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L’hygiène dans les hôpitaux, un exemple de gestion de la qualité

L'hygiène dans les hôpitaux, un exemple de gestion de la qualité

L’hygiène hospitalière joue un rôle important dans la sécurité des patients et le système de santé. Son but consiste principalement à mesurer et à réduire les formes larvées d’infection endémique, ainsi qu’à diagnostiquer, étudier et endiguer les épidémies. Le groupe Swissnoso a lancé cette année une initiative – qui s’est avérée une réussite – en faveur de la sécurité des patients dans les services stationnaires d’un réseau de 116 hôpitaux répartis dans toute la Suisse. Rien qu’en améliorant la propreté des mains, il a été possible d’éviter environ 17 000 infections et d’économiser 60 millions de francs.

L’hygiène hospitalière – que les anglophones appellent plus correctement «infection control» – est une forme particulière de la gestion de la qualité, qui s’attache à prévenir les infections liées aux soins médicaux. La notion d’infection «nosocomiale» Du grec *nosos, maladie, et *komein, soins hospitaliers. reflète l’interprétation moderne du phénomène et renvoie à une infection liée à toute forme de soins médicaux, ce qui va plus loin que la notion populaire d’«infection hospitalière». La Suisse ne connaît pas de dispositions légales astreignant les hôpitaux à se doter de divisions d’hygiène hospitalière. La plupart des hôpitaux emploient, cependant, du personnel spécialisé, même si les effectifs diffèrent suivant les établissements: il peut s’agir d’une simple soignante, à qui l’on assigne une tâche supplémentaire, d’équipes interdisciplinaires composées d’infectiologues et épidémiologistes comme responsables, de microbiologistes, d’informaticiens ou de personnel soignant ayant suivi une formation spéciale offerte en Suisse. Il faudrait en fait un médecin diplômé responsable par hôpital et un hygiéniste pour 125-250 lits, selon l’établissement. L’important est que, dans la hiérarchie hospitalière, l’équipe soit rattachée à l’état-major directorial. Ainsi, grâce à sa position transversale, elle pourra intervenir rapidement dans les processus de décision.

Les infections contractées en milieu hospitalier ont un coût


Grâce aux enquêtes du groupe Swissnoso (voir

encadré 1
L’activité de Swissnoso comprend des conseils à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) dans des domaines tels que la dangerosité de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le sras, la grippe aviaire et la pandémie imminente de grippe, l’édition d’un bulletin trimestriel comprenant des directives nationales, et des cours d’instruction. Le groupe dirigé par l’auteur a mesuré plusieurs infections nosocomiales dans toute la Suisse, ce qui a permis de chiffrer l’ampleur du problème. Un réseau destiné à faciliter le transfert des connaissances des centres universitaires vers les hôpitaux périphériques a, dès lors, été constitué.Pour plus d’informations et la liste des membres, taper www.swiss-noso.ch. ), nous savons que dans les hôpitaux suisses de soins aigus, 2 à 14% des patients (selon la taille de l’établissement) contractent une infection nosocomiale. Par extrapolation, on estime donc que 70000 patients sont ainsi infectés chaque année. Il en résulte des coûts supplémentaires de 240 millions de francs et une prolongation du séjour à l’hôpital de 300 000 journées. Le calcul des surcoûts se fonde sur une moyenne prudente de 3500 francs supplémentaires par infection. Certaines d’entre elles peuvent être graves et entraîner des traitements de l’ordre de plusieurs milliers de francs. Si l’on applique un forfait par cas, ces surcoûts représentent une charge directement perceptible par les pres-tataires de soins. À des fins de surveillance, les infections sont classées en 13 groupes définis selon des critères objectifs élaborés en 1988 par les «Centres for Disease Control and Prevention» (centres américains de contrôle et de prévention des maladies). Les quatre principales catégories – celles qui totalisent plus de 80% des cas – sont: – les infections des voies urinaires; – celles liées aux interventions chirurgicales; – les pneumonies; – les infections sanguines (bactériémies).  Ces dernières connaissent un fort taux de mortalité (environ 20% des cas), alors que les infections urinaires guérissent en général sans problème après traitement aux antibiotiques.

Un double facteur de risque


L’état de santé du patient et de ses défenses immunitaires représente un premier facteur de risque. Les maladies chroniques comme le diabète, le cancer ou le sida accroissent la sensibilité aux infections. Il en va de même des états aigus comme les polytraumatismes où plusieurs organes sont atteints à la suite d’un grave accident ou d’une infection contractée en dehors de l’hôpital. Le risque d’infection dépend également de la qualité des soins médicaux en général et de la stratégie de prévention en particulier. Les divers facteurs en jeu suivent le modèle proposé dès 1966 par Donabedian, qui distingue entre la qualité des structures, des procédures et des résultats. Celui-ci intègre également des éléments structurels comme le degré de formation et l’organisation de l’équipe interdisciplinaire, l’architecture de l’hôpital, la qualité des produits désinfectants et des instruments, ainsi que la présence, la qualité et l’accessibilité de protocoles thérapeutiques. Une étude «Study on the Efficacy of Nosocomial Infection Control» (Senic)., réalisée dans les années septante, a démontré que la présence d’un médecin responsable et d’un ou une soignante diplômée était un élément d’hygiène hospitalière propre à réduire le nombre des infections nosocomiales. L’ergonomie des structures (au sens le plus large) a un impact direct et très marqué sur la qualité des prestations du personnel hospitalier. La conception moderne du traitement des erreurs implique aussi qu’on analyse les facteurs qui ont abouti à l’erreur «humaine» d’un collaborateur. Dans le même esprit, l’hygiène hospitalière actuelle tire les leçons de la psychologie du comportement et de l’ergonomie pour améliorer les protocoles thérapeutiques, les produits médicaux et l’environnement hospitalier dans le sens de la sécurité.

Les spécificités des infections nosocomiales


Une des particularités des infections nosocomiales est qu’elles naissent souvent de la conjonction de plusieurs facteurs très différents. Une grande partie d’entre eux ont été identifiés pour certaines infections; celles-ci présentent aujourd’hui un meilleur potentiel de prévention que les autres. Parmi ces risques importants mais définis, citons les interventions chirurgicales et la mise en place de corps étrangers. Pour les infections urinaires, ce sera le cathéter urinaire, pour l’infection chirurgicale l’acte opératoire, et pour les bactériémies l’accès aux veines centrales. La majorité des infections contractées pendant une intervention proviennent de germes que le patient portait déjà en lui ou sur lui. Ces derniers peuvent, d’ailleurs, lui avoir été transmis quelques jours plus tôt faute d’hygiène des mains de la part du personnel. Si ces germes présentent, en outre, une résistance aux antibiotiques typique des hôpitaux, le succès de la thérapie peut être menacé.

Agir tout en approfondissant les recherches


La qualité déterminante d’un traitement dépend, d’une part, d’une procédure précise et aseptique lors des interventions, de l’autre d’un recours modéré et ciblé aux antibio-tiques et aux techniques invasives. Il est, certes, nécessaire d’approfondir les recherches sur la cause des infections et leur prévention. Il faut, cependant, reconnaître qu’entre les connaissances scientifiques déjà disponibles et leur mise en oeuvre dans la routine hospitalière, il y a encore un gouffre à combler. La répartition des risques entre patient et traitement pose directement la question de la réduction maximale des infections nosocomiales. En passant en revue toutes les études publiées à ce sujet, nous avons trouvé un potentiel de réduction de 20%, dans une fourchette allant de 10 à 70%. Un travail tout ré-cent annonce cependant la réduction à zéro, pendant plusieurs mois, des dangereuses bactériémies dues à la pose de cathéters. Ce résultat a manifestement été possible grâce au contrôle rigoureux, à chaque mise en place, de toutes les stratégies de préventions connues. On peut donc espérer une baisse progressive des taux tolérables d’infection après de nouvelles recherches sur les facteurs de risque et une application davantage ciblée de procédures aménagées.

Mesurer la qualité de la prévention des infections


Pour mesurer la qualité de la prévention des infections, on peut se référer soit: – aux résultats, c’est-à-dire le taux d’infection; – aux procédures, c’est-à-dire l’application effective des mesures préventives. En Suisse, contrairement aux autres pays européens, il n’y a pas de prescriptions légales explicites qui astreignent les établissements sanitaires à mesurer les infections nosocomiales. Or cette disposition est souvent considérée comme la première étape de toute prévention. Il a même été démontré à diverses reprises que communiquer confidentiellement les taux d’infection aux collaborateurs impliqués provoquait une réduction des infections sans même qu’aucune mesure n’ait été prise. La mesure des infections nosocomiales pose, toutefois, deux problèmes fondamentaux. L’un tient paradoxalement à leur relative rareté, qui fait que, sur une année, les chiffres fournis par un hôpital de 200 lits ou moins ne sont guère utilisables en statistique, alors que ce serait indispensable pour mieux piloter les systèmes. De surcroît, la surveillance des infections est une activité absorbante, étant donné que chaque patient doit être évalué plusieurs fois par semaine. Cet unique fait explique pourquoi ce sont surtout les grands hôpitaux qui pratiquent une telle surveillance. L’autre problème vient de ce que, comme on l’a vu, les infections dépendent aussi fortement de l’état du patient. Le taux d’infection d’un hôpital ne reflète donc pas seulement sa qualité en matière de prévention, mais aussi l’état de santé cumulé des patients traités. Or – ironie du sort -, ce dernier est inversement proportionnel à la qualité de l’offre médicale, car les patients gravement malades ne peuvent être, la plupart du temps, traités que dans des cliniques ou des divisions de pointe. C’est ainsi que, dans les stations suisses de soins intensifs, le taux d’infection se situe en temps ordinaire au-dessus de 25%, alors qu’il doit être inférieur à 3% dans les services de maternité. Il est donc patent que cette différence ne reflète pas la qualité du traitement, mais bien l’état des patients. Or de nos jours, le risque d’infection lié aux patients ne peut pas encore être mesuré de façon fiable et à peu de frais.

Une possibilité: mesurer la qualité des procédures


Mesurer la qualité des procédures est une possibilité intéressante, pour autant qu’elle puisse être liée à des résultats. C’est par exemple le cas si l’on administre à temps une prophylaxie aux antibiotiques avant une intervention chirurgicale. Si le lien de cause à effet est prouvé, mesurer la qualité des procédures comporte de nombreux avantages. Les événements de la procédure étant beaucoup plus nombreux, on obtiendra rapidement des chiffres utilisables en statistique. En outre, la qualité des procédures est presque indépendante du risque lié au patient et se prête donc mieux à un étalonnage: même pour les malades graves, l’antibiotique doit toujours être administré exactement une demi-heure avant l’incision.

La campagne d’amélioration de l’hygiène des mains


Étant donné la constance du taux d’infection des dernières années, le groupe Swissnoso a décidé de lancer une campagne pour améliorer l’hygiène des mains (voir

encadré 2
5 moments pour l’hygiène des mains

1. Immédiatement avant de toucher un patient.

2. Immédiatement après avoir touché un patient.

3. Immédiatement avant un geste aseptique.

4. Immédiatement après exposition à des liquides biologiques.

5. Immédiatement après tout contact avec l’environnement proche d’un patient.

6 stratégies pour promouvoir l’hygiène des mains (modèle genevois)

1. Soutien visible et durable de la part de la direction de l’établissement.

2. Mise à disposition de la solution hydro- alcoolique à proximité immédiate de chaque lit (distributeur ou flacon de poche).

3. Consignes écrites facilement accessibles.

4. Formation de chaque collaborateur à l’application de l’hygiène des mains.

5. Contrôle répété de l’application de l’hygiène des mains et notification des résultats aux collaborateurs.

6. Rappels visuels au lieu de travail.

Pour plus d’informations, taper www.swisshandhygiene.ch. ). Il s’agit là d’une mesure simple et la plupart du temps sous-estimée contre les infections nosocomiales. Elle se fonde sur l’application fréquente et ciblée d’une solution désinfectante à base d’alcool. Au total, 116 hôpitaux répartis dans toute la Suisse y ont pris part. La campagne s’inspire du «modèle genevois», qui part du constat que seule une stratégie multi-modale peut modifier un système et des comportements. Après une mise au point laborieuse, il est devenu possible de mesurer l’hygiène des mains. Les étapes à suivre ont été décrites de façon simple et frappante. Entre-temps, la méthode a été reprise dans plusieurs pays et utilisée aussi dans une campagne mondiale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Un rapide succès


Les premiers résultats ont été publiés il y a peu. La pratique systématique de l’hygiène des mains, qui, avant la campagne, n’était pratiquée que dans un ou deux cas, s’est accrue de 25% en l’espace de quatre mois. Deux hôpitaux mesuraient en même temps le taux d’infection et ont pu annoncer une réduction de 25%. En extrapolant à l’échelle suisse, on aurait déjà empêché de la sorte 17000 infections et économisé 60 millions de francs en coûts supplémentaires. Le calcul des dépenses consenties pour la campagne en cours n’est pas encore terminé, mais sur la base des chiffres genevois, on peut tabler sur un rapport dépenses/économies de 1 à 100, ce qui fait de l’opération une des campagnes les plus réussies pour la sécurité des patients suisses traités dans le système stationnaire de santé et révèle le potentiel d’un réseau d’hygiène hospitalière entraîné par un «centre stratégique d’innovation».

Encadré 1: L’activité de Swissnoso
L’activité de Swissnoso comprend des conseils à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) dans des domaines tels que la dangerosité de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le sras, la grippe aviaire et la pandémie imminente de grippe, l’édition d’un bulletin trimestriel comprenant des directives nationales, et des cours d’instruction. Le groupe dirigé par l’auteur a mesuré plusieurs infections nosocomiales dans toute la Suisse, ce qui a permis de chiffrer l’ampleur du problème. Un réseau destiné à faciliter le transfert des connaissances des centres universitaires vers les hôpitaux périphériques a, dès lors, été constitué.Pour plus d’informations et la liste des membres, taper www.swiss-noso.ch.

Encadré 2: Swiss Hand Hygiene Campaign
5 moments pour l’hygiène des mains

1. Immédiatement avant de toucher un patient.

2. Immédiatement après avoir touché un patient.

3. Immédiatement avant un geste aseptique.

4. Immédiatement après exposition à des liquides biologiques.

5. Immédiatement après tout contact avec l’environnement proche d’un patient.

6 stratégies pour promouvoir l’hygiène des mains (modèle genevois)

1. Soutien visible et durable de la part de la direction de l’établissement.

2. Mise à disposition de la solution hydro- alcoolique à proximité immédiate de chaque lit (distributeur ou flacon de poche).

3. Consignes écrites facilement accessibles.

4. Formation de chaque collaborateur à l’application de l’hygiène des mains.

5. Contrôle répété de l’application de l’hygiène des mains et notification des résultats aux collaborateurs.

6. Rappels visuels au lieu de travail.

Pour plus d’informations, taper www.swisshandhygiene.ch.

Encadré 3: Bibliographie
– Sax H., Ruef C. et Widmer AF., «Quality standards for hospital hygiene in intermediate and large hospitals in Switzerland: a recommended concept», Swiss Medical Weekly, 1999; 129(7), p. 276-84.- Haley RW., Culver DH., White JW. et al., «The efficacy of infection surveillance and control programs in preventing nosocomial infections in US hospitals», American Journal of Epidemiology ,1985, 121(2), p. 182-205- Harbarth S., Sax H. et Gastmeier P., «The preventable proportion of nosocomial infections: an overview of published reports», Journal of Hospital Infection, 2003, 54(4), p. 258-66; quiz 321.- Berenholtz S.M., Pronovost P.J., Lipsett P.A. et al., «Eliminating catheter-related bloodstream infections in the intensive care unit», Critical Care Medicine, 2004, 32(10), p. 2014-20.- Pittet D., Hugonnet S., Harbarth S. et al., «Effectiveness of a hospital-wide programme to improve compliance with hand hygiene. Infection Control Programme», The Lancet, 2000, 356(9238), p.1307-12.- Pittet D., Sax H., Hugonnet S. et Harbarth S., «Cost implications of successful hand hygiene promotion», Infection Control and Hospital Epidemiology, 2004, 25(3), p. 264-6.

Proposition de citation: Hugo Sax (2006). L’hygiène dans les hôpitaux, un exemple de gestion de la qualité. La Vie économique, 01 décembre.