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L’examen et les recommandations de l’OCDE et de l’OMS sur le système de santé suisse

À la demande de la Suisse, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) viennent de publier un rapport conjoint sur le système de santé de notre pays En USD corrigés de la parité des pouvoirs d’achat.. Si les deux organisations mettent en avant sa qualité, en comparaison avec d’autres pays de l’OCDE, elles recommandent également d’en maîtriser les dépenses, qui sont très élevées. Un des principaux moyens pour y parvenir serait d’améliorer la gouvernance générale du système, aussi bien dans le domaine des soins que dans celui de la prévention des maladies et de la promotion de la santé.

Une première dans la collaborationentre l’OCDE et l’OMS


L’examen du système de santé suisse a été officiellement annoncé le 13 mai 2004 à Paris par le chef du Département fédéral de l’intérieur (DFI), Pascal Couchepin, lors de la réunion ministérielle de l’OCDE; en parallèle, les ministres de la Santé tenaient leur première réunion consacrée à la pé-rennité financière des systèmes de santé. Ce rapport fait partie d’une nouvelle série de l’OCDE sur les systèmes de santé: les premiers pays étudiés ont été la Corée (2003), le Mexique (2005) et la Finlande (2005). L’originalité de ce rapport réside dans le fait que c’est la première fois que l’OCDE mène un tel examen conjointement avec l’OMS, ceci à la demande de la Suisse. Les travaux de l’OCDE, qui explorent l’interaction entre l’économie et la santé en général, complè-tent en effet ceux de l’OMS, dont le principal objectif est d’améliorer l’état sanitaire des populations et de réduire les inégalités en matière de soins. Cette étude offre ainsi une vue d’ensemble du système suisse, tant du point de vue de la santé publique que de l’économie. Sur la base d’un cadre d’analyse comparatif établi par l’OCDE OCDE, Vers des systèmes de santé plus performants, OCDE, Paris, 2004., le rapport évalue les mécanismes institutionnels et la performance du système de santé suisse au regard des objec-tifs d’efficacité et de qualité, d’accès et de sa-tisfaction des consommateurs, d’efficience et de viabilité financière. Il examine ses forces et ses faiblesses, en soulignant les défis auxquels notre régime sanitaire sera à l’avenir confronté, et propose des pistes pour y ré-pondre. Ce rapport a bénéficié de l’expertise et des matériaux fournis par les nombreux fonctionnaires et experts en matière de santé que l’équipe de l’OCDE et de l’OMS a rencontrés au cours de sa mission en Suisse en août 2005. Celle-ci a également profité du concours des autorités des cantons de Zurich, Saint-Gall, Neuchâtel et Jura. Les Pays-Bas et la Finlande ont activement participé à cette analyse en tant que pays pairs et ont apporté un éclairage extérieur intéressant, les premiers du fait de la réforme récente de leur système, la seconde en raison des bonnes pratiques qu’elle a développées dans le domaine de la prévention.

Une série d’objectifs importants sont atteints, mais le coût en est élevé


Selon les experts de l’OCDE et de l’OMS, le système de santé suisse compte à son actif de grandes réalisations. Les comparaisons effectuées avec d’autres pays de l’OCDE montrent que l’état sanitaire de la population est bon, l’éventail des soins est large, de nombreux services médicaux utilisent des techniques de pointe, et les patients sont très largement satisfaits des services dispensés. Ces succès ont, toutefois, un coût élevé. Les dépenses de santé représentent 11,5% du produit intérieur brut (PIB), ce qui classe la Suisse au deuxième rang de la zone OCDE, après les États-Unis (voir graphique 1). Il s’agit donc d’une charge importante pour les familles comme pour les finances publiques. Le coût du système soulève la question de sa performance en termes d’utilisation des ressources. En effet, l’espérance de vie de la population est à peu près conforme à ce que l’on est en droit d’attendre d’un pays dont le niveau de dépenses de santé par habitant est aussi élevé, mais plusieurs pays de l’OCDE font aussi bien, sinon mieux, à moindre coût (voir graphique 2). De plus, le vieillissement de la population et les nouvelles technologies de la santé laissent à penser que les dépenses vont continuer d’augmenter, ce qui entraîne des inquiétudes vis-à-vis de la viabilité du système. Dans le même temps, la prévention des maladies et la promotion de la santé ne représentent que 2,2% des dépenses en Suisse, comparé à une moyenne de 2,7% dans l’OCDE (voir graphique 3). Les experts ont aussi soulevé la question de la gouvernance de notre système de santé. Celui-ci, fragmenté entre différents acteurs, est constitué en pratique de 26 systèmes semi-autonomes sans véritables liens entre eux. Cette caractéristique propre à la Suisse rend difficile l’élaboration de politiques nationales cohérentes.

Les défis à venir et les pistes possibles


Comme le soulignent les experts dans leur rapport, «les défis qui se profilent à l’horizon interdisent à la Suisse de se reposer sur ses lauriers». Le maintien durable du système dépend en effet de la capacité des autorités suisses à s’attaquer aux problèmes liés à sa gouvernance. Le principal défi consiste à maîtriser les coûts, tout en maintenant l’accès de l’ensemble de la population à des soins de qualité. Dans cette perspective, le rapport propose six grandes pistes de réflexion, dont certaines vont dans le sens de réformes déjà initiées par le DFI.

Améliorer la gouvernance du système de santé


Le rapport invite à une réflexion globale sur le système de santé en proposant l’élaboration d’un cadre juridique général afin d’améliorer sa gouvernance. À l’heure actuelle, l’offre de soins et le marché des assurances sont réglementés au niveau cantonal. Cette particularité du système suisse conditionne fortement le succès potentiel des réformes. Afin d’améliorer les performances à plus long terme, la fragmentation du système pourrait être réduite, comme dans le domaine de la prévention des maladies et de la promotion de la santé, par la mise en place d’une loi-cadre pour la santé. Celle-ci fixerait des objectifs nationaux et établirait les responsabilités en matière de financement ainsi que les tâches attribuées aux différents niveaux de gouvernement. Les législations existantes, comme celle qui organise actuellement l’assurance-maladie, et une loi potentielle sur la prévention pourraient être intégrées à cette loi-cadre.  Il est vrai que, vu de l’étranger, le système de santé suisse peut paraître passablement complexe au regard de la taille du pays. C’est ce qui fait sa richesse, mais aussi sa faiblesse, car cela constitue un frein potentiel à toute volonté d’adapter et d’améliorer ses performances. Le DFI attache une grande importance à ce qu’il soit géré sur des bases solides. C’est dans ce but qu’un «Dialogue de politi-que nationale de santé» a été mis sur pied avec les cantons et les acteurs principaux du système. Ce processus va dans le sens préconisé par l’OCDE et l’OMS, mais nécessitera encore du temps avant d’aboutir à un large consensus sur la manière de préserver les acquis du système tout en développant des politiques plus efficientes.

Réformer les mécanismes de financement


Selon les experts, de nouvelles méthodes de rémunération doivent être envisagées, car les mécanismes actuels favorisent des niveaux d’offre élevés et des soins hospitaliers coû-teux. Il faudrait encourager les paiements de type GHM (groupe homogène de malades), qui devraient rendre l’offre plus efficiente et favoriser des temps d’hospitalisation plus courts. S’agissant des soins primaires, il faudrait également encourager les systèmes de paiement ayant une composante prospective ou de capitation plus importante, de même que le recours à un médecin de famille ou référent. Par ailleurs, l’extension de l’usage des médicaments génériques et une plus large ouverture à la concurrence étrangère pour les médicaments non brevetés permettraient de faire baisser leurs prix et donc de réduire les coûts. La question du financement durable de la santé fait actuellement l’objet d’un important débat en Suisse. Des mesures ont déjà été prises par le DFI, qui vont dans le sens proposé par l’OCDE et l’OMS (comme par exemple pour les génériques). Dans le cadre des discussions relatives à la loi sur l’assurance-maladie (LAMal), le Parlement débat actuellement de propositions de réforme comme le financement hospitalier lié aux prestations, le développement des réseaux de soins ou une meilleure reconnaissance de la médecine de premier recours.

Créer les conditions nécessaires au développement des mécanismes de marché


Si les autorités suisses envisagent de maîtriser les dépenses en introduisant plus de concurrence, celle-ci devrait dépasser les frontières cantonales. En effet, le rapport conclut que l’une des plus grandes faiblesses de notre système de santé est de devoir organiser la concurrence entre assureurs et de gérer les prestataires de soins à l’intérieur de régions géographiques étroites et pour une population restreinte. Il faudrait donc pouvoir lever progressivement les barrières qui font obstacle aux accords intercantonaux. La pratique des contrats sélectifs devrait être autorisée dans les secteurs hospitalier et ambulatoire, les assureurs basant leur choix sur la qualité et le prix des prestations. Dans ce contexte, le rôle des cantons dans la surveillance du marché devrait se renforcer afin que les normes minimales soient respectées, qu’il n’y ait pas de déséquilibres au niveau local et que l’accès aux soins soit garanti. Par ailleurs, le système de compensation des risques devrait être affiné afin de décourager la concurrence fondée sur une telle sélection et permettre aux assurés de se comporter en acheteurs avisés d’assurances-maladie. Enfin, il faudrait disposer de meilleures informations sur les performances du système de santé, des différents prestataires (médecins ou hôpitaux) et des assureurs. Certaines mesures prévues par le DFI dans le cadre des révisions en cours de la LAMal vont déjà vers un renforcement de la concurrence, mais elles ne permettent pas de l’éten-dre au niveau national. D’autres mesures, en particulier la levée de l’obligation de contracter, ne font actuellement pas l’unanimité en Suisse.

Trouver un meilleur équilibre entre prévention et soins


En dépit de toute une série de programmes de prévention et de promotion de la santé, la fragmentation des responsabilités a favorisé la dispersion des activités ainsi que, pour l’essentiel d’entre elles, leur manque de coordination. L’adoption d’une loi-cadre dans ce domaine permettrait de remédier à ce problème. Par ailleurs, lorsque les autorités suisses adoptent des programmes spécifiques de prévention et de promotion de la santé, elles devraient les cibler sur des problèmes particulièrement préoccupants (comme la consommation de tabac et d’alcool) ou faisant l’objet d’une attention insuffisante (comme la santé mentale et l’obésité). Le projet «Nouvelle réglementation de la prévention et de la promotion de la santé» (PPS 2010) pourrait constituer une réponse. La commission chargée de le faire aboutir avait entamé ses travaux au printemps 2005; elle a récemment publié son rapport. Il en ressort que les principales conditions requises pour renforcer la prévention et la promotion de la santé sont: – l’amélioration de la reconnaissance politique; – l’orientation des mesures de prévention et de promotion de la santé vers des objectifs nationaux; – la concentration des attributions et des compétences; – la réorganisation des principes de financement et la création des bases juridiques nécessaires à sa mise en oeuvre.

Promouvoir une plus grande transparence en matière de qualité et d’efficacité des soins


La Suisse ne dispose pas d’indicateurs nationaux de la qualité des soins. Pour l’instant, les efforts d’amélioration entrepris en ce domaine reposent, dans une large mesure, sur des initiatives locales non coordonnées, prises par des prestataires individuels. Un effort national de collecte des données devrait donc être consenti, l’actuelle autorégulation professionnelle se révélant insuffisante. Il faudrait adopter un cadre pour la collecte de ces indicateurs et encourager les programmes nationaux qui visent à améliorer la qualité des soins dans des domaines clés. Dans le cadre de la révision de la LAMal, le DFI a déjà prévu certaines mesures comme l’amélioration des statistiques sanitaires, en revanche l’élaboration d’un système national de surveillance et d’amélioration de la qualité des soins est une vision à plus long terme.

Encourager une plus grande cohérence dans le système de subventionnement des primes


Si l’accès aux soins est assuré par le système de subventionnement des primes et des exemptions de participation aux coûts, des différences importantes existent entre les cantons quant au niveau des aides et à leur conditions d’octroi. Selon les experts, l’établissement de standards minimaux concernant les seuils d’éligibilité et le niveau minimum des aides, améliorerait la cohérence des politiques cantonales. Jusqu’à présent, tous les essais d’uniformisation dans ce domaine (par exemple: but social, revenu selon l’impôt fédéral direct, seuil minimal, etc.) ont échoué au niveau politique du fait que cette question est liée au régime des aides sociales, lequel est de la compétence des cantons.

Conclusion


Ce rapport présente un bilan complet du système de santé suisse et constitue ainsi un outil de référence utile dans le cadre non seulement des discussions en cours sur la question en Suisse, mais aussi à plus long terme dans la perspective d’une réflexion globale sur le système. Le regard extérieur porté par l’OMS et l’OCDE est précieux, de même que l’avis des pays pairs, dont les systèmes de santé sont confrontés à des défis semblables. Une des conclusions de la réunion des ministres de la Santé de l’OCDE en 2004 était que, du fait des valeurs, traditions et institutions propres à chaque pays, il n’existe pas de modèle unique idéal. Toutefois, chaque pays peut tirer profit des expériences des autres. À ce titre, le rapport est un instrument comparatif intéressant et donne aussi une visibilité accrue à notre système sur le plan international.

Graphique 1 «Part du PIB consacrée aux dépenses de santé dans les pays de l’OCDE, 2003»

Graphique 2 «Espérance de vie à la naissance et dépenses de santé par habitant, 2003»

Graphique 3 «Dépenses au titre de la promotion de la santé et de la prévention par rapport aux dépenses totales de santé dans les pays de l’OCDE, 2003»

Encadré 1: Les recommandations de l’OCDE
Améliorer la gouvernance globale du système de santé en:- élaborant au niveau fédéral un cadre juridique global pour la santé;- mettant en place des systèmes nationaux d’information sur la santé concernant en particulier la qualité des soins médicaux, la réactivité du système, le personnel de santé et les services médicaux;- investissant dans les nouvelles technologies de l’information, en adoptant, par exemple, un système de dossiers électroniques des patients et de cartes informatisées individuelles pour une meilleure coordination et administration des soins de santé;- créant un nouveau cadre réglementaire pour:- la fourniture d’informations comparatives sur les performances des assureurs et des prestataires;- une garantie minimum de la qualité et de l’adéquation des soins;- des obligations de service public adéquates (services accidents et urgences, par exemple);- une planification à long terme des besoins.Réformer les mécanismes de financement pour stimuler l’efficience du système de santé suisse en:- encourageant l’adoption de mécanismes mixtes de paiement des médecins pour les soins ambulatoires et en soutenant la mise en place de systèmes de médecins référents;- durcissant les contraintes budgétaires pour les prestataires institutionnels;- adoptant un système unique de financement pour les hôpitaux et en allouant les aides publiques directement aux assurés (ou aux assureurs);- repensant les mécanismes de participation aux coûts de manière à encourager un recours accru aux génériques et l’utilisation de produits et services médicaux ayant un bon rapport coût-efficacité (par exemple, des activités de prévention ayant fait la preuve de leur efficience);- mettant en oeuvre des politiques destinées à surveiller et encourager la prescription et l’utilisation économiques des produits pharmaceutiques, par exemple en ouvrant le marché à la concurrence étrangère pour les médicaments non brevetés et en interdisant aux médecins de délivrer des médicaments.Si l’on poursuit sur la voie d’un recours accru aux mécanismes du marché pour la régulation de l’offre, créer des conditions plus propices à une concurrence fondée sur les mérites respectifs dans le cadre des marchés de l’assurance-maladie et des prestataires en:- organisant l’offre et la concurrence entre prestataires et assureurs au niveau national ou de plusieurs cantons;- modifiant les mécanismes de compensation des risques pour y inclure un ajustement des risques fondé sur des indicateurs de l’état de santé;- autorisant les contrats sélectifs entre assureurs et prestataires et en s’assurant de l’application au système de santé de la loi sur les cartels;- réduisant les obstacles et les coûts d’un changement d’assureur (par exemple, en instaurant une séparation totale entre l’offre d’une assurance LAMal et celle d’une assurance volontaire).Développer les interventions de santé publique et améliorer le rapport coût-efficacité des services couverts en:- élaborant une loi fédérale sur la santé publique et la prévention, qui fixe des objectifs généraux, définit clairement les responsabilités et spécifie les modes de financement;- évaluant de manière systématique les programmes de prévention et de promotion de la santé, mis en oeuvre tant au niveau national que cantonal;- facilitant la mise en oeuvre de mesures de prévention d’une efficience prouvée, en recourant, par exemple, davantage à l’augmentation des taxes sur le tabac et l’alcool pour dissuader les consommateurs et en mettant en place un programme national de dépistage du cancer du sein;- faisant en sorte que les prestations couvertes par la LAMal maximisent le rapport qualité-prix en introduisant de nouvelles procédures d’évaluation indépendantes des services, en renforçant l’utilisation d’analyses du rapport coût-efficacité et en publiant les rapports d’évaluation.Promouvoir une meilleure gestion de la qualité clinique en:- encourageant des mécanismes transparents d’autorégulation professionnelle;- soutenant les initiatives nationales en matière de qualité des soins et en renforçant la collecte de données au niveau fédéral;- élaborant un système national de surveillance et d’amélioration de la qualité des soins en termes de structure, de processus et de résultats cliniques.Encourager l’équité horizontale et verticale du financement de la santé en:- spécifiant des critères nationaux minimums que devront remplir les cantons dans l’administration des aides aux familles et aux personnes à faibles revenus;- surveillant l’efficacité des mécanismes de protection sociale (subventionnement des primes, exemption de la participation aux coûts) à atténuer les effets défavorables de la structure régressive du financement de la santé;- veillant à ce que tous les coûts médicaux liés aux soins de longue durée (SLD) soient couverts par les assureurs LAMal et que les mécanismes de protection sociale mis en place pour couvrir les coûts non médicaux supportés par les personnes à faibles revenus soient efficaces.

Proposition de citation: Delphine Sordat Fornerod (2006). L’examen et les recommandations de l’OCDE et de l’OMS sur le système de santé suisse. La Vie économique, 01 décembre.