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L’influence des ORP sur la réinsertion des demandeurs d’emploi

Ces dernières années, les dispositifs publics en matière de placement ainsi que les mesures de marché du travail ont remarquablement progressé. Suite à la révision de la loi sur l’assurance-chômage (LACI), les offices régionaux de placement (ORP), mis sur pied en 1996, ont pour mission de soutenir activement la réinsertion des demandeurs d’emploi en usant de divers instruments, comme les conseils professionnels, les mesures de marché du travail et l’acquisition de places vacantes auprès d’employeurs potentiels. L’enquête qui fait l’objet du présent article cherche à préciser l’apport des ORP dans la réinsertion des demandeurs d’emploi. Elle évalue notamment l’impact du facteur «entreprise» pour les ORP et celui que peuvent avoir les stratégies de leurs conseillers en personnel sur les chances des sans-emploi de retrouver un travail Il s’agit de la sixième étude du 2e cycle d’évaluation du service public suisse de l’emploi et des mesures de marché du travail. Voir, à ce propos, le numéro d’octobre 2006 de La Vie économique..

Objectif


Le but du projet de recherche étant d’analyser l’influence que peuvent avoir les ORP sur la réinsertion des demandeurs d’emploi, les trois questions suivantes se posaient au départ: 1. Quels buts et stratégies les ORP poursuivent-ils? Quelles différences y a-t-il entre les ORP, du point de vue du facteur «entreprise» et de l’approche des conseillers en personnel? 2. Quels résultats les ORP ont-ils pu obtenir avec les demandeurs d’emploi ainsi qu’en collaboration avec les employeurs et d’autres institutions? Quels facteurs propres aux ORP (approche «entreprise», stratégies des conseillers en personnel) sont particulièrement efficaces pour la réinsertion? 3. Comment peut-on améliorer l’efficacité des ORP?

Méthodologie


Le projet s’est déroulé en trois étapes. Dans la première, des études de cas qualitatives ont été effectuées en 2004 auprès de douze ORP. Il s’agissait d’abord de décrire les objectifs et les stratégies de ces ORP et de définir et, si possible, une typologie des stratégies de leurs conseillers en personnel. Il fallait, ensuite, identifier au niveau des ORP comme à celui des conseillers les facteurs qui influencent positivement la réinsertion. Dans un deuxième temps, les résultats de l’analyse qualitative ont été intégrés à une enquête standardisée menée auprès des conseillers en personnel et des dirigeants de tous les ORP en Suisse. L’enquête a réuni des informations concernant, entre autres, l’organisation, les structures, les stratégies ou les préférences des offices ainsi que sur les stratégies des conseillers en personnel. Ces données ont été combinées à des données administratives supplémentaires sur les demandeurs d’emplois et leurs conseillers, tirées du système d’information de l’assurance-chômage et de l’assurance sociale (Plasta/Sipac et AVS). La troisième étape a consisté à évaluer, sur la base d’une analyse microéconométrique, l’influence des caractéristiques des ORP et des stratégies des conseillers sur la probabilité de réinsertion des demandeurs d’emploi. Des modèles de régression non linéaires et un processus de «matching» ont été utilisés à cette fin. L’échantillon de population pris en compte correspond à l’ensemble des nouveaux demandeurs d’emploi inscrits comme tels en 2003 (environ 200000 personnes). L’enquête a voulu mesurer la façon dont les caractéristiques des divers ORP et conseillers se répercutaient sur la réinsertion professionnelle de cette population dans une période de 24 à 36 mois suivant le début de la recherche d’emploi. Les effets mesurés l’ont été pour l’ensemble de cette population et pour divers sous-groupes de demandeurs d’emploi. Il a aussi été tenu compte des conditions environnantes: ainsi, le petit ORP d’une commune comptant une forte proportion d’étrangers choisira de préférence une autre forme d’organisation que l’important ORP d’une région ayant une proportion d’étrangers plus faible.

Les orientations stratégiques des ORP


En général, les stratégies mises en oeuvre par les ORP pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés ne sont pas définies de manière explicite. On part de l’idée que les ORP donnent aux conseillers en personnel des directives organisationnelles sur les structures, les processus et les instruments, mais pas d’indications stratégiques détaillées. Ce sont essentiellement les conseillers en personnel qui définissent leur stratégie. D’une manière générale, les résultats de l’étude microéconométrique soulignent l’importance du type de contact que les ORP choissent d’avoir avec des employeurs potentiels. Ceux qui usent d’une approche précautionneuse ont remporté davantage de succès auprès des employeurs en matière de réinsertion. D’après les chiffres, un recours plutôt modéré mais ciblé aux assignations à des places vacantes se révèle, en définitive, plus intéressant qu’un usage très abondant de cet instrument. Cela confirme le fait que les assignations gagnent en efficacité lors-qu’elles sont adaptées aux besoins des employeurs. Il ressort des études de cas que les contacts personnels avec les employeurs, la connaissance précise de leurs besoins, la rapidité de réaction face aux postes vacants, et surtout une bonne présélection des dossiers, constituent d’importants facteurs de succès lorsqu’il s’agit de collaborer avec les employeurs. Les études montrent aussi que les contacts se sont renforcés par rapport aux années précédentes. L’image des ORP s’est améliorée et les contacts se sont intensifiés. L’analyse microéconométrique semble indiquer que les chances des demandeurs d’emploi augmentent dans les ORP où la collaboration avec d’autres institutions (par exemple l’AI) est jugée importante. On a observé un rapport positif très net entre la coopération avec les agences privées de placement et la réinsertion des demandeurs d’emploi. L’étude montre aussi que sous l’angle de l’efficacité, cette option vient compléter et non concurrencer les contacts avec les employeurs.

Les stratégies des conseillers en personnel


L’objectif du conseiller est de motiver et de stimuler les demandeurs d’emploi. D’un point de vue général, les résultats empiriques mettent en relief deux dimensions dans l’approche du conseiller: d’une part son attitude en matière de coopération, d’autre part ses choix entre mesures de qualification et concentration des efforts vers un rapide retour à l’emploi. En ce qui concerne la coopération, on distingue entre une stratégie authentique en la matière et une autre qui met davantage l’accent sur la pression. Les conseillers qui optent pour la première jugent très importante la collaboration avec les demandeurs d’emploi, dont ils prennent le plus souvent les désirs en considération. Les conseillers qui préfèrent la seconde misent principalement sur le recours ciblé au contrôle et à la pression (sanctions et assignations). L’analyse microéconométrique montre qu’une approche très «douce» ou très coopérative à l’égard des demandeurs d’emploi diminue leurs chances de placement. Les conseillers en personnel qui tendent à prendre systématiquement en compte les désirs des demandeurs d’emploi dans le choix des assignations et des mesures de marché du travail (MMT) ont en effet obtenu de moins bons résultats, en termes de réinsertion, que ceux qui n’en ont pas tenu compte. Cela se vérifie en particulier à l’égard des demandeurs d’emplois non qualifiés. Les divers résultats de l’étude, qui mettent en parallèle les stratégies en matière de placement et de qualification, montrent aussi que la première est davantage efficace. Les ORP et les conseillers en personnel qui privilégient nettement les mesures de qualification sur le marché du travail ont obtenu des résultats plutôt faibles par rapport à ceux qui visent un contact rapide et sans concession avec le marché du travail. L’activation précoce (éventuellement accompagnée de contrainte) vers la recherche d’emploi, et surtout son acceptation, a eu des effets plutôt positifs sur la réinsertion des chômeurs.

Le style des directions


La grande majorité des directions des ORP considèrent que leur tâche principale est d’assister leurs collaborateurs et font preuve d’un style coopératif. Leur but est de soutenir directement les conseillers en personnel et de créer un environnement aussi favorable que possible à leurs activités. L’analyse microéconométrique a montré que des effets positifs se dégagent de l’application rigoureuse des normes et réglementations par les dirigeants des ORP. On observe le contraire là où les conseillers en personnel jugent le style de leurs supérieurs coopératif et solidaire. Les chiffres montrent ainsi que le fait pour leurs supérieurs d’être très accommodants à l’égard des conseillers en personnel ou de leur laisser une très grande marge de manoeuvre est plutôt préjudiciable à une application uniforme et efficiente des mesures d’activation. Au contraire, certaines réglementations et exigences standard en matière de contrôle des tâches des conseillers en personnel ont une influence positive sur les probabilités d’embauche des demandeurs d’emploi. Ce résultat est confirmé par l’analyse des divergences d’opinion entre les directions et les conseillers en personnel. D’une manière générale, les observations montrent que les ORP dans lesquels les conseillers en personnel ont les conceptions qui s’écartent le plus de celles de leur direction (principalement au sujet de l’affectation des instruments) sont aussi ceux qui ont obtenu, en termes de placement, les résultats les moins favorables pour leurs demandeurs d’emploi. À l’inverse, là où les directions des ORP et les conseillers sont parvenus à rapprocher leurs positions, les répercussions sur l’embauche ont été plutôt positives.

L’organisation


La séparation organisationnelle établie entre les prérogatives relatives aux contrôles et celles qui concernent les sanctions a eu des résultats positifs en termes de réinsertion des demandeurs d’emploi. Cette séparation supprime les conflits de rôles parmi les conseillers et se traduit positivement, d’une manière générale, sur les chances de réinsertion. Au demeurant, elle semble s’accompagner d’une application plus rigoureuse des sanctions. Les résultats indiquent en outre que l’attribution de lourdes tâches administratives aux conseillers en personnel a des effets négatifs. Le fait que les ORP se chargent davantage de ces tâches administratives se révèle, par contre, globalement positif. D’où cette conclusion qu’il est préférable de décharger les conseillers de ces tâches dans toute la mesure du possible et de les confier à des collaborateurs spécialisés. Les ORP qui, automatiquement ou à la demande des conseillers, prévoient au bout d’un certain temps un changement de dossier de cas en cas, ont obtenu des résultats nettement meilleurs en termes de réinsertion. Cela crée très probablement une nouvelle dynamique dans le processus de recherche d’emploi.

Le profil des conseillers en personnel


Certaines caractéristiques propres aux conseillers en personnel ont été plutôt favorables à la réinsertion des demandeurs d’emploi. L’analyse fait en particulier ressortir que l’expérience acquise au sein d’un ORP, ainsi que l’obtention du brevet fédéral de spécialiste en gestion du personnel, ont eu un rôle positif sur la réinsertion. Au contraire, l’âge des conseillers, tout comme le fait qu’ils possèdent des diplômes universitaires ou de hautes écoles spécialisées, ont eu des effets négatifs. L’expérience extérieure ne semble pas peser d’un grand poids, alors que celle acquise dans les ORP a une heureuse influence. Des études prolongées dans des disciplines spécifiques à la branche et principalement liées à l’acquisition du brevet fédéral ont eu manifestement un effet positif. En revanche, les formations complémentaires courtes ne se sont pas révélées efficaces. Des effets négatifs ont été observés parmi les conseillers qui, eux-mêmes, ont été un jour chômeurs. Ces résultats soulignent l’importance d’un accroissement bien ciblé, à long terme, du personnel. La recommandation que l’on peut en tirer en matière de recrutement de nouveaux collaborateurs est qu’il convient de choisir de préférence des candidats jeunes et sans diplôme universitaire et de les former au plus vite pour le brevet fédéral.

Mise en oeuvre des mesures


Une application cohérente des mesures destinées à la réinsertion la plus rapide possible semble améliorer les chances des demandeurs d’emploi. Les éléments d’évaluation montrent que les ORP qui recourent beaucoup aux instruments des gains intermédiaires et des programmes d’emploi temporaire (PET) augmentent les chances d’un retour à l’activité des demandeurs d’emploi, alors qu’elles s’affaiblissent dans ceux qui privilégient les mesures de qualification. On peut en conclure que les ORP qui mettent l’accent sur un rapide retour à l’emploi tendent à obtenir, dans les deux à trois ans qui suivent le début de la recherche d’emploi, davantage de succès que ceux qui attachent plus d’importance aux activités de qualification. Les stages sont apparus comme un instrument particulièrement utile pour les jeunes demandeurs d’emploi. Pour les autres groupes, les effets positifs observés sont souvent liés aux contacts avec les employeurs et/ou aux assignations à des places vacantes Ces résultats ne doivent pas être interprétés comme l’indice que les programmes d’emploi temporaire ont en eux-mêmes des effets positifs directs; il faut plutôt les considérer comme participant d’une stratégie globale. Compte tenu de certaines observations faites jusqu’ici, nous ne recommanderions pas leur extension ou leur mise en valeur.. Les jours de suspension se sont aussi révélés un excellent instrument. D’une manière générale, tant la fréquence que l’ampleur des sanctions ont eu des effets nettement positifs. Cela se vérifie dans tous les groupes, mais plus particulièrement chez les plus jeunes demandeurs d’emploi et les personnes peu qualifiées. Pour une grande part, ce résultat est assurément imputable à l’«effet de menace»: quand les demandeurs d’emploi sont rendus plus attentifs à la possibilité d’une suspension des indemnités journalières en cas de non-respect de leurs obligations, le surcroît de motivation qui en découle pour la recherche d’un emploi ou la participation à une mesure a les effets escomptés, de sorte qu’il n’est pas toujours nécessaire de prononcer des jours de suspension.

Encadré 1: Conclusion Les résultats présentés dans cet article désignent toute une série de grandes orientations susceptibles d’améliorer le potentiel de réussite des ORP, et qui sont plus ou moins faciles à concrétiser. C’est lorsqu’on les rapporte aux objectifs et stratégies fondamentaux des ORP qu’ils sont les plus parlants. Davantage de fermeté au niveau des conseillers en personnel et de concentration des efforts sur une rapide réinsertion dans le marché du travail, même s’il ne s’agit que d’un emploi temporaire, semblent plus productifs que les approches douces et coopératives ou que la stratégie des qualifications. Cela ne signifie pas qu’il faille déconseiller toute mesure de coopération ou de qualification; il faut seulement être plus ferme – dans une mesure raisonnable – pour obtenir des résultats encore meilleurs.

Proposition de citation: Stefanie Behncke ; Markus Froelich ; Michael Lechner ; Rolf Iten ; Stephan Hammer ; (2007). L’influence des ORP sur la réinsertion des demandeurs d’emploi. La Vie économique, 01 avril.