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L’hôtellerie et la restauration suisses: une branche en mutation

L'hôtellerie et la restauration suisses: une branche en mutation

L’hôtellerie et la restauration suisses comptent actuellement près de 30000 établissements et 240000 employés. Elles ont vécu une traversée du désert: la mondialisation les a frappées de plein fouet durant les années nonante. Elles en gardent encore aujourd’hui des traces. Malgré les défis qui restent à affronter, leurs perspectives demeurent intactes. Les récentes restructurations et les gains de productivité et d’efficacité qui en résultent, leur ont permis de retrouver un potentiel de croissance. La Suisse étant une destination très prisée, cette branche bénéficie de la croissance généralisée de la demande touristique au plan mondial.

Les multiples facettes d’une branche-clé pour le tourisme en Suisse


L’hôtellerie et la restauration comprennent tous les établissements où l’on peut s’alimenter et s’héberger – restaurants, bars, hôtels – ainsi que les discothèques, et les locations d’appartements de vacances. Elles comptent près de 30000 établissements en Suisse. Leur chiffre d’affaires global dépasse les 20 milliards de francs par an. Le tourisme joue à cet égard un rôle moteur: les Suisses comme les étrangers en déplacement contribuent en effet pour près de la moitié à ce chiffre d’affaires. L’hôtellerie et la restauration constituent donc indubitablement un secteur clé pour le tourisme en Suisse. Sur les 34,1 millions de nuitées enregistrées en Suisse durant l’exercice 2006, 19,4 millions (59,6%) ont été le fait d’étrangers. Ces derniers dépensent, en outre, plus que la moyenne des touristes dans notre pays. L’hôtellerie et la restauration représentent une de nos principales branches d’exportation, juste après la métallurgie, l’industrie des machines, la chimie et l’horlogerie. L’hôtellerie et la restauration suisses occupent près de 240000 employés, soit 5,7% de la population active en Suisse. Elles fournissent indirectement du travail, sous forme de commandes souvent importantes, au secteur de la construction, au commerce et aux prestataires locaux. Leur valeur ajoutée brute annuelle se chiffre à 10,6 milliards de francs (2005), ce qui correspond à 2,3% du PIB suisse. Leur faible importance par rapport au nombre d’actifs est imputable à leur taux de productivité relativement bas.

La productivité: un facteur au rendement insuffisant


La productivité du secteur de l’hôtellerie et de la restauration est, en Suisse comme dans la plupart des autres pays, bien inférieure à celle du reste de l’économie. Il y a plusieurs raisons à cela, notamment le fait que cette branche a besoin de beaucoup de main-d’oeuvre pour générer de la valeur ajoutée. En Suisse, une heure de travail représente une valeur ajoutée de 65 francs en moyenne. Celle-ci ne dépasse pas 27 francs par heure dans l’hôtellerie et la restauration, soit 40% environ de la productivité moyenne suisse. En comparaison internationale, la productivité de l’hôtellerie et de la restauration suisses est relativement basse: l’Espagne et l’Autriche ont une productivité horaire nettement supérieure, tandis que celle de l’Allemagne est légèrement inférieure.

Un facteur vital pour l’arc alpin


Ces 25 dernières années, l’hôtellerie et la restauration ont perdu de leur importance. En chiffres absolus, la valeur ajoutée brute de ce secteur a presque doublé de 1980 à 2005. Durant la même période, la croissance de l’économie suisse a, toutefois, été beaucoup plus dynamique, de sorte que la quote-part relative de l’hôtellerie et de la restauration a fortement diminué. Le nombre d’employés n’a pratiquement pas évolué depuis les années quatre-vingt, avec quelques pics au début et à la fin des années nonante. L’hôtellerie et de la restauration connaissent une importance très variable selon les zones. Cette branche est vitale pour l’économie de nombreuses régions alpines, où le tourisme joue un rôle moteur essentiel. Dans un lieu comme Engelberg, plus de 70% des emplois dépendent directement ou indirectement du tourisme, donc de l’hôtellerie et la restauration, puisque sans elles, le tourisme serait inexistant. Leur rôle est, en revanche, moins essentiel dans les agglomérations urbaines et les régions rurales du Plateau, où le tourisme est marginal. L’hôtellerie et la restauration participent pour moins de 2% à la valeur ajoutée dans pratiquement la moitié des cantons suisses.

La valeur ajoutée se concentre dans les centres urbains


Même si l’hôtellerie et la restauration ne jouent pas un rôle central dans l’économie des centres urbains, les métropoles de Zurich, Genève, Bâle, Berne et Lausanne représentent en chiffres absolus la plus grande partie de la valeur ajoutée générée dans cette branche. Cela provient surtout de la concentration démographique qui caractérise les zones urbaines et favorise la consommation non touristique en dehors du domicile. L’apport du tourisme d’affaires n’est pas non plus négligeable. Abstraction faite des agglomérations urbaines, l’hôtellerie et la restauration tire leur valeur ajoutée du tourisme alpin, dont les hauts lieux sont la Haute-Engadine, le lac Majeur, Zermatt/Saas-Fee, la région de la Jungfrau et Lucerne.

Une branche qui dépend de l’évolution de la demande touristique


Depuis une décennie, l’hôtellerie et la restauration affichent une croissance nettement inférieure à la moyenne de l’économie. De 1980 à 1990, celle-ci était de plus de 2% par an en données corrigées, un taux très comparable au reste de l’économie helvétique. Il s’est effondré à partir de 1991 au point que la valeur ajoutée retrouvait son niveau de 1980 vers le milieu des années nonante. Cette tendance s’est accompagnée d’un net recul de l’emploi: de 1990 à 2005, la branche a perdu quelque 8600 places de travail, soit une baisse de 3,5%.

Le choc de la mondialisation sur le tourisme en Suisse


Ce recul observé depuis le début des années nonante s’explique notamment par l’évolution de la consommation (voir encadré 1 D’après les statistiques de l’Office fédéral de la statistique (OFS), les ménages suisses consacrent en moyenne 7,6% de leurs dépenses à la restauration et à l’hôtellerie (2004). Cette quote-part des dépenses privées a fortement varié au cours des dernières années par rapport aux autres postes. En termes réels, les dépenses de la population suisse ont augmenté de 1,4% par an de 1980 à 2004, alors que celles pour la restauration et l’hôtellerie ont reculé de 0,2% par an. Le comportement du consommateur suisse a évolué dans la mesure où le «prêt-à-consommer» du commerce de détail a tendance à se substituer au restaurant. En termes réels, les dépenses par habitant dans les restaurants et les hôtels ont globalement diminué de 18% en 25 ans. ), mais surtout par celle – peu satisfaisante – du tourisme en Suisse. Alors que la demande en ce domaine enregistrait une forte croissance au plan mondial, celle-ci était inférieure à la moyenne en Suisse. Durant la première moitié des années nonante, les nuitées dans l’hôtellerie suisse ont été en net recul, que ce soit de la part des touristes suisses ou étrangers. De 1997 à 2001, la demande touristique s’est d’abord redressée pour replonger jusqu’en 2004, sous l’effet de l’insécurité liée au contexte géopolitique. Depuis lors, la reprise est encourageante et le nombre de nuitées passées en Suisse en 2006 est inférieure de 4,2% du record de 1990. En d’autres termes, la demande touristique n’a eu aucun effet sur la croissance de l’hôtellerie et de la restauration durant cette période. Cette évolution globalement insuffisante de la demande touristique s’explique par différents facteurs, notamment la morosité conjoncturelle touchant d’importants marchés touristiques étrangers, des structures de coûts défavorables, les prix cassés sur les voyages à longue distance, la concurrence toujours plus intense des régions touristiques proches de la Suisse. Le tourisme suisse a été frappé de plein fouet par la mondialisation, dont l’impact a évidemment plombé l’évolution de l’hôtellerie et de la restauration.

Un défi majeur: les coûts


Par rapport aux pays limitrophes, l’hôtellerie et la restauration suisses doivent supporter des coûts d’exploitation et de main-d’oeuvre nettement plus élevés, d’où des prix surfaits et un désavantage concurrentiel sérieux. Selon les analyses du BAK Basel Economics, le niveau de prix des hôtels 3 étoiles est un tiers meilleur marché dans les Alpes autrichiennes, et un cinquième dans les Alpes italiennes. C’est bien là le défi majeur de l’hôtellerie et de la restauration suisses. Pour contrecarrer cette cherté, l’hôtellerie et la restauration suisses n’ont pas le choix: elles doivent restructurer leurs coûts, en procédant notamment à des concentrations. Ainsi, la taille moyenne des établissements hôteliers n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Le nombre de lits par hôtel est passé de 40 unités en 1990 à 50 aujourd’hui. En dépit de cette restructuration, la densité des hôtels et des restaurants demeure extraordinairement élevée dans notre pays, avec un établissement pour 250 habitants. Cette situation débouche sur une lutte acharnée pour s’imposer face à la concurrence. À cela vient s’ajouter l’importance croissante de la parahôtellerie et en particulier des habitations secondaires.

Une contribution négative à la croissance


L’hôtellerie et la restauration suisses participent plus faiblement à la croissance que dans l’ensemble de l’Europe occidentale. Le tourisme (et donc l’hôtellerie et la restauration qui lui sont liées) joue certes un rôle important, mais l’économie suisse est tractée par d’autres locomotives, par exemple l’industrie pharmaceutique ou le secteur bancaire. À titre de comparaison, l’hôtellerie et de la restauration sont surreprésentées en Italie, en Autriche et en Espagne. Ce dernier pays a une telle réputation touristique que ce secteur forme même un des piliers de son économie. Au plan des performances, la Suisse ne brille guère par rapport aux autres nations. En termes réels, la valeur ajoutée de l’hôtellerie et la restauration en Europe occidentale a enregistré en 25 ans une croissance annuelle moyenne de 1,3% alors qu’elle a régressé de 0,5% par année durant la même période en Suisse. Notre pays est, avec la France, le seul dont l’hôtellerie et la restauration affichent une croissance négative durant la période 1980-2005. Cette branche a contribué positivement à la croissance dans tous les autres pays européens, Espagne en tête.

Un avenir intact


L’hôtellerie et la restauration suisses ont vécu une traversée du désert, mais elles ont su garder leurs perspectives intactes. Leurs possibilités de croissance résident principalement, depuis quelques années, dans des gains d’efficacité et de productivité ainsi que dans le fort attrait touristique de la Suisse. En ce sens, la mondialisation s’avère plutôt positive pour son avenir. Notre pays peut, en effet, miser sur de nouveaux marchés comme la Russie, la Chine et les pays asiatiques, qui sont en train de découvrir son attrait touristique. Les perspectives sont particulièrement favorables pour les hôtels 4 et 5 étoiles. Il faut dire que les établissements haut de gamme ont de tout temps connu un développement particulièrement important en Suisse, au détriment même de l’hôtellerie 1 à 3 étoiles. Cette offre haut de gamme a de quoi séduire et ne craint aucunement la concurrence internationale. Il existe un léger potentiel de croissance dans le segment de l’hôtellerie à bas prix, qui propose de nombreuses prestations innovantes. En revanche, l’hôtellerie de classe moyenne est dans une position qui risque de rester inconfortable. En effet, les établissements appartenant à ce segment ont de la peine à se positionner clairement. Les hôtels 3 étoiles devront, pourtant, exprimer leur spécificité et proposer une offre de prestations qui les distingue de leurs concurrents afin de subsister sur le marché.

Des destinations suisses très prisées


Face à la concurrence internationale, le secteur suisse de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme a de précieux atouts. On le voit également au niveau des destinations. Selon une étude du BAK Basel Economics, trois stations suisses figurent parmi les 10 destinations européennes les plus prisées de l’arc alpin. Il faut y voir deux éléments: le tourisme suisse a beaucoup de succès, surtout dans le haut de gamme, et il ne craint pas la concurrence internationale. L’attrait des destinations helvétiques est également démontrable au plan quantitatif. Nos stations d’hiver sont très courues comparées à beaucoup d’autres. Cinq d’entre elles figurent parmi les dix stations d’hiver les plus réputées de l’arc alpin. La palme revient à St-Moritz, Davos-Klosters, Verbier, Zermatt et Gstaad. Pour conclure, relevons que la Suisse profite à la fois d’une structure avantageuse au niveau de la provenance des touristes, et d’un marché intérieur à revenu élevé – qui représente près de la moitié de la demande. De nombreux touristes viennent de loin – par exemple, d’Amérique du Nord ou d’Asie – et, soit dit en passant, ne se refusent aucune dépense. D’après les études par lieu de destination du BAK Basel Economics, il y a encore beaucoup à faire au niveau des petites et moyennes destinations touristiques suisses, afin que notre tourisme puisse profiter de l’effet d’appel créé par la croissance vigoureuse du tourisme mondial.

Graphique 1 «Quote-part de l’hôtellerie et de la restauration dans la valeur ajoutée brute et l’emploi en Suisse, 1980 et 2005»

Graphique 2 «Évolution de la valeur ajoutée brute réelle dans l’hôtellerie et la restauration en comparaison avec le reste de l’économie, 1980-2005»

Graphique 3 «Importance de l’hôtellerie et de la restauration en Suisse par grandes régions, cantons et régions MS, 2005»

Graphique 4 «Dépenses, exportations touristiques et nombre de nuitées dans l’hôtellerie et la restauration, 1980-2005»

Graphique 5 «Contribution de l’hôtellerie et la restauration à la croissance annuelle de l’économie nationale, 1980-2005»

Graphique 6 «Productivité horaire nominale dans l’hôtellerie et la restauration ainsi que dans l’ensemble de l’économie en comparaison internationale, 2005»

Graphique 7 «Les stations alpines suisses les plus attractives en hiver. Indice, valeur moyenne de l‘ensemble de l‘espace alpin (A, CH, D, I, F) = 100»

Encadré 1: Les dépenses de consommation dans l’hôtellerie et la restauration D’après les statistiques de l’Office fédéral de la statistique (OFS), les ménages suisses consacrent en moyenne 7,6% de leurs dépenses à la restauration et à l’hôtellerie (2004). Cette quote-part des dépenses privées a fortement varié au cours des dernières années par rapport aux autres postes. En termes réels, les dépenses de la population suisse ont augmenté de 1,4% par an de 1980 à 2004, alors que celles pour la restauration et l’hôtellerie ont reculé de 0,2% par an. Le comportement du consommateur suisse a évolué dans la mesure où le «prêt-à-consommer» du commerce de détail a tendance à se substituer au restaurant. En termes réels, les dépenses par habitant dans les restaurants et les hôtels ont globalement diminué de 18% en 25 ans.

Encadré 2: Le recul de l’activité hôtelière Le surplace de la demande touristique, les gains de productivité et les économies réalisées sur les coûts ont conduit à une douloureuse restructuration de l’hôtellerie et de la restauration suisses durant ces dernières années. Environ 1000 établissements ont dû fermer depuis 1990, ce qui représente un recul de 15%.

Proposition de citation: Kaspar Weber (2007). L’hôtellerie et la restauration suisses: une branche en mutation. La Vie économique, 01 janvier.