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L’ouverture du marché postal suédois: un modèle pour la Suisse?

L'ouverture du marché postal suédois: un modèle pour la Suisse?

En 2006, le Conseil fédéral a ouvert une procédure de révision totale de la législation postale suisse. Son but est de soumettre la Poste et les opérateurs privés aux mêmes conditions-cadres, d’assurer la desserte de base et son financement et, le cas échéant, de poursuivre sur la voie de la libéralisation du marché des lettres. En Suède, ce marché est entièrement ouvert depuis de nombreuses années. Les enseignements que l’on peut en tirer montrent qu’une refonte similaire du marché postal en Suisse serait, certes, de nature à stimuler la concurrence, mais qu’elle remettrait par ailleurs en question le financement de l’actuelle desserte de base. Les petits clients devraient, en particulier, s’attendre à une hausse des prix, pour une qualité de service diminuée.

Le marché postal suédois a été entièrement libéralisé en 1993 et, selon Andersson (2006), les trois principaux objectifs définis à l’époque – croissance économique, maintien du service universel et profit des prestataires – ont été largement atteints. La libéralisation aurait donc eu des effets positifs sur l’évolution du marché postal suédois, et le service universel continuerait d’y être assuré sans problèmes. PTS, l’autorité suédoise de régulation du marché, partage cette analyse et Post-Reg, son homologue helvétique, fait le même constat dans son rapport d’activité 2005.  Bien que ces conclusions soient encourageantes, le modèle suédois ne saurait être transposé tel quel en Suisse, le principal obstacle résidant dans la définition de la desserte de base. La photo ci-dessus montre un bureau de poste suédois. Il saute aux yeux que la structure de coûts se cachant derrière cette simple étagère n’a rien de commun avec celle d’un office de poste helvétique, offrant toute une gamme de services postaux et de paiement. Le regard porté au-delà des frontières exige donc que l’on conserve une certaine distance critique, si l’on veut en tirer des enseignements utiles pour la Suisse.

Les grands axes du modèle suédois


Les grands axes du modèle suédois présentés ci-après forment un modèle économique de marché tout à fait cohérent.

Des conditions identiques pour tous les opérateurs


Un système de licence a été adopté afin, notamment, d’assurer la fiabilité du service ainsi que la confidentialité et l’intégrité du courrier, sans pour autant constituer une barrière à l’entrée sur le marché. La poste suédoise a, par ailleurs, été transformée en société anonyme, Posten AB, pour garantir l’égalité des conditions-cadres. Le gouvernement, unique propriétaire, a ainsi pratiquement renoncé à exercer son influence sur les activités commerciales de l’entreprise. En ce qui concerne les conditions de travail, les mêmes règles valent pour tous les opérateurs, si bien que les salaires versés par Posten AB et CityMail, son principal concurrent, sont comparables. Enfin, comme en Suisse, il n’y a pas de distorsion de la concurrence sous la forme d’une exonération de la TVA accordée à l’ancien monopoleur jusque dans les segments de marché libéralisés, comme c’est le cas en Allemagne, en France ou en Grande-Bretagne.

Une desserte de base définie conformément au marché, à titre de «filet de sécurité»


La desserte de base est confiée directement à Posten AB et n’est subventionnée par l’État que si elle ne peut pas être assurée de manière rentable. Les exigences auxquelles doit satisfaire l’opérateur historique sont très générales, puisque seules des dispositions minimales réglant l’accès aux prestations de la desserte de base ont été adoptées. Posten AB jouit ainsi d’une grande liberté de conception des produits et de fixation des prix. Elle peut aussi réduire la fréquence de distribution dans certaines régions et les objectifs qui lui sont assignés en matière de respect des délais d’acheminement sont relativement modestes (85% des envois pour le courrier A).

Une desserte de base subventionnée par l’État pour minimiser les distorsions de concurrence


Les obligations liées à la fourniture du service universel étant peu contraignantes, Posten AB parvient actuellement à financer l’essentiel de ce service par ses propres moyens. Selon ses indications, elle ne touche de subventions que pour les services de paiement, pour certaines prestations dans les régions rurales, pour celles destinées aux malvoyants et pour d’autres encore liées à la sécurité nationale.

Une déréglementation systématique assortie d’une grande liberté commerciale pour tous les acteurs du marché


La réglementation spécifique du secteur est réduite au minimum, laissant largement jouer les lois du marché. En raison de l’absence de goulets d’étranglement monopolistiques, on a renoncé à réglementer l’accès au réseau «No monopolistic bottlenecks», voir notamment SECO (2005). en tant que tel, mais on a tout de même adopté certaines prescriptions d’ordre technique concernant les cases postales, les ordres de réexpédition et le système des codes postaux.

Les conséquences de l’ouverture du marché en Suède


La libéralisation et la déréglementation opérées en Suède ont profondément transformé le marché postal et, en particulier, Posten AB. En effet, pour s’adapter aux besoins et aux exigences du marché, l’opérateur national a dû prendre des mesures radicales. Au final, le prix nominal des envois isolés du courrier A s’est envolé de 90% (voir graphique 1), tandis que les tarifs appliqués à la clientèle commerciale, bien qu’ils se soient fortement différenciés, sont restés plus ou moins stables, abstraction faite des hausses de la TVA. Cette évolution s’est, entre autres, traduite par un bouleversement de la structure des envois, avec notamment un fort recul des courriers isolés, qui n’a pas été compensé par l’augmentation des expéditions en nombre. On peut se poser la question, comme le montre la comparaison avec la Suisse (voir graphique 2). Les autres mesures ont consisté à externaliser les tournées de distribution, à abolir celle du samedi et à remplacer le réseau postal traditionnel par trois nouveaux réseaux. Ainsi, les clients commerciaux sont desservis par des «business centers» spécialisés dans la logistique et abritant aussi les cases postales, alors que les particuliers peuvent se rendre dans des points de dépôt de lettres et de colis intégrés à des commerces d’alimentation ou des stations-service. Les services de paiement dépendent, enfin, d’un réseau de filiales distinct ne proposant aucun produit postal. Ce «Svensk Kassaservice» est d’ailleurs le principal souci de Posten AB, car malgré les subventions de l’État et plusieurs restructurations, il reste déficitaire. La voie suivie par la poste néo-zélandaise semble à cet égard plus convaincante, mais elle implique la création d’une banque maison (voir encadré 1 La Nouvelle-Zélande est l’exemple type d’une large déréglementation du marché postal. Sa poste a quitté le giron de l’administration publique dès 1987, pour devenir une société de droit privé, New Zealand Post Limited, dont l’État est l’unique propriétaire. Il faudra néanmoins attendre encore onze ans, soit jusqu’en 1998, pour que le monopole des lettres soit entièrement aboli, la poste néo-zélandaise mettant cette période à profit pour se restructurer en profondeur: en 1993, elle avait déjà réduit son effectif de plus d’un tiers et, en 1997, de plus de 40%. Le réseau des bureaux de poste a également été entièrement remodelé à partir de 1988. Alors qu’il s’élevait encore à 1262 en 1985, le nombre de bureaux exploités directement était tombé à 240 huit ans plus tard. Aujourd’hui, le réseau postal se compose de 142 bureaux exploités en propre – pour la plupart des succursales de Kiwibank, la banque maison -, de 181 agences franchisées et de 672 points de vente ne fournissant que les services postaux de base. Ces points de vente sont exploités par des partenaires, en complément de leur propre activité commerciale, ce qui permet des économies de gamme («La poste dans l’épicerie du village»). La distribution dans les régions rurales est assurée par quelque 540 sous-traitants, qui peuvent aussi travailler pour la concurrence, réalisant ainsi les mêmes économies de gamme.Ayant pour ainsi dire renoncé à toute réglementation spécifique du secteur, l’État néo-zélandais n’a pas institué d’autorité de régulation. Le service universel est défini à grands traits dans une convention («Deed of Understanding») conclue entre la poste et le ministère compétent. Les obligations qui en découlent sont minimes. Elles consistent pour l’essentiel à maintenir au moins 240 bureaux de poste disposant d’une offre complète, à assurer la distribution sur presque tout le territoire et à offrir un produit-lettre standard. La réglementation en matière de prix se limite à interdire la réintroduction de la «rural delivery fee», une taxe annuelle perçue auprès d’habitants de régions éloignées. En ce qui concerne l’accès au réseau, la seule obligation est celle de non-discrimination.La Nouvelle-Zélande est un exemple remarquable de déréglementation systématique. Il en est résulté un système reposant largement sur les lois du marché, avec un service universel régi par ces mêmes lois et réduit à sa plus simple expression: obligation de distribuer le courrier B sur tout le territoire. On peut donc affirmer que la concurrence est bien réelle en Nouvelle-Zélande, comme en témoigne le fait que la poste n’est pas parvenue à rehausser le niveau des prix, bien qu’elle détienne toujours une grosse part de marché et que le régime de plafonnement des tarifs entré en vigueur entre-temps l’ait rendu possible. Elle s’est même vue contrainte de fixer ses prix en fonction des coûts et donc de les différencier selon qu’ils s’appliquent à des régions urbaines ou rurales ou encore à des clients commerciaux ou des particuliers. ). La libéralisation s’est traduite par une diminution d’environ un tiers des emplois offerts par Posten AB, un recul qui n’a de loin pas pu être compensé par les nouveaux venus sur le marché.

Un modèle pour la Suisse?


D’un point de vue purement économique, pratiquement rien ne s’oppose à ce que le modèle suédois fonctionne également en Suisse. Le défi est plutôt de nature politique et peut se résumer en une seule question: serait-il possible d’adapter à temps la desserte de base et certaines autres obligations légales, telles qu’elles sont actuellement définies ici? Adopter le modèle suédois impliquerait en effet de supprimer non seulement le mandat d’infrastructure L’office de poste le plus proche disposant d’une offre complète (y compris les services de paiement) doit être accessible, à pied ou par les transports publics, en 20 minutes au maximum par au moins 90% de la population. attribué à la Poste Suisse en 2004, mais encore un autre mandat légal qui lui a été confié il y a peu, qui est d’offrir des emplois sur l’ensemble du territoire. Il s’agirait, en outre, de transformer la Poste en une société anonyme et de lui permettre de soumettre son personnel aux mêmes conditions de travail que celles en vigueur chez ses concurrents; en d’autres termes, cela aurait pour conséquence de l’exclure du champ d’application de la loi sur le personnel de la Confédération. Enfin, au-delà de l’adoption de nouveaux échelons de poids (20 et 50 grammes), il faudrait laisser la Poste libre de fixer comme elle l’entend les tarifs applicables à la clientèle commerciale. Une forte hausse des prix des envois isolés serait en outre inévitable. Or, accorder à la Poste une certaine marge de manoeuvre en la matière est loin d’être une évidence, comme le démontre le débat en cours sur l’aide indirecte à la presse. Dès lors, avant de s’engager sur la voie d’une mutation aussi radicale, d’autant plus difficile à opérer en Suisse que la démocratie directe y est forte, il y a lieu de comparer attentivement les situations que créerait l’adoption du modèle suédois ou du maintien du statu quo. De fait, la cohérence économique du modèle nordique ne suffit pas à elle seule à le rendre attrayant pour la Suisse. Il faut pour cela qu’il en découle aussi des avantages économiques généraux. Il convient donc d’analyser les conséquences de ce modèle sur la prospérité du pays, notamment en comparant les performances affichées par les marchés postaux suédois et suisse au cours des quinze dernières années.

L’impact d’une libéralisation du marché postal sur le bien-être et les performances


Au fur et à mesure de l’ouverture des marchés de l’Union européenne (UE), on a réalisé toute une série d’études prospectives. Celles-ci ont examiné les conséquences économiques de la libéralisation du marché des lettres à l’aide de modèles d’accès au marché relevant de l’économie industrielle. Des économistes réputés en ont tiré, pour la plupart, les mêmes conclusions: le régime de la libre concurrence présuppose un financement du service universel externe à l’entreprise, et celui-ci est d’autant plus important que les obligations découlant de la desserte de base sont strictes. Une étude de l’UE PwC (2006). adaptée à la Suisse conclut, elle aussi, qu’il ne serait pas possible de libéraliser le marché helvétique sans redéfinir le service universel. En ce qui concerne les conséquences sur la prospérité, les conclusions sont moins tranchées. Il ressort, néanmoins, de presque toutes les simulations que les solutions monopolistiques donnent de meilleurs résultats que les scénarios prévoyant une ouverture intégrale du marché. Le modèle des États-Unis, en particulier, qui repose sur un monopole des lettres très rigide, s’en sort clairement à son avantage (voir encadré 2 Aux États-Unis, le processus de révision de la législation postale, entamé plus de dix ans auparavant, s’est conclu fin 2006 par le maintien du monopole des lettres, probablement le plus rigide au monde. Apanage de la société d’État United States Postal Service (USPS), ce monopole comprend un domaine réservé dont la limite est fixée à 350 grammes, ainsi que toutes les boîtes aux lettres du pays. Il est intéressant de constater que, malgré la libéralisation en cours en Europe, l’ouverture du marché américain n’a jamais été à l’ordre du jour et serait même largement rejetée. La principale raison pourrait bien être que le marché des lettres des États-Unis – environ la moitié de celles dans le monde – domine au plan international. L’UE, en particulier, est loin de pouvoir rivaliser, autant en termes de prix et de prestations (délais d’acheminement notamment) que d’innovation. Si l’on prend pour paramètre le nombre de lettres par habitant, seule la Suisse fait aussi bien (voire mieux, selon les statistiques considérées). Pour Cohen et al. (2002), le programme «Worksharing» d’USPS n’est pas étranger à cette situation: il s’agit, en bref, d’un plan d’externalisation visant à inciter financièrement les privés à fournir des prestations préalables. La loi dispose, toutefois, que leur indemnisation ne doit pas excéder le montant des économies réalisées par USPS. ) Voir aussi Dietl et al. (2005) et Jaag (2007). . Quant à la comparaison des performances des marchés suédois et suisse, il n’est guère possible d’en tirer des conclusions étayées scientifiquement. Le modèle monopolistique suisse (monopole «résiduel» de la Poste) semble néanmoins mieux résister aux substituts du courrier traditionnel, tels que la messagerie électronique, les plateformes Internet et les SMS. Ainsi, le nombre de lettres expédiées en 2005 en Suisse s’est accru de 10% par rapport à 1993, alors qu’en Suède, il accusait un recul atteignant, suivant les sources, les mêmes proportions (voir graphique 2). Ce constat ne manque pas d’étonner, car on s’attendrait à ce qu’un marché libéralisé offre des prix plus avantageux, ainsi que des services à la fois de meilleure qualité et davantage innovants; le trafic global aurait donc dû s’accroître. Le marché suédois du courrier est en contradiction avec la théorie et déçoit également en termes d’innovation Andersson (2006): «The Swedish market is not significantly more innovative than other modern postal markets». . Posten AB se distingue aussi par ses mauvais scores en matière de satisfaction de la clientèle. En effet, les Suédois comptent parmi les Européens les moins satisfaits de leur poste nationale (dernier ou avant-dernier rang) et ne lui font guère confiance Andersson (2006). Posten AB occupe la 26e place sur 29. . Enfin, les prix de Posten AB sont certes comparables à ceux de la Poste Suisse pour les expéditions en nombre, mais ils sont environ 50% plus élevés pour les envois isolés NZZ (2006). . Les performances étonnamment bonnes du marché postal suisse en comparaison internationale s’expliquent entre autres par deux facteurs. Premièrement, même sans rivaux directs, la Poste Suisse subit une pression concurrentielle non négligeable sur le marché des lettres, car il suffit que le rapport prix/prestation de ses produits ne soit plus optimal pour que les clients s’orientent vers d’autres solutions, comme la messagerie électronique. Des analyses économétriques ont d’ailleurs montré que l’élasticité des prix de la demande sur le marché des lettres n’a cessé d’augmenter ces dernières années Trinkner et al. (2006). . Deuxièmement, la libéralisation entraîne par définition la mise en place d’infrastructures parallèles. Or, surtout dans la distribution du courrier, les économies d’échelle jouent un rôle majeur Farsi et al. 2006. et il faut que le système en vigueur avant la libéralisation soit vraiment inefficace pour que les coûts unitaires n’augmentent pas malgré la dispersion des infra-structures, une fois le marché ouvert.

Conclusion


Bien que très cohérent, le modèle suédois ne pourrait régir la libéralisation du marché des lettres en Suisse que s’il était possible de l’appliquer intégralement et systématiquement. Or, pour des raisons politiques, son adoption en Suisse déboucherait rapidement sur la mise en place d’un système rafistolé où le marché serait certes ouvert, mais où ni la nécessaire redéfinition du service universel ni l’octroi de sa pleine liberté d’entreprise à la Poste Suisse ne parviendraient à rallier la majorité des suffrages. La Poste se retrouverait alors enfermée dans un modèle d’affaires rigide, tributaire de la politique, avec tous les risques qui en découlent. On ne sait, du reste, pas franchement s’il est effectivement souhaitable, économiquement parlant, de libéraliser entièrement le marché suisse des lettres. Si l’on s’en réfère à la littérature spécialisée, il est même permis d’en douter. Enfin, comparées à celles du marché suédois, les performances du marché suisse, où règne encore un monopole résiduel, sont plutôt convaincantes. L’exemple suédois montre que le débat sur la libéralisation en Suisse doit être mené de front avec celui concernant l’étendue du service universel. Une fois que celle-ci aura été fixée, on pourra répondre à cette question clé: le financement du service universel peut-il être assuré durablement par d’autres moyens que l’actuel monopole résiduel?

Graphique 1 «Évolution du prix nominal des envois isolésa»

Graphique 2 «Évolution du marché des envois adressés»

Encadré 1: La libéralisation du marché postal en Nouvelle-Zélande:une déréglementation systématique La Nouvelle-Zélande est l’exemple type d’une large déréglementation du marché postal. Sa poste a quitté le giron de l’administration publique dès 1987, pour devenir une société de droit privé, New Zealand Post Limited, dont l’État est l’unique propriétaire. Il faudra néanmoins attendre encore onze ans, soit jusqu’en 1998, pour que le monopole des lettres soit entièrement aboli, la poste néo-zélandaise mettant cette période à profit pour se restructurer en profondeur: en 1993, elle avait déjà réduit son effectif de plus d’un tiers et, en 1997, de plus de 40%. Le réseau des bureaux de poste a également été entièrement remodelé à partir de 1988. Alors qu’il s’élevait encore à 1262 en 1985, le nombre de bureaux exploités directement était tombé à 240 huit ans plus tard. Aujourd’hui, le réseau postal se compose de 142 bureaux exploités en propre – pour la plupart des succursales de Kiwibank, la banque maison -, de 181 agences franchisées et de 672 points de vente ne fournissant que les services postaux de base. Ces points de vente sont exploités par des partenaires, en complément de leur propre activité commerciale, ce qui permet des économies de gamme («La poste dans l’épicerie du village»). La distribution dans les régions rurales est assurée par quelque 540 sous-traitants, qui peuvent aussi travailler pour la concurrence, réalisant ainsi les mêmes économies de gamme.Ayant pour ainsi dire renoncé à toute réglementation spécifique du secteur, l’État néo-zélandais n’a pas institué d’autorité de régulation. Le service universel est défini à grands traits dans une convention («Deed of Understanding») conclue entre la poste et le ministère compétent. Les obligations qui en découlent sont minimes. Elles consistent pour l’essentiel à maintenir au moins 240 bureaux de poste disposant d’une offre complète, à assurer la distribution sur presque tout le territoire et à offrir un produit-lettre standard. La réglementation en matière de prix se limite à interdire la réintroduction de la «rural delivery fee», une taxe annuelle perçue auprès d’habitants de régions éloignées. En ce qui concerne l’accès au réseau, la seule obligation est celle de non-discrimination.La Nouvelle-Zélande est un exemple remarquable de déréglementation systématique. Il en est résulté un système reposant largement sur les lois du marché, avec un service universel régi par ces mêmes lois et réduit à sa plus simple expression: obligation de distribuer le courrier B sur tout le territoire. On peut donc affirmer que la concurrence est bien réelle en Nouvelle-Zélande, comme en témoigne le fait que la poste n’est pas parvenue à rehausser le niveau des prix, bien qu’elle détienne toujours une grosse part de marché et que le régime de plafonnement des tarifs entré en vigueur entre-temps l’ait rendu possible. Elle s’est même vue contrainte de fixer ses prix en fonction des coûts et donc de les différencier selon qu’ils s’appliquent à des régions urbaines ou rurales ou encore à des clients commerciaux ou des particuliers.

Encadré 2: La nouvelle législation postale aux États-Unis maintient le monopole des lettres Aux États-Unis, le processus de révision de la législation postale, entamé plus de dix ans auparavant, s’est conclu fin 2006 par le maintien du monopole des lettres, probablement le plus rigide au monde. Apanage de la société d’État United States Postal Service (USPS), ce monopole comprend un domaine réservé dont la limite est fixée à 350 grammes, ainsi que toutes les boîtes aux lettres du pays. Il est intéressant de constater que, malgré la libéralisation en cours en Europe, l’ouverture du marché américain n’a jamais été à l’ordre du jour et serait même largement rejetée. La principale raison pourrait bien être que le marché des lettres des États-Unis – environ la moitié de celles dans le monde – domine au plan international. L’UE, en particulier, est loin de pouvoir rivaliser, autant en termes de prix et de prestations (délais d’acheminement notamment) que d’innovation. Si l’on prend pour paramètre le nombre de lettres par habitant, seule la Suisse fait aussi bien (voire mieux, selon les statistiques considérées). Pour Cohen et al. (2002), le programme «Worksharing» d’USPS n’est pas étranger à cette situation: il s’agit, en bref, d’un plan d’externalisation visant à inciter financièrement les privés à fournir des prestations préalables. La loi dispose, toutefois, que leur indemnisation ne doit pas excéder le montant des économies réalisées par USPS.

Encadré 3: Bibliographie – Andersson P., The liberalisation of postal services in Sweden – goals, results, and lessons for other countries, étude réalisée sur mandat du seco, 2006.- Cohen R. H., Ferguson W. W., Waller J. D. et Xenakis S. S., «The Impact of Using Worksharing to Liberalize a Postal Market», dans G. Kulenkampff et H. Smith. Rheinbreitbach (éd.), Liberalisation of Postal Markets, Plump KG, 2002.- Dietl H., Trinkner U. et Bleisch R., «Liberalization and Regulation of the Swiss Letter Market», dans M. Crew et P. Kleindorfer (éd.), Regulatory and Economic Challenges in the Postal and Delivery Sector, Kluwer, 2005.- Farsi M., Filippini M. et Trinkner U., «Economies of scale, density and scope in Swiss Post’s Mail Delivery», dans M. A. Crew et P. R. Kleindorfer (éd.), Liberalization of the Postal and Delivery Sector, Edward Elgar, 2006.- Jaag C., Liberalization of the Swiss Letter Market and the Viability of Universal Service Obligations, document de travail, 2007.- Neue Zürcher Zeitung, «Die Post mit guten Karten: Briefsendungen sind in vielen Kategorien preiswert», 25 juillet 2006, p. 23.- PostReg (2006), Rapport d’activité 2005, p. 26.- PwC, The Impact on Universal Service of the Full market Accomplishment of the Postal Internal Market in 2009, étude réalisée sur mandat de la Commission européenne, 2006.- PwC, Evaluating the Impact of a Full Market Opening on Swiss Post, étude réalisée sur mandat de la Poste Suisse, 2006.- SECO, Rapport comparatif sur la libéralisation des services en Suisse et dans l’UE, 2005.- Trinkner U. et Grossmann M., «Forecasting Swiss Mail Demand», dans M. Crew et P. Kleindorfer (éd.), Progress toward Liberalization of the Postal and Delivery Sector, Springer, 2006.

Proposition de citation: Urs Trinkner (2007). L’ouverture du marché postal suédois: un modèle pour la Suisse. La Vie économique, 01 mai.