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Les axes prioritaires d’une réforme efficace du système de santé

Le domaine de la santé joue un rôle de plus en plus important en Suisse: il emploie déjà 17% des actifs et génère 14% du produit intérieur brut (PIB) Infras, Création de valeur et emploi dans le secteur de la santé en Suisse, 2006.. Le Credit Suisse le considère comme une composante essentielle de la croissance économique CS Economic Briefing n° 41, La Suisse en mutation – les branches comme composante de la croissance, 2005.. Tout n’est pas rose pourtant: à côté de branches concurrentielles et tournées vers l’exportation, d’autres secteurs, régulés et contrôlés par l’État, à l’exemple des hôpitaux, souffrent d’une faible productivité. Les prélèvements obligatoires pèsent, également, de plus en plus sur les contribuables et les assurés. On ne sait pas exactement quelle partie de la hausse des coûts est imputable à l’inadéquation de l’offre et laquelle résulte du progrès médical et de l’évolution démographique. La première est nuisible pour l’économie nationale, alors que la seconde pourrait être considérée comme un investissement susceptible, entre autres, d’être amorti par un relèvement fle-xible de l’âge de la retraite.

Pour entraver la hausse des coûts, certains en appellent à la rationalisation, d’autres réclament plus de planification en matière d’hôpitaux et d’assurances. Comme la grande majorité des individus souhaitent avoir accès aux nouvelles thérapies, le peuple ne voudra pas d’une rationalisation. Quant à la gestion planifiée du secteur de la santé, elle mène dans une impasse. Les économies à court terme touchent à la qualité, prolongent les délais d’attente et diffèrent l’introduction de nouvelles thérapies. Ainsi, le Québec, dont le système de santé a inspiré l’initiative pour une caisse-maladie unique, a été reconnu coupable de manquement à la Constitution en raison des délais d’attente excessifs, de sorte que la Cour suprême a autorisé les caisses-maladie et les prestataires de soins privés à exercer sur ce marché Cour suprême du Canada, Chaoulli c. Québec, 2005 CSC 35..

Il faut des décisions de principe


Tout le monde s’accorde à dire que des réformes sont nécessaires. Après des années de bricolage, le moment est venu de prendre des décisions de principe, comme le souligne notamment le rapport de l’OCDE sur le système suisse de santé OCDE/OMS: Examens de l’OCDE des systèmes de santé: Suisse, 2006.. Les objectifs suivants sont essentiels aux yeux de l’économie: – garantir l’accès de chacun à une médecine de qualité et au progrès technologique, en particulier pour les personnes qui présentent des risques élevés; – atténuer la hausse des coûts financée par les prélèvements obligatoires en améliorant l’efficience des fournisseurs de prestations par la concurrence en matière de qualité et de coûts, et en encourageant la responsabilité individuelle, notamment face aux maladies que suscite notre mode de vie; – renforcer ce secteur en forte expansion qu’est la santé.  Les chiffres IDA-FiSo actualisés montrent que le secteur stationnaire présente le potentiel d’économies le plus important, soit 3 milliards de francs. Viennent ensuite les nouveaux modèles d’assurance et une plus grande responsabilité individuelle dans le secteur ambulatoire. C’est là qu’il convient d’agir. Il faut améliorer l’efficience en termes de coûts, ce qui ne pourra se faire qu’en modifiant les structures existantes. L’innovation en matière de processus permettra de mettre en réseau des marchés de la santé actuellement morcelés aux plans géographique et fonctionnel. En outre, à moyen terme, les prestataires de services devront démontrer la qualité et les coûts de leurs prestations pour l’ensemble du cycle de traitement. Ils devront aussi se soumettre à la concurrence. L’assainissement du système de santé prendra du temps. Il est donc indispensable de poser les bons jalons, dont quatre feront l’objet des paragraphes qui suivent.

La concurrence entre hôpitaux en matière de qualité


Malgré dix ans de planification hospitalière cantonale, la Suisse affiche une densité de lits excessive en comparaison internationale et une durée des séjours hospitaliers trop lon-gue. Cela coûte cher: chaque année, les contribuables et les assurés paient 1500 francs en moyenne par personne pour les hôpitaux. Le problème principal, dénoncé aussi dans le rapport de l’OCDE et par la Commission des questions conjoncturelles (CQC), réside dans les conflits d’intérêts des cantons: ils sont à la fois propriétaires des hôpitaux publics dont ils financent les investissements et 50% environ du coût des soins, et responsables de la planification hospitalière et des tarifs. Pour des raisons de politique régionale et d’emploi, leur priorité est de remplir «leurs» lits. À travers la planification hospitalière, ils évitent que des ressources quittent le canton ou aillent à des hôpitaux privés. Les attentes des patients en matière de qualité passent au second plan. En Suisse, on ne mesure guère la qualité médicale et on en publie encore moins les résultats. On cache ici ce qu’on sait à l’étranger: – les différences de qualité sont frappantes: aux Pays-Bas, le taux de mortalité 180 jours après un infarctus était de 32% dans le plus mauvais hôpital, et de «seulement» 14,5% dans le vingtième établissement depuis le bas du classement; – la transparence améliore la qualité: à New York, la publication des données relatives à la chirurgie cardiaque a fait baisser le taux de mortalité. La ville affiche maintenant le taux de mortalité le plus faible du pays; – la qualité n’est pas forcément onéreuse: en tenant compte des différences entre patients traités, les hôpitaux les plus chers sont souvent parmi les moins bons; – la spécialisation est plus importante que la taille de l’hôpital, car le nombre des cas traités par service et par opérateur est essentiel pour la qualité des résultats.  Dans ce dossier, le Conseil des États a subi la pression des cantons. Il a raison de vouloir introduire les forfaits par cas. Le versement de contributions cantonales aux patients des hôpitaux privés aura également le mérite de supprimer les subventions croisées entre l’assurance complémentaire et celle de base. Ce déplacement des coûts devrait permettre de compenser une accélération des mutations structurelles par un renforcement de la planification hospitalière. Ce dernier point ne ferait, toutefois, que rigidifier les frontières canto-nales et désavantagerait les hôpitaux privés. En effet, un hôpital ne toucherait la contribution cantonale à hauteur de 60% environ du forfait qu’à la condition de figurer sur la liste officielle. Comme c’est le canton qui la dresse – et contrôle de fait l’accès au marché -, il tendra à privilégier ses propres établissements. La qualité resterait encore au second plan: les tarifs se fonderaient sur ceux des hôpitaux qui fournissent la qualité «nécessaire» à des prix avantageux. Ce «nécessaire» serait défini par les autorités cantonales, et non en fonction d’une qualité démontrée par des résultats. Il n’en va pas de même du contre-projet des professeurs Leu et Poledna et des conseillers nationaux Wehrli, Humbel (tous deux PDC), Bortoluzzi (UDC) et Gutzwiller (PRD) CQC, Rapport annuel 2006; NZZ, 30 août 2006, p.17.. Ils proposent de remplacer la planification hospitalière cantonale par une comparaison de la qualité des résultats médicaux et des coûts par cas. Les divisions hospitalières qui compteraient parmi les meilleures du pays, aux plans de la qualité comme des coûts, bénéficieraient de l’obligation de contracter. Les divisions de moins bonne qualité ou plus chères devraient négocier avec les assurances ou sortir du marché. Les indicateurs de qualité seraient mis au point par un organe indépendant au niveau fédéral, en collaboration avec les organisations de médecins et de prestataires de soins, et intégreraient les expériences menées à l’étran-ger. Les patients choisiraient librement leur hôpital parmi ceux bénéficiant de l’obligation de contracter, et ce dans toute la Suisse. Cela reviendrait à créer un marché hospitalier national. L’attribution de mandats de prestations aurait lieu dans le cadre d’appels d’offres publics. Ce système profiterait aux patients, mais aussi aux contribuables et aux assurés, car il accélèrerait les mutations structurelles. Bien entendu, l’introduction immédiate d’un système moniste et de la liberté de contracter serait idéale, mais elle est irréaliste. En outre, des revendications maximalistes serviraient les intérêts des opposants aux réformes. En revanche, le nouveau modèle, qui mise sur la qualité et le libre choix, satisferait deux exigences faisant l’objet d’un large consensus au sein de la population. Les opposants auraient du mal à expliquer aux citoyens pourquoi ceux-ci devraient renoncer à la transparence en matière de qualité et à la liberté de choix pour leur hôpital.

Renforcer la responsabilité individuelle


L’OCDE réclame davantage de mesures de prévention, faute de quoi l’évolution du mode de vie provoquera une hausse massive des coûts. Le manque d’exercice, l’excès de poids et une mauvaise alimentation sont particulièrement problématiques. Ce trio figure parmi les causes principales de l’infarctus, de l’attaque cérébrale, de l’hypertension, du diabète, de l’arthrose, des problèmes articulaires et de dos, de l’ostéoporose, du cancer, de l’asthme et de la dépression, c’est-à-dire sept des quinze diagnostics les plus coûteux. En effet, le diabète II résulte directement d’un excès de poids dans 60% à 80% des cas, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette maladie pèse aussi lourd financièrement: en cinq ans, les coûts liés au diabète sont passés de 44 à 92 milliards d’USD aux États-Unis Yach/Stuckler/Brownell, «Epidemiologic and economic consequences of the global epidemics of obesity and diabetes», Nature Medicine, 1/2006, p. 62.. Une évolution similaire menace la Suisse Si on se base sur les chiffres publiés dans Camanor/Frech/Miller: «Is the US an Outlier in Health Care and Health Outcomes?», International Journal of Health Care Finance and Economics, mars 2006.. Il faut en tirer les leçons. La prévention prendra de plus en plus d’importance, même si ses résultats jusqu’ici sont un peu mitigés. En effet, l’efficacité et l’efficience, en termes de coûts, des impôts et des subventions sur les denrées alimentaires ne sont pas démon-trées OCDE, SG/ADHOC/HEA(2004)12, ch. 49, 78.; quant à l’utilisation à grande échelle de médicaments, elle est efficace, mais coûteuse Ibid. ch. 53, 71.. C’est pourquoi des mesures incitatives individuelles, via des modèles volontaires de bonus, seront nécessaires. D’ailleurs, la population les réclame. L’introduction de tels modèles est prévue dans le cadre du projet de «managed care», lui aussi nécessaire. Dans le cadre de programmes pluriannuels, les patients à risque bénéficieraient de conseils et se verraient fixer des objectifs dont la réalisation serait récompensée par une réduction de prime. Ce modèle permettrait non seulement de mesurer facilement l’état de santé, mais il aurait aussi l’avantage d’être incitatif pour le patient. En réduisant le nombre de patients souffrant de maladies chroniques coûteuses, le bonus récompenserait aussi l’ensemble de la société. Ce modèle n’affaiblirait pas la solidarité et ne porterait pas préjudice aux plus démunis, car l’assurance de base resterait accessible à tous. En revanche, si rien n’était fait pour endiguer la vague des coûts découlant du mode de vie, les projets de rationalisation et de planification auraient le vent en poupe, avec pour effet de pousser la solidarité jusqu’à l’absurde.

La santé en ligne, clé de l’innovation


Le domaine de la santé est un domaine à forte intensité de main-d’oeuvre. Cependant, on ne se trouve pas face à un cas de «maladie des coûts» de Baumol: il est possible d’améliorer la productivité. Alors que l’innovation, au cours des 60 dernières années, a porté sur les produits Curtler, Your Money or Your Life, New York, 2005, p. 2 ss., les processus renferment encore un potentiel inexploité. La santé en ligne en est la clé: les gains en qualité sont plus importants que ceux en efficience liés au domaine administratif. Ils sont possibles si l’on intègre la chaîne de traitement, qu’on améliore le suivi des maladies chroniques à domicile et qu’on réduit les erreurs de médication par des tests de compatibilité. La qualité n’est donc pas sacrifiée au nom de l’efficience. Par exemple, la surveillance de patients dans les unités de soins intensifs par télémédecine permet de diminuer la mortalité de 27%, la durée d’alitement de 17% et les coûts de 25% Gross, «Konzept mit Zukunft?», EHealthCom, 1/2006, p. 24.. Des obstacles en matière de régulation, de protection des données et de financement compliquent l’introduction de la santé en ligne. Ces raisons sont souvent avancées par des intérêts particuliers qui redoutent la transparence. Les milieux politiques doivent prendre ce domaine en main: ils doivent rapidement créer un environnement favorable à la technologie et à l’innovation dans le secteur très réglementé de la santé.

Médicaments: pas de populisme


Le marché des médicaments a consenti, en 2006, une économie de 400 millions de francs par des baisses de prix sur les produits anciens et la promotion des génériques. Malgré cela, ceux qui réclament l’importation parallèle des médicaments protégés par des brevets continuent de dominer le débat sur la réforme de la santé. C’est tout particulièrement absurde dans le domaine pharmaceutique. Il n’existe, en effet, pas de marché communautaire des médicaments: leur prix est fixé par les États membres. Pour l’OMS, il s’agit d’une «loterie» OMS, Priority Medicines for Europe and the World, 2004.. La condition préalable aux importations parallèles n’est donc pas remplie. Il est illusoire de penser que les importations parallèles feront baisser les prix: comme toute entreprise cherche à réaliser un bénéfi-ce, leur prix est fixé juste en dessous de celui de la préparation originale. Le préposé à la surveillance des prix annonce des économies de 800 millions de francs Organe de surveillance des prix, Rapport annuel 2005, p. 742., alors que la CQC a généreusement estimé le potentiel à 90 millions de francs, et que les importateurs parallèles ont offert entre 35 et 55 millions «Angriff auf Novartis», NZZ am Sonntag, 3 septembre 2006.. Ce dernier chiffre est de 90% environ inférieur aux économies réalisées par le DFI en 2006 pour les médicaments et de 98% inférieur aux estimations IDA-Fiso sur le potentiel d’économies réalisable dans le domaine hospitalier. Ces considérations reflètent également la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) GlaxoSmithKline c. Commission. T-168/01 du 27.9.2006 et Syfait c. GlaxoSmithKline C-53/03 du 28.10.2004.. Le rapport de l’OCDE sur le système de santé en Suisse ne demande pas non plus d’autoriser les importations parallèles La CQC juge le compromis favorable à l’innovation et estime que les effets des importations parallèles ne sont pas clairs (p. 86).. Dans ce contexte, il est décevant de constater que la discussion politique préfère se focaliser sur ces dernières plutôt que sur l’absence de concurrence dans le domaine hospitalier. Il faut, pourtant, éviter de mettre en jeu, par populisme, une position de pointe dans des domaines qui constituent autant de moteurs de l’innovation.

Un système de santé innovant et efficient


Le système de santé suisse est bon, mais cela ne suffit pas; il faut exploiter ses potentiels aujourd’hui inutilisés. Il faut aussi combattre les réglementations déficientes ou excessives ainsi que l’esprit de clocher. Les réformes doivent dégager une marge de manoeuvre financière pour l’investissement dans le progrès technologique. Un système de santé efficient, proposant des prestations de pointe, est indispensable si l’on souhaite développer une stratégie d’exportation et de croissance dont toute la Suisse profitera.

Proposition de citation: Stephan Brupbacher (2006). Les axes prioritaires d’une réforme efficace du système de santé. La Vie économique, 01 décembre.