Quelques aspects de l’impact économique de l’aviation civile en Suisse
L’impact de l’aviation civile sur l’économie suisse est à la fois divers et important. La fourniture de services aériens crée, par exemple, de la valeur ajoutée et des emplois à l’intérieur du pays; la demande en vols raccourcit les temps de déplacement pour les passagers, élargit les débouchés des entreprises et leur ouvre des marchés d’embauche. L’aviation a, cependant, des retombées négatives, comme la pollution sonore et le rejet de gaz à effet de serre. L’article qui suit étudie de plus près quelques aspects importants de l’impact économique de l’aviation civile en Suisse.
L’aviation est un service d’infrastructure, au même titre que les transports routiers et ferroviaires ou les réseaux de communication et d’approvisionnement en énergie, gaz ou eau: elle occupe donc une place à part dans l’économie d’un pays. Les secteurs mentionnés constituent en effet les infrastructures de base d’un pays, l’épine dorsale d’une économie, ou encore le «lubrifiant» qui facilite le fonctionnement de nombreux processus économiques et des réseaux associés. Assurer le transport et les échanges internationaux de biens et de facteurs de production est une condition primordiale pour le succès des activités économiques d’un marché ouvert et moderne comme la Suisse.
Chiffres clés de l’aviation civile suisse
En 2004, l’aviation suisse a transporté 29 millions de passagers et 326 000 tonnes de fret en 1,4 million de vols. 40% d’entre eux étaient de nature commerciale et ont transporté 99% des passagers. Les trois aéroports nationaux de Zurich-Kloten, Genève-Cointrin et Bâle-Mulhouse couvrent 37% des vols, 97% des passagers et pratiquement 100% du fret aérien. Les 63% de vols restants sont effectués à partir des autres catégories d’aéroports. La proportion de vols non commerciaux est très élevée sur les aérodromes régionaux (88%) et les champs d’aviation (96%) On distingue en Suisse les catégories d’installations aéroportuaires suivantes: aéroports nationaux (3), aérodromes régionaux (10), champs d’aviation (47), héliports (24), champs d’aviation hivernaux, places d’atterrissage en montagne. . De 1990 à 2004, le nombre des vols sur les trois aéroports nationaux a crû d’un bon quart et celui des passagers de 44%, malgré le fléchissement dû à l’immobilisation de la flotte de Swissair et à la crise générale de l’aviation civile après le 11 septembre 2001, ce qui signifie que le taux d’occupation moyen des avions a également augmenté. Pendant la même période, le nombre des passagers a légèrement diminué sur les aérodromes régionaux.
Effets sur la valeur ajoutée et l’emploi
Selon la méthode universellement reconnue du Conseil international des aéroports (ACI), les effets de l’aviation civile sur la valeur ajoutée et l’emploi peuvent être directs, indirects, induits et catalyseurs. L’effet direct mesure la valeur ajoutée (chiffre d’affaires moins intrants) Le paramètre déterminant est la valeur ajoutée brute (amortissements compris). et les emplois des entreprises qui travaillent à l’aéroport. L’effet indirect comprend les intrants liés à l’effet direct et qui sont fournis par des entreprises travaillant hors du périmètre des aéroports (industrie de l’aviation, fabricants de composants, sociétés de construction, etc.). Il est donc fonction de la fourniture de services aériens. L’effet indirect met en évidence le fait qu’un secteur qui se procure ses intrants uniquement à l’étranger a un impact économique moindre qu’un autre qui crée de la valeur ajoutée à l’intérieur du pays. L’effet induit équivaut à la valeur ajoutée et aux emplois générés par les dépenses de consommation des revenus issus des effets direct et indirect. Ce troisième effet est mesuré à titre complémentaire pour faire ressortir les effets économiques qui dépendent de la fourniture de services aériens. Il répond à la logique économique des circuits, mais son lien causal avec l’aviation civile est nettement moins étroit que pour les deux premiers effets mentionnés. L’effet catalyseur se rapporte aux conséquences de la meilleure atteignabilité des destinations. Ce seront, par exemple, les revenus générés par les dépenses des passagers étrangers en Suisse (effet catalyseur passagers) ou l’extension des débouchés et les possibilités de collaboration offertes aux entreprises existantes ou nouvellement implantées en Suisse à travers le trafic aérien (effets catalyseurs entreprises). Les effets direct, indirect et induit se rapportent donc à la fourniture de services aériens (production), l’effet catalyseur à la demande.
L’impact économique au sens étroit et large
Nous appelons impact économique au sens étroit la somme des effet direct et indirect. En 2004, l’aviation civile suisse a connu un effet direct de 5 milliards de francs de valeur ajoutée. Si l’on y ajoute la valeur ajoutée générée par les sous-traitants des entreprises travaillant dans les aéroports (effet indirect), l’impact économique au sens étroit a été de 6,7 milliards de francs en 2004 et une source de travail pour 43000 employés à plein temps, soit 1,5% du produit intérieur brut (PIB) et 1,4% de tous les emplois de Suisse. Depuis 1980, l’impact économique des six principaux aéroports (les trois aéroports nationaux plus Berne, Lugano et Saint-Gall) a augmenté relativement constamment de quelque 5% par an. En 2000, l’impact économique au sens étroit était de 7,7 milliards de francs, soit 56700 emplois à plein temps. Après les ratés qu’a connus le trafic aérien à partir de 2001 (attentats terroristes, guerre d’Irak, Sras, immobilisation de la flotte de Swissair), il a chuté de presque 20% pour la valeur ajoutée (6,2 milliards de francs) et de plus de 25% pour l’emploi (41700 emplois à plein temps). Entre 2002 et 2004, la valeur ajoutée des mêmes aéroports a de nouveau progressé de 5% (300 millions de francs par an); un cinquième du recul de 2000-2002 a ainsi pu être regagné jusqu’en 2004. L’emploi a, toutefois, connu une légère diminution durant la même période, ce qui démontre les efforts entrepris pour améliorer la productivité et la compétitivité. L’écrasante majorité de l’effet induit (plus de 95% pour la valeur ajoutée) a été générée sur les sites des aéroports nationaux (Zurich, Genève, Bâle). La participation des aérodromes régionaux s’élève à un bon 3% (voir graphique 1). L’effet induit montre, par ailleurs, que la fourniture de services aériens est liée à l’économie globale par le biais de l’utilisation des revenus au sens large Les chiffres indiqués sont nettement plus élevés que ceux figurant dans les statistiques officielles de la valeur ajoutée et du PIB. Dans la comptabilité nationale (CN), seule compte en effet – à juste titre – la somme des valeurs ajoutées des domaines «airline-related» et «airport-related» (effet direct) pour mesurer la part de l’aviation civile dans le PIB, mais ce point de vue est trop étroit pour notre approche fonctionnelle et ce paramètre ne permet pas de tirer des conclusions quant à l’imbrication de l’aviation avec l’ensemble de l’économie suisse. . En 2004, cet effet s’élevait à 9,8 milliards de francs.
L’effet catalyseur
Tout comme les autres systèmes de transport, le trafic aérien joue un rôle de lubrifiant dans le fonctionnement des secteurs économiques à l’intérieur d’un pays ainsi que dans la division internationale du travail et les activités commerciales de chaque nation. En 2004, les dépenses des passagers aériens étrangers ont généré une valeur ajoutée de 7,8 milliards de francs en Suisse, soit 1,7% de son PIB. Cet effet catalyseur passagers est donc légèrement supérieur à l’impact économique de l’aviation au sens étroit. Les aéroports nationaux continuent de figurer en tête en ce qui concerne l’impact économique au sens large (96% du total). Le trafic aérien génère aussi un effet catalytiseur entreprises qui ne peut être chiffré exactement. Celui-ci traduit l’impact de l’aviation sur l’attrait que peux exercer un site (à l’échelle européenne ou mondiale), notamment sur les grands acteurs économiques mondiaux (quartiers généraux de services financiers, compagnies chimiques, industries des biens d’investissement, centres de recherche et développement, services touristiques, etc.). Parmi de tels atouts, citons: – l’élargissement des débouchés et l’exploitation des effets d’échelle; – l’extension du marché du travail, donc la possibilité de recruter plus facilement de la main-d’oeuvre spécialisée et hautement qualifiée; – la division poussée du travail, indispensable à l’économie ouverte d’un petit pays comme la Suisse pour en assurer la prospérité; – le haut niveau de la recherche et du développement de nouvelles technologies (le trafic aérien favorise les échanges mondiaux concernant les méthodes de recherche, le savoir et les chercheurs de même qu’il encourage l’innovation.
Impact régional: concentration de la production, dispersion des bénéficiaires
L’impact régional de la fourniture de services aériens (effets direct et en partie indirect) se concentre sur les cantons qui hébergent les trois aéroports nationaux. Dans ceux de Zurich et Genève, la part de la valeur ajoutée par effet direct constitue plus de 2% de la valeur ajoutée totale. Toutefois, les petits aérodromes et champs d’aviation permettent aussi au trafic aérien de participer au revenu d’autres cantons (en particulier dans les régions de montagne, voir graphique 2). Cet impact régional est encore plus manifeste si l’on considère le domicile des passagers des grands aéroports. Ainsi, seul un tiers des passagers de celui de Zurich proviennent du canton. Les autres se répartissent sur le reste du territoire et mettent donc en évidence son utilité pour l’ensemble de la population.
Le trafic aérien provoque aussi des nuisances
En économie, on ne tient pas compte seulement des effets positifs sur la valeur ajoutée et l’emploi. Certains effets (partiellement externalisés) de l’aviation suscitent le débat politique et ont un impact significatif, notamment la pollution sonore et les émissions de gaz à effet de serre, liés au changement climatique.
Pollution sonore
Les plafonds sonores sont dépassés surtout aux alentours des trois grands aéroports nationaux, tandis que les aérodromes régionaux et les champs d’aviation ne sont affectés que très occasionnellement. À l’heure qu’il est, 35100 personnes sont exposées à un bruit d’avions excessif le jour et 38000 la nuit. 11300 ha subissent une pollution sonore de plus de 60 dB (A) Aviation civile; Leq (16). Indications fournies par l’Empa et Unique Airport. . Ces dépassements entraînent, entre autres, une dévaluation des immeubles. Ces dernières années, les nuisances sonores «objectives» causées par le trafic aérien ont diminué, mais les nuisances «subjectives», dues à des événements imprévus, ont augmenté. Ce sont surtout les faits isolés très bruyants qui ont pu être réduits fortement. Parallèlement, le nombre des vols aux heures critiques du début et de la fin du jour s’est accru, ce qui laisse entrevoir un conflit avec la politique de plateforme aéroportuaire («hub»), particulièrement à l’aéroport de Zurich. La pollution sonore peut être atténuée par une stratégie active de constructions anti-bruit, l’amélioration des approches, l’aménagement du territoire et des mesures destinées à renforcer la confiance.
Rejets de gaz à effet de serre
À part le bruit, les effets environnementaux globaux du trafic aérien sur le climat, qui résultent de la consommation d’énergie d’origine fossile et du rejet de gaz à effet de serre, peuvent être considérés comme son problème majeur. En Suisse, les émissions de gaz à effet de serre dues au trafic aérien constituent 6,4% des rejets totaux (Inventaire des émissions de gaz à effet de serre, Ofefp 2005, principe du marché intérieur). L’impact climatique doit, cependant, être multiplié par 1,5, voire 3, car en raison d’autres effets, les gaz rejetés par le trafic aérien ont plus d’impact climatique que le dioxyde de carbone émis au sol (forçage radiatif). 90% des gaz à effet de serre et du kérosène consommé sont le fait des vols réguliers et des charters. En économie, les dommages à long terme provoqués par le rejet de gaz à effet de serre constituent un cas classique d’effets externes négatifs: le pollueur n’est pas tenu de payer pour ses rejets nuisibles et les dommages causés. Du point de vue de l’économie nationale et compte tenu des propriétés du marché, il faut donc admettre que l’intensité actuelle du trafic aérien est trop élevée. On peut postuler qu’elle diminuerait si tous les systèmes de transport étaient tenus de couvrir les coûts externes provoqués par leur rejets de gaz à effet de serre.
Coup d’oeil sur l’avenir
Du point de vue économique, on peut constater que le trafic aérien forme avec les autres systèmes de transport une cheville essentielle de l’économie suisse et qu’il joue un rôle important non seulement en matière de valeur ajoutée et d’emploi, mais aussi à cause de ses effets catalyseurs sur les entreprises. En Suisse, les débats actuels sur le niveau souhaitable des activités aériennes opposent les retombées économiques positives d’une croissance du trafic et les conséquences négatives dues à l’accroissement du bruit et des émissions de gaz à effet de serre. La polémique va certainement s’amplifier, mais il convient de ne pas donner dans le manichéisme. Du point de vue économique, l’objectif est de prendre en compte les coûts externes de tous les systèmes de transport. On évitera ainsi que des prix absolus ou relatifs, mais faussés, ne débouchent sur des cadences insatisfaisantes en termes de trafic, nuisibles à l’économie et provoquant une allocation inefficace des ressources travail, capital et environnement. Dans le cas de l’aéroport de Zurich, une étude cantonale Cf. AfV 2005. a évalué divers scénarios de développement sous l’angle économique. Elle a montré que plafonner les vols au niveau actuel entraînerait des pertes très élevées par rapport au bénéfice escompté. La comparaison des coûts et bénéfices des différents scénarios peut servir à évaluer la meilleure stratégie de développement, économiquement parlant. Il faut, cependant, tenir aussi compte des effets de redistribution en termes de bénéfices comme de coûts. Seule une analyse exhaustive, incluant les aspects économiques, écologiques et sociaux, permettra de rendre justice à la complexité des rapports dans le trafic aérien.
Graphique 1 «Effet direct: valeur ajoutée par catégorie d’installation aéroportuaire en %, 2004»
Graphique 2 «Valeur ajoutée relative de l’aviation civile par canton (effet direct), 2004»
Encadré 1: Sources Aerosuisse, Office fédéral de l’aviation civile (Ofac), Swiss International Airports Association (SIAA), Volkswirtschaftliche Bedeutung der Luftfahrt in der Schweiz, rédigé par Infras (Martin Peter, Daniel Sutter, Tobias Vogel et Markus Maibach), Zurich, 2006.Amt für Verkehr Kanton Zürich (AfV), Volkswirtschaftliche Bedeutung des Flughafens Zürich – Auswirkungen verschiedener Entwicklungsszenarien, rédigé par Infras (Martin Peter, Daniel Sutter et Markus Maibach), Zurich, 2005.
Proposition de citation: Maibach, Markus; Peter, Martin (2007). Quelques aspects de l’impact économique de l’aviation civile en Suisse. La Vie économique, 01. juin.