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La politique aéronautique de la Suisse

À l’ère de la mondialisation, l’aviation civile revêt plus que jamais une grande importance. Pour la Suisse, dépourvue d’accès direct à la mer, elle est vitale, car elle permet des liaisons optimales avec les centres européens et mondiaux. Dans son rapport sur la politique aéronautique, publié fin 2004, le Conseil fédéral présente une vue d’ensemble de la question ainsi qu’une nouvelle orientation de sa politique qui tient compte de l’évolution observée ces dernières années. Le présent article expose la politique aéronautique de la Confédération en la situant dans le contexte international et dresse un état des lieux à la lumière des défis que l’aviation civile suisse aura à affronter.

Le Rapport sur la politique aéronautique de la Suisse, publié par le Conseil fédéral en 2004, constitue le document de fond de l’aviation civile suisse. Les Chambres fédérales en ont pris connaissance et l’ont approuvé en mai 2005 (FF 2005, 1655 ss). Ce rapport fait un tour d’horizon complet de la situation actuelle de l’aviation civile, auquel il ajoute une analyse des problèmes constatés. Il présente, en outre, la position du Conseil fédéral sur diverses questions de politique aéronautique, propose des solutions concrètes et offre une base de référence solide pour l’aménagement futur de la politique aéronautique suisse. Le précédent rapport de politique aéronautique du Conseil fédéral remonte à 1953. À l’époque, cette politique reposait sur la confiance dans les capacités des acteurs du secteur privé à évoluer dans un environnement monopolistique réglementé. Le transport aérien était en effet étroitement réglementé par l’État et marqué par des cartels et autres ententes sur les prix. Parti des États-Unis, le mouvement de libéralisation du transport aérien entraîna de profonds changements dans les années quatre-vingt. Une libéralisation à grande échelle se produisit au sein de l’Union européenne (UE) au début des années nonante; de nouvelles compagnies d’aviation – principalement à bas coûts – ont dès lors vu le jour, les prix des vols et les marges bénéficiaires se sont fortement comprimés et la pression sur les coûts s’est accrue, surtout pour les compagnies traditionnelles. Dans ce climat d’âpre concurrence entre les compagnies d’aviation, rien ne garantit, désormais, que celles-ci soient capables, en toutes circonstances, d’assurer un niveau de sécurité optimal. Cela explique pourquoi les pouvoirs publics sont amenés à intervenir plus souvent qu’auparavant, surtout en ce qui concerne la sécurité. Les autorités de surveillance doivent mettre en place une véritable gestion de la sécurité, et passer d’un contrôle ponctuel à une activité de surveillance globale et si possible anticipative.

Le transport aérien, un système interdépendant


L’aviation suisse forme un système global dont les éléments sont fortement interdépendants, sur la scène nationale aussi bien qu’internationale. Ses principaux acteurs sont les compagnies aériennes, les aéroports, les services de navigation aérienne, les entreprises de construction et de formation ainsi que les entreprises connexes. L’immobilisation de la flotte de Swissair en automne 2001 a mis en évidence les conséquences dramatiques que les déboires d’une seule entreprise pouvaient avoir sur les autres partenaires du système. À cette époque, la débâcle de SAir Group aurait pu remettre en question le fonctionnement de l’ensemble du système aéronautique. L’intervention financière de la Confédération a permis à la fois de sauver l’industrie aéronautique et de réduire son interdépendance. À cause de cette forte connexité, mais en raison aussi des dépendances principalement internationales, la marge de manoeuvre de la Suisse est limitée. Le débat politique nous montre que dans les questions aéronautiques, il s’agit toujours de trouver un équilibre entre trois pôles: la sécurité, la compétitivité et l’environnement. Pour la compétitivité, il faut au surplus assurer l’équilibre entre le principe de la vérité des prix et l’orientation des aides publiques. La tâche des autorités de surveillance consiste donc à trouver une solution adéquate aux cas particuliers en tenant compte à chaque fois de ces trois dimensions. En définitive, il leur faut procéder à une pesée d’intérêts entre les trois dimensions de la durabilité.

Les buts de la politique aéronautique


L’objectif prioritaire de la politique suisse des transports consiste à assurer le déroulement du trafic dans les meilleures conditions possibles de sécurité et de durabilité. Pour ce faire, il faut des infrastructures de transport performantes et coordonnées qui permettent de relier judicieusement entre eux les différents modes de déplacement en fonction de leurs avantages respectifs. L’aviation suisse a pour vocation première d’établir des liaisons optimales entre la Suisse et les principaux centres européens et mondiaux. La Confédération fournit le cadre nécessaire en négociant des accords aériens aussi libéraux que possible et en créant les conditions propices à la mise sur pied d’infrastructures aériennes et terrestres optimales. L’État laisse, toutefois, au mécanisme de l’offre et de la demande le soin de déterminer concrètement l’éventail des liaisons aériennes. Dans le même temps, il s’efforce d’établir des normes de sécurité élevées en comparaison européenne.

Sécurité


La sécurité de l’aviation civile suisse est un élément primordial, tant au plan de la fiabilité technique et opérationnelle que de la sûreté (voir encadré 2 La sécurité aérienne concerne les aspects techniques (protection contre les défaillances techniques ou humaines) alors que la sûreté se rapporte aux mesures de protection contre les attaques terroristes. Sous le mot d’ordre «La sécurité avant tout», l’Ofac veille à maintenir un niveau de sécurité élevé en comparaison européenne. En tant qu’autorité de surveillance, il aménage des conditions-cadres propices au déroulement sûr et durable du trafic aérien sur la base des prescriptions nationales et internationales existantes. Par ailleurs, il s’occupe en permanence, de manière systématique et empirique, d’améliorer la sécurité de l’aviation sur la base des réglementations existantes.). La première doit être garantie à un niveau élevé en comparaison européenne, car elle est essentielle à une bonne politique aéronautique, au fonctionnement du système des transports et à la prospérité des acteurs du marché. Les usagers et autres intéressés s’attendent à ce que le nombre absolu des accidents et des incidents graves n’augmente pas, en dépit de l’accroissement du trafic. Au chapitre de la sûreté, la stratégie du Conseil fédéral consiste à assurer au plus haut degré possible la protection des personnes et des biens contre des actes illicites, notamment des attentats terroristes et des détournements d’avion. Il faut pour cela des mesures qui soient si possible mises en oeuvre de manière uniforme dans le monde entier. C’est la raison pour laquelle les bases légales nécessaires se fondent en Suisse sur les prescriptions internationales afférentes. La prévention des dangers relève, généralement, par définition des tâches incombant à l’État.

Environnement


Un autre objectif consiste à concilier les besoins de mobilité avec les exigences de la protection de l’environnement. Ce thème n’a pas beaucoup évolué ces dernières années. La Suisse joue un rôle important en matière d’harmonisation internationale des mesures de protection de l’environnement dans le secteur aérien. Elle oeuvre en particulier en faveur de mesures coordonnées à l’échelon international visant à limiter et à réduire les émissions de gaz à effet de serre occasionnées par le trafic aérien. Dans notre pays, le bruit causé par ce trafic est un sujet de débat permanent. Environ 100 000 personnes vivent dans des zones où les immissions générées par le trafic aérien dépassent les valeurs limites. De nombreuses procédures pendantes n’aboutiront que dans plusieurs années; elles devraient coûter bien plus d’un milliard de francs aux installations concernées, c’est-à-dire aux aéroports. C’est la raison pour laquelle le Conseil fédéral étudie les possibilités de légiférer sur les procédures relatives aux mesures anti-bruit et à l’expropriation formelle et matérielle.

Aéroports, trafic et espace aériens


Le rapport du Conseil fédéral sur la politique aéronautique s’intéresse également aux trois domaines cités en titre et présente pour chacun d’eux les mesures nécessaires au maintien des liaisons optimales de la Suisse. Font notamment partie de ce dispositif la participation de la Suisse à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et au Ciel unique européen (CUE), ainsi qu’une gestion efficace par Skyguide de l’espace aérien des pays limitrophes. La politique du Conseil fédéral concernant les aéroports fait l’objet d’une description circonstanciée dans le Plan sectoriel de l’infrastructure aéronautique (PSIA). Le gouvernement y défend une politique durable des infrastructures; il met l’accent sur l’utilisation efficace de l’infrastructure aéronautique, l’intégration dans une conception globale des transports, une protection globale de l’environnement, un développement territorial coordonné et le développement des aéroports en fonction de la demande.

Raccordement international


Pour l’économie et le tourisme suisses, la desserte internationale est essentielle, le pays étant privé de tout accès direct à la mer. Le Conseil fédéral a, ainsi, toujours encouragé l’aviation civile suisse à se tourner vers l’extérieur. Ce n’est pas uniquement une question économique; non-membre de l’UE, la Suisse ne peut, en effet, se passer de la technologie, des connaissances et de l’expérience des autorités et industries aéronautiques étrangères. Une étroite coopération internationale dans les domaines de la technique et de l’exploitation aérienne permet d’ailleurs de nettement améliorer le degré de sécurité de l’aviation helvétique. De nos jours, il existe peu de domaines de l’aviation qui ne soient soumis de façon significative à des prescriptions internationales. Étant donné le poids des organisations multinationales, le Conseil fédéral a toujours été persuadé qu’il était de la plus haute importance pour notre pays de participer à ces institutions et de coopérer avec d’autres autorités. La Suisse a donc veillé à s’engager dès le début dans toutes les organisations et institutions internationales. Elle a encore intensifié, sur certains points, son implication ces dernières années.

Mesures à prendre


Le rapport sur la politique aéronautique se termine par une liste des principales mesures à mettre en oeuvre, dont respectivement le Conseil fédéral et le Parlement devront s’occuper pour concrétiser les objectifs présentés dans le document. Succinctement, ces mesures sont les suivantes: – amélioration de la sécurité du trafic aérien; – renforcement de la compétitivité de l’aviation civile suisse; – modernisation du droit aérien suisse; – établissement d’une fiche PSIA pour l’aéroport de Zurich; – négociations avec l’Allemagne sur le régime d’approche et de décollage de l’aéroport de Zurich; – conclusion de conventions de sécurité aérienne avec l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne; – mise sur pied d’un concept intégral de financement pour la sécurité aérienne; – réexamen du partage des rôles entre la Confédération et les cantons pour les aéroports nationaux et définition de leur statut; – garantie de la sécurité juridique en rapport avec la problématique du bruit;  – réexamen des mécanismes de financement pour le domaine de la sûreté.

La sécurité et la compétitivité d’abord


Pour l’avenir immédiat de l’aviation civile suisse, toutes ces mesures ne sont pas d’égale importance. Leur mise en oeuvre exige l’application de textes divers, autrement dit de stratégies différenciées. Par conséquent, leurs délais de réalisation diffèrent aussi, selon l’ampleur et l’urgence du problème. La priorité est réservée aux thèmes de la sécurité et de la compétitivité. En matière de compétitivité, il faut d’abord garantir des conditions-cadres optimales à l’aviation civile suisse. D’importants objectifs ont déjà été atteints à ce titre grâce à l’adhésion de la Suisse, le 1er décembre 2006, à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et au CUE. Le Conseil fédéral estime que la participation active à ces importants projets européens est de nature à renforcer l’orientation internationale, notamment européenne, de l’aviation civile suisse et donc sa compétitivité. Dans la liste des mesures programmées, celle qui a la plus large portée concerne l’éventuelle affectation d’une partie du produit de la taxe sur le kérosène (entre 40 et 60 millions de francs) à des mesures en faveur de la protection de l’environnement, de la sécurité et de la sûreté dans le transport aérien. Aujourd’hui, la plus grande partie de ces recettes alimente le compte routier et le reste est versé à la caisse générale de la Confédération. Comme l’affectation du produit de l’impôt sur les carburants est réglementée par la Constitution fédérale, il faut la modifier pour procéder à cette réaffectation, et donc passer par une votation populaire. Après quoi, il s’agira d’adapter la loi sur l’imposition des huiles minérales. Pour l’heure, le processus de formation de l’opinion politique suit son cours. Le message correspondant doit être soumis au Conseil fédéral dans le courant de 2007. Les mesures visant à renforcer la sécurité du trafic aérien comportent de nombreuses modifications juridiques dans la perspective de la reprise de règles internationales de sécurité. Le Conseil fédéral compte également faire progresser substantiellement le degré de sécurité grâce à un système non punitif de comptes rendus volontaires et confidentiels, introduit le 1er avril 2007. Ce système permet, à titre préventif essentiellement, de déceler des lacunes en matière de sécurité afin de prendre les mesures appropriées. Parmi les autres mesures, citons la modernisation du droit aérien suisse, dont la mise à jour s’impose. Vieille de 50 ans, la loi sur l’aviation et ses ordonnances d’application seront actualisées à la faveur de plusieurs révisions partielles coordonnées. Il s’agira d’y inscrire des considérations importantes concernant le développement durable, la sécurité, la desserte, la compétitivité et le raccordement international, et d’arrêter des directives sur l’applicabilité de normes minimales et de recommandations dans l’aviation civile. Des entretiens ou des consultations sont également en cours avec les États voisins concernant la réglementation de services transfrontaliers de navigation aérienne. Quant à la question de l’aéroport de Zurich-Kloten, le Conseil fédéral continue de préconiser un développement en fonction de la demande. Des dérogations à ce principe sont, toutefois, envisageables au cas où le développement durable l’exigerait. Dans le processus de coordination PSIA pour l’aéroport de Zurich-Kloten, toutes les options opérationnelles techniquement réalisables ont été élaborées dans un premier temps sous la supervision de l’Ofac et sont actuellement discutées au niveau politique. Ultérieurement, le projet de fiche de coordination du PSIA sera soumis à la population et les autorités compétentes seront entendues. La fiche remaniée sera finalement approuvée par le Conseil fédéral. Des discussions avec les autorités allemandes se poursuivent. Elles portent sur le régime des vols d’approche et de décollage dans la région sud de l’Allemagne avoisinant l’aéroport de Zurich-Kloten. Il s’agit de régler au plus vite ce problème lancinant pour la population comme pour l’aéroport, autrement dit d’aboutir à une solution acceptable pour les deux parties.

Conclusion


Le rapport du Conseil fédéral sur la politique aéronautique suisse constitue une très bonne base de travail pour fixer les modalités de la politique aéronautique suisse d’aujourd’hui et de demain. Les mesures déjà réalisées ou en cours – par exemple sur le plan législatif – sont de nature à concrétiser les objectifs de politique aéronautique arrêtés par le Conseil fédéral. Bref, l’aviation civile suisse est parée pour affronter l’avenir!

Graphique 1 «Le système aéronautique suisse»

Graphique 2 «Les organisation européennes dans l’aviation»

Encadré 1: L’Office fédéral de l’aviation civile (Ofac) L’Ofac est l’autorité suisse compétente en matière d’aviation civile. Il occupe environ 230 collaborateurs, qui travaillent pour la plupart à Ittigen près de Berne, mais en partie aussi à l’aéroport de Zurich-Kloten.La principale tâche de l’Ofac consiste à assurer la surveillance de l’aviation civile en Suisse; elle se répartit entre les secteurs de l’infrastructure, des appareils volants, des compagnies aériennes et du personnel de l’aviation. L’Ofac accomplit sa mission en s’appuyant principalement sur des normes et des pratiques internationales, conséquence logique du caractère transfrontalier de l’aviation.En tant qu’autorité compétente en matière de politique aéronautique, l’Ofac participe aussi à l’aménagement des conditions-cadres de l’aviation suisse. Ainsi, il prépare et met en oeuvre les décisions prises par le gouvernement et le Parlement en matière de politique aéronautique.

Encadré 2: Sûreté et sécurité La sécurité aérienne concerne les aspects techniques (protection contre les défaillances techniques ou humaines) alors que la sûreté se rapporte aux mesures de protection contre les attaques terroristes. Sous le mot d’ordre «La sécurité avant tout», l’Ofac veille à maintenir un niveau de sécurité élevé en comparaison européenne. En tant qu’autorité de surveillance, il aménage des conditions-cadres propices au déroulement sûr et durable du trafic aérien sur la base des prescriptions nationales et internationales existantes. Par ailleurs, il s’occupe en permanence, de manière systématique et empirique, d’améliorer la sécurité de l’aviation sur la base des réglementations existantes.

Encadré 3: Aéroports nationaux Les trois aéroports nationaux de Zurich, Genève et Bâle-Mulhouse sont les grands piliers de l’infrastructure aéronautique suisse. Ils constituent à ce titre des maillons importants du système de transport tant national qu’international. Leur principale fonction est de garantir le raccordement optimal de la Suisse aux centres européens et mondiaux. L’aéroport de Zurich doit assumer son rôle de plaque tournante du trafic aéronautique mondial. Ceux de Genève et de Bâle-Mulhouse doivent se développer conformément à leur fonction binationale et trinationale, en étant axés à la fois sur les vols intercontinentaux requis au plan régional et sur le trafic aérien européen.En 2006, quelque 19,2 millions de voyageurs ont utilisé l’aéroport de Zurich, 10 millions celui de Genève et 4 millions celui de Bâle-Mulhouse. Les aéroports nationaux doivent pouvoir se développer en fonction de la demande. Des dérogations à ce principe sont, toutefois, envisageables au cas où le développement durable l’exigerait.

Proposition de citation: Silke Gade ; Matthias Suhr ; (2007). La politique aéronautique de la Suisse. La Vie économique, 01 juin.