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Promotion de la santé en entreprise: un atout comparatif non négligeable

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La promotion de la santé en entreprise (PSE) est souvent assimilée à tort à la prévention – c’est-à-dire à la prophylaxie des maladies et à la détection des facteurs de risque -, mais aussi à la prévention des accidents dans l’entreprise. Or, il s’agit bien davantage d’un changement de mentalité et de valeurs qui ne peut se réaliser du jour au lendemain. La PSE fournit les moyens ainsi que les méthodes pour améliorer le bien-être et, par là même, la productivité des salariés. En retour, une entreprise qui se préoccupe de la santé de ses collaborateurs est appréciée des travailleurs. À l’heure où la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée se fait plus aiguë, c’est un atout comparatif à ne pas sous-estimer.

Les mutations qui ont bouleversé la société et le monde du travail ces trente dernières années ont accru la charge psychique que les travailleurs doivent supporter. Dans l’Enquête suisse sur la santé de 2002, 44% des 19700 personnes interrogées ont déclaré éprouver une forte tension nerveuse au travail. Ce groupe souffre deux fois plus de troubles corporels importants que celui des actifs sans tension nerveuse. La même enquête révèle que parmi les personnes stressées, il y a presque deux fois plus d’individus affectés dans leur équilibre psychique que chez les non-stressés. L’étude maintes fois citée du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) sur le stress au travail Voir Ramaciotti Daniel et Perriard Julien, Les coûts du stress en Suisse, étude réalisée sur mandat du Seco, Berne, 2003. Internet: www.seco.admin.ch , rubriques «Publications et formulaires», «Études et rapports», «Travail». montre, elle aussi, que les personnes stressées occasionnent des dépenses de santé nettement plus importantes que les personnes qui ne le sont pas. En Allemagne, la proportion des absences pour troubles d’ordre psychique est passée entre 2001 et 2003 de 6,6% à 9,7%, soit une augmentation de près de 50%. Dans la liste des diagnostics ayant abouti à une rente AI, les affections psychiques arrivaient largement en tête en 2004, avec 44,7%.

Que signifie «être en bonne santé»?


L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme «un état de complet bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité». Dans son ouvrage «Der sechste Kondratieff» (le sixième cycle de Kondratieff), Leo A. Nefiodow établit une liste des facteurs déterminants de la santé, qui s’inspirent des critères retenus par l’OMS: – une solide estime de soi; – un rapport positif à son corps; – la capacité à tisser des liens d’amitié et des relations sociales; – un environnement intact; – un travail qui a du sens et qui s’exerce dans de saines conditions; – des connaissances dans le domaine de la santé et de l’accès aux soins; – un cadre de vie agréable et l’espoir fondé d’un avenir décent.

Le rôle capital du travail pour la santé


On s’aperçoit ainsi que le travail joue un rôle de premier plan pour la santé. Il est capital dans la progression de l’estime de soi, pour autant que le climat professionnel et le style de conduite du supérieur y soient propices. Le lieu de travail ouvre la porte à de nouvelles amitiés et relations sociales, surtout lorsque le climat est bienveillant et favorise l’esprit d’équipe. Le sens du travail est également primordial; après tout, l’homme n’aspire-t-il pas naturellement à exercer un travail qui ait un sens? La diminution des charges physiques, chimiques et biologiques a considérablement amélioré les conditions de travail durant ces dernières décennies: voilà pour la médecine du travail classique. Cependant, avec l’intensification des exigences, l’accélération des échanges et la mutation des produits et des marchés, les conditions de travail présentent aujourd’hui une pénibilité d’une nature tout à fait nouvelle. Les rythmes se sont accélérés. Une étude menée par l’université de Berne dans le domaine de la psychologie du travail a montré que 75% des sources de stress des personnes actives sont d’ordre professionnel. Le monde du travail s’est, en effet, profondément modifié ces vingt dernières années: le modèle traditionnel du patron d’entreprise proche de ses employés ne domine plus et le contrat psychologique qui liait le travailleur et l’employeur s’est considérablement affaibli. Dans les années quatre-vingt encore, la plupart des jeunes entraient dans une entreprise convaincus de pouvoir y rester jusqu’à la retraite et avaient ainsi le solide espoir de profiter d’un avenir agréable. Cette situation a complètement basculé en l’espace d’une seule génération. Sous l’effet des licenciements massifs, des restructurations et des fusions, un grand nombre d’entre nous sommes condamnés à abandonner notre statut de collaborateur pour devenir notre propre patron. Bien des travailleurs n’y arrivent pas. Apprendre tout au long de la vie, se former et se perfectionner en permanence pour conserver son employabilité, voilà des contraintes trop lourdes pour beaucoup d’entre eux. Il suffit de consulter la statistique suisse de la santé pour en mesurer les retombées.

Principes et éléments fondamentaux de la PSE


La promotion de la santé se propose de répondre aux questions essentielles que voici: qu’est-ce qui maintient les bien portants en bonne santé? Quels sont les ressorts de la santé et comment peut-on les promouvoir? La PSE ne peut donc pas se résumer à une «journée de distribution de pommes» dans l’entreprise. Elle suppose un changement de mentalité chez tous les intéressés, du haut en bas de la hiérarchie. C’est un état d’esprit à vivre au quotidien. Sa mise en place dans l’entreprise est l’affaire de la direction, qui doit lui accorder son plein soutien. Si tel n’est pas le cas, mieux vaut ne pas l’introduire, car on se perdrait en vains efforts. La PSE repose sur les éléments qui suivent.

Responsabilisation


Ce terme recouvre la capacité de l’individu à se prendre en main. La PSE conçoit l’homme comme un collaborateur autonome et responsable qui dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour faire son travail dans le respect des critères de santé. Les connaissances en la matière en font aussi partie. Il s’agit dès lors d’aborder régulièrement des sujets en rapport avec la santé. Pourquoi ne pas placer, par exemple durant un an, la question de l’estime de soi au centre de la formation continue interne? On peut aussi songer à l’ergonomie, à la fumée ou à l’équilibre nutritionnel, qui ont tout à fait leur place dans l’entreprise.

Participation


Avec la PSE, les collaborateurs ne sont plus de simples exécutants; ils sont activement associés à la configuration de leurs postes, des processus et de l’environnement de travail. Les rapports entre le chef et ses collaborateurs s’en trouvent modifiés: c’est désormais la rencontre de deux partenaires égaux. Le subordonné qui connaît le mieux ses processus de travail et ses activités est appelé à partager son savoir dans un esprit de partenariat. Le changement de mentalité n’a donc pas seulement lieu du côté de celui qui reçoit les ordres, il concerne aussi les supérieurs, appelés à pousser leurs collaborateurs à davantage de participation. Cette mesure effarouche, toutefois, beaucoup de cadres; c’est la raison pour laquelle ils y opposent de nombreuses résistances.

Approche multisectorielle


Ce terme signifie que tous les secteurs ou domaines de l’entreprise doivent être impliqués dans la PSE. Celle-ci n’incombe pas seulement au médecin d’entreprise ou de famille; elle fait partie du cahier des charges de l’employeur. Pour que son personnel puisse vivre selon les principes qui régissent la santé, il faut que l’entreprise cultive la communication et cela concerne surtout la direction. En définitive, le supérieur est le levier central du bien-être psychique et social au travail. S’il n’a pas une approche humaine et valorisante, son équipe ne travaillera pas dans un bon climat. Les cadres doivent donc recevoir une formation qui leur permette de mesurer toute l’importance de leur fonction pour la santé de leurs collaborateurs. Les compétences psychologiques des cadres seront de plus en plus sollicitées, les changements ne faisant que renforcer la pression. Pour assurer leur prospérité, les entreprises devront accorder davantage d’attention aux facteurs immatériels de leur action. De nombreux cadres en sont, hélas, incapables. On peut les considérer comme des «dinosaures du management» dont les jours sont comptés, car leur comportement a des effets démotivants qui se répercuteront tôt ou tard sur les performances de leur équipe ou de toute l’entreprise.

Applications individuelle et structurelle


La PSE devrait toujours se réaliser sur deux plans: individuel et structurel. Prenons l’exemple du problème de la fumée. Au plan individuel, on peut mener une campagne anti-tabac. Cette approche ne vise, toutefois, que ceux qui désirent ne plus fumer et implique donc un faible nombre d’individus. Au plan structurel, on peut interdire de fumer dans les locaux de l’entreprise. Cette approche est utile à ceux qui veulent renoncer au tabac tout comme aux non-fumeurs. C’est un fait, les mesures structurelles rencontrent beaucoup plus de résistance que les mesures individuelles, mais elles sont bien plus efficaces et durables. L’action individuelle montre concrètement aux collaborateurs que l’entreprise s’intéresse à leur santé. Elle profite directement à l’individu. Le marché offre de nombreux «modules» de promotion de la santé individuelle, portant pour la plupart sur des thèmes comme le mouvement, l’alimentation et la relaxation. Au plan structurel, ce sont les programmes de gestion des absences qui sont aujourd’hui les plus demandés, car ils permettent d’importantes économies dans des délais relativement courts. Cet instrument exige, toutefois, du doigté. Souvent, l’entreprise opte pour une méthode répressive basée sur des contrôles. Cela réduit, certes, les absences à court terme, mais démotive aussi les collaborateurs. Voilà pourquoi il est indispensable de former la direction à la gestion des absences. Il faut, de plus, savoir saisir et maîtriser efficacement les données. Les chiffres-clés des absences et de la rotation du personnel doivent être connus de l’entreprise. Les enseignements tirés de séminaires donnent, toutefois, à penser que 80% des petites et moyennes entreprises (PME) ne comptabilisent pas les absences et ne peuvent donc en tirer aucun profit. Enfin, la gestion des cas suivis médicalement se traduit par un accompagnement précoce et professionnel des collaborateurs malades depuis plus d’un mois, afin de les réintégrer rapidement au monde du travail.

Conseils à l’usage des dirigeants


Pour la santé des collaborateurs dans l’entreprise, le comportement de la direction, on l’a dit, joue un rôle fondamental. Voici, à ce propos, les conseils que l’on peut donner aux cadres dirigeants. Veillez à laisser à vos collaborateurs le plus de liberté possible dans l’exercice de leurs fonctions. Accordez-leur votre confiance. À notre époque dite des travailleurs du savoir, l’adage «il est bien de faire confiance, mieux encore de contrôler» est dépassé. Si vous ne pouvez pas vous fier à votre personnel, pourquoi le gardez-vous encore à votre service? De nombreuses études confirment le fait qu’accorder une large liberté de manoeuvre aux collaborateurs réduit parmi eux le nombre et l’importance des affections psychosomatiques. Les tâches que vous confiez aux membres de votre personnel doivent être autant que possible complètes. Veillez à ce qu’il en soit ainsi chaque fois que vous avez à déléguer un travail, en fonction bien sûr de ce que vous savez de l’intéressé. C’est pour lui un excellent moyen de sentir l’utilité de sa fonction et cela augmente sa confiance en soi. Lorsque vous voulez introduire des changements, sollicitez les connaissances de vos collaborateurs. Ils savent souvent mieux que vous ce qui peut optimiser une tâche ou un processus. Prenez-les au sérieux. Vos employés ont besoin de soutien aux plans professionnel et social. Ils doivent avoir en tout temps la possibilité de demander des conseils professionnels à leurs supérieurs. Accordez-leur aussi la possibilité de cultiver des contacts sociaux. Les relations de confiance s’établissent lors des pauses cafés et non autour d’un projet ou dans un travail en équipe. Concédez-leur un droit aux loisirs. L’équilibre entre la vie professionnelle et privée est essentiel à leur santé. Les exigences contradictoires imposées aux travailleurs sont très malsaines pour leur santé. Combien de fois vous arrive-t-il de demander l’impossible à des collaborateurs et d’augmenter ainsi leur stress? Demandez régulièrement à vos employés comment ils se sentent. Faites-le d’une part directement et, de l’autre, de façon anonyme à travers les questionnaires adressés au personnel. Par la même occasion, accordez aussi une certaine attention aux gratifications. Chacun de vos collaborateurs doit avoir le sentiment que, s’il donne beaucoup à «son» entreprise, il en reçoit aussi beaucoup en retour. La gratification ne doit pas être nécessairement d’ordre matériel. La reconnaissance, l’appréciation des mérites et les possibilités de perfectionnement professionnel: voilà des «libéralités» qui coûtent peu et qui maintiennent les collaborateurs en bonne santé. Nous savons que les travailleurs qui ont le sentiment de se sacrifier pour l’entreprise contre un salaire pitoyable ont deux à quatre fois plus de risques de subir un infarctus et sont davantage sujets aux douleurs dorsales que ceux qui reconnaissent un équilibre entre ce qu’ils donnent à l’entreprise et ce qu’il en reçoivent. Supprimez tous les obstacles bureaucratiques inutiles. En psychologie du travail, nous parlons «d’obstacles à la régulation du travail». Par exemple, le niveau de stress des travailleurs peut considérablement augmenter avec l’introduction d’un nouveau système électronique qui double les temps de traitement, ou avec un PC qui se bloque encore et toujours.

Est-il rentable de promouvoir la santé en entreprise?


De nombreuses études confirment l’intérêt financier que revêt la PSE pour l’entreprise. Le plus souvent, elles situent le retour sur investissement à quelque 3 pour 1. Mais au delà de cette utilité directe, c’est l’aspect immatériel de la PSE qui revêt surtout de l’importance. Qu’un entrepreneur crée des emplois est une bonne chose en soi; il est, toutefois, beaucoup plus satisfaisant de le voir créer des «postes PSE» dans lesquels ses collaborateurs se sentent bien et sont satisfaits d’exercer une activité au contenu intéressant dans un climat agréable. Bien entendu, il faut aussi veiller à ce que vos collaborateurs puissent évoluer en permanence sur le plan tant personnel que technique. Ils vous en récompenseront par une forte motivation au travail et en faisant autour d’eux l’éloge de votre entreprise, dans laquelle ils se montreront fiers de pouvoir travailler.

Graphique 1 «Les dix modules de mise en place de la PSE dans les petites et moyennes entreprises (PME)»

Encadré 1: Les chiffres-clés de la promotion de la santé en entreprise
Même si la PSE s’intéresse à des «facteurs mous» dans l’entreprise, la direction dispose de certains chiffres-clés qui lui servent d’indicateurs du bien-être de son personnel.Absentéisme: dans les entreprises suisses, la durée d’absence moyenne pour cause de maladie et d’accident est de 68 heures par collaborateur et par an (Office fédéral de la statistique, 2004). Cela correspond à un taux d’absence de 4%. Un chef d’entreprise devrait donc étudier cette donnée au moins une fois par trimestre. Taux de rotation: quand il est bas, ce chiffre révèle aussi le plaisir des collaborateurs à travailler dans une entreprise et, par conséquent, l’adhésion du personnel à son employeur. Lorsqu’il est trop élevé, il ne faut pas se contenter d’en prendre note, mais réagir.Les sondages auprès des collaborateurs: ces enquêtes sont extrêmement importantes. Le personnel doit être informé de leurs résultats et sentir un changement lorsqu’ils sont mauvais. Si la direction n’est pas prête à procéder à des changements, il est préférable de ne pas effectuer de sondages.Enquêtes spécifiques d’entreprises: par exemple, British Telecom organise régulièrement des enquêtes sur le stress au sein de l’entreprise. Chaque employé, à tout niveau, reçoit ensuite un graphique sur lequel il peut voir comment ont répondu les collaborateurs de son groupe, de son département ou de sa division.

Encadré 2: Où recevoir du soutien?
Entre 2001 et 2004, la fondation Promotion Santé Suisse ( www.gesundheitsfoerderung.ch ) a financé un projet qui offre gratuitement aux PME des modules de promotion de la santé (www.kmu-vital.ch). Elle met, par exemple, à leur disposition un questionnaire en ligne destiné aux collaborateurs, rédigé en plusieurs langues et dont les données sont directement dépouillées. Elle y ajoute un système de référence qui leur permet d’établir des comparaisons avec d’autres entreprises. Parmi les autres modules proposés, citons, par exemple, la collaboration en équipe, l’ergonomie, le bien-être des collaborateurs, le sondage auprès des cadres et les cercles de santé.Voici quelques institutions bien établies, et actives depuis des années dans ce domaine, qui oeuvrent pour l’application intégrale et permanente de la PSE:- Institut de recherche sur le travail et de conseil en organisation: www.iafob.comwww.suva.ch , rubriques «suvapro», «Promotion de la santé dans l’entreprise»;- Institut de médecine du travail: www.arbeitsmedizin.ch .

Proposition de citation: Kissling, Dieter (2006). Promotion de la santé en entreprise: un atout comparatif non négligeable. La Vie économique, 01. décembre.