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Notre système de santé a besoin d’un traitement de choc

La nouvelle loi sur l’assurance-maladie (LAMal) poursuit trois objectifs: garantir des soins de santé de qualité, renforcer la solidarité entre les assuré(e)s et maîtriser l’évolution des coûts. Une analyse des effets de la LAMal réalisée par l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) Office fédéral des assurances sociales, Analyse des effets de la LAMal, rapport de synthèse, Berne, 2001. a conclu que la loi a atteint les deux premiers objectifs. Le troisième a nettement échoué. Les réductions individuelles des primes ont permis d’atténuer les effets dégressifs de la prime par tête, du moins pour les personnes de condition modeste. Néanmoins, la hausse des primes constitue un fardeau très lourd pour la classe moyenne, en particulier pour les familles avec des enfants ou des jeunes en formation.

L’explosion des primes depuis 1998


Depuis 1980, les coûts de la santé en Suisse ont pratiquement toujours progressé à un rythme supérieur à celui du produit intérieur brut (PIB) et n’ont donc pas pu être compensés par la hausse des revenus. Entre 1981 et 2003, le taux de croissance réel annuel moyen du PIB était de 1,3% et celui des coûts de la santé de 3,4%. Promise avant l’introduction de LAMal, la maîtrise des coûts de la santé est restée lettre morte pendant les années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi. Entre 1998 et 2003, les coûts de la santé ont ainsi augmenté de 3,7% par an. La progression annuelle des coûts de l’assurance obligatoire des soins a atteint 4,3% pour la même période, les primes de l’assurance de base s’élevant même de 5,8%. Les espoirs de voir la concurrence entre assureurs freiner cette hausse se sont avérés vains. La hausse des coûts de la santé est au coeur d’une controverse. Certains signalent avec raison que l’accroissement démesuré des dépenses de santé est une conséquence des progrès de la médecine et, dans une certaine mesure, un corollaire inévitable du surcroît de bien-être qu’ils nous procurent. D’innombrables études montrent aussi que la hausse des revenus est un facteur important de l’augmentation des dépenses de santé OCDE, Health Care Systems: Lessons from the Reform Experience, Département des affaires économiques, document de travail n° 374, Paris, 2003.. L’évolution démographique explique également, à elle seule, une progression annuelle d’environ 1% des dépenses. D’autres spécialistes estiment que le système de santé actuel génère des incitations perverses qui peuvent se traduire par des excès de prestations. Ils indiquent que la santé est un marché de l’offre en raison du rapport de dépendance qui lie les patients aux médecins et de la difficulté de surveiller les prestataires, de sorte que ce sont ceux-ci qui déterminent dans quelle mesure une prestation est utilisée. Ils en veulent pour preuve le fait que les cantons où la densité de médecins est supérieure à la moyenne sont aussi ceux où les frais sont les plus élevés. Ils ajoutent que la combinaison du paiement à l’acte et de l’obligation de contracter engendre a priori un gonflement incontrôlé de la demande et favorise donc une augmentation rapide des coûts. Différentes statistiques semblent corroborer l’hypothèse de l’inefficience du système suisse de santé.

Comparons avec d’autres pays


Une comparaison de l’évolution des dépenses de santé dans divers pays laisse aussi penser que le potentiel d’économies de notre système de santé est considérable (voir graphique 1). En 1980, la Suisse se trouvait au milieu du peloton en ce qui concerne ses dépenses de santé rapportées au PIB. Dans les années qui ont suivi, elle a été, après les États-Unis, le pays qui a subi la hausse la plus violente. En 2002, la Suisse occupait, avec 11,1% de son PIB consacré à la santé, le deuxième rang de l’OCDE derrière les États-Unis (14,6%). Le graphique montre en outre que les dépenses des différents pays ne convergent pas. Certains pays sont restés au milieu du classement, comme l’Autriche, d’autres, qui avaient déjà des dépenses élevées en 1980, ont continué à voir la quote-part de leurs dépenses de santé augmenter (États-Unis). D’autres pays, enfin, n’ont enregistré qu’une hausse modérée, peu importe qu’elle ait été faible ou importante en 1980. Deux pays scandinaves attirent notre attention. En effet, non seulement la quote-part de leurs dépenses de santé n’a pas progressé (Suède), mais elle a même reculé (Danemark). Voilà des indices qu’un système de santé bien organisé permet de limiter les dépenses à la croissance du PIB. Le graphique réfute aussi l’hypothèse de la convergence et apporte plutôt la preuve du contraire: c’est aux États-Unis que la quote-part des dépenses de santé a le plus progressé, alors même qu’elle était déjà élevée à la base. La comparaison internationale fournit aussi des éléments pour savoir si les coûts sont mieux maîtrisés par des systèmes libéraux, où l’État n’intervient guère, ou par des systèmes où les pouvoirs publics contrôlent l’offre. Le graphique 2 montre que la quote-part des dépenses de santé a davantage augmenté ces 20 dernières années dans les pays où le financement public est faible. On pourrait donc conclure avec prudence que les systèmes de santé comprenant une part de financement public élevée sont les mieux placés pour maîtriser l’évolution des dépenses. Il n’est évidemment pas question d’en déduire quoi que ce soit sur la qualité des systèmes de santé. Néanmoins, des études confirment que, parmi les pays pris en considération, il n’existe aucun lien entre l’état de santé de la population et le montant des dépenses consenties en ce domaine Commission pour les questions conjoncturelles, Rapport annuel 2006..

Des réseaux de soins intégrés sous le contrôle de l’État ou des assurances-maladie?


L’idée selon laquelle des modèles de soins intégrés permettraient de résoudre les problèmes d’efficience et de qualité de la santé publique s’impose de plus en plus. Ces modèles créent une organisation qui fournit des soins médicaux à une catégorie donnée de la population et met, en outre, en réseau les fournisseurs de prestations (hôpitaux, médecins, EMS, etc.). La planification des soins et la surveillance de la qualité rendent indispensable la sélection des fournisseurs, de sorte qu’il faudrait au moins assouplir l’obligation actuelle de contracter. Une organisation de gestion intégrée des soins de santé doit également avoir la compétence de restreindre l’accès des assuré(e)s aux différents prestataires. On peut ainsi obliger les assuré(e)s à se rendre, avant tout traitement, chez un médecin de famille qui décidera s’il est indiqué de poursuivre le traitement chez un spécialiste ou à l’hôpital (système de filtrage). Ce genre d’organisation améliore la maîtrise des coûts et le contrôle de la qualité, évite les traitements à double et empêche les surcapacités, notamment des équipements techniques onéreux. En Suisse, les modèles de soins intégrés en sont encore à leurs balbutiements car l’on ne parvient pas à se mettre d’accord pour dire si leur développement doit revenir aux pouvoirs publics ou aux assurances-maladie. Dans le premier cas, il faudrait mieux utiliser ou renforcer les compétences en matière de planification des pouvoirs publics, dans le second cas, supprimer l’obligation de contracter. Les assurances-maladie auraient ainsi le droit de choisir avec quels médecins et quels hôpitaux elles veulent conclure des contrats. L’enjeu de cette décision stratégique n’est pas en premier lieu de savoir s’il faut incorporer des éléments concurrentiels dans notre système de santé, ceux-ci étant compatibles avec les deux éventualités. En effet, tant les pouvoirs publics que les assurances-maladie peuvent, lors de la création de modèles de soins intégrés, choisir les fournisseurs auxquels ils s’adresseront ou mettre au concours les prestations. Reste à savoir s’il vaut la peine, dans un espace aussi petit que la Suisse, de mettre sur pied plusieurs réseaux de soins de santé qui se feraient concurrence. Chaque prestataire devrait en effet signer des contrats différents avec chaque assurance-maladie et facturer ses prestations selon des principes d’estimation variables.

La concurrence entre assurances-maladie comporte-t-elle des avantages?


En Suisse, la plupart des économistes proposent de supprimer l’obligation de contracter, de manière à permettre aux caisses de proposer à grande échelle des modèles de soins intégrés Commission pour les questions conjoncturelles, Rapport annuel 2006.. Ils estiment que la concurren-ce entre les caisses débouchera sur des réseaux de santé alliant qualité et efficience. Les caisses-maladie tenteraient alors de séduire le plus grand nombre possible d’assuré(e)s et d’augmenter leur part de marché. Il existe, toutefois, de sérieuses raisons de douter du succès de tels modèles, que ce soit au plan de la sélection des risques, de la qualité et de la prévention ou des frais administratifs. Sélection des risques: la suppression de l’obligation de contracter a pour effet que les assurances peuvent aussi sélectionner les risques parmi les prestataires. Elles peuvent, ainsi, rayer de leur liste les médecins qui soignent surtout des patients chers pour inciter ces derniers à changer d’assurance. Quant à savoir s’il est possible de créer une compensation financière qui supprime l’incitation à sélectionner les risques, la question fait l’objet d’une controverse. Il est donc à craindre que les assurances fassent usage d’une grande partie de leur marge de manoeuvre pour prospecter les clients jeunes et bon marché et se défaire de ceux qui leur coûtent cher. Qualité et prévention: l’on ne peut mesurer l’état de santé d’une personne lors de son admission à l’assurance ni lors de son éventuel départ. Les assurances n’ont donc aucun intérêt à veiller à long terme à l’état de santé de leurs assuré(e)s. Par conséquent, elles n’investiront pas suffisamment dans la prévention. Elles s’emploieront aussi à éviter des traitements chers, même si ceux-ci sont à terme la meilleure garantie d’une bonne santé Peters Oliver, «Wann sind öffentliche Monopole effizienter als private Versicherungen?» dans Jahrbuch Denknetz, 2006. . Frais administratifs élevés: la conclusion de contrats sélectifs avec les prestataires fera exploser les frais administratifs. Étant donné que la Suisse est très petite, les assurances ne pourront créer leurs propres réseaux de santé avec leurs propres hôpitaux et devront conclure des contrats avec tous les fournisseurs de prestations actuels. Autant dire que ces fournisseurs devront s’accommoder des différentes modalités de facturation des assurances: chaque assurance pourrait choisir les traitements qu’elle rembourse et ceux qu’elle ne rembourse pas, les tarifs applicables, etc. En conséquence, les frais administratifs seraient élevés, tant auprès des assurances que chez les fournisseurs de prestations. Les États-Unis en sont le parfait exemple: les frais administratifs des assurances soumises à la concurrence sont environ dix fois plus élevés que ceux de l’assurance publique Medicare. En Suisse aussi, les frais administratifs des assurances complémentaires sont environ quatre fois plus importants que ceux de l’assurance de base. Autrement dit, les économies réalisées grâce à l’introduction de modèles de gestion intégrée des soins – lesquelles pourraient être de l’ordre de 15 à 20% – seraient plus que compensées par la hausse des frais administratifs. Ces arguments expliquent pourquoi les systèmes de santé sans planification étatique sont plus chers en comparaison internationale. Ils plaident pour la mise sur pied de modèles de gestion intégrée des soins sous contrôle public, plutôt que de confier cette tâche aux assurances-maladie privées. Pour avancer dans cette voie, on pourrait limiter l’accès aux spécialistes et hôpitaux chers dans l’assurance obligatoire des soins. Les équipements et opérations onéreux pourraient ainsi se concentrer dans quelques hôpitaux, ce qui diminuerait les surcapacités et, donc, les coûts. Simultanément, la concentration des actes médicaux devrait aussi se traduire par une amélioration de la qualité. Afin de parvenir à ce but et d’empêcher que la planification des hôpitaux et la maîtrise des coûts soient minées par la prolifération d’hôpitaux privés, il y a lieu d’étendre les compétences en matière de planification des cantons. Il faudrait aussi identifier, dans les systèmes tarifaires, les incitations perverses qui entraînent une hausse du nombre d’examens onéreux.

Graphique 1 «Dépenses de santé par rapport au PIB en 1980 et évolution de 1980 à 2002»

Graphique 2 «Évolution des dépenses de santé par rapport au PIB entre 1980 et 2002 et quote-part du financement public en 2002»

Encadré 1: La caisse unique est-elle une solution?
En mars 2007, le peuple devra se prononcer sur l’initiative qui demande la création d’une «caisse-maladie unique et sociale». Si cette initiative est acceptée, l’assurance obligatoire des soins sera confiée à une caisse-maladie unique et les primes par tête seront remplacées par des primes fixées en fonction de la capacité économique des assuré(e)s. L’initiative prévoit des primes variables en fonction des cantons, la planification des soins de santé restant du ressort de ceux-ci.Une caisse unique peut aider à empêcher la sélection des risques, à diminuer les frais administratifs et à renforcer les contrôles de qualité et la maîtrise des coûts. Elle facilite l’utilisation d’instruments uniformes de mesure et d’évaluation de la qualité de même que de contrôle de l’efficience, étant donné que tous les fournisseurs de prestations sont sous contrat avec la même caisse.La création d’une caisse unique constituerait par ailleurs une décision de principe: il incomberait désormais aux pouvoirs publics de veiller à la qualité et à l’efficience des soins de santé. Ils devraient s’occuper de planification hospitalière, mettre sur pied des réseaux de santé et faire que les coûts soient davantage pris en considération. Ils pourraient tout à fait incorporer des éléments concurrentiels, en mettant par exemple au concours certaines prestations. La responsabilité de l’efficience du système de santé serait clairement définie, alors qu’aujourd’hui, elle est constamment ballottée entre les pouvoirs publics et les assurances.

Proposition de citation: Serge Gaillard ; Rebecca Schreier ; (2006). Notre système de santé a besoin d’un traitement de choc. La Vie économique, 01 décembre.