L’effet des mises au concours des transports ferroviaires régionaux en Allemagne
En Suisse, les transports en car sont de plus en plus mis au concours, alors que le cas est rare dans les transports ferroviaires. C’est pourquoi il paraît judicieux d’étudier de plus près les effets de telles pratiques à travers les expériences faites à l’étranger. Deux cas ont été sélectionnés à cette intention: la Marschbahn et l’Odenwaldbahn en Allemagne Les conclusions présentées ici se basent sur les résultats d’une étude commandée par le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), Liberalisierung im Schienenverkehr – Ergebnisse des Ausschreibungswettbewerbs in Schleswig-Holstein und Hessen und Folgerungen für die Schweiz.. Leur examen révèle que les mises au concours n’améliorent pas seulement la rentabilité dans des proportions notables, mais aussi la qualité de l’offre.
La mise à concours des chemins de fer dans le Schleswig-Holstein et la Hesse
La réforme des chemins de fer allemands (1996) transférait la gestion des transports ferroviaires locaux de passagers (TFLP) aux Länder ou aux institutions gestionnaires de leur choix. La plupart d’entre elles ont, depuis lors, adjugé une partie de leurs prestations par mise au concours. La fréquence des mises au concours varie énormément d’un Land à l’autre. Les gestionnaires du Schleswig-Holstein (LVS) et de la Hesse (RMV et NVV) ont commencé relativement tôt à pratiquer ce type d’adjudications. La LVS et le RMV comptent aujourd’hui parmi les gestionnaires les plus expérimentés de toute l’Allemagne en la matière. L’une et l’autre ont mis au point des systèmes de concours avec échéancier, c’est-à-dire assortis d’un calendrier échelonné de toutes les prestations à assurer pour les TFLP. Les potentiels que les gestionnaires ont pu exploiter grâce aux adjudications par concours et les problèmes rencontrés seront présentés ici à travers l’exemple de la Marschbahn (Schleswig-Holstein) Tronçon Hambourg-Westerland, longueur 273 km, environ 4,2 millions de train-km par an. et de l’Odenwaldbahn (Hesse) Tronçons Francfort et Darmstadt-Eberbach, longueur 210 km, environ 1,84 million de train-km par an..
Coûts de l’offre ferroviaire
Dans les deux cas, la mise au concours a eu des résultats positifs au plan économique pour les pouvoirs publics. Pour la Marschbahn, le Land de Schleswig-Holstein a mis au concours un contrat net où l’exploitant assume le risque des coûts de production et de la recette sur les billets, alors que le Land ne verse qu’une subvention fixe. Cet appel d’offres a permis d’en réduire le montant de quelque 44% par rapport à l’ancien exploitant, la Deutsche Bahn AG. Pour un total de train-km à peu près équivalent, le Land économisera ainsi environ 221,9 millions de francs Toutes les indications de prix sont calculées au taux de conversion 1 euro = 1,585 franc. pour la durée complète du contrat (10 ans). La subvention versée au nouvel exploitant, la Nord-Ostsee-Bahn GmbH (NOB, groupe Veolia), est de 6,93 francs par train-km (contre 11,86 francs auparavant) Au cours de la négociation du contrat, des demandes supplémentaires ont légèrement modifié le résultat de la mise au concours initiale, d’où la valeur finale de 6,93 francs. Tout récemment, des changements dans les conditions générales, qui n’avaient pas été fixés dans le contrat, ont provoqué une hausse des coûts pour l’exploitant. Toutefois, malgré la demande d’un supplément, qui fait actuellement l’objet de tractations, ces changements ne réduiront probablement que faiblement les économies réalisées par le gestionnaire.. À ces économies s’opposent, du côté des pouvoirs publics et d’après leur estimation, des coûts uniques de mise en oeuvre de l’adjudication d’environ 158 500 francs, et des frais récurrents de contrôle d’environ 79 250 francs par an. On notera ici qu’en règle générale, les entreprises de transport (ET) n’ont d’influence directe que sur environ 50% des coûts. Le reste se compose principalement des redevances d’utilisation de l’infrastructure et des coûts de l’énergie. La mise au concours n’a donc eu d’effet que sur la moitié environ de la valeur ajoutée des TFLP. L’étude révèle en outre que la NOB a gagné l’appel d’offres non pas en jouant sur la structure des coûts, mais par ses fortes attentes en matière de recettes issues des billets. Celles-ci peuvent devenir réalité soit en développant la demande, soit en épuisant les niches où une augmentation des prix est possible. Au Schleswig-Holstein, le gestionnaire doit autoriser les hausses de prix dans les transports publics locaux (TPLP). Les ET peuvent, par contre, moduler les leurs sur les tronçons qu’elles desservent en fixant le nombre de zones tarifaires nécessaires pour telle ou telle course. Jusqu’ici, la NOB n’a pas fait usage de cette possibilité. L’augmentation des recettes est donc manifestement censée se réaliser, en premier lieu, à travers le développement de la demande. Cet effet est encore renforcé par des bonus que le gestionnaire s’engage contractuellement à verser en cas d’augmentation du nombre de passagers. Les chances de gain et la marge de manoeuvre accordées à la NOB ont donc influencé sensiblement la modestie de son subventionnement. En Hesse, la qualité de l’offre de l’Odenwaldbahn s’est améliorée, mais le prix des prestations est demeuré stable pour le gestionnaire. Ici, c’est un contrat brut qui a été adjugé; les ET n’assument donc pas de risque sur la recette des billets. Les efforts du gagnant, la VIAS GmbH, se concentrent ainsi sur l’amélioration de la productivité. Les coûts de l’adjudication et du suivi du contrat sont un peu inférieurs à ceux du Schleswig-Holstein.
De nets progrès dans la qualité de l’offre
Dans les deux cas, la qualité de l’offre s’est nettement améliorée pour les passagers, qui ont, notamment, profité d’un nouveau matériel roulant. Des voitures climatisées, accessibles aux handicapés et silencieuses ont, par exemple, été mises en service tandis que des systèmes d’information des passagers ont été installés. Dans le cas de l’Odenwaldbahn, des compositions à démarrage rapide ont même permis de réduire certains trajets de vingt minutes. Après leur entrée en service, les deux réseaux ont commencé par connaître des problèmes opérationnels, qui se sont surtout répercutés sur la ponctualité et la fiabilité. Si les ET portent leur part de responsabilité, les difficultés provenaient, néanmoins, dans une large mesure des fabricants de wagons et de l’exploitant de l’infrastructure. Elles ont, entre-temps, été résolues. On constate que, malgré des problèmes opérationnels passagers, la qualité générale de l’offre a considérablement augmenté par rapport à celle d’avant la mise au concours.
Les innovations
L’ET qui a remporté la Marschbahn avec un contrat net a innové autant au niveau des passagers que de la production. Sans la moindre obligation contractuelle, elle a décidé, par exemple, d’installer la climatisation et un système audio dans les voitures, d’engager du personnel de service supplémentaire et de mettre sur pied un service de restauration. Dans le cas de l’Odenwaldbahn, où l’ET bénéficie d’un contrat brut, les innovations se sont concentrées sur l’amélioration des procédures internes et un nouveau modèle d’atelier, confié à un entrepreneur local.
Conséquences pour les employés
Sur les tronçons étudiés, le niveau moyen des salaires s’est réduit d’environ 10% après la mise au concours, ce qu’on peut, en particulier, attribuer au rajeunissement des collaborateurs engagés par le nouvel exploitant. Ce dernier n’a d’ailleurs pas exploité à fond la marge de manoeuvre que lui conférait le nouveau tarif contractuel. Du fait que l’ancien exploitant avait déjà pris des mesures pour améliorer la productivité, le nombre d’employés est resté, dans l’ensemble, relativement stable dans le secteur opérationnel. La charge de travail par personne a, néanmoins, augmenté, d’après les experts interrogés. La structure de l’emploi a, elle, nettement changé. Ainsi, dans le cas de la Marschbahn, le nombre de collaborateurs a diminué dans l’administration tandis que le personnel de service augmentait fortement. Les deux exemples montrent que l’implantation d’ateliers dans des régions structurellement faibles y a créé de nouveaux emplois.
Rentabilité des entreprises de transport
De l’avis des experts, l’introduction des mises au concours a fait baisser la rentabilité pour les exploitants des TFLP, ce qui ne semble guère surprenant, étant donné qu’on se trouvait à l’origine devant un marché non concurrentiel et bénéficiant de rendements parfois monopolistiques. Les investissements parfois considérables consentis par les ET indiquent, toutefois, qu’elles nourrissent des espoirs financiers pour le moins satisfaisants. Ainsi, après avoir repris la Marschbahn, la Nord-Ostsee-Bahn a investi quelque 28,53 millions de francs pour la seule construction d’un atelier. Les risques économiques engendrés par les achats de voitures et les obstacles concomitants à l’entrée sur le marché ont pu être minimisés, dans les deux cas, à l’aide d’instruments contractuels appropriés. Le RMV a acquis les voitures nécessaires par l’intermédiaire de son «pool» de véhicules, qui les a mises à disposition de l’entreprise. Au Schleswig-Holstein, on a recouru à la garantie de réutilisation: l’ET se voit accorder l’usage des voitures au-delà de l’expiration du contrat, même si elle ne gagne pas la nouvelle mise au concours.
Conclusion
Ces cas d’école montrent qu’en recourant à la procédure d’adjudication par concours, les pouvoirs publics ont réalisé jusqu’ici sur les deux tronçons concernés d’importantes économies et amélioré la qualité de l’offre. Ces expériences positives correspondent très largement à celles faites sur d’autres portions du réseau ferroviaire allemand. C’est pourquoi les acteurs du marché, à qui on pose la question, pensent qu’il faut accroître les mises au concours dans les TFLP allemands, ne serait-ce qu’à cause de la précarité croissante des finances publiques. Au vu de ces expériences, il pourrait être judicieux que la Suisse examine à son tour une mise au concours des prestations subventionnées au niveau du transport ferroviaire de passagers. Pour la Confédération et les cantons, cela serait une possibilité d’améliorer leur qualité tout en réduisant ou, tout au moins, en stabilisant les frais de subvention supportés par les pouvoirs publics. On contribuerait ainsi à maintenir, voire à développer l’offre exceptionnelle des transports ferroviaires de passagers en Suisse, même face à d’éventuelles restrictions budgétaires.
Graphique 1 «Innovations et contrats»
Encadré 1: Définitions – TFLP: transports ferroviaires locaux de passagers (correspondent à peu près aux transports régionaux subventionnés suisses).- Mise au concours dans les TFLP: acquisition de prestations concernant les TFLP aux prix du marché selon des procédures compétitives, transparentes et non discriminatoires (qui peuvent être de différentes conceptions).- TPLP: transports publics locaux de passagers.- ET: entreprise de transport (exploitant de prestations fournies par les TFLP, par exemple CFF ou Veolia).- Contrat net (principe du): contrat de prestation pour des services de transport entre une ET et les pouvoirs publics. Cette dernière assume le risque des coûts de production et de la recette sur les billets; les pouvoirs publics couvrent le déficit calculé par l’ET moyennant une subvention fixe.- Contrat brut (principe du): contrat de prestation dans lequel l’ET assume le risque des coûts de production. Les pouvoirs publics compensent celui-ci par une subvention fixe, selon les calculs présentés à la soumission, mais encaissent la recette sur les billets et assument les fluctuations que celle-ci aurait à supporter.
Proposition de citation: Beck, Arne; Kuehl, Ingo; Schaaffkamp, Christoph (2007). L’effet des mises au concours des transports ferroviaires régionaux en Allemagne. La Vie économique, 01. mars.