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Comment l’on peut menacer le transport aérien au nom de la sûreté

Comment l'on peut menacer le transport aérien au nom de la sûreté

Les attentats du 11 septembre 2001 nous ont fait prendre conscience une fois de plus de la vulnérabilité du transport aérien aux attaques terroristes. Depuis, les mesures de sûreté dans la navigation aérienne ont été considérablement renforcées. Le fait que les terroristes s’en prennent désormais de plus en plus à des cibles dites «molles», c’est-à-dire faiblement ou non protégées – comme les chemins de fer, le bus et le métro -, est un indice révélateur du bon travail que fournissent dans l’ensemble les responsables de la sûreté dans le transport aérien.

La sûreté est un besoin fondamental des voyageurs. Dès lors, il est dans l’intérêt même de l’industrie aérienne de la garantir à un niveau élevé. Des effets secondaires indésirables peuvent, cependant, faire leur apparition et poser des difficultés croissantes au transport aérien. Les quatre domaines principalement concernés sont: – les mesures de sûreté dont l’opportunité peut être à raison mise en doute; – les asymétries dans la lutte contre les dangers; – les coûts des mesures prises, à la fois en nette hausse et qui ne cessent d’augmenter; – la réduction du gain de temps qu’offre l’avion par rapport à d’autres modes de transport en raison des contrôles fastidieux auxquels doivent se prêter les passagers.

L’opportunité des mesures prises en matière de sûreté doit être réévaluée continuellement


Une multitude de mesures se sont révélées très efficaces. Il est ainsi tout à fait juste que le personnel non navigant ne puisse accéder au poste de pilotage. Le recours à des agents de sûreté armés («sky marshals») s’est aussi avéré tout à fait probant. Pour d’autres mesures, on peut se demander à raison si elles représentent réellement un gain pour la sûreté. Depuis novembre 2006, suite aux attentats ratés de Londres, il est interdit de transporter des substances liquides dans les bagages à main, car selon les hypothèses des experts de la sûreté, elles pourraient être mélangées en vol pour former un cocktail explosif. En avril 2007, le Parlement européen a estimé que l’application de certaines mesures – à l’instar de cette interdiction – devrait prendre fin après six mois (clause «sunset»). Les petits aérodromes aussi sont, depuis peu, soumis à des prescriptions draconiennes qui les obligent à ériger des clôtures élevées autour de leur périmètre. Là aussi, la question se pose de savoir si le rapport coût-utilité se situe dans des proportions adéquates. Les mesures de sûreté touchent également le personnel qui travaille dans les aéroports. Celui-ci est parfois confronté à des mesures de sûreté difficilement compréhensibles. On peut se demander pourquoi un mécanicien aéronautique doit passer à travers le détecteur de métaux s’il retrouve sa caisse à outils sitôt après. De plus, le même mécanicien, qui va et vient entre le cockpit et son véhicule avec des pièces de rechange, est contrôlé à chaque fois qu’il entre dans le cockpit. Les pilotes subissent un traitement semblable. Après un contrôle minutieux, ils sont conduits vers l’avion. Ils sont contrôlés une deuxième fois avant d’entrer dans l’appareil et doivent subir un troisième contrôle après avoir fait le tour de l’avion. Les mesures doivent être prises sur la base d’une évaluation des risques. Elles doivent être réexaminées en continu quant à leur opportunité et à leur proportionnalité et, le cas échéant, être harmonisées au niveau international par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Cette dernière doit être beaucoup plus rapide et cohérente en ce domaine que jusqu’à présent. Une chose est certaine: les passagers, les aéroports et les compagnies aériennes ne veulent aucun interventionnisme politique qui n’entraîne une nette amélioration de la sûreté, laquelle se situe déjà à un très haut niveau.

Les asymétries doivent être supprimées


Si tous les modes de transport sont soumis à une menace potentielle à peu près identique, les mesures de sûreté sont beaucoup plus strictes dans la navigation aérienne que dans les chemins de fer par exemple. Ainsi, il n’existe aucun contrôle en ce sens dans les trains et les bus, bien que ces modes de transport soient de plus en plus pris pour cibles par les terroristes Attentats de Madrid du 11 mars 2004 dans des trains de banlieue: 191 morts; attentats de Londres du 7 juillet 2005, dans le métro et dans un bus: 52 morts.. Tous les voyageurs ont un droit égal à être protégés contre les attentats. On ne comprend ainsi pas pourquoi dans les trains, les bus et les bateaux, on tolère des risques qui sont considérés comme inacceptables dans le transport aérien. Des différences existent aussi entre les États. En dehors de l’Union européenne, les règles en matière de sûreté peuvent varier sensiblement. L’interdiction d’emporter des liquides à bord ne s’applique, par exemple, que dans l’UE et aux États-Unis. Il est urgent de supprimer ces asymétries.

Le financement de la sûreté dans la navigation aérienne incombe aux pouvoirs publics


Les immenses efforts dans le domaine de la sûreté engendrent des coûts qui ne cessent d’augmenter. Aujourd’hui, un quart de ceux consentis pour l’exploitation d’un aéroport sont consacrés à la sûreté. La question de leur prise en charge se pose par conséquent. Selon les pays, ils sont supportés par les passagers, les aéroports, les compagnies d’aviation ou les pouvoirs publics. En Suisse, ces coûts sont presque exclusivement à la charge des voyageurs et de l’indus-trie du transport aérien alors que dans divers pays européens et aux États-Unis, ils sont assumés en tout ou en partie par l’État. À l’aéroport de Zurich, chaque passager payera, à partir de la seconde moitié de 2007, un supplément de 14,50 francs par vol au titre de la sûreté, alors que chaque participant à une manifestation du 1er mai est escorté et protégé gratuitement par les forces de l’ordre. Cette répartition des coûts affaiblit la compétitivité des aéroports suisses. La récente proposition de l’Office fédéral de l’aviation civile (Ofac) de financer les frais de sûreté à partir d’un fonds ne changerait rien à la situation, car celui-ci serait alimenté par les recettes en provenance de taxes sur les passagers. Il est, toutefois, réjouissant de constater que l’Ofac estime qu’il appartient à l’État de supporter les dépenses relevant de sa souveraineté. Dans son rapport sur la politique aéronautique, le Conseil fédéral laisse entrevoir, ce qui est positif, la possibilité de prendre en charge les coûts liés à la sûreté, car il estime à juste titre que la prévention du terrorisme est une tâche régalienne. Les terroristes visent non pas le transport aérien en tant que tel, mais l’État. Le mode de déplacement ne sert qu’à remplir leurs objectifs. Par conséquent, il incombe à l’État de supporter les coûts induits par la protection de la population à partir des recettes ordinaires du budget. Dans ce même rapport, le Conseil fédéral relativise ses propos en affirmant qu’il dispose d’une marge de manoeuvre restreinte en raison des règles sévères imposées par le droit européen. Ces craintes ne sont plus d’actualité aujourd’hui. La Commission européenne a en effet reconnu dans l’intervalle que le financement des mesures de lutte contre le terrorisme ne représente pas une aide d’État. Aerosuisse prend le Conseil fédéral au mot. Elle attend de lui qu’il exploite pleinement sa marge de manoeuvre dans l’intérêt des passagers aériens et de la compétitivité de notre place économique, et qu’il finance le coût des mesures de sûreté prises dans les aéroports suisses.

Il faut réduire le temps des contrôles


Les fastidieux contrôles de sûreté font perdre toujours plus de temps aux voyageurs. Aux heures de grande affluence, l’attente est beaucoup trop longue. Simultanément, les capacités des autorités chargées de la sûreté sont réduites en de nombreux endroits. En conséquence, le transport aérien et les aéroports suisses perdent de leur attrait face aux autres moyens de transport et à leurs concurrents étrangers. Si l’on veut que nos aéroports demeurent compétitifs, les procédures d’exploitation en vigueur doivent être examinées d’un oeil critique. À Zurich, par exemple, les passagers qui débarquent sont contrôlés une première fois par deux policiers sitôt après la descente d’avion, c’est-à-dire au moment d’entrer dans le bâtiment de l’aéroport. Le rapport coût-utilité d’une telle mesure est très discutable. Des efforts doivent également être entrepris pour que suffisamment de moyens soient mis à disposition en ce domaine et que le temps consacré aux contrôles de sûreté soit réduit.

Proposition de citation: Paul Kurrus (2007). Comment l’on peut menacer le transport aérien au nom de la sûreté. La Vie économique, 01 juin.