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L’impact des réglementations sur les entreprises: évaluation des méthodes de mesure d’après leur application

De quelles méthodes dispose-t-on pour mesurer les effets des réglementations sur les entreprises? Laquelle utiliser suivant le but recherché? Le présent article examine ces deux questions cruciales. Il commence par établir des critères d’application pour les méthodes de mesure. Il classe ensuite systématiquement les effets des réglementations sur les coûts, explique les méthodes de mesure appropriées et les affecte sur la base des critères d’application. Il conclut par une recommandation concernant la marche à suivre en Suisse Une bibliographie complète peut être obtenue auprés de l’auteur (cmueller@uni-hohenheim.de)..

Définition des critères


À part les questions liées au but de leur utilisation, à leurs limites et à la procédure à suivre, évaluer les méthodes d’après leur application exige qu’elles remplissent les critères généraux suivants: – praticabilité: une méthode doit être utilisable sans nécessiter trop d’instructions ou de temps d’initiation, et ne pas laisser de marges d’interprétation qui compliquent la discussion des résultats; – compréhensibilité: en recourant à une méthode, ne travailler qu’avec des variables admises, générales et facilement compréhensibles. Les chiffres doivent aussi pouvoir être obtenus ou calculés sans difficultés et la systématique de la méthode être comprise rapidement; – acceptation par les groupes d’utilisateurs: tous les milieux intéressés – gouverne-ment, administration, économie, politique, partis, grand public, médias et PME – doivent admettre la méthode utilisée; – rapport avec les PME: la méthode doit tenir compte des caractéristiques des petites et moyennes entreprises (PME), notamment en ce qui concerne l’application des règlements et les charges administratives; – assise scientifique: chaque méthode doit avoir une systématique sous-jacente et permettre des conclusions susceptibles de généralisation; – efficience: les coûts engendrés par la méthode doivent être aussi faibles que possible; – sélectivité: ne prendre en compte et ne traiter que les réglementations/charges administratives dont on peut prévoir raisonnablement qu’elles ont un impact important sur les entreprises; – pragmatisme: le but n’est pas d’arriver à des mesures précises à 100%, mais plutôt de viser une précision élevée sans être parfaite. Il devient ainsi possible d’examiner à fond plusieurs types de réglementations et d’arriver relativement vite à une solution; – vérifiabilité et transparence: une méthode doit pouvoir être appliquée par le gouvernement/l’administration ou par des spécialistes externes. Après les mesures, un organe neutre procédera à une vérification simple; – fiabilité et validité: la méthode doit répondre aux critères exigés des tests scientifiques et son application aboutir à des résultats identiques, quel que soit l’organe qui l’utilise. Il convient en outre de mesurer des grandeurs effectivement pertinentes; – intégration dans le processus régulateur: la méthode ne peut être envisagée hors de tout contexte. Elle est étroitement liée à la stratégie politique et à l’action du gouvernement, de même qu’à la conception des institutions qui l’appliquent; – comparabilité internationale: la méthode doit être compatible avec celles qui sont couramment utilisées dans le monde. Cela permet, par exemple, de recourir à des experts étrangers et de réaliser des transferts de compétence; – imposition facile: mesurer les effets des réglementations peut provoquer la résistance des intéressés. La méthode doit donc être facile à imposer et ne pas déclencher de discussions politiques de fond; – insensibilité aux pressions: la méthode doit être verrouillée contre les interventions ou le noyautage de la part de représentants d’intérêts qui pourraient manoeuvrer les mesures à leur profit; – conformité aux recommandations de l’OCDE et de la Banque mondiale: les critères appliqués aux méthodes doivent, enfin, égaler le modèle néerlandais, qui a été jugé exemplaire à l’échelle mondiale d’après les résultats de l’évaluation effectuée par l’OCDE et la Banque mondiale. Un pays qui, comme la Suisse, n’en est qu’au début des mesures, a intérêt à intégrer son projet dans ce contexte pour profiter des expériences faites.

Classement de l’effet des réglementations


Pour déterminer la meilleure façon de mesurer l’effet des réglementations sur les entreprises, il faut commencer par classer systématiquement chacun d’entre eux, après quoi on pourra leur affecter la méthode qui convient. Müller/Nijsen (2006) proposent de fonder les réflexions sur le destinataire, c’est-à-dire la personne ou l’institution visée par le contenu d’une norme.  Les réglementations peuvent susciter des effets (coûts d’application) primaires (directs) et secondaires (indirects). Les effets directs se subdivisent à leur tour en tâches intrinsèques – qui doivent être exécutées pour atteindre les buts politiques recherchés (coûts de réglementation) – et en tâches d’information (frais de bureau ou charges administratives liées à la transmission d’informations du fait d’une réglementation). Appartiennent au nombre des tâches intrinsèques les coûts financiers directs, ceux liés à la transmission d’informations à des tiers (dans la littérature spécialisée et la pratique internationale, ces deux coûts sont parfois négligés ou alors rangés parmi les coûts d’information) et ceux des investissements ou des changements apportés dans le processus de production. Les effets secondaires regroupent l’impact de la réglementation sur l’innovation et la compétitivité, de même que les effets macro et socioéconomiques, qu’on qualifie aussi de coûts psychologiques (irritation). Le graphique 1 les présente avec la méthode de mesure appropriée.

Affectation des méthodes de mesure


Les différentes méthodes de mesure peuvent ensuite être attribuées à un effet déterminé. La somme des effets est étudiée dans une analyse d’impact de la réglementation ou de la législation, qui peut prendre la forme d’une analyse des coûts, d’une analyse coûts/bénéfices ou d’une analyse d’effectivité des coûts. L’analyse des coûts n’étudie que les effets primaires et secondaires mentionnés. Les méthodes en usage dans le monde sont l’étude d’impact de la réglementation (Regulatory Impact Assessment, RIA) Voir Better Regulation Executive (2005). ou l’évaluation d’impact sur les entreprises (Business Impact Assessment, BIA). Cette dernière est une nouvelle méthode mise au point par l’institut de recherches EIM et les ministères néerlandais de l’Économie, de l’Organisation du territoire, de la Construction et de l’urbanisme, de l’Environnement, enfin de la Justice Voir Nijsen, van der Hauw, Regter (2007), ou encore Ministères de l’Économie, de l’Organisation du territoire, de la Construction et de l’urbanisme, de l’Environnement, de la Justice (2003).. Il s’agit ici de déterminer le montant des coûts qu’une réglementation induit pour un groupe donné de destinataires. À cette fin, on relève systématiquement chaque coût induit, comme on l’a vu plus haut, ce qui permet de repérer ex ante les charges excessives, de calculer ex post les charges effectives et de prendre des contre-mesures. Les bénéfices induits sont, toutefois, occultés. L’analyse coûts/bénéfices est une méthode plus achevée qui cherche à mettre en regard les coûts et les bénéfices induits par une réglementation, ce qui permet de calculer le gain net de prospérité. L’analyse d’effectivité des coûts, qui ne sera pas abordée ici, détermine les coûts par rapport au degré de réalisation des buts.

Le modèle des coûts standard


Pour mesurer les effets financiers directs d’une réglementation, on peut procéder soit en déduisant le montant des coûts du texte réglementaire lui-même (méthode directe), soit en appliquant par exemple un taux de taxation ou d’imposition à une entreprise typique (méthode indirecte). La méthode SKM (Standard-Kosten-Modell) Info est le modèle des coûts standard utilisé pour mesurer les tâches d’information Voir Bertelsmann-Stiftung (2006a); Kay, Nijsen (2006a et b); Thielbeer (2006); Boog, van der Linden, Regter (2005); Ministry of Finance (2004) et SCM Network (2004).. Elle évalue les coûts induits par les tâches d’information qu’exige une réglementation, en analysant le texte de la loi. À part la version néerlandaise, il en existe deux autres allemandes et une internationale, qui travaillent toutes sur des grandeurs standardisées, ce qui permet de ranger la méthode SKM Info au nombre des analyses d’impact de la réglementation (AIR) Voir Rohn (2006), Maurer (2006)., mais seulement pour les coûts des tâches d’information. SKM Info peut être appliquée sous forme de test rapide (SKM Quick Scan) Voir Kay (2005)., procédé utile pour déterminer les lois qui génèrent les principales charges administratives au sein d’une unité politique. Il s’y ajoute depuis peu une évaluation néerlandaise ex ante (due également à EIM), qui constitue un genre spécial de SKM Info et peut être appliquée en version simple ou complexe. Le choix du degré de complexité dépend essentiellement de l’expérience de l’administration et de la disponibilité de banques de données SKM spécifiques à une loi. Pour un pays dépourvu d’expérience en matière de mesures et de banques de données SKM, l’évaluation ex ante complexe est recommandée, de préférence au mesurage SKM précis. Les grandeurs à déterminer sont relevées comme dans la méthode SKM Info, mais la procédure est plus pragmatique. SKM Tâches intrinsèques Voir Müller/Nijsen (2006). est une autre méthode néerlandaise qui mesure les coûts encore non standardisés qu’une nouvelle réglementation impose aux destinataires chargés d’en appliquer les obligations. Les coûts considérés ici représentent le surcoût imposé aux destinataires par la nouvelle réglementation. Les réglementations existantes ne sont en général pas prises en compte puisque, expérience faite, leurs exigences ont déjà été internalisées par les entreprises. Les résultats du mesurage permettent de reconsidérer des solutions différentes sans compromettre le but politique visé.

La mesure des effets secondaires


Les effets secondaires – ici sur l’innova-tion et la compétitivité – peuvent être déterminés en interrogeant les entrepreneurs sur leurs décisions (enquête) ou en procédant à des tests. On manque, cependant, d’expérience en la matière, sinon pour les enquêtes. Les effets macro et socioéconomiques peuvent être calculés au moyen de simulations. Des expériences suédoises ont mesuré les coûts totaux des réglementations pour les entreprises Voir Hedström (2007). et on peut considérer le test de compatibilité PME de la Confédération suisse Voir www.seco.admin.ch , accompagné d’un court rapport. comme une forme d’enquête. Dans celui-ci, on conduit une dizaine d’entretiens ciblés avec des PME sélectionnées, pour déterminer les coûts induits primaires et secondaires ainsi que les éventuels problèmes d’application; l’entretien se déroule en dix étapes précises. Le test a pour but de fournir des premières indications sur les effets de l’action de l’État, mais il ne permet de dégager que de grandes tendances-, et ce sur la base d’un échantillon restreint-, ce qui entraîne certains déficits en matière de systématique, de généralisation, d’acceptation et de vulnérabilité par rapport aux groupes d’intérêts.

Une méthode complète: le BIA


Le BIA déjà mentionné est la méthode complète par excellence. Il consiste à mesurer les effets volontaires et involontaires des futures réglementations sur les entreprises, en répondant aux huit questions suivantes: 1. Sur quels destinataires/catégories d’entreprises faut-il escompter des effets? 2. Combien de PME seront-elles confrontées à la réglementation projetée? 3. Quels sont très probablement le genre et le volume des coûts (et bénéfices) que la réglementation occasionnera aux PME concernées? Quels seront les coûts des tâches intrinsèques et d’information? 4. Quel rapport y a-t-il entre les coûts (et bénéfices) et la capacité des PME? 5. Comment ces effets se présentent-ils dans les PME des pays concurrents de la Suisse? 6. La réglementation aboutit-elle à des tâches supplémentaires dues à des règles supérieures? 7. Quels sont les effets de la réglementation sur le fonctionnement du marché? 8. Quels sont les effets socioéconomiques de la réglementation (sur les emplois ou les salaires, par exemple)?  Le débat actuel porte surtout sur les coûts induits, alors que les bénéfices des réglementations, qui devraient être classés eux aussi de manière analogue, sont considérés plus globalement et ne sont pas corrélés étroitement aux coûts. Le tableau 1 évalue les méthodes de mesure des effets. L’évaluation des critères (effectuée subjectivement par l’auteur) utilise une échelle de 1 à 5.

Recommandations pour les nouveaux projets de mesurage


Pour effectuer des mesures, on a le choix de la méthode et de l’ordre des applications. Les conclusions d’un colloque du ministère néerlandais des Finances, organisé à Rotterdam en mars 2007, méritent qu’on s’y arrête www.administrative-burdens.com, www.administratievelasten.nl ou Müller (2007).. Pour une vue d’ensemble des projets SKM en cours dans l’UE, on consultera Bertelsmann-Stiftung (2006b), et pour l’Allemagne en particulier, les rapports de mesurage Ramboll Management (2006) ainsi que Kluge (2007). La tradition législative joue aussi un rôle important. Un groupe de pays, partis des mesures SKM Info, progressent vers des méthodes plus complexes. D’autres ont une longue expérience du RIA et introduisent maintenant les mesures SKM en complément. Sur la base des expériences étrangères, il convient de choisir une procédure échelonnée et adaptée à la situation initiale, et de prévoir les étapes suivantes:  – déterminer les besoins et les problèmes; – sélectionner les réglementations qui provoquent effectivement des charges ainsi que leurs auteurs; – établir les tâches d’information/administratives; – établir les tâches intrinsèques; – établir les effets secondaires et le bilan coûts/bénéfices.  Cette procédure par étapes est recommandée quand on manque d’expériences réelles de mesurage. Au début, il faut s’efforcer de ne pas surcharger les mesures de discussions sur les buts politiques afin d’éviter l’échec du projet. Frick (2006) dégage quatre aspects des réglementations modernes dont il importe de tenir compte: le contenu («good policy»), la qualité («better regulation»), l’application («good administration»), la structure («good governance»). Schneider (2006) fait le point sur les mesures SKM en Suisse. La concep-tion et la réalisation de mesurages prévus devraient ainsi s’appuyer sur la connaissance fournie par les méthodes usuelles – ou actuellement en voie de développement – de mesure de l’effet des réglementations, ainsi que sur les expériences étrangères. Il importe surtout de procéder de façon systématique, transparente et pragmatique, afin de pouvoir effectuer les mesures à un taux coûts/bénéfices raisonnable. On aura rempli ainsi les critères exigés d’une méthode de mesure.

Conclusion


Le concept exposé ici doit être compris comme une base de discussion permettant, dans le cadre de projets concrets, d’étudier les différentes options en matière d’instruments de mesure et d’ordre des applications. Il propose également une progression du simple au complexe, de méthodes éprouvées vers d’autres plus novatrices, et un contenu d’abord neutre, mais susceptible par la suite d’un débat politique.

Graphique 1 «Effets et méthodes de mesure correspondantes»

Tableau 1 «Évaluation des méthodes de mesure»

Proposition de citation: Christoph Mueller (2007). L’impact des réglementations sur les entreprises: évaluation des méthodes de mesure d’après leur application. La Vie économique, 01 juin.