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Les accords de promotion et de protection des investissements sont plus actuels que jamais

Les accords de promotion et de protection des investissements sont plus actuels que jamais

En quelques décennies, la Suisse a tissé un réseau mondial d’accords bilatéraux de promotion et de protection des investissements (APPI). Ceux-ci améliorent la sécurité juridique des investissements dans les 105 États partenaires actuels. Étant donné la mondialisation croissante des affaires, la pertinence de ces APPI est aujourd’hui plus élevée que jamais. Cela a incité le Conseil fédéral à les soumettre de nouveau au Parlement, pour la première fois depuis 43 ans.

La Suisse n’a pas seulement une longue histoire d’exportation de produits industriels et de services. Ses entreprises exportent aussi depuis longtemps un volume considérable de capitaux, en particulier sous la forme d’investissements directs. Elle réussit de même dans le placement de capitaux en provenance de l’étranger. Cette vocation internationale joue un rôle prépondérant dans la compétitivité de notre économie. Elle permet aux entreprises d’exploiter leurs atouts au-delà des frontières de notre petit marché intérieur et oblige les milieux politiques à veiller à ce que les conditions-cadres de notre espace économique restent attrayantes. Le montant des investissements directs est impressionnant. Les acteurs économiques suisses détiennent actuellement 450 milliards de francs (valeur statistique) dans des établissements de production, de distribution et de recherche à l’étranger L’évolution des investissements directs est relevée et publiée chaque année par la Banque nationale suisse ( www.snb.ch ). . Il n’y a pas que les grandes sociétés; plusieurs milliers de petites et moyennes entreprises (PME) suisses participent également au mouvement. Elles emploient ensemble près de 2 millions de personnes à l’étranger. Dans l’autre sens, le montant des investissements directs étrangers dans notre pays est actuellement de 220 milliards de francs. Il est vrai que la Suisse abrite un nombre élevé de sociétés holding étrangères, dont les investissements internationaux ne font souvent que traverser le pays. Mais même si l’on retranche ces flux de capitaux, la valeur des investissements directs en Suisse reste parmi les plus élevées au monde.

Tendances actuelles en matière d’investissements directs


Les investissements transfrontières se développent de façon très dynamique. Non seulement les entreprises optimisent en permanence leurs structures pour tenir compte des nouveaux marchés, technologies et risques, mais les États sont également en concurrence perpétuelle pour attirer les entreprises et les investisseurs internationaux.  Parmi les tendances actuelles, on peut en souligner cinq On trouvera des vues d’ensemble entre autres dans les Rapports sur l’investissement dans le monde de la Cnuced ( www.unctad.org ) et dans les Perspectives de l’investissement international de l’OCDE ( www.oecd.org ).: – après des pics historiques au tournant du millénaire et une chute par la suite, les investissements internationaux ont retrouvé une forte croissance à partir de 2004; – la part des pays en développement dans les investissements directs mondiaux croît continuellement depuis quelques années; – les investissements transfrontières se déplacent du secteur secondaire (industrie) vers le tertiaire (services); – à l’instar des grands groupes, de plus en plus de PME se dotent de structures à l’étranger; – dans quelques États, surtout d’une certaine taille, on constate depuis quelques années une nouvelle tendance inquiétante qui consiste à restreindre les participations ou reprises de la part de sociétés étrangères, pour des raisons sécuritaires ou «stratégiques».  Tous ces facteurs doivent donc être pris en compte dans l’évolution de la réglementation internationale sur les investissements.

Réglementation universelle ou plat de spaghettis?


Ceux qui s’engagent substantiellement et à long terme dans un autre pays ont un besoin particulier de prévisibilité et de stabilité. Or, les États ne sont pas encore tous capables, tant s’en faut, de garantir une sécurité juridique élevée. Le droit international public ne peut pas non plus protéger les investisseurs internationaux dans la mesure souhaitée. Une réglementation universelle, qui offrirait un certain nombre de garanties aux investisseurs dans le monde entier, n’en apparaît que plus opportune, surtout en ces temps de mondialisation. Des efforts avaient déjà été entrepris en ce sens. Après la Seconde Guerre mondiale, la Charte de La Havane contenait, certes, un ensemble de principes concernant les investissements internationaux, mais les seules règles concrètes adaptées à l’époque étaient celles de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt). Dans les années septante, l’ONU élaborait une Charte des droits et devoirs économiques des États. Elle n’a, cependant, pas rassemblé de consensus parmi ses membres. Dans les années nonante, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a tenté – toujours sans succès – de parvenir à un accord multilatéral sur l’investissement. Le dernier essai en date est celui entrepris dans le cadre du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais il a été, lui aussi, abandonné en 2003. Cela semble d’autant plus étrange que la plupart des États s’efforcent très activement et depuis longtemps de réglementer les investissements internationaux. On distingue ici quatre systèmes: la réglementation multilatérale, la réglementation de grands groupes d’États, l’accord de libre-échange et les accords bilatéraux. La réglementation multilatérale: certains aspects des investissements internationaux sont couverts par les accords de l’OMC sur les services (AGCS) et sur la propriété intellectuelle (Adpic), ainsi que par les mesures concernant les investissements et liées au commerce (MIC). La réglementation de grands groupes d’États: on citera ici en premier lieu les instruments de l’OCDE, qui régissent toujours une grande partie des investissements transfrontières. Toutefois, des règles internationales ont été adoptées dans ce domaine par d’autres grandes régions comme l’Amérique du Nord ou l’Asean, ou pour des secteurs économiques précis comme l’énergie. Les accords de libre-échange: les accords bilatéraux et régionaux mettant sous un même toit le commerce, les investissements et d’autres aspects des échanges économiques internationaux se sont multipliés rapidement ces dernières années. Entre-temps, quelque 200 accords de ce type sont entrés en vigueur, avec des chapitres substantiels sur les investissements. Les accords bilatéraux: ils représentent de loin la réponse la plus fréquente à l’absence de cadre juridique universel. On compte d’un côté quelque 2500 APPI bilatéraux, de l’autre plus de 2700 accords bilatéraux supprimant les doubles impositions, qui jouent également un rôle important dans la promotion des investissements internationaux. Ce n’est pas sans raison que l’on a comparé à un plat de spaghettis cet enchevêtrement de réglementations, qui parfois se chevauchent, voire se contredisent. Pour les acteurs économiques, en tout cas, la situation n’est pas idéale. Pour une économie relativement petite et ouverte comme celle de la Suisse, des solutions multilatérales efficaces seraient préférables, mais là où celles-ci ne sont pas (encore) réalisables, il s’agit de constituer et d’entretenir un réseau d’accords bilatéraux et régionaux aussi complet et cohérent que possible.

Le réseau suisse de protection des investissements


La Suisse dispose du réseau le plus dense d’APPI bilatéraux après l’Allemagne et la Chine (voir tableau 1). Depuis le début des années soixante, elle en a conclu 120, dont 105 sont en vigueur. Pour les entreprises désireuses d’investir à l’étranger, la Suisse dispose là d’un avantage, qui suscite de plus en plus d’intérêt. Jusqu’ici, les États membres de l’OCDE se sont, la plupart du temps, abstenus de conclure entre eux de tels APPI: ils considèrent que leur perception commune du droit international public et les instruments spécifiques de l’OCDE constituent une base suffisante. La majeure partie du réseau suisse d’APPI concerne donc des pays extérieurs à l’OCDE. Il s’est mis en place à partir de 1961, en plusieurs étapes. La première phase était placée sous le signe de la décolonisation, en Afrique surtout. Elle a duré jusque vers le milieu des années septante. Après une accalmie, la cadence des signatures a repris de plus belle à la fin des années quatre-vingt. Durant cette deuxième phase, ce sont les États d’Europe centrale et orientale, ainsi que ceux de l’ancienne Union soviétique, qui ont occupé le devant de la scène. Depuis lors, chaque année a vu en moyenne quatre nouveaux APPI entrer en vigueur, tandis que l’on commençait à renouveler les premiers. Ces prochaines années, tout en comblant les dernières lacunes importantes du réseau, on mettra l’accent sur le renouvellement des APPI conclus avec des partenaires économiques de poids et dont les dispositions ne répondent plus aux exigences actuelles (Chine, Russie, etc.). La concentration des APPI dans l’espace hors OCDE signifie qu’environ 30% des investissements directs suisses à l’étranger (soit 140 milliards de francs) sont actuellement couverts par de telles conventions. Il s’agit en général de marchés dont les risques, mais aussi les potentiels de croissance, sont généralement plus élevés qu’ailleurs. Grâce aux APPI, les risques non commerciaux peuvent être considérablement atténués, ce qui rehausse l’attrait des pays concernés pour les investisseurs étrangers. L’intérêt de conclure de tels accords est donc au moins aussi important pour les États qui importent des capitaux que pour ceux qui en exportent. Grâce aux APPI, la Suisse dispose d’un cadre juridique qui lui permet d’aider efficacement ses entreprises présentes à l’étranger, en cas de problème. En outre, les investisseurs peuvent, en dernier recours, faire valoir eux-mêmes leurs droits devant un tribunal arbitral international, du moins dans les APPI d’origine récente.

Teneur et application des APPI


Dans le but de minimiser les inconvénients de l’approche bilatérale pour les acteurs économiques, mais naturellement aussi pour des raisons matérielles, la Suisse s’efforce depuis des décennies d’appliquer une politique aussi cohérente que possible en matière d’APPI. Du point de vue de la structure et du contenu, les 105 APPI en vigueur présentent un degré de congruence élevé et sont, dans la plupart des cas, équivalents. Les différences proviennent de besoins spécifiques exprimés par certains partenaires et dont les termes ont été jugés acceptables par la Suisse. Au cours des ans, les APPI se sont, en outre, enrichies de nouveaux éléments. Il faut souligner que les APPI ne touchent pas la liberté des parties contractantes d’autoriser des investissements étrangers sur leur territoire, que ce soit à la suite d’une procédure d’autorisation formelle ou informelle. Les obligations de droit international public ne naissent qu’à partir du moment où un investissement sur le territoire de l’État hôte a été effectué conformément au régime juridique de ce dernier (phase dite de postétablissement). En matière d’accès au marché des investisseurs (phase de préétablissement), les seules règles concernant la Suisse se trouvent dans certains instruments multilatéraux de l’OCDE et de l’OMC (AGCS), ainsi que dans quelques accords de libre-échange récents de l’Association européenne de libre-échange (AELE) Accords de l’AELE avec Singapour, le Chili et la Corée.. Les APPI améliorent la sécurité juridique des investissements à l’étranger, essentiellement en interdisant les discriminations et en protégeant à différents égards la propriété des investisseurs. Des mécanismes efficaces de règlement des litiges assurent que les obligations convenues par traité international ne restent pas lettre morte.  Les dispositions principales des APPI portent sur les points suivants: – champ d’application: la notion d’investissement est conçue largement (droits réels, parts sociales, créances, droits de propriété intellectuelle, concessions de droit public, etc.) et recouvre toutes les formes d’entreprises; – non-discrimination: dans le pays hôte, les filiales étrangères ne peuvent être moins bien traitées que les entreprises indigènes (traitement national) ou celles d’États tiers (clause de la nation la plus favorisée); – libre transfert: cette garantie concerne le transfert de capitaux vers le pays hôte et le rapatriement de leur rendement; elle englobe tout le trafic des paiements liés à un investissement; – protection contre l’expropriation arbitraire: l’expropriation n’est admissible que si elle a lieu dans l’intérêt public, qu’elle n’est pas discriminatoire, y compris dans ses modalités, qu’elle obéit aux garanties prévues par la loi et qu’une pleine indemnisation est prévue; – respect d’obligations spécifiques à l’égard de l’investisseur: si un investissement est effectué sur la base des engagements spécifiques de l’État hôte (par exemple en matière de fourniture d’énergie ou de fiscalité), ces obligations tombent sous la protection de l’APPI; – arbitrage: l’investisseur a le droit de porter les violations d’un APPI par l’État hôte devant un tribunal arbitral international neutre. Les États contractants peuvent, en outre, soumettre les questions d’application et d’interprétation des APPI à un tribunal arbitral.  Les devoirs des investisseurs ne font pas l’objet des APPI, ils découlent en premier lieu de la législation de l’État hôte. Certaines prescriptions obligatoires de l’État d’origine doivent également être respectées, notamment l’interdiction de corrompre à l’étranger. Ces derniers temps, on a constaté une nette augmentation du nombre de cas soumis à l’arbitrage international sur la base d’accords de protection des investissements. L’instance la plus sollicitée est le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), un organisme spécialisé de la Banque mondiale. Plus de cent procédures, originaires de nombreux États, sont actuellement ouvertes devant lui. Certains arbitrages ont déclenché des discussions dans les milieux spécialisés et dans l’opinion publique. Cependant, le dispositif de règlement des litiges prévu par les APPI a largement fait ses preuves dans la pratique des dernières années. Il faut surtout relever que seul un très petit nombre des différends entre investisseurs et États hôtes débouchent sur une procédure d’arbitrage. C’est qu’en règle générale, les solutions sont trouvées à un stade précoce – avec ou sans l’appui de l’État d’origine – dans l’intérêt des deux parties.

Le message du Conseil fédéral


Les Chambres fédérales devront bientôt se pencher sur des APPI suisses. Pour la première fois depuis 43 ans, le Conseil fédéral leur soumet de nouveau cinq accords pour approbation. Jusqu’en 2004, l’accord du Parlement n’était pas nécessaire à cause d’une délégation de compétence. Le message du Conseil fédéral du 22 septembre 2006 Le message sera publié dans la Feuille fédérale (FF) du 24 octobre 2006. porte sur cinq APPI signés depuis fin 2005 APPI avec l’Azerbaïdjan, le Guyana, la Colombie, l’Arabie saoudite et les deux États désormais séparés de la Serbie et du Monténégro.. Il commente plus en détail que nous ne pouvons le faire ici le contexte, la fonction et la teneur de tels accords.

Graphique 1 «Nombre d’APPI conclus dans le monde, 1990-2004»

Graphique 2 «APPI conclus dans le monde, par groupes de pays, 2005»

Tableau 1 «Les dix premiers pays en nombre d’APPI conclus, 2005»

Encadré 1: Glossaire Investissements directs

Par investissements directs, on entend en général les placements de capitaux qu’un investisseur effectue pour influencer directement et durablement l’activité d’une entreprise à l’étranger. Les statistiques définissent comme des investissements directs la fondation d’une filiale ou d’une succursale, ou encore la participation d’un investisseur à au moins 10% du capital donnant le droit de vote dans une entreprise.

Investissements de portefeuille

En revanche, les investissements internationaux de portefeuille sont des participations au capital à l’étranger, prises sans l’intention d’influencer directement la gestion d’une entreprise. C’est le cas des titres de créance (titres à court terme, obligations), des titres de propriété (actions, bons de participation, bons de jouissance) et des certificats de fonds de placement.

Encadré 2: Le réseau des APPI suisses La Suisse dispose actuellement de 105 APPI bilatéraux en vigueur. Neuf autres ont été signés mais ne sont pas encore entrés en vigueur. L’état actuel du réseau suisse d’APPI peut être consulté sur le site du Secrétariat d’État à l’économie: www.seco.admin.ch , rubriques «Politique économique extérieure», «Investissements»).

Proposition de citation: Ivo Kaufmann (2006). Les accords de promotion et de protection des investissements sont plus actuels que jamais. La Vie économique, 01 novembre.