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La ratification de la Convention de La Haye sur les trusts

La ratification de la Convention de La Haye sur les trusts

Même si le droit en vigueur en Suisse accorde déjà une large reconnaissance aux trusts constitués selon des normes juridiques étrangères, force est d’admettre que, sur bien des points, la situation actuelle est entachée d’incertitudes. Les milieux intéressés souhaitent donc que le régime juridique des trusts étrangers repose sur des bases plus solides et que la sécurité du droit soit améliorée dans les affaires où la législation du trust intervient. Ce désir est partagé par les organes de l’État directement concernés, dont l’Autorité de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. C’est la raison pour laquelle le Conseil fédéral a soumis au Parlement un projet d’arrêté fédéral prévoyant la ratification de la Convention de La Haye sur les trusts, ainsi que l’introduction de dispositions complémentaires dans les lois fédérales qui concernent le droit international privé et la poursuite pour dettes et faillites. Le Conseil des États a déjà approuvé le projet. Le Conseil national en débattra vraisemblablement lors de sa session d’hiver. Sa commission a proposé à l’unanimité de suivre le Conseil des États.

Qu’est qu’un trust?


Le trust est principalement répandu dans les États de droit coutumier. Il s’agit d’un patrimoine rendu juridiquement indépendant et qui, à l’instar de la fortune d’une fondation, est destiné à profiter à des personnes déterminées ou à un but d’intérêt général. L’administration de ces biens en conformité avec le but auquel ils sont affectés est assurée par les «trustees», que l’on peut considérer comme les organes du trust. À la différence de la fondation, les «trustees» sont aussi les propriétaires formels du patrimoine concerné, car le trust ne jouit pas de la personnalité juridique et ne saurait avoir lui-même la qualité de propriétaire. Le droit de propriété des «trustees» est, cependant, de nature purement fiduciaire. Les biens du trust ne peuvent être utilisés par eux que dans le cadre du but assigné et constituent un patrimoine distinct dans leur fortune.

La sécurité du droit revêt une importance économique


En Suisse, de nombreuses valeurs patrimoniales appartiennent à des trusts ou sont administrées au nom et pour le compte de trusts. Toujours plus de banques comptent des sections Trusts. En outre, nombre d’entreprises ayant leur siège en Suisse se spécialisent dans l’administration de trusts. De leur côté, les fiduciaires et les études d’avocats sont de plus en plus actives dans le domaine de la planification et de la gestion de trusts. Leur importance économique pour la place financière suisse ne cesse de croître. Aussi l’Association suisse des banquiers s’est-elle adressée à l’administration fédérale pour qu’elle ouvre le dossier de la ratification de la Convention de La Haye sur les trusts; celle-ci définit le droit applicable en la matière et, par là, les conditions qui régis-sent la reconnaissance des trusts étrangers. La motion Suter/Pelli, transformée par le Parlement en un postulat des deux Chambres, est venue appuyer ce souhait.  Tant les parties que les autorités concernées ont intérêt à ce qu’on puisse définir avec un maximum de sûreté les dispositions légales applicables à un trust dans un cas particulier. Un droit à la sécurité amélioré revêt surtout un intérêt économique, dans la mesure où une base juridique clarifiée offre de meilleures conditions à la création et à l’administration de trusts en Suisse. Ce sont là autant de facteurs propres à renforcer l’attrait de la place financière helvétique.

De meilleures possibilités de contrôle


Le trust suscite aussi des réserves, dans la mesure où certains y voient un moyen de camoufler les véritables propriétaires de biens ou un instrument servant essentiellement à tromper le fisc, à blanchir de l’argent ou à éluder des règles touchant les parts réservataires d’héritiers. À ce propos, il convient de préciser ce qui suit: le but de l’arrêté fédéral projeté n’est pas d’ancrer le trust dans le droit suisse, mais d’améliorer les bases nécessaires à son traitement juridique. Cela permettra aussi de mieux combattre les abus éventuels. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tant l’Autorité de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d’argent que les représentants du fisc se sont exprimés en faveur d’une ratification de la Convention de La Haye. Relevons encore que cette proposition a été unanimement saluée lors de la procédure de consultation. Les trusts sont déjà soumis à notre législation sur la lutte contre le blanchiment d’argent et à notre droit fiscal. La ratification n’entraînera aucun changement à cet égard. Des aspects juridiques comme le droit régissant la réserve légale des héritiers ne sont pas touchés par la convention. Par ailleurs, certains domaines ne relevant pas directement du droit du trust, comme le droit successoral et les droits réels ou encore le droit des poursuites, demeurent réservés par la convention Articles 4 et 15 de la convention..

L’arrêté fédéral se réduit à l’essentiel


L’Arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance – tel est son titre exact – approuve ladite convention de 1985 et autorise à la ratifier. Il prévoit aussi certaines adaptations du droit interne, que l’on s’est, néanmoins, efforcé de limiter au minimum indispensable afin de favoriser une ratification dans un délai aussi bref que possible. L’objectif consiste en effet à réunir uniquement les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de la convention en Suisse. Ainsi a-t-on renoncé à adapter le code civil et à codifier le droit suisse de la fiducie, comme l’avait prévu une première étude du Pr Luc Thévenoz de l’université de Genève. Par ailleurs, des normes juridiques en matière de surveillance et de fiscalité ont été laissées de côté, certains «trustees», tels que les banques, étant déjà soumis à contrôle. Pour les gérants de fortune indépendants, on a jusqu’ici renoncé d’une manière géné-rale à introduire un régime de surveillance. En ce qui concerne le traitement fiscal des trusts, la Conférence suisse des impôts s’apprête à publier une circulaire destinée à harmoniser la pratique cantonale en la matière.

Adaptations, compétences et reconnaissances légales


L’avant-projet actuel se limite à des adap-tations de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) et de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP). Les adaptations touchant la LDIP permettront à la fois une interaction entre celle-ci et la convention ainsi que l’introduction des clauses relatives à la compétence des tribunaux et à la reconnaissance de décisions de juridictions étrangères, lesquelles manquent dans la convention. L’arrêté complètera la LDIP, qui ne connaît encore aucune disposition spécifiquement applicable au trust, par un nouveau chapitre sur la question. Celui-ci comprendra un article autorisant la mention d’une relation de trust au registre foncier, au registre des bateaux ou dans celui des aéronefs, ainsi que dans d’autres registres de propriété intellectuelle. Les règles de compétence et de reconnaissance prévues s’appuient pour l’essentiel sur les dispositions actuelles du droit international privé qui figurent en partie dans le droit des sociétés et en partie dans celui des contrats. La possibilité de désigner un for a été empruntée à ce dernier. Les régimes existants se recoupent très largement avec celui prévu pour les trusts dans la Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano).

Droit applicable


Le droit applicable est défini par la Convention de La Haye qui consacre le principe de la loi choisie par le constituant du trust et, à titre subsidiaire, celui de la loi avec laquelle le trust présente les liens les plus étroits. Le nouveau chapitre de la LDIP confère cependant à ce droit un champ d’application plus vaste que ne le fait la convention elle-même, puisqu’il est également appelé à gouverner des trusts dont la preuve de l’existence n’est pas apportée par écrit Article 3 de la convention.. En outre, le droit applicable défini en vertu des règles de la convention est déterminant, indépendamment de la question de savoir si l’ordre juridique concerné reconnaît ou non l’institution du trust Article 5 de la convention.. On notera aussi que la Suisse n’entend pas faire usage de la faculté reconnue aux États parties par l’article 13 de la convention, selon lequel ils peuvent soustraire des trusts à son application dans des circonstances données. Dès lors, une élection de droit, valide formellement parlant, doit toujours être prise en considération, même en présence d’un lien étroit avec une autre législation qui ne connaît pas le trust. L’arrêté tient compte de l’exigence de séparation entre le patrimoine personnel du «trustee» et les biens du trust, prévue par la convention, en proposant l’introduction dans la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite d’un titre nouveau comportant deux articles. Le premier réglemente l’hypothèse où le patrimoine du trust répond d’une dette. En pareil cas, il est prévu que la poursuite est dirigée contre le «trustee» en tant que représentant du trust. Le trust a son propre for et la poursuite s’effectue toujours par voie de faillite. Le second article prévoit qu’en cas de faillite du «trustee», le patrimoine du trust est distrait de la masse à liquider.

Proposition de citation: Thomas Mayer (2006). La ratification de la Convention de La Haye sur les trusts. La Vie économique, 01 novembre.