de laisser aux chômeurs le temps de chercher du travail. Nombre de programmes assument même l’encadrement de ces démarches. Ce point est certes contesté, mais à mon avis, c’est une bonne solution. Un programme d’occupation temporaire devrait déboucher, autant que possible, sur un nouvel emploi. Il est plausible que l’effet de menace joue un rôle. Il serait également indiqué de tester l’aptitude au placement dans certains cas. Si, toutefois, des chômeurs sont inscrits contre leur gré à un programme d’occupation temporaire, le programme peut en souffrir et perdre de son efficacité. Daum: Je trouve quand même important que les intéressés ne puissent pas escompter toucher de l’argent sans rien faire pour cela. Ce sujet est revenu sur la table dans le cadre de la libre circulation des personnes, à propos de l’application de dispositions particulières pour la réinsertion professionnelle des femmes. En s’en tenant à un régime d’assignation ferme aux programmes d’occupation temporaire, on a évité des erreurs.  La Vie économique: Les ORP sont-ils, à votre avis, le bon endroit pour suivre une formation continue ou opérer une reconversion professionnelle?  Gaillard: Les programmes de formation sont efficaces quand ils sont introduits de façon ciblée. Pour les jeunes, il s’agit vraisemblablement de mettre l’accent sur l’occupation temporaire, par le biais des semestres de motivation et des stages; pour les personnes plus âgées, il peut, en revanche, être très impor-tant de rafraîchir d’anciennes qualifications. Les femmes qui reprennent un emploi doivent elles aussi rattraper le progrès technologique – les nouveaux logiciels, par exemple – qui s’est accompli pendant la période où elles n’avaient pas d’activité lucrative. Je trouve aussi judicieux les cours de langue pour étrangers, parce que la compétence linguistique est particulièrement importante pour eux.  Il était, cependant, correct de dire que la formation continue ne saurait être la tâche première de l’AC. À ce propos, il importe qu’un droit à la formation continue existe et que celui-ci soit, si possible, réglé dans les conventions collectives de travail. Cela est important pour que les travailleurs se perfectionnent régulièrement et fassent périodiquement un bilan personnel. Daum: La formation continue proprement dite n’est effectivement pas une tâche de l’AC. Celle-ci ne peut offrir que des formations dont les objectifs sont réalisables à relativement court terme. Si vous parlez avec des employeurs et des chômeurs, ce qu’ils critiquent le plus souvent, dans tout le système des ORP et des MMT, c’est «le régime des petits cours». Ce n’est donc apparemment pas un hasard si, dans les études scientifiques, le secteur des MMT obtient la plus mauvaise note.  Monsieur Gaillard insiste sur le droit à la formation continue, moi sur le devoir de se perfectionner. C’est à l’individu qu’il incombe d’abord de préserver son employabilité. Les employeurs fournissent une contribution importante en organisant des cours en entreprise et peuvent offrir un soutien complémentaire.  Gaillard: Les employeurs ont un intérêt à ce que le personnel soit polyvalent; cela favorise la souplesse en cas de décision stratégique ou de problème économique. Les travailleurs âgés devraient avoir eux aussi le droit de se perfectionner régulièrement afin de pouvoir suivre l’évolution, même après 50 ans.   La Vie économique: L’étude du Bass décèle une discrimination potentielle des travailleurs étrangers et reconnaît que la lutte contre un tel phénomène est une tâche transversale générale. Quel rôle peuvent et doivent assumer ici les ORP?  Daum: Ce constat est effectivement inquiétant. De mes nombreux entretiens avec des entrepreneurs et chefs du personnel, je retire, pourtant, l’impression qu’il ne s’agit pas d’une discrimination ouverte. Il me semble plutôt que nous avons affaire à des préjugés en matière de qualification et autres questions similaires. La discrimination est donc indirecte. On a une image de l’étranger qui ne connaît pas notre langue et qui arrive sans formation. Cette idée nous influence trop, si bien que même si leur qualification est de bonne qualité, ils en pâtissent. Je ne crois, toutefois, pas à la discrimination délibérée envers les étrangers. Gaillard: Pour nous, le plus inquiétant, dans les conclusions de ces études, est que la chance de sortir du chômage varie fortement selon la nationalité. Il y a donc quand même une sorte de discrimination de la part des employeurs. Ce que les ORP peuvent faire, c’est renforcer les liens de confiance avec les employeurs.  L’étude du Bass émet aussi l’hypothèse que les conseillers ORP traitent eux-mêmes différemment leurs clients selon la nationalité. Une solution à ce problème pourrait être d’intégrer sciemment dans les équipes des ORP des personnes de la deuxième génération ou qui bénéficient d’un passé migratoire. Il faut, toutefois, veiller à éviter que ces personnes s’occupent alors exclusivement des migrants.  La Vie économique: L’étude Situation des personnes en fin de droit relève qu’un nombre croissant de personnes dépendent de l’aide sociale pour leur existence. Que pourrait faire l’AC?  Gaillard: Il ne sert à rien de raccourcir davantage la durée du droit aux indemnités de chômage et de renvoyer ainsi les gens à l’aide sociale. Les ORP doivent tout mettre en oeuvre pour éviter le chômage de longue durée; plus le chômage dure, plus le placement devient difficile. Les ORP devraient aussi se soucier des personnes à handicaps multiples. L’AC dispose à cet égard de plusieurs instruments, comme les subsides d’initiation à un nouveau travail: les premiers temps, une partie du salaire est prise en charge par l’AC; en contrepartie, l’employeur fournit certaines prestations d’intégration. Le but est qu’au terme de la période d’initiation, la personne soit capable d’exercer l’activité apprise.  Daum: En dernière analyse, cela pose à nouveau la question des compétences respectives de l’AC et de l’aide sociale. Il est certain que les ORP ont aussi affaire à des personnes dont le chômage a des causes multiples. Mais quand les raisons étrangères au seul marché de l’emploi prennent le dessus – ce qui est le cas chez de nombreux chômeurs de longue durée et personnes en fin de droit -, la compétence de l’AC est à mon avis épuisée. C’est là que s’amorce la discussion sur la durée des indemnités. Il faudrait éviter d’emblée que la personne au chômage ne se trouve dans le mauvais système.  La Vie économique: La situation sur le marché suisse du travail est actuellement très bonne, en comparaison internationale. Comment la jugez-vous à moyen terme? Où voyez-vous éventuellement des problèmes futurs? Comment y répondre? Gaillard: Certains prétendent que nous aurions déjà atteint le plein-emploi. Je ne crois pas que ce soit le cas. Pour la Suisse, le chômage est toujours relativement élevé. Nous avons encore un grand nombre de jeunes sur des listes d’attente et des employés à temps partiel qui souhaiteraient travailler davantage. Il y a donc un réservoir considérable de personnes qui voudraient être actives; et elles sont toujours plus nombreuses à le devenir. L’emploi croîtra cette année d’environ 30 000 à 40 000 personnes. Contrairement aux années nonante, la politique conjoncturelle et monétaire actuelle autorise davantage de croissance, pourvu que celle-ci ne soit pas inflationniste. Nous avons aujourd’hui l’occasion de réduire relativement vite le chômage et d’offrir du travail à toutes les personnes qui le souhaitent. Il faut pour cela que les entreprises coopèrent et soient prêtes à engager une fois ou l’autre une personne qui a besoin d’un peu d’aide au début. Daum: Il est exact qu’un nombre toujours notable de personnes veulent trouver un emploi ou augmenter leur taux d’activité. Je laisse aux économistes le soin de décider si l’on peut parler d’un marché équilibré. En ce qui concerne le marché du travail, les écarts entre la Suisse et les pays étrangers se sont quelque peu réduits. Nous avons certes un taux de chômage nettement plus faible que les pays voisins, mais le temps où il était de 0,7%, comme au début des années nonante, est définitivement révolu. Je crois qu’il sera difficile de descendre en dessous de 2%. Ce chiffre ne m’inquiète, pourtant, pas si la durée du chômage diminue. Cela correspondrait à l’hypothèse selon laquelle le décalage temporaire entre les compétences acquises et les exigences demandées sur le marché de l’emploi augmente en période de mutation sociale rapide. Grâce en particulier au régime libéral dont profite notre marché de l’emploi, nous avons réussi à la fin des années nonante à inverser le taux de chômage, bien mieux en tout cas qu’en Allemagne ou en France par exemple, où le personnel engagé reste presque éternellement dans l’entreprise. La souplesse du marché suisse de l’emploi contribuera à maintenir le chômage à un niveau comparativement faible. C’est pour cette raison qu’il nous faut veiller à conserver notre régime libéral.  La Vie économique: Messieurs, je vous remercie de cet entretien.

Proposition de citation: Daum, Thomas; Gaillard, Serge (2006). Débat sur les mesures de marché du travail et leur impact. La Vie économique, 01. octobre.